Les récits que vous allez lire n’ont plus rien de commun avec le feuilleton. Si Céline et Virginie ont les mêmes traits physiques que les héroïnes de cette série, elles n’ont ni leur âge, ni leur profession. Elles ne sont pas marseillaises, ne connaissent aucun des personnages récurrents de la série et, au moment où commence le premier récit, Dix jours, elles n’ont que 25 ans. Bonne lecture.
Dix jours
Premier jour : Vendredi 17 octobre, 11 heures, Londres.
Attablés au bar à champagne de la gare Saint Pancras, Gilles et Céline attendaient que la jeune femme prenne place dans l’Eurostar qui devait quitter Londres pour Paris où ses parents l’attendaient pour organiser les préparatifs de leur mariage.
La cérémonie devait avoir lieu dans deux mois et le jeune couple devait sacrifier aux rites habituels : choix des petits fours, des pièces montées, uniquement composées de macarons, chez Lapurée, de la robe de mariée chez le grand couturier Dhanel, des faire-part chez Massepain...
Leurs parents avaient d’ores et déjà retenu un restaurant étoilé pour le repas de noces, auquel serait conviée une centaine d’invités dont le prêtre qui avait accepté de bénir l’union des deux jeunes gens.
Les cadeaux de mariage se résumeraient à un superbe voyage de noces en Inde à dos d’éléphants avec séjours dans des palais de maharadjahs !
Retenu à Londres par ses obligations professionnelles, Gilles laissait à Céline le soin de s’acquitter seule de la préparation de leur mariage.
- Je regrette de ne pouvoir t’accompagner à Paris ! Mais avec les problèmes que rencontre actuellement le secteur bancaire, la crise des subprimes et autres produits financiers toxiques, je ne peux absolument pas quitter ma banque !
- Ne t’inquiète pas. Ma mère va m’aider à organiser les préparatifs de notre mariage. Elle adore faire les boutiques et puis tu sais bien que l’usage veut que le futur époux ne voit pas la robe de la mariée avant la cérémonie.
- Bien que je sois ravi de t’épouser, nous n’avions nul besoin de nous marier pour vivre heureux et nous aimer. Et je ne crois pas que tu tires le bon numéro avec un trader qui risque de se retrouver bientôt au chômage !
- Mon choix est le meilleur que je pouvais faire. Et puis tu sais, question travail, je ne suis pas mieux lotie ! Une experte en art auprès d’une maison de ventes n’a pas beaucoup de perspectives d’avenir quand les acheteurs se font rares ! Quant au mariage, nos parents y tiennent beaucoup. Le mariage a marché pour eux. Enfin jusqu’à leur divorce en ce qui concerne mes parents. Mais malgré leur rupture, ils ont gardé une complicité que bien des couples mariés leur envieraient.
- Justement, je me demande si nous nous marions pour eux ou pour nous.
- Que veux-tu ? Que nous disions à nos parents : “Désolé, mais tout bien réfléchi, gardez les petits fours, la robe de grand couturier, nous préférons rester “à la colle” notre vie durant” ?
- Tu plaisantes. Mon professeur de père me jetterait le dictionnaire LITTRE à la tête et il est en six volumes !
- Alors, nous n’avons pas d’autre choix que de faire plaisir à nos parents. Viens, je crois que le départ de mon train est annoncé.
- Tu as raison : il est à quai. Je termine mon verre de champagne et je te suis.
*
Gilles saisit la petite valise à roulettes de Céline et la suivit au milieu des passagers qui s’apprêtaient à embarquer dans l’Eurostar.
Il s’adonna à son jeu préféré : marcher deux pas derrière la jeune femme afin d’apprécier la réaction des passants, hommes, et parfois femmes, qui se retournaient, admiratifs, sur elle.
Céline était très belle. Blonde, grande, mince avec des formes parfaites. Elle était toujours élégante mais sans ostentation.
Pour ce voyage, elle s’était vêtue d’un chemisier blanc, d’une veste et d’une jupe sous une redingote, le tout en laine marron glacé, chaussée de fins escarpins chocolat à talons plats, ses longs cheveux couleur de miel serrés dans un chignon noué sur la nuque. Ce n’était pas une beauté froide et distante, mais au contraire une jeune femme sensuelle et ardente.
Malgré les propos blasés qu’il avait tenus, Gilles était heureux d’en faire sa femme. Encore aujourd’hui, il avait du mal à concevoir qu’elle l’ait choisi.
Ils se connaissaient depuis toujours mais leur liaison n’était pas ancienne. Céline avait fait tourner bien des têtes et avait eu plusieurs amants avant lui.
Elle aurait pu être une “Don Juane” si elle l’avait voulu, collectionnant les hommes comme d’autres les timbres. Belle et intelligente, cultivée et raffinée, peu de gens restaient insensibles à son charme. Mais curieusement elle n’abusait pas de ses atouts.
Elle avait vraiment été éprise de ses amants, pensant à chaque fois avoir trouvé le compagnon idéal.
Mais, systématiquement, le jeune homme charmant, qui avait déployé des trésors d’attentions pour la séduire, se transformait en tyran dont la jalousie frisait la paranoïa.
Pour Céline, la fidélité et la confiance étaient deux éléments indispensables à un amour heureux. Dès qu’ils faisaient défaut, elle préférait rompre.
Elle avait fini par se tourner vers celui qui ne lui avait jamais manqué, l’ami de toujours, celui avec qui tout était toujours facile : Gilles.
*
Les parents de Gilles et Céline se connaissaient de longue date, possédant des appartements pratiquement voisins dans la même rue du huitième arrondissement de Paris.
Charles Frémont, le père de Céline, était avocat, et avait même été membre du Conseil de l’Ordre. C’était un professionnel intègre et respecté.
Hormis quelques traductions ponctuelles, sa mère n’avait jamais vraiment travaillé après ses études de langues.
Marie Frémont disait souvent que le soin qu’elle avait apporté à l’éducation de son unique enfant avait été une occupation à plein temps. Fille d’un diplomate en poste dans les ambassades de France en Espagne, Italie et Grande Bretagne, elle avait voulu que Céline dispose des mêmes atouts qu’elle.
Anglais, espagnol, italien étaient couramment parlés par la mère et la fille au grand dam de Charles Frémont, incapable de parler une autre langue que le français.
Marie Frémont avait souhaité que Céline développe également des talents artistiques. Piano et dessin avaient donc fait l’ordinaire des journées de l’enfant puis de l’adolescente.
Les parents de Céline s’étaient opposés au moment du choix des études de leur fille, Charles caressant le rêve qu’elle devienne avocat, comme lui, Marie qu’elle épouse une carrière artistique.
Céline avait choisi des études et une profession qui les comblaient tous les deux. Après avoir réussi son bac à 17 ans, puis un master de droit, elle avait obtenu un diplôme de troisième cycle en histoire de l’art à l’Ecole du Louvre.
Depuis un an, elle travaillait auprès du bureau londonien de la célèbre maison de ventes aux enchères Sophie’s en qualité d’experte en art. Sa parfaite connaissance de plusieurs langues, de l’italien notamment, associée à son élégance et sa beauté avaient été ses atouts majeurs.
De son côté, Gilles, fils d’un professeur de mathématiques, avait également connu un parcours brillant. Titulaire d’un master spécialisé en mathématiques appliquées à la finance obtenu auprès de la prestigieuse École Centrale de Paris, il avait rédigé une thèse sur la finance internationale et la gestion des risques.
Sa maîtrise de l’anglais, lui avait permis d’intégrer la salle des traders d’une grande banque française. Au bout de quelques mois, Gilles avait été expédié par son employeur dans le centre mondial de la finance : la City de Londres.
Leurs parcours étaient si semblables que les deux jeunes gens y avaient vu un signe du destin : le signe qu’ils étaient faits l’un pour l’autre et qu’il était inutile de lutter contre les évidences.
Amis depuis toujours, amants depuis deux ans, vivant ensemble à Londres depuis une douzaine de mois, encouragés par leurs parents et amis, ils avaient naturellement décidé de se marier.
Gilles était heureux même s’il ressentait une impression indéfinissable. L’impression que les choses n’étaient pas aussi simples qu’elles le paraissaient. L’impression que, dans le coeur de Céline, la raison l’emportait peut être sur les sentiments.
*
Les jeunes gens avaient atteint la zone où ils devaient se séparer, Céline devant, comme dans les aéroports, passer des contrôles de police et de douane avant de rejoindre son train. Gilles ne pouvait plus la suivre.
- Fais un bon voyage et envoie-moi un mail dès que tu le peux. Ces jours sans toi vont être longs !
- Tu es gentil. Je suis désolée de partir si longtemps mais Sir Winston voulait que je profite de mon séjour à Paris pour examiner les tableaux de la succession Dourakine. Je dois déterminer s’ils peuvent intéresser les milliardaires russes qui souhaitent récupérer le patrimoine de leur compatriotes exilés en France depuis la Révolution de 1917.
Les jeunes gens échangent un doux baiser. Céline reprend sa petite valise à roulettes sur laquelle elle fixe une serviette contenant dossiers et ordinateur, fait quelques pas, se retourne, fait un signe de la main en direction de Gilles, puis disparaît dans la foule.
Resté seul, Gilles ressent un grand vide et se dit que le mieux est de retourner immédiatement à la banque et de s’anesthésier par le travail.
*
Céline est assise dans son wagon de première classe. Elle songe avec quelle facilité elle a passé les contrôles : le jeune policeman avait rougi quand elle lui avait décoché son plus joli sourire. Le compagnon de voyage assis en face d’elle s’était précipité pour lui prendre sa valise et la déposer dans le compartiment à bagages situé au dessus de sa tête.
Quant au jeune homme noir préposé au room-service, il n’avait pas cessé de lui proposer des coupes de champagne, pour accompagner son déjeuner !
Céline ouvre sa serviette, en sort un élégant MacBook Air, rédige immédiatement un courriel destiné à Gilles puis commence l’examen des photographies des tableaux majeurs de la collection Dourakine.
*
Céline et ses parents, Charles et Marie, réunis pour l’occasion, étaient en train de dîner. La mère et la fille avaient eu une journée plus que remplie, courant d’une boutique à l’autre pour commander robe, petits fours, pièces montées, faire-part.
La conversation roulait à présent sur la liste définitive des invités, et notamment sur la présence d’une parente qui vivait en ermite depuis trente ans.
Camille était la tante de Marie. Âgée de soixante dix ans, n’ayant jamais été mariée, elle vivait en recluse et ne supportait que la présence de Céline.
Charles et Marie doutaient que cette femme, riche et redoutée, accepte d’assister au mariage de leur fille, malgré l’affection qu’elle lui portait.
Marie lui avait écrit pour lui annoncer le mariage de Céline avec Gilles, son ami d’enfance, mais Camille n’avait pas daigné répondre.
- Je n’ai jamais compris pourquoi Camille vivait de cette manière. Pourquoi elle avait coupé les ponts avec sa famille et surtout, pourquoi j’étais la seule à trouver grâce à ses yeux.
- Tu es peut être l’enfant qu’elle aurait aimé avoir, supposa Charles.
- Ma tante Camille a toujours été un être secret. La fortune de ses parents lui a permis de vivre sans entraves. Elle avait la réputation d’être une jeune fille chaleureuse et pleine de gaieté. Après des études d’architecture, elle a vécu une quinzaine d’années à New York où elle a fréquenté les milieux artistiques et intellectuels. Quand elle est revenue en France, il y a trente ans, elle a peu à peu réduit les contacts avec sa famille. Elle n’a jamais parlé de sa vie américaine, et je crois qu’elle trouvait sa famille trop bourgeoise, trop conservatrice.
- Camille m’est tellement chère. Je ne conçois pas de me marier sans qu’elle soit à mes côtés. J’irai la voir demain et je tenterai de la convaincre de venir.
*
Céline sortit de la bouche de métro, face au Parc Monceau. Camille, sa grand-tante, vivait dans un appartement d’un immeuble haussmannien dont les fenêtres étaient tournées vers le parc.
N’ayant plus ses grands parents, Céline se rendait toujours avec plaisir chez Camille qui se montrait affectueuse et presque maternelle avec elle. Camille avait souvent accompagné Céline au Jardin d’acclimatation du Bois de Boulogne quand elle était enfant.
Plus tard elles avaient visité les musées Cernuschi, Nissim de Camondo, ou Jacquemard-André qui ne se trouvaient qu’à quelques rues de l’appartement de Camille.
Naturellement, elles s’étaient également rendues aux salles Pleyel et Gaveau pour écouter les concerts de musique classique qu’appréciait la jeune fille.
Elles avaient aussi de longues conversations sur tous les sujets. Camille, architecte, était une femme cultivée et large d’esprit.
Aujourd’hui, Céline appréhendait leur rencontre. Elle ne comprenait pas que Camille n’ait pas répondu au faire-part de sa mère, même par un refus. Elle avait l’impression que Camille n’approuvait pas son union avec Gilles, mais qu’elle préférait se taire.
Céline serrait contre elle le cadeau qu’elle apportait à Camille. Avec elle pas question de chocolats ou de petits gâteaux !
Elle lui apportait le catalogue d’une exposition qu’elle avait vue à Londres, au Victoria and Albert Museum, intitulée Cold War Modern qui traitait des rapports entre l’Est et l’Ouest pendant la Guerre Froide. Elle savait que cette exposition serait le prétexte à une conversation passionnante avec Camille.
La vieille dame avait eu vingt ans en 1958. Elle était à Berlin lors de la fameuse phrase du Président John Kennedy, “Ich bin ein berliner” face au rideau de fer qui coupait la ville et l’Europe en deux. Elle était aux Etats Unis lors des assassinats de Martin Luther King et de Robert Kennedy. Elle avait manifesté pour les droits civiques des noirs américains, contre la guerre au Viet Nam, pour le droit des femmes à la contraception, à l’avortement, à la liberté de choisir leur destinée, tout simplement.
Céline pensait, avec un peu d’amertume, que Camille avait eu une vie plus riche que ne le serait jamais la sienne. Elle l’admirait et l’enviait pour cela.
*
Camille l’avait accueillie avec chaleur, comme d’habitude. Elle avait reçu avec plaisir le cadeau de Céline et, comme prévu, la conservation avait roulé pendant plus d’une heure sur les souvenirs de la vieille dame.
Puis, un silence gêné s’était abattu que Camille avait interrompu.
- Tu as quelque chose à me demander ?
- Je sais que Maman t’a écrit pour t’annoncer mon mariage avec Gilles et pour te prier d’y assister. Je sais aussi que tu ne lui as pas répondu. Pourquoi ? J’aimerais tellement que tu sois là.
- Tu sais parfaitement que j’aime ma solitude et que je ne la quitte que pour de grandes occasions.
- Tu ne considères pas mon mariage comme une grande occasion ?
- Cela le serait si tu te mariais par amour.
Céline était littéralement sidérée par les propos de Camille.
- Comment peux-tu affirmer que je me marie sans amour ?
- Tu connais Gilles depuis toujours. Or tu attends d’avoir vingt cinq ans pour l’épouser alors que tu aurais pu le faire beaucoup plus tôt. Je sais ce que tu vas me dire : tu attendais d’avoir fini tes études, d’avoir un métier, d’être sûre de tes sentiments... Pardonne-moi d’être triviale, mais Gilles n’est pas un premier choix. Tu as eu d’autres amants avant lui. Votre union n’a rien d’irrésistible. Elle est mûrement réfléchie. Il manque à ton union l’essentiel : la passion, la déraison. Ce sentiment d’urgence qui bouscule toutes les conventions, qui fait fi de toute prudence. Je crois que tu vas gâcher la chose la plus belle qui soit : vivre avec l’être que l’on aime par dessus tout... Et cela m’attriste, car le gâchis d’une vie m’attriste toujours... Tu comprends maintenant pourquoi je n’ai pas répondu à ta mère ?
Céline était outrée que Camille puisse douter de ses sentiments pour Gilles. Elle se fit blessante.
- La passion ! et que sais-tu de la passion ? On ne te connaît aucun mari, aucun amant.
- Et toi que sais-tu de ma vie ? Tu en sais ce que j’ai bien voulu t’en dire. J’ai connu la passion, aimer et être aimée. Ne faire qu’un avec l’autre. Vouloir tout de l’autre et vouloir tout lui donner. Goûter ses lèvres, sa peau, son corps, et ne jamais être rassasiée. Comprends-tu et connais-tu ce que je veux dire ?
Céline éluda la question.
- Je suis désolée, je ne voulais pas être méchante. Mais pourquoi n’as-tu pas épousé cet homme ? Il était marié ?
Sans répondre, Camille se leva et se dirigea vers la fenêtre. Elle contempla le parc Monceau pendant plusieurs longues minutes. Céline n’osait pas rompre son silence. Puis la vieille dame se retourna, et sourit à sa petite nièce.
- Je viendrai à ton mariage parce que je t’aime comme ma fille et que je veux être près de toi dans tous les moments forts de ta vie. Je serai toujours là pour toi. Dans la joie comme dans la peine. Je serai toujours ton ultime recours tant que j’aurai un souffle de vie.
Céline se précipita dans ses bras pour l’embrasser.
- J’ai déjà préparé ton cadeau de mariage. Je te donne la seule chose dont je sois réellement fière. Mais tu n’en sauras rien de plus : c’est une surprise. Je suis fatiguée à présent. Rentre chez toi et salue ta mère pour moi.
Camille reconduisit Céline à sa porte. Au moment de se séparer, la vieille dame chuchota :
- Nous n’avons qu’une seule vie. Mais il ne faut pas s’économiser. Il faut vivre pleinement, sans se soucier du regard des autres. La passion se reconnaît instantanément, dans la seconde. Et l’objet de cette passion n’est pas forcément un beau jeune homme aux larges épaules.
En traversant le Parc Monceau pour rejoindre la station de métro, Céline était troublée. Elle était persuadée que, pendant quelques secondes, Camille avait été sur le point de lui confier le secret de sa vie.
*
Céline était épuisée. Elle avait passé six heures à répertorier, photographier, mesurer des tableaux, des gravures et de multiples objets d’art russe dans un appartement étroit et poussiéreux de la rue des Abbesses.
Puis elle avait commencé à rédiger son rapport. Mais deux ou même trois autres visites seraient sans doute nécessaires pour inventorier la totalité de la collection Dourakine.
Elle avait hâte de rentrer chez sa mère où elle dormait pendant son séjour à Paris, mais devait encore faire une dernière course. Marie lui avait demandé de se rendre dans une boutique située près de la place du Tertre, au fond d’une cour minuscule.
Cette boutique, la seule de Paris, fabriquait et vendait des boutons, uniquement des boutons. Tous les grands couturiers, les costumiers des théâtres et opéras parisiens se fournissaient là. On y trouvait des milliers de modèles sagement rangés dans des meubles à petits tiroirs.
Un autre local, dont la porte était ouverte, donnait sur cette cour. Plusieurs personnes y discutaient, un verre à la main.
Après avoir fait son emplette, Céline, intriguée, se rapprocha pour constater qu’il s’agissait d’un vernissage. Ayant eu son compte de tableaux pour la journée, elle s’apprêtait à quitter les lieux quand elle fut attirée par l’une des oeuvres exposées.
Elle pénétra plus avant dans le local, et vit que seule une demi-douzaine de personnes, hommes et femmes, s’y trouvait encore qu’elle salua d’un “bonsoir”.
Elle vit tous les regards posés sur elle. Élégamment vêtue, elle se sentait déplacée au milieu de ces gens en jean et baskets. Elle prit la décision de les ignorer et de s’abimer dans la contemplation du tableau.
L’artiste, qui signait V. Mirbeau, avait incontestablement du talent. Céline n’était pas un amateur de peinture contemporaine, mais elle appréciait l’usage des couleurs ocre et terre de sienne, ainsi que le traitement de la matière.
Elle admirait cette oeuvre depuis quelques minutes quand elle entendit une voix derrière elle.
- Ce tableau vous plaît ?
*
C’était une très belle jeune femme, grande, mince et sportive. Un visage doux, aux pommettes hautes, à la bouche pulpeuse. De longues boucles brunes. Ses yeux noisette la fixaient avec sympathie mais également avec une étonnante intensité. Elle était vêtue de façon décontractée : un jean naturellement, et un débardeur sous une veste taupe de style militaire.
Céline se sentit immédiatement en confiance.
- J’aime beaucoup cette oeuvre. Les couleurs choisies, chaudes, le traitement apporté à la peinture qui a été frottée, grattée, afin de prendre du volume. Cet artiste a beaucoup de talent. Vous connaissez ce V. Mirbeau ?
- Oui, c’est moi.
- Vous ?
- Oui, moi. V pour Virginie. Vous voulez boire quelque chose?
- Oui avec plaisir.
- Blanche, blonde, brune ou rousse ?
- Pardon ? Je ne comprends pas.
- Je n’ai que de la bière à vous offrir. Mais vous pouvez choisir la couleur.
- Je vois. Alors une bière blanche.
Virginie Mirbeau se dirigea vers le petit buffet, pris une bouteille d’une marque hollandaise au nom imprononçable et remplit un verre qu’elle apporta à Céline.
- Je vous remercie de vos compliments. Je suis peu habituée à en recevoir. Jusqu’à présent, seuls mes amis et ma famille appréciaient mes oeuvres. Vous voyez ici les derniers tableaux que j’ai peints. J’ai préparé ce petit vernissage pour les présenter.
Alain, un des amis de Virginie s’approcha des deux jeunes femmes alors que le restant du groupe quittait la pièce en les saluant.
- Virginie, nous avons tous décidé de partir pour aller dîner au restaurant. Rejoins nous au “resto de la Butte” dès que tu auras fini de présenter tes oeuvres.
Restées seules, les deux jeunes femmes regardèrent encore quelques unes des créations de Virginie.
- Je ne veux pas vous retarder plus longtemps. Je vais vous laisser rejoindre vos amis.
- J’ai tout mon temps et... vous pouvez venir avec nous.
- Je vous remercie mais c’est impossible. On m’attend. Mais je ne manquerai pas de vous recontacter pour acquérir une de vos oeuvres. Où peut-on les trouver ?
- Ici. Ce n’est pas une galerie d’art. J’habite ici.
- Alors au revoir et à bientôt peut être.
Après avoir serré la main de Virginie, Céline quitta le petit studio et traversa la cour. Au moment où elle s’apprêtait à ressortir sur la rue, elle ne put s’empêcher de se retourner.
Virginie était sur le seuil de son studio et la regardait s’éloigner.
*
Céline, sortant de l’immeuble de la rue des Abbesses, songeait que, décidément, l’inventaire de la collection Dourakine était une rude épreuve. Si au moins, les héritiers avaient eu la bonne idée de lui offrir du caviar russe arrosé de vodka ! Mais elle avait dû se contenter d’un malheureux sandwich et d’une eau gazeuse payés de ses deniers.
Par ailleurs, certaines des toiles, représentant des scènes de batailles, étaient franchement sinistres et tranchaient avec la luminosité des oeuvres de Virginie.
Céline, surprise, constata qu’elle appelait la jeune femme rencontrée hier par son prénom. Au moins dans ses pensées. Elle se souvint qu’elle lui avait promis de lui acheter un tableau. Ses pas la dirigèrent naturellement vers la petite cour.
La fenêtre du studio était ouverte. Céline entendit une voix et reconnu celle du garçon qui s’était adressé à elles hier pour leur proposer d’aller dîner. Elle reconnu aussi la voix de Virginie.
- Tu ne nous as pas rejoints hier au restaurant. Tu as réussi à conclure avec la belle blonde ? Sinon, je tenterai bien ma chance avec elle.
- Je doute qu’un mufle de ton espèce ait la moindre chance avec elle. Mais pour répondre à ta question, non je n’ai pas fait l’amour avec elle et je n’ai même pas tenté de la séduire. Maintenant laisse moi, j’ai du travail !
Alain sortit sans remarquer Céline, celle-ci s’étant réfugiée dans la boutique de boutons ! Dès que le chemin fut libre, elle ressortit, à la grande surprise du commerçant.
Elle hésitait. Les propos qu’elle avait surpris étaient sans équivoque : Virginie aimait les femmes et ne s’en cachait pas. Dans ses conditions, devait-elle la recontacter ou passer son chemin ? Elle décida de frapper à sa porte. Après tout, elle venait pour un tableau !
*
La surprise de Virginie, en découvrant Céline sur le pas de sa porte, n’était pas feinte. Céline crut aussi remarquer une certaine joie.
- Bonsoir. Je ne vous dérange pas ?
- Nullement. Entrez, je vous en prie. Je suis surprise de vous revoir. Je vais finir par penser que vous appréciez vraiment mes oeuvres.
- C’est le cas. Je voudrais acquérir cette petite toile à dominante ocre. Quel est son prix ?
- C’est la première fois que je vends une de mes créations à quelqu’un d’autre qu’un ami ou un parent. Je ne vis pas de mes oeuvres. J’ai un autre métier heureusement. Aussi, j’ignore totalement combien je peux en demander. Deux cents euros, cela vous convient ?
- Votre talent vaut plus que cela. Les oeuvres équivalentes de jeunes artistes débutants sont généralement vendues aux alentours de six cents euros.
- Je me contenterai de deux cents euros.
- Non, je ne peux pas accepter. J’aurais l’impression de vous voler. Je vous propose une solution : cinq cents euros et je vous invite à dîner. Je n’ai pratiquement rien mangé aujourd’hui et je meurs de faim.
- J’accepte avec plaisir.
Tout en rédigeant son chèque, Céline se dit que, peut être, elle jouait avec le feu.
*
Le dîner, dans un restaurant de Montmartre que Virginie avait proposé, avait été très agréable. Les deux jeunes femmes étaient très différentes. Mais leur conversation s’était enrichie de leurs différences.
Elles avaient rapidement adopté le tutoiement.
Céline avait raconté sa vie, mais, sans savoir pourquoi, elle s’était abstenue de parler de Gilles et de leur futur mariage.
- Tu es une vraie princesse ! Je dis cela sans aucune jalousie. Moi, je suis d’un milieu modeste. Mon père est menuisier et vit dans un petit village de Normandie. Ma mère est morte quand j’avais 8 ans. Après avoir obtenu mon bac, j’ai arrêté mes études pour aider mon père dans son atelier. J’aurais pu être menuisier ou alors déménageur, car soulever des meubles de plusieurs dizaines de kilos m’a donné une force de bûcheron. J’ai aussi beaucoup voyagé en Europe, vivant de petits boulots. Je lis énormément. Attirée par la peinture, j’ai toujours hanté les musées. Comme je ne peux pas vivre de mon art, j’ai trouvé une autre activité : photographe de presse. J’adore la photo et je réussis parfois à placer mes clichés dans les journaux parisiens ou de province. Une bonne photo est payée 5 ou 6.000 €, et parfois plus.
Céline en l’écoutant, se rendit compte à quel point elle était une privilégiée. Elle avait presque honte de sa richesse et de son confort bourgeois.
- Tu disposes d’un atelier pour peindre ?
- Les ateliers sont rares à Paris. Ils ont été transformés en galeries d’art ou en lofts. Non, je peins chez mon père en Normandie.
- Dans quel journal peut-on voir tes photos ?
- Je travaille en indépendante pour des agences de presse. Je ne suis pas salariée d’un journal ou d’un magazine. On me propose un sujet et je tente de ramener des clichés. Mais je refuse les photos people. J’estime que chacun a droit au respect de sa vie privée.
Céline devina que Virginie réclamait ce droit pour elle-même.
Elle bavardèrent longtemps encore, et se séparèrent tard dans la nuit devant le taxi que Céline emprunta pour rentrer chez sa mère... et après avoir échanger leur numéro de portable.
*
Céline avait mis les bouchées doubles pour achever l’inventaire Dourakine. Elle sortit de l’appartement de la rue des Abbesses en poussant un soupir de soulagement.
Elle pensa qu’elle n’aurait plus à revenir dans ce quartier. Et soudain, elle en éprouva du regret. Elle se dit que ce serait agréable de revoir Virginie une dernière fois avant de regagner Londres.
Elle prit son iPhone et appela la jeune artiste peintre.
- Virginie ? J’espère que je ne te dérange pas ?
- Tu ne me dérangeras jamais.
- Je retourne à Londres demain. Je pensais que l’on pourrait se revoir ce soir avant mon départ.
- Avec plaisir. Tu veux aller au restaurant ou acceptes-tu de dîner chez moi et de partager une quiche lorraine et une salade, faites maison ?
- Va pour la quiche et la salade. Mais laisse-moi apporter le vin.
- Aurais-tu peur que je te serve de la bière ?
- Je ne voudrais pas en priver tes amis. Je vais faire un ou deux achats et serai chez toi vers 19 heures.
Céline trouva un caviste chez qui elle acheta un Pessac-Léognan blanc 2003 puis un pâtissier.
En chemin, elle téléphona à sa mère.
- Je suis désolée, Maman, mais je vais encore te faire faux bond ce soir. Les héritiers de la succession Dourakine ne retiennent de nouveau à dîner. Je ne peux pas refuser. J’espère ne pas rentrer trop tard. Ne m’attends pas.
*
Assises côte à côte sur le petit canapé, Céline et Virginie parlaient de tout et de rien. Elles étaient légèrement ivres. Céline s’enhardie et posa LA question.
- Hier, quand je suis venue te voir, la fenêtre de ton studio était ouverte. J’ai entendu la question de ton ami et j’ai entendu ta réponse. Vous parliez d’une blonde... et des chances de la séduire.
- Alain a parfois un humour pénible.
- C’était de l’humour ?
- Quand il parlait de te séduire ? Je l’espère !
- Non, quand il sous-entendait que tu éprouvais... de l’attirance pour les femmes.
- Non, ça n’est pas de l’humour. J’aime les femmes. Mais, je te choque... j’ai l’impression d’avoir tout à coup moins de talent à tes yeux.
- Tu te trompes. Je ne condamne pas tes préférences sexuelles même si je ne les partage pas. Et pourquoi n’as-tu pas essayé avec moi ? Je ne te plais pas ?
Virginie était abasourdie par l’aplomb de Céline dont, visiblement, les inhibitions avait été effacées par le Pessac-Leognan.
- Tu sais très bien que tu as plus de charme que la loi l’autorise et il faudrait être folle ou aveugle pour ne pas le remarquer. Mais je ne suis pas une prédatrice. Et puis je préfère cultiver une amitié sincère plutôt que de connaître un échec.
- Pourquoi serait-ce un échec ? Comment le savoir si on ne tente rien ?
- Céline, je crois que tu as un petit peu trop bu. Je pense que tu devrais rentrer chez ta mère maintenant. Je t’accompagne à la station de taxi.
*
Céline ne comprenait rien à l’attitude de Virginie. Tous les hommes qu’elle avait rencontrés avaient tenté, à un moment ou un autre, de la séduire. Virginie, qui aimait les femmes, ne tentait rien. Elle n’était pas habituée à une telle indifférence. Elle y vit comme une offense.
Encouragée par sa légère ivresse, Céline, sans un mot, se penche vers Virginie, pose ses mains de chaque côté de son visage, et l’embrasse.
Virginie ferme les yeux, répond au baiser de Céline doucement, goûtant la saveur de ses lèvres, puis avec fougue. Elle déboutonne son chemisier, dégrafe son soutien-gorge et les lui retire, ses mains caressent sa poitrine, son ventre, ses reins. Ses lèvres douces se posent sur son sein droit.
Céline gémit sous le contact des mains et des lèvres de Virginie. Le souffle court, elle se laisse aller contre le dossier du canapé.
Virginie explore le corps souple et chaud de Céline. Que sa peau est douce !
Les gémissements de Céline redoublent. Virginie s’agenouille devant elle, descend la fermeture Éclair de sa jupe, la saisit avec le slip et le collant pour les faire glisser le long de ses jambes, puis laisse tomber les vêtements sur le sol. Elle glisse ses mains sous ses fesses pour attirer Céline vers le bord du canapé, l’obligeant à écarter un peu plus les cuisses. Ne pouvant plus résister à son désir, Virginie referme ses lèvres sur le fruit offert.
Céline tressaille, au premier contact de sa bouche sur son sexe. Les caresses de la langue lui procurent un plaisir presque insupportable. Elle bascule sa tête en arrière et pousse un gémissement rauque. Le plaisir la submerge et elle plonge les mains dans les boucles brunes.
Céline reste quelques secondes inconsciente et pantelante. Virginie la soulève dans ses bras, la porte jusqu’au lit où elle l’allonge délicatement puis, après s’être dévêtue, vient se blottir contre elle. Elle restent enlacées, sans un mot, pendant de longues minutes.
Reprenant ses esprits, Céline se tourne en souriant vers Virginie, plonge son visage dans son cou et caresse sa joue.
- Pas de regret ?
- Non aucun ! J’avais un peu peur et c’est pour ça que je me suis jetée à ton cou. Mais je ne regrette rien, bien au contraire.
Céline repousse avec douceur la main de Virginie qui reposait sur son ventre, dépose un léger baiser sur ses lèvres, quitte le lit et remet ses vêtements.
Virginie, interloquée, : Où vas-tu ?
- Je dois retourner chez ma mère. Elle risque de s’inquiéter si je rentre trop tard et il est près de minuit. Elle me considère toujours comme une enfant.
- Je vais te revoir ?
- Bien sûr. Je vais retarder mon retour à Londres et je reviens demain à midi. Cela te convient ? Je passerai chez un traiteur et nous pourrons déjeuner ici ensemble.
- Très bien. Je t’accompagne jusqu’à ton taxi.
Les deux jeunes femmes profitent de la nuit tombée pour se tenir par la main. Elles se dissimulent derrière un kiosque à journaux proche de la station de taxi et échangent un long baiser.
*
A l’heure dite, Céline se présente devant le petit studio de Virginie, un sac Pauchon dans les bras. Elle n’a pas à frapper à la porte. Celle-ci s’ouvre comme par miracle devant elle car Virginie la guettait.
A peine entrée, Céline est prise dans un véritable tourbillon sensuel.
Virginie, après l’avoir débarrassée de son fardeau, la pousse doucement contre le mur, caresse ses joues, son cou de ses lèvres, ouvre l’élégante redingote en laine, glisse ses mains sous son chemisier, effleure son ventre. Céline enlace Virginie, son corps épouse son corps, se laisse aller sous ses caresses, ferme les yeux. Elles restent soudées l’une à l’autre quelques minutes pendant lesquelles elles continuent à s’embrasser et à se caresser.
Puis, un sourire aux lèvres, Virginie se sépare de Céline, lui prend la main et la conduit jusqu’au canapé, lui retire son manteau et la fait asseoir.
Elle ouvre le sac du célèbre traiteur de la Place de la Madeleine, et en sort plusieurs boîtes.
- Qu’y a-t-il dans ce sac Pauchon ?
- J’ai pris différents plats italiens et une bouteille de vin sicilien.
- Excellent choix !
Virginie dresse la table puis les deux jeunes femmes commencent à déguster les excellents antipasti et primo pasti tout en faisant honneur au vin et en bavardant.
- Tu repars demain à Londres ? Tu ne peux pas rester à Paris quelques jours de plus ? Je t’accueille volontiers dans mon humble demeure.
- J’aurais adoré rester avec toi mais je ne peux pas, Mon patron, Sir Winston attend mon rapport sur la succession Dourakine. Nous avons des délais stricts pour organiser les préparatifs de la vente.
- Promets-moi que nous nous reverrons bientôt.
- Je te le promets. A Paris ou à Londres, nous nous reverrons.
Pour sceller sa promesse, Céline s’approche de Virginie et l’embrasse doucement dans le cou, la dévêt lentement puis l’attire vers le lit.
Puis les yeux rivés sur son amante, elle se déshabille à son tour et rejoint Virginie qui repose sur le lit, allongée sur le ventre, les yeux clos.
Les lèvres douces de Céline parcourent son visage, embrassent ses paupières avant de prendre possession de sa bouche.
Virginie sent le souffle chaud de Céline sur sa nuque, sa poitrine contre son dos, ses mains qui s’insinuent dans le creux de ses reins, sur ses fesses, entre ses cuisses. Elle se cambre sous ses caresses et laisse échapper un gémissement sourd quand Céline se glisse en elle, puis s’abandonne à un délicieux bien être.
Les deux amantes restent blotties l’une contre l’autre, perdant toute notion du temps.
*
Céline, en poussant un léger soupir : - Il est presque 17 heures. Je dois retourner auprès de ma mère. Entre la succession Dourakine et toi, je ne l’ai pratiquement pas vue cette semaine.
- Reviens ensuite et reste avec moi cette nuit.
- Je ne peux pas. Si je découche, ma mère imaginera immédiatement que j’ai un amant.
- Quelle importance ? Tu fais ce que tu veux !
- Non. Je ne fais pas ce que je veux.
- Pourquoi ?
Céline comprenant qu’elle ne pouvait plus continuer à dissimuler l’existence de son fiancé : - Je me marie dans deux mois. Il s’appelle Gilles.
Un silence pesant s’abat entre les deux femmes que Virginie interrompt par un petit sifflement.
- Tu te maries dans deux mois ! Et je présume que cette courte liaison avec moi est une façon d’enterrer ta vie de célibataire. Je suis heureuse d’avoir pu te rendre ce petit service. Je te présente tous mes voeux de bonheur !
- Laisse moi t’expliquer...
- Tu n’as aucune explication à me donner. Toi et moi avons trouvé dans notre aventure ce que nous y cherchions. Tu voulais tenter une expérience homosexuelle avant ton mariage, tu l’as eue. Je voulais coucher avec une fille magnifique. J’y suis arrivée. Tu es ma quarante et unième conquête, ma troisième hétéro. Et les hétéros comptent double. Tu m’as permis d’améliorer mon score et c’était très agréable.
- Parfait. Dans ce cas, tout est pour le mieux.
Céline se rhabille, s’approche de Virginie, toujours couchée nue sur le lit, dépose un léger baiser sur sa joue sans que la jeune femme réagisse, prend son manteau, ouvre la porte du studio, sort et referme la porte derrière elle.
Virginie n’a prononcé aucun mot, n’a fait aucun geste.
Céline traverse la cour, regagne la rue, hèle un taxi en maraude et disparaît à son bord dans la circulation dense du quartier Montmartre.
Elle profite de ce trajet pour réfléchir à la scène qu’elle vient de vivre. Elle est étonnée par la réponse désinvolte de Virginie.
Elle avait cru être pour elle bien plus qu’une aventure supplémentaire, une conquête d’une ou deux nuits. Il n’en était rien. Elle n’était qu’un numéro qui comptait double !
Avant même ces adieux pénibles, elle avait pris une résolution et elle allait s’y tenir : demain elle retournait à Londres.
*
Céline avait pris place dans l’Eurostar qui quittait Paris-Gare du Nord à 9 heures 43 et devait arriver à Londres à 11 heures 19.
Elle envisageait, dès son arrivée à Saint Pancras, de sauter dans un taxi pour rejoindre Gilles à qui elle avait donné rendez-vous dans un pub proche de sa banque.
L’après midi, elle devait également rejoindre Sir Winston dans les bureaux de Sophie's afin de lui présenter son rapport sur la succession Dourakine.
Sa journée serait bien remplie, devant sauter d’un train dans un taxi, d’un quartier à l’autre. Aussi, avait-elle décidé de porter un jean, vêtement confortable et pratique, qu’elle portait merveilleusement et, naturellement, avec élégance.
En enfilant son jean, elle n’avait pas pu s’empêcher de penser à Virginie pour laquelle ce vêtement était comme une seconde peau. Elle ne put s’empêcher de songer à la façon dont elle le lui avait retiré.
Elle pensa avec amertume aux quelques mots que Virginie lui avait tenus au moment de leurs adieux. Elle espérait que ces paroles, outrageusement blessantes, ne reflétaient pas les sentiments réels de la jolie brune.
*
Gilles, tout sourire, l’avait rejointe dans ce pub londonien et avait embrassé la joue qu’elle lui avait tendue.
- Seulement la joue ? J’espérais un peu mieux ! Je suis tellement heureux de te revoir enfin ! Ce périple à Paris entre vieux tableaux et pièces montées n’a pas été trop pénible ?
- Non. Non. J’ai fait au mieux.
Un silence gêné s’était abattu entre les deux jeunes gens. Gilles avait immédiatement ressenti le malaise de Céline.
- Qu’y a-t-il ? Tu as quelque chose à me dire ?
A ces mots, Céline pensa qu’il était inutile de retarder plus longtemps sa confession.
- Gilles, je ne peux plus me marier avec toi. Tu n’y es pour rien. Tu es l’ami le plus fidèle et certainement tu aurais fait un merveilleux époux. Mais t’épouser ce serait te mentir et te trahir parce que... je sais maintenant que je ne t’aime pas comme on doit aimer l’être à qui on offre toute sa vie... Je t’aime comme un ami, un frère, mais pas comme un amant auquel on voue son existence. Je te demande pardon. Je ne voulais pas te faire du mal. Je comprendrais que tu me méprises, que tu me détestes, que tu me rejettes. Mais je n’ai pas prémédité ce qui arrive...
- Laisse-moi digérer cette nouvelle... Tu as rencontré quelqu’un à Paris ?
- Oui.
- C’est donc ça... Et tu l’aimes ?
- Oui. J’ai d’abord cru que ce n’était que du désir. Mais cette séparation de quelques heures m’a ouvert les yeux : je suis amoureuse.
- Comment s’appelle mon rival ?
- Ce n’est plus un rival. Notre aventure est déjà terminée... Mais je ne veux pas te faire souffrir. Je sais maintenant que le sentiment que j’ai pour toi, même s’il est très fort et depuis longtemps, n’est pas de l‘amour... Notre mariage serait une tromperie dont nous finirions tous les deux par souffrir. Nous finirions par nous déchirer et nous haïr. Je ne le veux pas. Je tiens trop à toi, à ton affection. Tu resteras toujours pour moi l’homme qui aura le plus compté. Je t’en prie. Dis-moi que tu me comprends et que tu ne m’en veux pas.
Plusieurs longues minutes s’écoulèrent avant que Gilles ne reprenne la parole. Un voile de tristesse masquait sa voix.
- Je devrais hurler, me frapper la tête contre les murs, te supplier de ne pas me quitter. Mais je sais d’avance que tout cela est inutile. Je te connais si bien. Je sais qu’il n’y a rien à faire quand tu es déterminée. Je sais aussi que tu n’as pas pris cette décision à la légère. Il est inutile d’abîmer nos souvenirs par une scène pathétique. Je sais que tu as quitté tes précédents amants parce qu’ils t’avaient déçue. J’ai au moins une satisfaction : tu m’aimes toujours. Seulement, il y a, à Paris, quelqu’un que tu aimes plus que moi. Céline, tu es quelqu’un d’exceptionnel. J’ai toujours considéré que j’avais une sacrée chance : t’avoir pour amie, puis pour amante. Le nombre de types qui en crevaient de jalousie ! Rien que pour ça, je devrais t’élever une statue ! Alors, oui je ne t’en veux pas. Pas vraiment. Tu n’es pas responsable de tes sentiments. Je veux continuer à te voir, à être ton confident... J’ai besoin de cette amitié qui existe entre nous depuis vingt ans. Quoi que tu fasses, quoi que tu décides, je serais toujours là pour toi. L’amitié qui nous unit sera toujours la plus forte.
- Tu es si gentil, si compréhensif ! Je ne te mérite pas.
Céline se jette au cou de Gilles qui serre celle qui est redevenue seulement son amie avec toute la tendresse dont il est capable.
- Je crois aussi que tu me dois toute la vérité. Qui est le veinard qui me chipe ma fiancée ?
- L’aventure que j’ai eue à Paris est terminée, Gilles. Mais je te dois en effet la vérité. Cette personne s’appelle... Virginie. C’est une femme.
Gilles resta muet quelques secondes, totalement assommé par une pareille nouvelle.
- Une femme... Je n’en crois pas mes oreilles. Tu plaisantes. Toi, Céline Frémont, dont le moindre battement de cil bouleversait des bataillons d’étudiants, tu as eu une liaison avec une femme ?
- C’est pourtant la vérité. Je sais comme il peut être cruel pour un homme d’apprendre que son amie l’a trompée avec une femme.
- Non je suis réaliste. J’avais bien remarqué que, sur le plan physique, toi et moi, on tournait plutôt au ralenti... Alors pourquoi ne pas faire de nouvelles expériences ?
- Tu comprends mon attirance pour une femme ?
- Je suis réaliste ET philosophe : le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas. Par ailleurs, l’homosexualité ne me choque pas. Mes meilleurs copains au boulot, Gus et Alex, sont en couple depuis trois ans. Mais je ne comprends pas : c’est fini avec moi, et c’est fini avec elle. Alors, que vas-tu faire ?
Céline se rendit compte qu’elle était incapable de répondre à cette question.
*
Elle songeait à Gilles. Il avait été parfait comme d’habitude. Il aurait été facile de quitter un mufle comme Alain, ce garçon si désagréable qu’elle avait rencontré chez Virginie. Il avait été facile de quitter certains de ses anciens amants. Mais quitter Gilles lui avait demandé un terrible effort.
Comme son amour pour Virginie devait être profond pour qu’elle soit prête à lui sacrifier Gilles !
Dès son arrivée en Gare du Nord, elle irait reprendre sa valise qu’elle avait laissée à la consigne et irait directement à l’Hôtel dans lequel elle avait réservé une chambre.
Elle ne voulait pas dormir chez sa mère.
Elle voulait être seule cette nuit pour se préparer à affronter ses parents. La journée de samedi risquait d’être l’une des plus douloureuses de sa vie.
*
Céline venait de quitter l’hôtel où elle avait passé la nuit. Comme la veille, elle avait revêtu un jean sous sa redingote.
Elle se présenta au domicile de sa mère à 11 heures 30. Elle savait que son père s’y trouverait également car elle lui avait téléphoné pour lui demander de la retrouver chez elle. Céline s’attendait à un moment pénible.
Gilles, en parfait galant homme, avait proposé à Céline de présenter l’annulation de leur mariage comme une décision commune. Ainsi, la jeune fille n’aurait pas à supporter, toute seule, la responsabilité de cet échec. Céline avait refusé. Elle lui avait simplement demandé de tenir la nouvelle secrète jusqu’à samedi midi, afin que ses parents ne l’apprennent pas d’un tiers. Maintenant elle était face à ses parents, étonnés de la voir encore à Paris.
- Je croyais que tu devais retourner à Londres, ma chérie
- Je suis allée à Londres hier. J’ai fait l’aller et retour dans la journée. J’ai vu Gilles.
- Pourquoi es-tu revenue à Paris ?
- Parce que j’ai pris une décision importante et que je devais vous en parler.
- De quoi s’agit-il ?
Céline se tut quelques secondes. Que c’était difficile ! Elle prit son courage à deux mains et se lança.
- Je n’épouse plus Gilles. J’ai pris conscience que notre mariage était une erreur. Gilles est un ami formidable et je l’aime comme un frère. Mais je ne l’aime pas comme je veux aimer la personne qui partagera toute ma vie.
Charles et Marie étaient abasourdis. Charles reprit ses esprits le premier.
- Mais quand et comment as-tu eu cette révélation ? Je te rappelle que Gilles et toi avez pris la décision de vous marier il y a plusieurs mois déjà. C’est une décision mûrement réfléchie. Samedi dernier, tu courais tout Paris avec ta mère pour préparer votre mariage. Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ? Tu as rencontré un autre homme ?
Nous y sommes pensa Céline. Elle garda le silence.
- Ma chérie. Je crois que ton père et moi sommes des parents compréhensifs. Nous avons toujours respecté tes choix et, jusqu’à présent, nous ne l’avons jamais regretté. Gilles est un très gentil garçon. Je suis sûre que tu ne renonces pas à lui sans raison. Si tu as rencontré quelqu’un, tu dois nous le dire.
- Oui, j’ai rencontré quelqu’un et j’ai compris que mes sentiments pour Gilles n‘étaient pas de l’amour.
- Quand l’as-tu rencontré ?
- Lundi dernier, à un vernissage.
- C’est un artiste, un critique, un collectionneur ?
- C’est un artiste peintre.
- Vous êtes amants ?
- Oui.
- Tu as pris la décision de lui céder et de quitter Gilles, comme ça, en quelques jours ?
Céline pensa aux propos que Camille lui avait tenus : - Oui. J’éprouve un sentiment d’urgence, d’évidence qui bouscule toutes les conventions, qui fait fi de toute prudence.
Mais Charles n’admettait un tel revirement. - J’ai beaucoup d’estime et d’affection pour Gilles. C’est un garçon d’avenir, avec de solides diplômes, d’une excellente famille. J’espère que tu peux en dire autant de ton amant !!
- Non Papa. Je ne peux pas. Mon amant, comme tu dis, n’a pas de diplôme en dehors du bac. Ses revenus sont irréguliers. Son milieu est modeste, sa famille est pauvre. Mais cela n’a pas d’importance à mes yeux.
- Cela aura de l’importance quand il faudra faire bouillir la marmite ! Enfin, Céline soit raisonnable, tu fais une énorme bêtise. Tu ne peux pas renoncer à une union avec Gilles pour un homme que tu connais depuis six jours à peine, qui n’a ni métier sérieux ni revenus stables.
Céline se rendit compte que le dénigrement systématique de Charles lui rendait son “amant” encore plus précieux, et balayait ses derniers doutes.
- J’ai rencontré il y a six jours une personne que je veux aimer et avec laquelle je veux vivre. Le temps ne fait rien à l’affaire... Quoi que vous puissiez dire, quoi que vous puissiez penser, je ne reviendrai pas sur ma décision... Ce qui est déraisonnable c’est de se marier sans amour pour faire plaisir à ses parents !
- Allons, il est inutile de s’énerver. Charles, nous ne sommes pas les mieux placés pour faire la leçon à Céline. Elle a assisté à notre divorce alors qu’elle avait quinze ans. Elle sait très bien qu’une identité de milieu social ou de fortune n’est pas la garantie d’une union heureuse et d’un amour éternel !
- Soit. Je rends les armes.
- Céline, tu as l’intention de vivre avec cet homme que tu as rencontré lundi ?
Céline hésitait. Elle ne savait pas si elle devait dire toute la vérité ou profiter de l’erreur de ses parents qui étaient naturellement persuadés que la personne qu’elle aimait était un homme. Mais le mensonge ou la simple dissimulation ne comptaient pas au nombre de ses défauts.
- Je ne sais pas si je vais vivre avec... cette personne mais je sais que je ne peux pas l’épouser.
- La cerise sur le gâteau ! Ne nous dis pas que c’est un homme marié avec quatre enfants ! soupira Charles.
- Non, ce n’est pas un homme marié.
- Alors où est l’obstacle ?
- Je vais vous répondre. Mais avant, je voudrais vous dire ceci. J’ai toujours fait en sorte que vous soyez fiers de moi. Je ne vous ai jamais causé de soucis. J’ai supporté stoïquement votre divorce et je me suis pliée à la discipline des droits de visite et d’hébergement. J’ai accepté de vous partager avec vos amants et vos maîtresses, parce que je savais que vous aviez droit à une vie privée et que vous ne m’apparteniez pas... Vous m’avez toujours dit que quand on aime ses enfants ou ses parents, on doit accepter ce qui les rend heureux. J’ai accepté ceux et celles qui vous rendaient heureux. C’est à votre tour maintenant.
- Je n’aime pas du tout cette entrée en matière. J’ai l’impression que tu veux nous faire avaler une couleuvre de belle taille !
- Charles, je t’en prie, laisse la parler.
- Le premier obstacle c’est que je l’aime mais je ne suis pas sûre d’être aimée. Mais ce que je ressens pour elle, je ne l’ai jamais ressenti pour aucun de mes amants.
- Elle ? Que veux-tu dire par elle ?
- C’est le second obstacle, Maman. Elle s’appelle Virginie.
- Tu as une amitié particulière avec une femme ?
Céline ne put réprimer un sourire en entendant ce terme désuet. - Oui Papa.
- Mais enfin, on ne devient pas lesbienne du jour au lendemain !
- Je ne suis pas lesbienne. J’aime Virginie. Ce que j’éprouve pour elle, je ne pourrais pas l’éprouver pour une autre femme. Je suis incapable de dire ce qui m’arrive et pourquoi cela m’arrive. Je sais simplement que je ne conçois plus ma vie sans elle. Épouser Gilles dans ces conditions serait une trahison.
- Ma chérie. As-tu bien réfléchi aux conséquences de ton choix. Tu vas devoir affronter des préjugés énormes et le regard des autres.
- Je sais Maman. Mais seule l’opinion des gens que j’aime m’importe. Si vous ne me rejetez pas, je pourrai supporter le reste.
Charles restait muet.
- Céline, je suis totalement bouleversée. Je ne veux que ton bonheur tu le sais, mais j’ai besoin de réfléchir murmura Marie.
Céline compris qu’il était inutile d’insister et quitta ses parents. Ils ne firent rien pour la retenir et ne lui tendirent pas la joue pour qu’elle les embrasse.
*
Après la pénible scène avec ses parents, Céline avait décidé de se perdre dans Paris, au hasard des rues. Elle sautait d’un autobus à l’autre, traversait des places, des jardins. Elle s’arrêta dans un café, ne sachant où aller. Elle voyait clair à présent dans son coeur. Elle savait ce qu’elle voulait et qui elle voulait. Elle espérait que les tensions avec ses parents finiraient par s’estomper. Par contre les derniers propos de Virginie lui laissaient peu d’espoir.
Pourtant, presque machinalement, elle se retrouva à Montmartre, puis dans la cour où vivait Virginie.
Elle frappa à la porte qui s’ouvrit sur une belle femme d’une trentaine d’années. Elles se regardèrent, interloquées, puis Céline décida de s’enfuir et se mit à courir.
- Pardon, je suis désolée. Je ne voulais pas vous déranger.
La femme se précipita et la retint pas le bras : - Attendez ! Vous êtes Céline n’est-ce-pas ? Ce n’est pas ce que vous croyez ! Je suis Claire, la soeur de Virginie.
- Sa soeur ? J’ignorais que Virginie avait une soeur. Elle n’est pas là ?
- Virginie est dans la salle de bains. Elle prend une douche. Entrez, je vous en prie.
Céline entra dans le petit studio. Claire la regardait avec gentillesse.
- Je suis la grande soeur de Virginie, mais aussi sa confidente. Elle m’a appelée hier soir car elle allait très mal et avait besoin de quelqu’un à qui parler. Elle est restée cloîtrée depuis jeudi soir. J’ai passé la nuit avec elle. Nous n’avons pas beaucoup dormi. Elle m’a parlé de vous, de vous, et encore de vous... Ce matin, elle s’est assoupie pendant quelques heures. Elle fait sa toilette et j’étais en train de ranger son studio quand vous êtes arrivée. Céline, je ne connais pas vos intentions concernant ma petite soeur. Mais je vous en prie : ne la faites pas souffrir.
- Je n’ai jamais eu l’intention de la faire souffrir. Je venais...
Céline fut interrompue par Virginie qui sortait du cabinet de toilettes, uniquement vêtue d’un peignoir, se séchant les cheveux avec une serviette. La jeune femme resta pétrifiée en découvrant Céline.
- Bonjour Virginie. Claire et moi avons fait connaissance.
Virginie semblait incapable de parler. Claire prit la parole.
- Je vous laisse. J’ai un mari et deux enfants dont je dois aussi m’occuper. Céline, j’espère que nous aurons l’occasion de nous revoir. Quant à toi, Virginie, promets-moi de rendre bientôt visite à Papa.
Claire sortit du studio, laissant les deux jeunes femmes face à face.
- Comment vas-tu ? Claire m’a dit que tu avais été souffrante.
- Que veux-tu ? Je te croyais à Londres. Pourquoi es-tu revenue ?
- Je suis revenue pour te voir.
Virginie, au bord des larmes : - Mais moi, je ne veux plus te voir. Vas-t’en. Tu m’as fait vivre la pire semaine de ma vie... Lundi, je te rencontre et, immédiatement, je tombe amoureuse de toi. Puis tu es partie. Je ne savais rien de toi... Je n’avais aucun moyen de te retrouver. J’ai passé la nuit à penser à toi. Ton image m’obsédait. Mardi, je t’ai attendue toute la journée. Je me suis accrochée à l’espoir que tu reviennes acheter ce tableau, comme tu me l’avais promis. Quand tu as réapparu, quand j’ai su ton nom, ton prénom, ton adresse, qui figuraient sur le chèque que tu m’as donné, quand tu m’as donné ton numéro de portable, le ciel s’est ouvert devant moi... Le lendemain, ô le lendemain, quand tu m’as embrassée, quand je t’ai fait l’amour, j’ai cru que mon coeur allait exploser. Tu es partie en promettant de revenir. Toute la nuit, j’ai continué à te caresser en rêve et j’ai commencé à t’attendre... Quand tu es revenue, tout était magique. Nous nous sommes aimées et puis tu as tout détruit d’un mot, d’un nom : Gilles. J’ai compris que je n’étais qu’une expérience sans lendemain. Une distraction... Oui, je souffre, je suis malade d’amour. Malade à en crever car je n’ai plus le moindre espoir. Alors vas-t-en ! Sors de ma vie !
Céline regarda Virginie qui lui avait tourné le dos sur ces derniers mots.
- Virginie, écoute-moi. Jeudi, tu ne m’as pas laissée t’expliquer ce que je ressentais et tu as préféré tenir des propos durs et méprisants. Je sais maintenant que tu t’es montrée blessante pour te protéger. Tu as raison. Mercredi quand je suis venue te voir, je voulais faire l’expérience d’une liaison homosexuelle. Tu es tellement belle que je me suis dit que je ne pourrais jamais trouver de meilleure partenaire. Et puis, j’étais persuadée que tu ne m’aimais pas puisque tu n’avais pas cherché à me séduire. Dans mon esprit c’était un jeu sans importance où ni l’une ni l’autre n’avions à perdre. Ce soir là, je suis partie brusquement parce que je ne savais plus où j’en étais. Parce que j’ai aimé ce que nous avons fait ensemble. Parce que j’ai aimé le faire avec toi. Jeudi, quand je t’ai quittée, plus je m’éloignais de toi et plus j’avais envie de toi, d’être avec toi. J’aurais voulu revenir, mais je n’ai pas osé parce que j’ai eu peur que tu me repousses. Alors, je suis allée rue Jambon, chez Dhanel. C’est eux qui devait faire ma robe de mariée. J’ai annulé la commande. Je suis allée chez le traiteur qui devait préparer la réception de mon mariage, et j’ai annulé la commande. Je suis allée chez l’imprimeur des faire-part et j’ai annulé la commande. C’était dérisoire, je le sais. Mais j’avais besoin d’agir. Mon mariage n’avait plus lieu d’être... Je n’éprouve pas pour Gilles le centième des sentiments et du désir que je ressens pour toi. Vendredi, j’ai fait un aller et retour à Londres. J’ai vu Gilles. Je lui ai tout dit. Que je ne pouvais plus l’épouser. Ce matin, j’ai vu mes parents. Je leur ai dit que je ne voulais plus épouser Gilles... Ils m’ont demandé pourquoi. Et à tous j’ai répondu : j’ai rencontré une personne dont je suis tombée amoureuse qui s’appelle Virginie. Gilles a été merveilleux de compréhension, comme toujours. Mes parents l’ont été beaucoup moins. Je t’aime Virginie. Je veux vivre avec toi, je veux vieillir avec toi. Je ne conçois plus ma vie sans toi. Mais si tu veux que je parte, je partirai.
Virginie s’était retournée, comme hypnotisée, et regardait Céline, les yeux fiévreux. Elle s’était mise à pleurer en entendant la déclaration de son amante. Ses épaules étaient secouées par les sanglots.
Céline s’approcha d’elle, la prit dans ses bras, et se mit à la consoler comme un enfant.
- Ne pleure plus. Je suis là et je serais là à jamais.
Elle la serra plus fort. embrassa ses paupières, caressa son cou de ses lèvres, ouvrit son peignoir. Poussant doucement Virginie contre le mur, elle regarda son corps nu, aux muscles longs et fermes, caressa ses seins et son ventre du bout des doigts, faisant frissonner la jeune femme qui étouffa un léger cri en se mordant la lèvre. Puis elle se laissa tomber à genoux devant elle. Posant une main sur la courbe de sa hanche, elle caressa de l’autre main l’intérieur de ses cuisses, l’incitant à écarter les jambes.
Elle frôla son sexe, d’une caresse légère, encore et encore et doucement y déposa les lèvres.
Virginie avait renversé la tête en arrière et avait plongé les mains dans les cheveux blonds de Céline. Malgré son ivresse, elle murmura.
- Non, pas encore ! Lève-toi ! Je veux te voir nue. Je veux sentir ton corps contre le mien.
Obéissante, Céline se leva et se débarrassa fébrilement de ses vêtements tout en contemplant Virginie, offerte sur le lit. Elle la rejoignit et s’allongea sur elle, son ventre embrassant son ventre, ses seins effleurant ses seins, et glissa une jambe entre ses cuisses. Immédiatement Virginie, cambrant les reins, colla son sexe contre sa peau, et, se balançant lentement, laissa le plaisir l’envahir et la submerger dans un cri rauque.
Virginie blottit son visage dans le cou de Céline, tout en murmurant des dizaines de “je t’aime”. Puis prenant son visage entre ses mains, elle plongea son regard dans les yeux bleus de la jeune femme.
- Dis-moi que tout cela n’est pas un rêve dont je vais me réveiller. Dis-moi que tu ne joues pas avec moi.
- Je ne joue pas et tout cela est réel, Virginie. Tu m’as fait comprendre le sens des mots amour, désir, et plaisir. Je ne pourrais jamais plus me satisfaire de quelqu’un d’autre. Je t’aime.
Céline ponctua sa phrase d’un baiser et d’une étreinte passionnés. Jamais encore elle n’avait ressenti une telle faim pour une peau, pour un corps.
Virginie à bout de souffle : - Je t’aime à la folie. Je suis prête à tout pour toi.
Céline, mutine : - Tu accepterais de m’héberger ? Je me ferai toute petite. Je vivais à Londres avec Gilles. Comme j’ai décidé de vivre à Paris, je n’ai plus de domicile. La nuit dernière, j’ai dormi dans un hôtel où j’ai laissé ma valise.
- J’aurais donné n’importe quoi pour que tu vives avec moi. Je suis désolée de ne pas avoir mieux à t’offrir que ce studio. Et maintenant que tu as perdu ton job, je vais travailler comme une esclave pour nous deux.
- Ton studio est le plus bel endroit de la terre puisque j’y suis avec toi. Et je n’ai pas perdu mon travail ! Tu as sans doute remarqué que j’étais quelqu’un de très organisé. Hier, à Londres, j’ai demandé à Sir Winston l’autorisation de travailler auprès du bureau parisien de Sophie’s. Il a accepté. Je commence mardi prochain.
Virginie, en riant : - En effet, tu as le génie de l’organisation. Avoir songé à décommander les petits fours de ton mariage par exemple...
- Mes parents ont accueilli avec une certaine tiédeur ma décision de quitter Gilles pour une femme. S’ils avaient dû en plus ingurgiter des milliers de canapés et plusieurs pièces montées, je pouvais renoncer à l’idée de me réconcilier un jour avec eux.
- Je suis admirative. Je t’adore...
Virginie attira le visage de Céline vers le sien et déposa sur ses lèvres un baiser qui était à la fois un signe de possession et d’abandon.
*
C’était leur première nuit ensemble. Elles avaient peu dormi.
La lumière du jour filtrait au travers des stores vénitiens.
Virginie, réveillée depuis une heure regardait Céline dormir. Elle n’osait pas la déranger mais mourait d’une telle envie d’embrasser sa nuque qu’elle ne put se retenir. Céline, éveillée par ce baiser, resta allongée sur le ventre, les bras posés sur l’oreiller au dessus de sa tête, frissonnante sous les caresses de son amante.
Virginie embrassait ses épaules, ses omoplates, son dos, le creux de ses reins. Sa main effleurait ses fesses, l’intérieur de ses cuisses...
Tout à coup le portable de Céline se mit à sonner.
- Ne réponds pas, par pitié !
- Je dois répondre. C’est peut être important.
Céline se leva, se dirigea vers le canapé où elle avait jeté sa redingote, plongea la main dans une poche et en sortit un iPhone blanc qu’elle caressa du bout de l’index. Virginie, ne pouvant détacher le regard de ce corps nu aux formes parfaites, poussa un soupir qui fit sourire Céline. Au téléphone elle reconnu la voix de Camille.
- Céline ? C’est moi Camille. Je veux te voir. J’ai téléphoné hier soir à ta mère et elle m’a tout dit pour ton mariage et la rencontre que tu as faite. Venez me rejoindre, toi et ton amie.
- Bonjour Camille. Tu risques d’avoir une surprise.
- Non, je ne serai pas surprise. Je sais par ta mère que ton amie est une jeune femme. Je présume que vous n’avez pas encore pris votre petit déjeuner. Alors je vous attends pour le breakfast à 10 heures au 8 rue Pierre Jeanneret, dans le 16ème arrondissement. Vous n’aurez qu’à sonner. A tout à l’heure.
Camille raccrocha sans permettre à Céline de demander une explication ou d’opposer un refus. La jeune femme était perdue dans ses pensées. Elle se demandait ce que Camille pouvait bien avoir à lui dire.
- Qui est Camille ?
Céline, amusée par la moue suspicieuse de son amie : - Déjà jalouse et possessive ? Tu n’as aucune crainte à avoir. Camille est une vieille dame de soixante dix ans et ma grand tante maternelle. Nous sommes très proches. Elle a toujours encouragé mes projets... sauf mon union avec Gilles.
- Dans ce cas, je crois qu’elle va beaucoup me plaire.
- Elle nous attend à 10 heures au 8 rue Pierre Jeanneret pour un petit déjeuner.
Céline s’étant rapprochée de son amante. Virginie la saisit par les hanches et, la renversant sur le lit, se mit à lui embrasser les seins provoquant des soupirs chez la jeune femme, qui reprit rapidement ses esprits.
- Cesse ma chérie. Nous devons nous préparer. Je ne veux pas faire attendre Camille.
Céline se leva et se dirigea vers le petit cabinet de toilettes où elle prit sa douche non sans être rejointe par Virginie qui tenta, mais sans succès, de joindre l’utile à l’agréable.
De nouveau Céline repoussa gentiment, et à regret, les assauts de Virginie. Les deux jeunes femmes réussirent à se préparer en échangeant caresses furtives et baisers. A dix heures, elles arrivaient devant le 8 rue Pierre Jeanneret.
*
Le 8 rue Pierre Jeanneret était une maison moderne. Haute de deux étages, la façade, très sobre, en granit blanc naturel, présentait de larges baies vitrées. Derrière une porte cochère, on devinait un jardin. Enfin, elle disposait d’un garage, atout non négligeable à Paris.
Céline sonna à la porte qui s’ouvrit sur Camille.
- Entrez mes enfants. J’avais hâte de vous voir et de rencontrer celle qui révolutionne la famille Frémont !
- Je te présente Virginie Mirbeau.
- Bonjour Madame. Je suis très émue à l’idée de vous rencontrer.
- Appelez-moi Camille. En vous voyant, j’ai compris le choix de Céline. Permettez à une vieille dame de vous dire que vous êtes très belle.
- Merci Camille.
Camille invita les deux jeunes femmes à pénétrer dans le vaste salon et à s’asseoir dans les larges fauteuils Le Corbusier, puis leur servit un café odorant tout en poussant vers elles une corbeille remplie de croissants.
- Pourquoi voulais-tu nous voir ?
- Pour vous offrir un petit déjeuner et vous faire visiter cette maison. Mais aussi pour répondre à la question que tu m’a posée il y a une semaine. Tu t’en souviens ?
- Bien sûr. Tu m’as dit que tu avais aimé passionnément et je t’ai demandé pourquoi tu n’avais pas épousé l’homme qui t’avait inspiré une telle passion.
Camille but quelques gouttes de café, reposa sa tasse sur la table basse, et, d’une voix douce et émue, commença son récit.
- J’ai obtenu mon diplôme d’architecte à vingt cinq ans, en 1963. L’époque en France n’était pas favorable à l’architecture... On bâtissait vite et laid. On construisait des barres et des tours pour remplacer les bidonvilles et loger des masses de gens, sans se préoccuper de beauté. Alors, je suis partie. J’ai quitté la France pour les États Unis où de grands architectes, comme Ludwig Mies Van den Rohe, exerçaient encore leur talent... J’ai été immédiatement embauchée dans un prestigieux cabinet d’architecte de New York. Je travaillais à la planche, comme on disait alors. Il n’y avait pas d’ordinateur à cette époque. Tout était dessiné au crayon puis à la plume sur des planches d’architecte. J’ai travaillé avec des gens fabuleux, intelligents, cultivés et novateurs. Et j’ai rencontré... l’amour. On travaillait dans le même cabinet, dans le même bureau. Ce fut un coup de foudre immédiat et réciproque. J’ai su dans la seconde que j’avais trouvé mon idéal. J’ai eu cette joie immense d’aimer et d’être aimée...
Camille s’interrompit quelques secondes, puis reprit : - Pourtant, je n’ai pas épousé mon idéal. Je ne le pouvais pas. Non parce que c’était un homme marié, mais... parce que c’était une femme : Lucy.
Céline, sidérée : - Une femme... Mais tu n’en as jamais parlée !
- Comment l’aurais-je pu ? L’homophobie est encore très présente aujourd’hui mais à l’époque, c’était encore pire... On s’est battu pour les droits civiques des noirs américains. Mais il n’était pas question d’évoquer la liberté des homosexuels à s’aimer. Lucy était issue d’un milieu très conservateur. Sa famille n’aurait jamais compris et l’aurait rejetée. Alors nous nous sommes cachées... Et la meilleure façon de se dissimuler était encore d’avoir des aventures avec des hommes. Lucy, sous la pression de sa famille, s’est mariée avec un brave garçon, qui n’a jamais rien deviné des liens qui nous attachaient l’une à l’autre. Quant à moi, j’étais la “french lover” qui multipliait les aventures sans lendemain, sans importance. Je devine ce que vous pensez. Que nous étions lâches, cyniques et égoïstes. Mais nous n’avions pas le choix. Nous n’avions pas le droit de vivre notre amour au grand jour. Paul, le mari de Lucy, n’a jamais souffert de cette situation. Car il n’en a jamais rien su. Nous avons toujours évité les gestes ambigus qui auraient pu l’humilier. Il me considérait comme une grande amie et, à ce titre, j’était invitée dans toutes les fêtes que le couple organisait. Notre travail nous permettait de passer douze heures par jour l’une avec l’autre. Nous étions toujours les premières arrivées au cabinet, les dernières parties. On travaillait sur les mêmes projets. On allait ensemble sur les chantiers, dans les congrès. Nous étions considérées comme d’excellentes professionnelles, un duo performant. Jamais nous n’avons eu en public de gestes équivoques qui pouvaient provoquer le soupçon... Et jamais, on ne nous a soupçonnées. Notre vie privée nous servait d’écran. Mais quand on se retrouvait seules... on laissait libre cours à notre passion, à notre faim l’une de l’autre.
Camille se tut une seconde fois, les yeux embrumés. Puis se reprenant,
- Ce bonheur a duré quinze ans. Quinze ans de rires, de fêtes, d’amour fou. Et puis, un jour, Lucy, qui se sentait très fatiguée, s’est rendue au Rockfeller Hospital pour un examen banal... Les médecins ont alors découvert une forme fulgurante de leucémie. Elle est morte en six semaines. Et je n’ai pas eu le droit de la pleurer comme on le ferait de l’amour de sa vie... Plus rien ne me retenait à New York. Je ne pouvais plus voir les rues où nous nous étions promenées, les musées que nous avions visités, les boutiques que nous avions pillées. Je ne pouvais plus continuer à vivre dans la petite maison de Greenwich où on se retrouvait pour s’aimer. Alors je suis revenue en France. Je n’avais que quarante ans, mais j’avais l’impression que ma vie s’était éteinte en même temps que Lucy. J’ai tenté de reprendre contact avec ma famille. Mais j’ai été découragée par son conformisme qui, d’ailleurs, empêchait toute confidence trop intime. Alors je me suis enfermée dans ma solitude... Je n’ai pas repris mon métier d’architecte. Mes parents étaient décédés, me laissant leur fortune. J’ai voyagé. J’ai rencontré d’autres personnes mais j’ai toujours été fidèle à mon amour, à Lucy. Les années ont passé, lentement. Et puis un jour, Marie m’a écrit pour m’annoncer ta naissance. Je me suis forcée à sortir de ma tanière et je me suis rendue chez tes parents pour te voir... Tu étais si belle dans ton berceau, avec ta poignée de cheveux blonds et tes yeux déjà si bleus qui me fixaient avec intensité. Tu m’as décoché un sourire et mon coeur a fondu pour la seconde fois... Mais c’était un amour maternel. J’étais, je suis toujours, un peu jalouse de ta mère. J’ai essayé de lui voler des moments avec toi... Ce fut facile, Marie n’était pas une mère exclusive et c’était une bridgeuse acharnée. Pendant qu’elle jouait aux cartes avec ses amies, je t’emmenais au cinéma, au théâtre, au concert, dans les musées. Nous partions à la découverte de Paris. Nous avions de longues conversations en anglais. Je suis reconnaissante à tes parents de t’avoir faite, car tu as ensoleillé ma vie pendant ces vingt cinq dernières années. Aujourd’hui, je sais que tu as reçu la beauté, mais aussi l’intelligence de savoir ce que tu veux et le courage pour l’obtenir.
Sur ces derniers mots, Camille ouvrit son sac à main et en sortit une photographie jaunie aux coins abîmés d’avoir été trop regardée. Deux jolies jeunes femmes, posant devant la Statue de la Liberté, souriaient sur cette image que Camille tendit à Céline et Virginie.
- La jeune femme à gauche c’est moi. A mes côtés c’est Lucy. Votre histoire est comme un écho de la nôtre. Aussi vous pouvez compter sur mon aide car je sais les difficultés qui vous attendent.
La vieille dame reprit la photographie des mains de Céline et la rangea soigneusement dans son sac à main. Puis elle se leva.
- Et maintenant je vais vous présenter notre enfant. L’enfant de Lucy et de Camille !
- Votre enfant ? Je ne comprends pas.
*
- C’est une image, naturellement. A mon retour en France, je n’ai pas repris mon activité d’architecte. Mais j’ai souhaité réaliser un projet que Lucy et moi avions conçu, dessiné. Un projet de maison de ville idéale. J’ai cherché un lieu dans Paris et j’ai trouvé cette rue. Autrefois, ici il y avait un vaste garage. Je l’ai racheté. Le bâtiment était sans intérêt... J’ai facilement obtenu les autorisations pour le faire raser et j’ai fait construire cette maison, en respectant des critères plus européens qu’américains et en y apportant tout le confort que notre époque exige. Venez. Vous comprendrez mieux en la visitant.
Elles passèrent alors de pièce en pièce. Toutes étaient très claires grâce à la lumière qui pénétrait par les larges baies vitrées. Cuisine, salon, bibliothèque et bureau se trouvaient au rez-de-chaussée et ouvraient sur un jardin qui entourait la maison sur trois côtés.
Une pièce supplémentaire, particulièrement haute de plafond, destinée à servir d’atelier, était baignée par la lumière. Enfin dans le prolongement du salon, on apercevait un bassin de nage séparé du jardin par une baie.
Trois chambres, toutes équipées de dressing et de cabinet de toilettes ainsi qu’une salle de bains spacieuse occupaient le premier étage.
Le second étage était divisé en trois : une salle de cinéma d’un côté, une salle de sports et une pièce aménagée pour recueillir les souvenirs et autres objets, de l’autre. La cave n’avait pas été oubliée. Partagée en deux, elle abritait, d’un côté, plusieurs centaines de bouteilles couchées dans de petites niches en briques, de l’autre une pièce technique où avaient été regroupés tous le matériel nécessaire au confort de la maison, chauffage, ventilation, climatisation...
- Je n’ai jamais cessé de m’intéresser à l’architecture. Ces dernières années, j’ai apporté quelques retouches pour que cette maison soit sans incidence sur l’environnement. L’isolation a été entièrement refaite en privilégiant des matériaux naturels tels que la laine de mouton. La plupart des baies vitrées, à triple vitrage, sont orientées vers le sud pour bénéficier de la chaleur du soleil l’hiver... J’ai fait poser des ardoises photovoltaïques pour produire une partie du chauffage et un récupérateur d’eau de pluie pour alimenter le bassin de nage après filtrage et épuration.
Céline et Virginie étaient émerveillées par l’ingéniosité de l’architecture qui rendait cette maison à la fois fonctionnelle et chaleureuse.
- Ainsi que vous avez pu le constater la cuisine est aménagée, et j’ai commencé à meubler certaines pièces. Dans les années 80 je me suis amusée à rechercher ces meubles d’architecte que l’on trouvait pour rien et qui aujourd’hui valent des fortunes : bibliothèques Charlotte Perriand, fauteuils et chaise longue Le Corbusier, ou Charles Eames, bureau Jean Prouvé... Mais cette maison n’a jamais été habitée. Elle attend de l’être. Elle attend un coeur et une âme. Je te la donne, Céline. C’était mon cadeau de mariage. A présent c’est mon cadeau pour ta nouvelle vie.
- Tu me donnes cette maison ? Mais Camille je ne peux pas l’accepter.
- Tu n’as pas le choix ! J’ai signé l’acte de donation chez mon notaire vendredi dernier. En acceptant tu feras plaisir à une vieille dame car je sais que l’enfant de Lucy et de Camille sera entre de bonnes mains. Aussi je n’accepterai aucun refus.
Camille repris son manteau et se dirigea vers l’entrée.
- Je vais retourner chez moi à présent. Il y a un taxi dans la rue qui m’attend pour me ramener au Parc Monceau. Céline, voici les clefs de ta maison. Quant à vous Virginie, je vous confie ma petite nièce. Soyez heureuses et pour l’être, soyez libres. A bientôt, mes enfants.
Camille embrassa les deux jeunes femmes qui l’accompagnèrent jusqu’à son taxi. En partant elle leur fit un petit signe de la main.
*
Céline et Virginie restèrent silencieuses quelques minutes, bouleversées par la confession de Camille. Puis Céline interrompit ce silence d’une phrase.
- La grande ambition des femmes est d’inspirer l’amour.
- Que dis-tu ? C’est magnifique !
- Oui mais ce n’est pas de moi. C’est une phrase de Molière. Jamais je n’aurais pu deviner ce que Camille vient de nous confier... Le coeur des femmes est un océan de secrets. S’il est une chose que l’histoire de Camille et de Lucy nous enseigne, c’est que l’amour absolu existe, malgré les obstacles... Il nous est possible de faire encore mieux qu’elles. Il y a une semaine, je ne te connaissais pas. En sept jours, je t’ai rencontrée, je t’ai aimée, j’ai changé de vie.... Hier, je n’avais plus de toit, nulle part où aller. Et aujourd’hui, je possède une maison merveilleuse que je veux partager avec toi. Tu vas pouvoir quitter ton studio. Tu disposes d’un atelier où peindre. Et tout cela en quelques jours !
- Oui. C’est presque effrayant. Mais, ce qui a été fait en sept jours peut se défaire en moins de temps encore. Alors je crois que je ne vais pas quitter mon studio.
- De quoi as-tu peur ? Tu n’es pas sûre de tes sentiments ? Tu ne veux pas courir le risque de commencer quelque chose avec moi ?
- Je suis sûre de t’aimer, de tout mon coeur et de toute mon âme. Mais j’ai tellement peur que tu te rendes compte que tu as fait fausse route.
- Je ne fais pas fausse route. Je le sais. J’en suis sûre. Je t’aime. J’ai bouleversé ma vie pour être avec toi... J’ai quitté un garçon adorable. J’ai affronté mes parents. J’assume une liaison homosexuelle. De quelles preuves as-tu encore besoin ?
Devant le mutisme de Virginie, Céline sourit, lui prend la main et l’entraine vers l’escalier.
- Je crois que le grand lit dans la chambre principale a été préparé. Viens. Je vais te donner de nouvelles preuves de mon amour.
*
Céline et Virginie, repues, dorment dans le grand lit. Elles sont couchées sur le côté, nues. Virginie, blottie contre le dos de Céline, a posé une main sur son ventre, l’autre sur sa cuisse, ses lèvres effleurent sa nuque.
Les deux amantes n’entendent pas la pendule du salon qui égrène les heures de cette dixième journée.
FIN
Vous pouvez lire la suite des aventures de Céline et Virginie
dans un autre récit :
Insomnies.
*
Je suis venue sur ton blog sur le conseil d'une amie. Je ne le regrette pas. Tu écris vraiment très bien et tes aventures sont passionnantes. Je n'ai pas mis dix jours pour lire DIX JOURS, ni tes autres récits. Merci de ne pas garder ton talent et ton imagination pour toi et de nous les faire partager. A bientôt.
RépondreSupprimer:113: Merci. Merci infiniment.
SupprimerQuel plaisir de lire tes récits. Je te remercie pour ton imagination.
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