Le texte qui va suivre est une série de monologues. Il s'agit d'une version subjective de Dix Jours.
L'histoire est simple. Elle reprend la chronologie de Dix Jours.
La nuit, Céline et Virginie ne peuvent pas dormir et se remémorent les événements de chaque journée. Il est absolument nécessaire d'avoir lu Dix Jours pour comprendre :
Insomnies
VENDREDI
Je suis chez ma mère, couchée dans mon lit, dans la chambre qui fut la mienne pendant tant d’années. Je songe à cette journée.
Mon train vient de quitter la gare de Saint Pancras, où j’ai laissé Gilles, seul sur le quai. Après m’avoir quittée, il a sans doute regagné sa banque au coeur de la City de Londres.
Il était soucieux. On le serait à moins. Il a tellement peur que la tempête boursière, qui se déchaîne dans le monde entier, n’atteigne sa banque, pourtant l’un des plus solides établissements financiers français.
Pauvre Gilles ! Qui peut prédire ce que sera demain ?
Moi, je n’ai pas peur de perdre mon travail d’experte en art. Mon employeur, la luxueuse maison de ventes anglaise, Sophie’s, n’est pas près de se casser le nez. Même si les milliardaires ont moins de milliards, ils seront toujours là pour acheter des oeuvres d’art qui sont, aujourd’hui plus que jamais, une “valeur refuge”.
Pendant que nous bavardions, j’étais gaie et souriante. Je ne voulais pas ajouter aux soucis de Gilles. Pourtant, moi aussi, je me pose des questions. Mais pas pour les mêmes raisons.
Je suis à la croisée des chemins. Ma vie semble suivre des rails comme ce train dans lequel je suis assise.
Dans deux mois, je serai mariée. Dans un peu plus d’un an, j’aurai probablement un enfant, Gilles désire tellement en avoir et mes parents et futurs beaux parents rêvent de petits enfants sautant sur leurs genoux.
J’ai l’impression que ma vie est déjà écrite et par d’autres. J’ai aussi l’impression qu’elle va étrangement ressembler à celle de ma mère. Un mari, des enfants, peut être un divorce puis des amants.
Et puis se dire “tout ça pour ça”.
Une certaine amertume. Une certaine désillusion et l’impression mordante, lancinante d’être passée à côté...
Je sais que je suis injuste.
J’ai tout ce que l’on peut raisonnablement espérer avoir. Des parents aimants, attentifs et généreux. Un fiancé adorable. Un métier passionnant. Des revenus confortables. Je lis dans le regard des autres que la vie m’a comblée.
Et pourtant, pourtant cette routine qui m’attend et qui me fait si peur...
Gilles est le plus tendre des garçons. Il est vrai que ceux que j’ai aimés avant lui étaient si pitoyables ! Nous vivons ensemble depuis un an. La vie avec lui n’est pas désagréable mais elle est sans surprise. Je ne sais pas si j’ai envie de me réveiller chaque matin à côté de lui, de partager son quotidien, de porter ses enfants.
Mais j’ai honte d’avoir de telles idées noires alors que la vie m’a déjà tant donné. Je ne suis qu’une enfant gâtée, exigeante, qui veut casser son jouet.
Je vais faire ce que tous attendent de moi. Et comme un brave petit soldat, je vais donner à Gilles le bonheur qu’il attend de moi et qu’il mérite. Le bonheur que je veux donner à qui j’aime.
L’employé du train chargé du room-service a eu la bonne idée de m’apporter verre de champagne sur verre de champagne pour accompagner le déjeuner offert dans le wagon de première classe.
Je me suis étourdie avec la boisson des dieux puis je me suis consacrée à l’étude de la succession Dourakine.
Et puis enfin ce fut... PARIS.
*
Maman est comme une enfant ! On pourrait croire que c’est elle qui se marie !
Elle a l’oeil à tout : à la robe et au manteau que je dois revêtir, car le mariage a lieu en décembre et je ne dois pas mourir de froid.
Pour les pièces montées, elle a succombé à sa passion des macarons et a choisi la célèbre maison LAPURÉE qui fabrique les meilleurs qui soient au monde.
Elle commande des canapés par milliers pour rassasier la centaine d’invités qui va piller le buffet.
Je suis étrangement en retrait. Détachée de tout cela.
J’avoue que tout ce tralala me dépasse et m’indiffère. J’aurais préféré un mariage tout simple, mais nos parents ne l’entendent pas de cette oreille. Le mariage de leurs enfants doit être un véritable événement mondain.
Cette journée a été épuisante d’autant que Maman a déployé une énergie telle que j’avais du mal à la suivre.
Papa nous a rejointes au restaurant où nous avons examiné la liste définitive des invités. Il n’y a qu’une seule personne qui pose problème, Camille, alors que c’est justement la seule dont je ne puisse me passer.
Camille est la tante de ma mère mais elle est bien plus que cela pour moi.
Malgré son âge, soixante dix ans, elle est comme ma grande soeur, ma meilleure amie, ma confidente, mon mentor, ma complice. Je peux tout lui dire et ne peux, ne veux, rien lui cacher. Elle sait tout de moi et devine tout. Elle ne me juge jamais et me comprend toujours.
Elle lit en moi comme dans un livre ouvert.
Elle était architecte et a longtemps vécu à New York. Son intelligence, sa culture, ses expériences m’enrichissent.
Elle est indispensable à ma vie, comme le sont Marie et Charles, mes parents.
Maman lui a écrit il y a plus d’un mois pour lui annoncer mon mariage avec Gilles, mon ami d’enfance. Et depuis rien, pas de réponse, Rien d’autre qu’un silence assourdissant.
Marie et Charles ne comprennent pas ce mutisme et n’osent pas interroger la vieille dame dont l’autorité et le charisme ne sont jamais contestés.
J’irai chez Camille demain. Pour le plaisir de la revoir après toutes ces longues semaines de séparation, moi à Londres, elle à Paris. Mais aussi pour l’interroger sur son silence.
*
Le parc Monceau était resplendissant sous le soleil d’automne.
Les fenêtres de l’appartement de Camille s’ouvrent sur ce jardin.
Je me suis toujours rendue chez elle avec plaisir. Mais aujourd’hui j’éprouvais une certaine appréhension.
Son silence à propos de mon mariage m’étonnait. Rien de ce qui me concerne ne la laisse indifférente. J’ai même parfois ressenti une certaine rivalité entre Maman et elle dès qu’il s’agissait de moi.
Comme d’habitude elle m’a ouvert la porte et m’a serrée dans ses bras avec l’affection d’une mère. Elle m’a proposé une tasse d’un thé délicieux. Et nous avons évoqué ses souvenirs pendant plus d’une heure.
Et puis la question fatidique : viendras-tu à mon mariage ? Et la réponse qui claque comme un coup de fouet. Non, car c’est un événement sans importance !
Elle m’a tenu des propos très durs. Elle a nié que je puisse aimer Gilles. Nous nous sommes querellées pour la première fois de ma vie. Je n‘ai pas supporté qu’elle dise tout haut ce que je ressentais au fond de moi.
Elle m’a parlé de passion, d’amour fou. Et j’ai alors senti chez elle une fêlure, une blessure jamais cicatrisée.
Elle n’a rien dit de plus. Mais j’ai compris qu’elle avait failli me confier le secret de la mystérieuse Camille.
Enfin, elle m’a promis d’assister à mon mariage. Et elle m’a dit au revoir.
J’ai traversé le Parc Monceau pour rentrer chez ma mère.
Camille est une magicienne. Elle a deviné mes doutes et mon malaise. Je suis totalement transparente devant elle. Elle sait comme moi, mieux que moi que cette union avec Gilles ne me comble pas. Et elle a voulu m’envoyer un message.
Elle m’a dit : Nous n’avons qu’une seule vie. Mais il ne faut pas s’économiser. Il faut vivre pleinement, sans se soucier du regard des autres. Il faut vivre d’amour fou, de passion, de déraison, de ce sentiment d’urgence qui bouscule toutes les conventions, qui fait fi de toute prudence.
Je sais que le sentiment que j’éprouve pour Gilles est trop raisonnable et que je ne suis pas habitée par le feu de la passion. Mais je ne suis pas sûre de pouvoir prétendre à mieux.
Et cet amour fou, le rencontre-t-on un jour ?
*
Curieuse rencontre et tellement inattendue !
Après avoir passé des heures interminables dans un appartement sombre et poussiéreux de la rue des Abbesses à répertorier des tableaux tragiques de la tragique histoire russe, je fais la connaissance de cette lumineuse jeune femme, artiste peintre : Virginie Mirbeau.
La vie est aussi faite de ces rencontres qui vous donnent envie de continuer malgré le vague à l’âme.
Virginie et moi (tiens, je l’appelle par son prénom) avons parlé de ses oeuvres. Je ne suis pas une fanatique de la peinture contemporaine, mais je dois reconnaître qu’elle a du talent et qu’elle mériterait d’avoir plus de succès qu’elle semble en avoir.
Je suis professionnellement bien placée pour savoir que l’on qualifie de “génie” des artistes qui n’ont pas le dixième de son talent.
Mais je ne suis peut être pas objective car cette jeune femme m’a beaucoup plu. Elle est sympathique, intelligente et très belle. Grande, mince et sportive. Un visage très doux, aux pommettes hautes, une bouche pulpeuse, de longues boucles brunes, des yeux noisette. J’aurais dû lui suggérer de réaliser des autoportraits. Je suis sûre qu’elle ferait fortune !
Je vais peut être lui acheter une toile pour notre appartement de Londres. Je suis sûre que Gilles appréciera son style et puis cela aidera Virginie qui ne semble pas rouler sur l’or.
J’ai passé un très agréable moment avec elle. Dire que je venais dans la cour, où Virginie vit et expose ses toiles, pour acheter des boutons pour le manteau de Maman !
*
L’image de cette jeune femme m’obsède et me poursuit.
Dès que je l’ai vue, j’ai su.
J’ai su que c’était ELLE et que, plus jamais, il n’y en aurait d’autre.
J’avais organisé dans mon studio une petite exposition des derniers tableaux que j’ai peints chez Papa, en Normandie.
Mes amis et moi discutions de tout et de rien.
Elle est entrée dans mon studio pour voir de plus près une des toiles que j’exposais et immédiatement le silence s’est fait.
Nos regards se sont posés sur elle, comme aimantés.
Elle était gênée par l’attention qu’elle suscitait, elle a légèrement rougi et, pour se donner une contenance, elle a concentré son attention sur l’une de mes toiles.
Je me suis approchée d’elle pour la mettre à l’aise mais aussi parce que j’étais littéralement envoûtée.
Je lui ai demandé si ce tableau lui plaisait. Elle s’est retournée vers moi et m’a regardée en souriant.
Ce sourire, ce regard bleu où je voudrais me perdre. Ce parfum, cette voix délicate qui faisait l’éloge de mon oeuvre, ce corps et ce visage parfaits, la blondeur de ses cheveux...
Tout en elle me subjugue...
Je lui ai sottement proposé de boire une bière. Blanche, blonde, brune ou rousse lui ai-je dit, sans me rendre compte qu’il s’agissait clairement d’une allusion saphique. Heureusement, elle ne l’a pas comprise.
Puis nous avons parlé de mes tableaux. Ses propos étaient intelligents, simples et chaleureux.
Alain et les autres sont partis en prétendant aller dîner au restaurant. Un dîner à 18 heures 30 à peine ! Tous savent que j’aime les femmes. Je sais qu’ils ont voulu me laisser le champ libre avec elle.
Mais je n’ai rien osé.
Elle est partie. Elle n’est pas restée plus de trente minutes.
Je ne sais rien d’elle. Ni son nom, ni son prénom. Je n’ai pas osé les lui demander.
Je n’ai aucun moyen de la revoir alors que je ne pense plus qu’à elle, que je brûle pour elle.
J’aurais dû me jeter à ses pieds, lui dire que pour elle j’étais prête à tout. Que je l’aimais déjà comme je n’ai jamais aimé.
Qu’elle m’avait foudroyée d’un regard, d’un sourire.
Je suis folle. Folle de penser qu’elle m’aurait écoutée sans rire ou sans dégoût.
Une telle femme ne peux pas être libre, ne peut pas être seule. Il y a forcément quelque part quelqu’un qui la possède déjà. Un homme sans doute.
Ô mon Dieu, comme je voudrais ne l’avoir jamais rencontrée puisque je sais qu’elle ne sera jamais à moi.
Mon amour est total et désespéré.
J’ai rencontré la femme de ma vie et je l’ai déjà irrémédiablement perdue.
*
Je suis restée enfermée dans mon studio toute la journée comme un fauve en cage.
Elle a dit qu’elle m’achèterait un tableau. Alors je suis restée chez moi à l’attendre. J’avais peur de la manquer. C’est dérisoire et pathétique.
Je suis pathétique.
Il n’est même pas sûr qu’elle aime réellement mon travail. Elle a peut être simplement voulu être aimable.
Naturellement, Alain est passé au studio pour me narguer.
Il a remarqué mon trouble hier quand je l’ai vue.
Alain m’en veux parce que je ne lui ai jamais cédé. Il fait parti de ces hommes qui croient qu’ils pourraient me guérir si je les essayais. Comme si mon amour des femmes était une maladie et qu’ils étaient le remède !
Il est persuadé qu’il a plus de chances de la séduire que je n’en aurais jamais. Parce qu’il est un homme et parce que je ne suis qu’une femme. Il voulait que je le sache.
Il s’est montré vulgaire. Et je l’ai pratiquement jeté dehors.
Puis on a frappé à ma porte et je suis allée ouvrir croyant au retour de cet imbécile.
Et là, j’ai cru que mon coeur allait exploser.
Elle était là devant moi. Souriante, magnifique.
Elle avait tenu sa promesse et venait acheter le tableau qu’elle avait repéré hier. Elle m’a demandé son prix.
J’aurais voulu le lui donner, tout lui donner. Tout. Mais j’avais absolument besoin de connaître son nom, son adresse pour la retrouver.
Alors j’ai dit un prix qui ne la décourage pas d’acheter mais suffisamment élevé pour l’obliger à me payer par chèque. Deux cents euros.
Elle a refusé en disant que c’était dérisoire. Elle a fixé le prix. Cinq cents euros et une invitation à dîner le soir même.
J’ai pris son chèque en tentant de dissimuler le tremblement de ma main.
Elle s’appelle Céline Frémont et vit à Londres.
*
Mon métier me permet de découvrir toutes sortes d’oeuvres. Et je suis souvent bouleversée par celles que j’expertise. Comme ce nu de femme de Gustav Klimt. Quelques traits de crayon avec une très légère touche d’aquarelle. L’un des plus beaux dessins qui m’ait été donné de voir.
Mais il y a aussi des tableaux comme ceux de la succession Dourakine ! Ce portrait du tsar Ivan le Terrible, les yeux exorbités après qu’il ait tué son fils, lequel gît à ses pieds dans une mare de sang.
J’ai eu la nausée. Par chance je n’avais avalé qu’un pauvre sandwich et bu une simple eau minérale !
Cette oeuvre lugubre m’a donné envie d’acheter sans plus attendre le tableau que j’avais admiré chez Virginie.
Je me suis rendue dans sa cour. Et là j’ai surpris une conversation étrange.
La fenêtre de son studio était ouverte, sans doute pour profiter de la douceur inattendue de cette soirée d’octobre.
Virginie n’était pas seule. Elle était avec ce garçon que j’avais déjà vu hier au vernissage et qui m’avait littéralement déshabillée du regard. J’étais étonnée. Je pensais que Virginie avait meilleur goût.
Mais je me trompais. Ce garçon n’est pas son amant et d’après ce que j’ai surpris, il ne le sera jamais car Virginie aime les femmes.
J’étais le sujet de leur conversation.
Le garçon demandait à Virginie si elle avait “réussi à conclure avec la belle blonde”. Très élégant !
Après l’avoir traité de mufle, elle lui a rétorqué qu’elle n’avait pas “fait l’amour avec elle et qu’elle n’avait pas même tenté de la séduire”.
On peut difficilement être plus clair.
Puis Virginie a congédié ce butor qui a bien failli me surprendre dans la cour. J’ai tout juste eu le temps de me cacher dans la boutique de boutons ! Feydeau après Sapho !
J’ai hésité un court instant à frapper à la porte de Virginie. Je ne veux pas qu’il y ait de malentendu, d’ambiguïté entre elle et moi.
Mais il n’y a aucun risque. Je ne suis pas lesbienne et je ne l’intéresse pas.
Quand elle a ouvert sa porte, elle a semblé surprise de me voir et j’ai cru deviner autre chose. Peut être de la joie.
Après un étrange marchandage, où l’acheteur faisait monter les prix, je lui ai proposé de dîner avec moi.
Sa main tremblait quand elle a pris mon chèque.
*
J’ai pu prendre toute la mesure de son charme.
Je lui ai proposé plusieurs restaurants. Elle a choisi une brasserie à la mode qui vient d’ouvrir et qui est bondée tous les soirs. Il est impossible d’obtenir une table sans réservation.
Le maître d’hôtel nous a d’abord opposé un refus poli.
Il lui a suffit de fixer son regard bleu sur lui en faisant son plus beau sourire, pour que, par miracle, une table se libère.
Je sais que je suis jolie et que je plais.
Mais elle me dépasse.
Nous avons traversé la salle pour gagner notre table.
Toutes les conversations se sont interrompues. Tous les convives l’ont suivie du regard, tétanisés, fourchettes et couteaux en l’air ! Quelle étrange impression !
J’ai eu aussi un pincement au coeur. Jamais je ne pourrais séduire une telle femme ! Et si j’y parvenais, jamais je ne pourrais la retenir !
L’aimer c’est se condamner à vivre les tourments de la jalousie. Finalement, je plains celui qu’elle choisira.
Alors je ne vais rien tenter. Je vais me faire une âme de stoïcienne et je vais la laisser passer. Elle va retourner à Londres où elle vit et je vais essayer de l’oublier.
Il me restera ces quelques instants avec elle et cette soirée magique.
Elle m’a raconté sa vie. Celle d’une jeune bourgeoise raffinée. Nous sommes totalement différentes.
Elle n’a fait mention d’aucun homme. Il n’y a personne dans sa vie.
Mais cela ne change rien à ma résolution.
*
Je ne sais pas pourquoi, mais je ne lui ai pas parlé de Gilles et de notre prochain mariage.
Son existence n’a pas été facile. Elle a perdu sa mère alors qu’elle avait huit ans. Elle a été élevée par son père. Un menuisier qui lui a appris son métier. Un métier d’homme.
Elle n’a pas pu poursuivre ses études après le bac. Et depuis des années, elle se débrouille toute seule pour subvenir à ses besoins.
Elle a appris la peinture seule en visitant les musées, les galeries, sans autres professeurs que les grands maîtres dont elle admirait les oeuvres.
Elle a visité l’Europe en vivant de petits boulots, en faisant du stop, en dormant dans des auberges de jeunesse.
Elle ne connaît pas New York. N’a jamais vu l’Amérique, l’Afrique ou l’Asie.
Pendant ce temps, moi j’allais à l’université, au Louvre, à Megève pour skier, à Londres pour les soldes, en Corse pour les vacances d’été, à Rome ou Barcelone pour améliorer ma maîtrise de l’italien et de l’espagnol.
J’ai dormi dans une suite, au quarantième étage d’un hôtel ayant vue sur Central Park. Je connais déjà Rio, Delhi, Shanghai, Pékin, Tokyo...
Des professeurs m’ont enseigné le piano et le dessin.
La profession de Papa et les relations de mes parents m’ont permis de faire tous les stages que je voulais afin de choisir mon métier.
Jamais, avant aujourd’hui, je n’avais pris conscience du confort de mon existence.
Je l’admire pour ce qu’elle a fait et a vécu.
Je souhaiterais vraiment qu’une amitié sincère nous lie.
J’aurais aimé partager avec elle les moments heureux de ma vie.
*
Ouf ! J’en ai fini avec la succession Dourakine et mon rapport est terminé. Je peux retourner à Londres. Je me sentais légère en quittant la rue des Abbesses.
Tout à coup, une pensée triste : je ne verrais plus Virginie avant longtemps.
Je l’appelle pour lui proposer de nous revoir une dernière fois. Elle accepte et propose de dîner chez elle d’une quiche lorraine.
Je ne veux pas arriver chez elle les mains vides et j’achète une Pessac-Léognan blanc 2003 dont le caviste me dit qu’il accompagnera merveilleusement le plat de Virginie.
Je préviens Maman et, pour la seconde fois, je lui mens sur les raison de mon absence, prétendant être retenue à dîner par les héritiers Dourakine.
Il faudra que je m’interroge sur la raison de ce mensonge ridicule.
Virginie est une fine cuisinière. Elle arrive à transcender les plats les plus simples. Et le Pessac-Léognan est divin.
Virginie a peu bu et moi j’ai fait honneur à la bouteille. Je suis grise et je m’enhardie à poser la question qui me brûle les lèvres.
Je lui avoue que j’ai surpris la conversation qu’elle a eue hier avec Alain et je lui demande si elle éprouve de l’attirance pour les femmes.
Sans être gênée le moins du monde, elle me confirme son amour des femmes.
Ensuite, je ne sais pas ce qui m’a prise.
Je lui ai demandé pourquoi elle n’avait rien tenté avec moi. C’est vrai que j’avais envie de faire l’expérience d’une aventure homosexuelle. Virginie est superbe. Je pouvais difficilement trouver meilleure partenaire.
Elle a éludé ma question.
Alors, je l’ai embrassée sur les lèvres.
Au début, elle s’est laissée faire et a timidement répondu à mon baiser. Mais ensuite, j’ai eu l’impression d’un fleuve qui avait brisé ses digues. Et là sur son petit canapé, je n’étais plus qu’une poupée entre ses mains. Elle ne pouvait plus résister à son désir, et après m’avoir dévêtue, caressée et embrassée, elle m’a prodigué l’ultime caresse. Et j’ai joui en plongeant mes mains dans ses cheveux.
Après qu’elle m’ait fait l’amour, elle m’a soulevée dans ses bras, m’a déposée sur son lit, a retiré ses vêtements, m’a rejointe et s’est blottie contre moi.
Elle n’a pas exagéré : elle a la force d’un bûcheron. Mais son corps est superbe. Des muscles longs et fermes, de magnifiques formes féminines.
Mon regard sur elle, sur son corps, sur ses seins, sur ses fesses, a dû la brûler.
Je n’ai jamais connu une pareille sensation de plaisir et de bien-être. Et c’est une femme qui me l’a donnée.
Je n’ai jamais ressenti un tel désir et c’est pour une femme que je le ressens.
Et elle. Ainsi elle me désirait. Son apparente indifférence n’était que de la retenue. Mais quelle fougue et quelle passion ! Mais aussi quelle douceur et quelle tendresse !
Je suis prise à mon propre piège, incapable de voir clair dans mes sentiments.
Alors, je me suis levée. Je me suis rhabillée et je l’ai quittée.
Elle était étonnée. Sans doute pensait-elle que nous passerions la nuit ensemble. Et j’ai vu des regrets et de l’inquiétude dans son regard.
Je lui ai promis de retarder mon retour à Londres et de revenir déjeuner demain.
Maintenant, je suis dans mon lit, dans ma chambre d’enfant.
Je pense à Gilles et je pense à elle.
J’ai l’impression de les trahir.
L’un et l’autre. Lui en le trompant.
Elle, parce que je ne lui ai rien dit de mon futur mariage.
Je ne sais plus où j’en suis avec lui.
Je ne sais pas où je vais avec elle.
*
Je ne voulais pas la toucher car je sais pertinemment que je ne pourrais plus jamais me passer d’elle.
Mais je n’ai pas pu résister.
Elle a fini son travail à Paris. Elle est venue chez moi dîner avant son départ pour Londres.
Elle avait apporté une bouteille d’un bordeaux blanc extraordinaire. Nous en avons bu l’une et l’autre.
Le Pessac Léognan est un filtre d’amour redoutable. Il faudra que je m’en souvienne.
Nous parlions de mille choses quand elle m’a confié qu’elle avait surpris une conversation que j’avais eue hier avec Alain, alors que, la fenêtre de mon studio étant grande ouverte, nous évoquions mon homosexualité.
Elle m’a demandé si je plaisantais. Si j’avais vraiment de l’attirance pour les femmes.
Je n’ai pas voulu lui mentir. Je lui ai confirmé que j’aimais les femmes.
J’avais peur qu’elle me regarde avec dégoût.
Mais elle m’a dit qu’elle ne condamnait pas mes préférences sexuelles même si elle ne les partageait pas.
Elle m’a alors demandé pourquoi je n’avais rien tenté avec elle. Elle flirtait avec moi comme elle l’aurait fait avec un homme.
Je me suis vue au bord du précipice.
Je devais résister à ce supplice de Tantale et ne pas succomber à son invitation.
Mais je n’ai pas pu.
Elle m’a embrassée. Dès que ses lèvres ont effleuré mes lèvres, de la lave en fusion s’est mise à couler dans mes veines et je me suis laissée engloutir par la faim que j’avais d’elle.
Je l’ai dévêtue. Comme elle est belle !
Je lui ai fait l’amour. Je lui ai donné tout ce qu’elle attendait. Elle a plongé ses mains dans mes cheveux au moment où elle a joui.
Je me suis dévêtue à mon tour et je l’ai rejointe sur le lit où je l’avais allongée. Je me suis blottie contre elle, contre son corps.
Je l’ai enlacée et serrée contre moi.
J’ai goûté sa peau, j’ai respiré son odeur, j’ai senti sa chaleur. Je m’en suis enivrée.
Je n’osais plus parler. J’osais à peine respirer de peur de rompre la magie de ce moment.
Ensuite, elle s’est levée, s’est rhabillée et est partie en me promettant de retarder son retour à Londres et de revenir, demain, déjeuner avec moi.
Je l’ai accompagnée à la station de taxis. Je ne voulais pas la laisser seule, à minuit, dans les rues de Paris. Il y a tellement de loups...
Elle est partie brusquement en me laissant à mes regrets et à mon inquiétude.
Son départ m’a laissée complètement désemparée. J’éprouve déjà ce manque cruel, ce froid qui a remplacé la chaleur de son corps et j’ai tellement peur de l’avoir déçue.
Je ne suis même pas sûre de la revoir. Mais je m’accroche à sa promesse.
De nouveau, je suis incapable de trouver le sommeil.
Céline ! Céline !
Son visage, son sourire me hantent et me manquent tellement !
Alors, j’ai serré contre moi le drap où elle s’est allongée et sur lequel j’ai cru retrouver l’empreinte et le parfum de son corps.
*
Je suis revenue chez Virginie.
Je dois l’avouer : j’ai hésité à revenir.
Un moment j’ai pensé prendre mon téléphone pour lui dire que, finalement, je ne pourrais pas la revoir car je devais retourner à Londres, immédiatement.
Je marchais dans les rues de Paris.
Je ne savais pas quoi faire. Je me sentais lâche et perdue.
Lâche de ne pas affronter Virginie pour lui dire que ce que nous avions fait était une folie qui ne devait pas se reproduire.
Perdue parce que j’ai envie de recommencer cette folie.
Perdue parce que j’ai aimé ce que j’ai fait avec elle.
Perdue parce que j’ai aimé le faire avec elle.
Qu’est ce qui me prend ?
Comment en suis-je arrivée là ?
Je la désire. J’ai aussi, tout simplement, envie d’être avec elle.
Mes pas m’ont conduite Place de la Madeleine, devant le célèbre traiteur PAUCHON.
Je me suis engouffrée dans le magasin sans réfléchir, j’ai pris de quoi nourrir un car de supporters italiens !
Les bras chargés, je n’avais plus le choix : je devais me rendre chez Virginie pour que nous avalions toute cette nourriture !
Je me suis retrouvée dans sa petite cour, le coeur battant la chamade.
Sa porte s’est ouverte devant moi comme par magie. Elle m’attendait.
Je n’ai pas pu lui dire bonjour et lui demander comment elle allait. Elle ne m’en a pas laissé le temps.
Elle s’est littéralement jetée sur moi pour m’embrasser et me caresser. Je ne pouvais pas rêver plus douce agression !
Et là, tout à coup, tous mes doutes se sont envolés.
J’ai su que le seul endroit où je voulais être c’était entre ses bras. Que son petit studio était le plus bel endroit de la terre parce que j’y étais avec elle.
J’avais envie de le lui dire. Mais je n’ai pas osé.
Je n’ai pas osé parce que je ne suis pas libre et parce que j’ignore la nature des sentiments qu’elle a pour moi.
C’est une séductrice. Elle m’a séduite, moi qui aimais les hommes, en quelques heures.
Je ne suis peut être qu’une conquête supplémentaire. Si je lui avoue ce que je ressens, peut être me rira-t-elle au nez.
Elle m’a demandé de rester encore quelques jours avec elle. Mais je lui ai dit que ce n’était pas possible. Je lui ai promis de nous revoir, à Paris ou à Londres.
Puis je lui ai fait l’amour.
C’est la première fois que je prenais l’initiative avec une femme. J’ai pris mon temps, tout mon temps, guidée par ses gémissements de plaisir.
J’ai exploré son corps, comme on le fait d’un pays : les collines de ses seins, la plaine de son ventre...
Je me suis lovée contre elle. Les anglais ont une expression amusante pour décrire cette position, spooning, parce qu’elle rappelle la façon dont ont range les cuillères (spoons), collées l’une à l’autre, leur forme s’épousant parfaitement.
J’ai perdu toute notion du temps.
Le tic tac d’un réveil posé sur le chevet m’a tirée de cet engourdissement délicieux.
17 heures ! Je devais la quitter pour rejoindre ma mère que je n’avais pratiquement pas vue de la semaine.
Elle m’a demandé de revenir ensuite et de passer la nuit avec elle.
Bien sûr, je ne le peux pas. Ma mère serait épouvantée si je découchais deux mois avant mon mariage avec Gilles !
Virginie n’a pas compris que je refuse de passer la nuit avec elle. Comment le pourrait-elle ? Elle ignore l’existence de Gilles et ne sait pas que je l’épouse dans deux mois.
Alors, enfin, je lui ai tout dit.
Mon mariage dans deux mois. Gilles.
*
Avec une exactitude d’horloge suisse, elle est apparue dans ma cour à midi, comme elle me l’avait promis.
Je la guettais. J’ai ouvert ma porte avant même qu’elle ne frappe.
Je me suis jetée sur elle sans lui laisser le temps de m’adresser la parole. J’étais affamée.
J’ai retrouvé le goût de ses lèvres, la chaleur de son corps, la douceur de sa peau. Je me suis arrachée à elle avant d’aller plus loin...
Puis nous avons discuté en mangeant les délicieux plats italiens qu’elle avaient apportés.
Je lui ai demandé si elle pouvait rester quelques jours avec moi.
J’aurais tellement aimé lui dire que je voulais qu’elle reste avec moi pour toujours.
Mais je n’ai pas osé. Je ne suis peut être qu’une expérience pour elle. J’avais peur qu’elle me le dise et que tous mes rêves se brisent.
Elle m’a promis que nous allions nous revoir. A Paris ou à Londres.
Puis elle m’a fait l’amour. Elle a pris l’initiative. Elle est douée. Elle était totalement à l’écoute de mon corps. Je sais que jamais plus je ne pourrais trouver une amante qui la surpasse ou même qui l’égale.
Je sais aussi que je ne veux personne d’autre qu’elle.
Pourtant, être avec elle m’est une joie et une souffrance.
Une joie de la sentir lovée contre moi, elle que j’aime plus que tout. Une souffrance parce que j’ai tellement peur qu’elle me quitte.
Et cette souffrance est arrivée.
A 17 heures, elle m’a dit qu’elle devait partir rejoindre sa mère. Je lui ai proposé de revenir ensuite et de passer la nuit avec moi. Elle a refusé.
Et là, elle m’a dit ce que je redoutais d’entendre, mais que je savais au fond de moi.
Elle n’est pas libre. Elle va lier sa vie à celle d’un homme.
Elle se marie dans deux mois. Il s’appelle Gilles.
*
Elle m’a présenté tous ses voeux de bonheur sur un ton amusé et sarcastique qui m’a fait l’effet d’un coup de couteau en plein coeur.
Elle m’a aussi concédé que j’étais magnifique et qu’elle avait envie de coucher avec moi.
C’était donc vrai.
Je n’étais que cela. Qu’un numéro. Qu’une conquête supplémentaire. Hétéro de surcroît, c’est encore mieux, selon ses critères.
Je voulais lui dire ce que je ressentais.
Mais je n’ai pas pu.
Elle était comme un mur, refusant toute explication. Je me suis sentie congédiée. Méprisée.
Je suis sortie de son studio. Je l’ai quittée sans qu’elle fasse un geste ou dise un mot pour me retenir.
J’ai trouvé un taxi dès que je suis sortie de sa cour. Je lui ai dit d’aller où il voulait.
A présent, je m’aperçois que chaque mètre parcouru par ce taxi m’est une souffrance.
Plus je m’éloigne d’elle et plus j’ai envie d’elle, d’être avec elle.
Je suis au-delà du simple désir. Je l’aime. Voilà tout.
Je dois le lui dire. Je dois la conquérir.
Mais elle a été si dure et si lointaine. Ai-je la moindre chance ?
Mon Dieu, que faire ?
Je ne dois pas paniquer. Je dois aborder les événements comme je l’ai toujours fait. De façon réfléchie et cartésienne.
Je dois d’abord penser à Gilles.
Ma liaison avec Virginie m’a ouvert les yeux.
Il ne m’est plus possible de l’épouser alors que j’aime Virginie. Et même si tout semble fini avec elle.
L’épouser serait lui mentir.
Je dois retourner à Londres et lui parler.
Mais en attendant, je vais me rendre chez chacun des commerçants pressentis pour l’organisation de notre mariage et je vais tout annuler.
C’est un geste dérisoire. Mais j’ai besoin d’agir. Maintenant.
Demain, j’irai à Londres.
Puis, j’aurai une explication avec mes parents. Je leur dois la vérité.
Puis ce sera Virginie.
*
Elle est partie. Elle m’a quittée. Pour toujours.
Et je n’ai pas fait un geste, je n’ai pas dit un mot pour la retenir.
Au contraire, quant elle m’a annoncé son mariage, je n’ai rien su faire d’autre que lui présenter mes voeux de bonheur.
Je lui ai dit que notre relation n’avait aucune importance alors qu’elle a bouleversé ma vie.
Moi qui était prête à me traîner à ses pieds quand je l’ai rencontrée pour la première fois, je l’ai insultée en lui disant qu’elle n’était que ma quarante et unième conquête.
J’ai vu son beau visage se crisper.
Qu’est-ce qui m’a prise ?
J’ai laissé partir la femme de ma vie pour qu’elle rejoigne cet homme.
J’étais incapable de faire le moindre geste.
Les mots qu’elle a prononcés étaient autant de flèches qui blessaient mon coeur. Mes forces m’ont abandonnée. J’étais incapable de réagir et de me battre pour la garder.
D’ailleurs, à quoi bon...
Je ne suis pour elle qu’une expérience homosexuelle avant son mariage. Une façon amusante d’abandonner sa vie de célibataire tout en transgressant les codes moraux de son milieu bourgeois.
Elle ne m’a pas démentie quand je le lui ai dit.
Comment ai-je pu croire, une seule seconde, qu’une histoire était possible entre nous ?
Elle est partie en me laissant à mon désespoir.
Mon Dieu, c’est donc cela souffrir ?
Ce sentiment qui vous désagrège, ce poids qui vous étouffe.
Je ne peux plus respirer depuis qu’elle ne respire plus à mes côtés. Je ne peux plus bouger depuis qu’elle ne bouge plus à mes côtés.
Je ne pourrais plus jamais aimer.
Je ne pourrais plus jamais vivre.
Non, non, je ne dois pas penser au pire. Ce serait une lâcheté.
Je dois la conquérir. Elle ne sait pas que je l’aime plus que ma vie.
Je dois le lui dire.
Je connais son adresse à Londres. Il suffit de m’y rendre et de lui dire que je l’aime.
Mais lui sera là.
Je ne le connais pas, mais une telle femme n’a pas pu choisir un homme médiocre.
Je n’ai aucune chance face à lui.
Je n’ai rien à lui offrir. Que ma pauvreté et la solitude de pestiférée qui entoure les femmes qui, comme moi, aiment les femmes.
Ma quête est vaine. Il est inutile d’essayer de la lui prendre. Inutile.
Mais, sans elle, ma vie n’aura jamais plus de sens.
J’ai cherché à m’abrutir.
J’ai cherché, fébrilement, un paradis artificiel qui me permette de l’oublier.
Jamais je n’ai touché aux stupéfiants. Je n’ai jamais eu de goût pour ces produits qui ne sont que de lâches échappatoires. Et pourtant, en ce moment, je rêve du shoot mortel.
Je n’ai trouvé qu’une malheureuse bouteille de gin.
Même mon suicide pour elle, je ne suis pas capable de le réussir.
Alors, j’ai bu jusqu’à l’ivresse et je me suis effondrée dans un sommeil comateux où son image apparaissait dans des éclairs fulgurants.
*
Je suis sortie de ce sommeil sans rêve avec un mal de tête à hurler.
Une image immédiatement m’est apparue.
Elle, toujours elle.
Une cloche sonnait dans ma tête et me faisait regretter tout l’alcool que j’avais bu.
Je suis allée à la salle de bains et je me suis vue dans le miroir.
Les yeux rouges. Les paupières gonflées de larmes. Mes boucles brunes en bataille.
Comment à cet instant pourrais-je lui plaire ?
Je me suis glissée dans la douche, sous l’eau tiède, et j’ai tenté d’apaiser les meurtrissures de la nuit.
J’avais l’impression d’avoir repris le dessus quand mon regard est tombé sur mon réveil.
14 heures !
Et j’ai alors pensé qu’elle était, depuis longtemps, arrivée à Londres où il n’était que 13 heures.
Qu’il avait pu la rejoindre pendant la pause du déjeuner. Que peut être, ils étaient en train de faire l’amour...
Cette pensée m’était si insupportable que je crois que j’aurais été capable de me frapper la tête contre le mur pour l’extirper de mon esprit.
J’ai cru un moment que la douleur que je ressentais allait me rendre folle et que je pourrais commettre l’irréparable.
Je me suis effondrée sur mon lit en pleurant et en murmurant son nom.
Je ne pouvais pas continuer comme cela.
Alors, j’ai trouvé la force de saisir mon téléphone et j’ai composé son numéro.
Elle a tout de suite répondu et elle a compris, au son de ma voix, qu’elle devait immédiatement me rejoindre.
Elle a promis qu’elle serait là dans quelques heures et qu’elle passerait la nuit avec moi.
Je sais qu’elle sera toujours mon ultime recours et mon seul soutien.
Claire. Ma soeur.
*
Je n’ai aucune nouvelle de Virginie et je n’ai pas osé l’appeler.
Son image m’apparaît sur la vitre du train.
J’ai pensé à elle toute la nuit.
J’aurais tellement voulu dormir avec elle. Sentir son corps blotti contre le mien.
Et l’aimer. Encore et encore.
Ces pensées m’ont arraché un soupir presque douloureux.
J’ai aussi songé que peut être je ne la reverrai plus.
Ses dernières paroles étaient si froides qu’elles ont presque tranché le lien qui nous unissait, effacé le plaisir que nous avions eu.
Il est vrai que je lui ai menti par omission en ne lui parlant ni de Gilles ni de notre futur mariage.
L’attitude de Virginie ressemblait à du dépit. Mais alors peut être m’aime-t-elle un peu et dans ce cas tout n’est pas perdu.
Je lui ai fait du mal et je m’apprête à blesser une autre personne qui m’est chère : Gilles.
Comme il risque de souffrir. Cette rupture deux mois avant notre union. Qui pourrait résister à une telle humiliation ? Heureusement, les faire-part ne sont pas encore partis. Ils sont peu nombreux ceux qui connaissaient notre projet.
Mon pauvre Gilles. Mon meilleur ami. Je n’en reviens pas du mal que je vais lui faire. Sa réaction risque d’être terrible, effrayante même.
Je lui ai téléphoné alors que j’attendais le départ de mon train. Lâchement je ne lui ai rien dit de ma décision et je lui ai donné rendez-vous dans un pub, dès mon arrivée à Londres. Je sais qu’il n’osera pas faire un esclandre dans un lieu public. Il fait preuve parfois d’une réserve tellement anglaise, surtout pour les choses du coeur ou du sexe.
Je ne suis pas fière de moi. Mais je n’ai pas le choix. J’aime Virginie. Je ne conçois plus ma vie sans elle. Gilles n’y a plus sa place. Pas comme mari. Pas comme amant. Juste comme le meilleur ami qu’il a toujours été.
D’ailleurs, Gilles est un garçon charmant, tendre et drôle. Il ne restera pas longtemps inconsolé.
Ensuite, je verrais Sir Winston.
Je dois lui présenter mon rapport sur la succession Dourakine. Je vais en profiter pour lui demander l’autorisation de travailler à Paris, au bureau français de Sophie’s.
S’il refuse, et bien je démissionnerai. Tout simplement. Ma vie et mes espérances sont à Paris désormais.
Là où vit Virginie.
*
Je n’ai aucune nouvelle d’elle.
Pourquoi me ferait-elle signe alors qu’elle l’a rejoint ? Ce Gilles auquel elle appartient...
On a frappé à ma porte et je suis allée ouvrir.
Claire, ma soeur, était là souriante, rassurante, maternelle, et je suis tombée dans ses bras, en pleurant.
Elle m’a serrée contre elle, sans dire un mot, et a laissé le flot de mes larmes s’écouler.
J’avais posé ma tête sur son épaule et la chaleur de son corps m’a apaisée.
Claire est ma grande soeur. Mais elle est plus que cela pour moi.
J’avais huit ans quand Maman est morte. Claire en avait quinze.
Elle a alors pris ses responsabilités et a aidé mon père à m’élever. C’était ma petite mère. Elle l’est restée.
Elle a su que j’aimais les femmes avant même que je le sache.
Jamais je n’invitais de garçons à la maison.
Par contre, je restais des heures à lui parler de certaines camarades de classe.
Elle n’a jamais condamné mes préférences sexuelles et quand j’ai fait mon coming out il y a cinq ans, elle a été mon seul soutien face à l’incompréhension de mon père.
Elle ne me considère pas comme une lépreuse et jamais elle n’a tenté de me convaincre d’abandonner mon amour des femmes.
C’est toujours vers elle que je me tourne lorsque, comme aujourd’hui, je me sais incapable d’affronter seule les épreuves que la vie m’impose.
Claire, son mari et leurs deux enfants, sont mon refuge quand je vais mal ou quand la solitude, qui menace les gens de ma sorte, se fait trop insupportable.
Nous n’avons pas besoin de parler. Un regard nous suffit pour nous comprendre. Mais là, j’ai eu besoin de lui parler. De tout lui dire.
Nous nous sommes assises sur le lit. J’ai posé ma tête sur ses genoux et j’ai parlé. Parlé pendant des heures.
Je lui ai tout dit pour qu’elle prenne toute la démesure de mon chagrin.
Céline. Notre rencontre. Sa beauté. La fulgurance de ma passion pour elle.
L’amour que nous avions fait, le plaisir que nous avions pris.
Mon espoir fou d’une vie à deux avec la femme que j’aime.
Et puis la déchirure.
Son mariage dans deux mois. Gilles.
Son départ. Nos adieux froids et distants.
Ce chagrin et cette folie qui peu à peu s’emparent de moi et qui me poussent à envisager une sortie fatale.
Mon appel au secours pour qu’elle, Claire, vienne me comprendre et me sauver.
J’ai parlé, parlé et elle m’a écoutée avec cette vraie patience des gens qui vous aiment vraiment.
Elle ne m’a pas dit que “tout cela n’était rien et que cela allait passer” car elle a compris que j’aimais totalement et que, non, cela ne “passerait” pas facilement...
La nuit s’est écoulée.
Elle me caressait doucement les cheveux et ce geste calme m’a permis de m’oublier et de tomber dans un sommeil apaisant.
*
Cette journée fut épuisante comme le sont celles où l’on joue son avenir.
Gilles m’a rejointe dans ce pub où je m’étais installée à une table discrète et à l’abri des regards. J’appréhendais ce moment.
Il est arrivé, souriant, tout à la joie de nos retrouvailles après une séparation de plus d’une semaine.
Je ne savais pas comment aborder la question de notre mariage.
J’allais lui faire mal et c’était la première fois que je me trouvais dans la situation de blesser une personne que j’aime.
Devais-je attendre quelques minutes que nous nous soyons retrouvés ? Devions-nous tout d’abord échanger les banalités d’usage. Comment vas-tu ? Quel vilain temps à Londres...
Devais-je amener cette question petit à petit par allusions successives ou, au contraire, lui donner cette nouvelle cruelle, immédiatement, sans prendre de précaution.
Je me suis alors souvenue des paroles que j’avais entendues dans un film de Bertrand Tavernier, la vie et rien d’autre, qui m’avait bouleversée.
“Il faut aider les gens en les assommant. Il faut les frapper une seule fois, si violemment qu’ils se croient dans un cauchemar. Plus tard, ils se réveillent et la vie leur paraît infiniment plus douce”.
Alors presque immédiatement je lui ai dit que je ne voulais plus l’épouser.
Il a blêmi et j’ai vu aussi de l’incrédulité dans ses yeux.
Il m’a écoutée silencieusement quand je lui ai donné mes raisons.
Naturellement il a deviné qu’il y avait quelqu’un d’autre.
Je lui ai avoué qu’à Paris, j’étais tombée amoureuse.
Sans lui dire qu’il s’agissait d’une femme.
Je voulais qu’il me comprenne, qu’il me pardonne. Et je craignais de n’obtenir ni pardon ni compréhension si je lui disais que l’objet de mon amour s’appelait Virginie.
Mais il a été parfait, comme d’habitude.
Il m’a dit qu’il ne voulait pas abîmer nos souvenirs en me faisant une scène pathétique de jalousie. Qu’il savait que je l’aimais toujours mais qu’il y avait, à Paris, quelqu’un que j’aimais plus que lui.
Et quand, enfin, j’ai osé lui parler de Virginie, après quelques secondes d’étonnement, il a plaisanté en citant Blaise Pascal : “Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point”.
Nous nous sommes séparés alors, après qu’il m’ait embrassée et serrée très fort contre lui.
J’ai compris que j’avais perdu un amant.
Mais que Gilles était à présent, pour moi, comme un frère.
*
Je me suis réveillée en entendant sa voix.
Claire parlait au téléphone avec son mari.
Elle lui disait que j’avais besoin d’elle et qu’elle ne savait pas quand elle pourrait rentrer à la maison.
Elle s’était levée tout doucement et avait glissé une couverture sur moi pour que je ne prenne pas froid.
Je me suis sentie égoïste et misérable.
Elle était venue et m’avais écoutée. Elle avait tenté de me consoler.
Mais je suis inconsolable. Je le serai à jamais.
Je n’avais pas à la priver de sa famille.
Alors j’ai décidé de lui faire croire que tout allait mieux.
Que tout allait bien afin qu’elle puisse retourner auprès des siens.
Je me suis levée et je lui ai souri.
Elle m’a proposé de me préparer quelque chose à manger et j’ai fait semblant d’avoir faim.
Je lui ai dit que, la nuit portant conseil, j’avais décidé de me reprendre en main et de rebondir.
Que je ferai tout pour l’oublier et que j’étais bien décidée à y parvenir.
Je ne sais pas si elle m’a crue.
Elle n’a jamais vu Céline. Elle ne peut pas savoir que je me suis perdue en la perdant.
J’ai plaisanté. Je lui ai demandé des nouvelles de son mari et de ses enfants.
Nous n’avons plus parlé de Céline.
Mais, intérieurement, le chagrin me rongeait toujours, et j’avais envie de hurler ma peine.
Elle m’a proposé de mettre un peu d’ordre dans mon studio pendant que je faisais ma toilette.
J’ai accepté.
Là, seule, sous l’eau tiède qui ruisselait sur mes joues en se mêlant à mes larmes, j’ai pris ma décision.
Je sais que rien ne pourra me la faire oublier.
Ni l’affectueuse gentillesse de ma soeur. Ni, je le sais d’avance, les tentatives de mes rares amis.
Je sais que je ne pourrai jamais la remplacer.
Je vais inviter Claire à me laisser et à retourner chez elle.
Puis, j’irai dans Paris, dans ces lieux où l’on trouve ce qu’il faut.
Et je mettrai un terme à tout cela.
A mon chagrin. A mon désespoir. Peut être à ma vie.
Quand je suis sortie de la douche, curieusement, je me sentais mieux car je savais que je ne souffrirai plus longtemps.
J’ai mis un peignoir. J’ai pris une serviette pour sécher mes cheveux. Je suis sortie de la salle de bains.
Céline était là.
*
Je ne voulais pas retourner chez ma mère qui n’aurait pas compris ma présence à Paris et m’aurait posé cent mille questions auxquelles je ne voulais pas répondre.
Pas maintenant.
Je n’ai pas cessé de penser à Virginie.
Que fait-elle ? Est-elle seule ?
Il m’aurait suffit de prendre mon téléphone pour obtenir une réponse à mes questions. Mais je n’ai pas osé.
Pas la nuit. Je sais trop comment elle occupe ses nuits.
J’ai pensé à Gilles que j’avais quitté. Pour elle.
A mes parents que j’allais affronter demain. Pour elle.
Comme je devais l’aimer !
Et tout à coup, je me suis dit que j’avais peut-être bouleversé ma vie pour rien.
Qu’il n’y aurait rien de plus que ces quelques heures avec elle.
Que j’avais fait tout cela pour une femme qui ne m’aimait pas.
Et que je me condamnais, pour elle, à une vie de solitude, loin des êtres que j’aimais.
Je me suis demandée comment j’avais pu en arriver là.
Ce glissement progressif de la sympathie à l’amitié, de l’amitié au désir, du désir à l’amour. Et pour une femme.
Pourquoi cette envie de vivre avec elle, de partager son quotidien ?
Et je n’ai trouvé qu’une seule réponse à mes questions. Parce que c’est elle.
J’ai pensé que demain je verrai mes parents. Je leur dirai que j’ai renoncé à épouser Gilles. Ils me demanderont pourquoi. Et je leur dirai la vérité.
Je suis amoureuse de Virginie.
Si mon histoire avec elle est finie, j’aurai au moins la consolation d’être honnête avec eux et de ne pas m’engager dans une union qui serait une tromperie.
J’ai quitté mon hôtel où j’ai laissé ma valise. Je ne sais pas où je dormirai ce soir.
Mes parents étaient surpris que je sois encore à Paris.
Je leur ai tout dit.
Leur réaction ne m’a pas étonnée même si elle m’a blessée.
Ils ont balancé entre colère et incompréhension. Surtout Papa.
Aussi loin qu’il m’en souvienne, j’ai toujours fait en sorte qu’ils soient fiers de moi.
Jamais je ne leur ai causé le moindre souci. Bien sûr ils m’ont offert une fabuleuse aisance matérielle. Mais au lycée ou à l’université, j’avais des camarades tout aussi fortunées qui ne se gênaient pas pour faire le désespoir de leurs parents.
C’est la première fois que je leur demande de faire l’effort de me comprendre et de me soutenir dans ce qui sera l’épreuve de ma vie.
Et je ne peux pas compter sur eux.
Je suis sortie dans la rue sans qu’ils me disent au revoir ou qu’ils se préoccupent de ce que j’allais devenir.
J’ai marché droit devant moi, sans but.
J’ai traversé des places et des jardins. Je me suis arrêtée à un café. Je ne savais pas où aller.
Ou, plus exactement, je le savais, mais je n’osais pas m’y rendre.
Pourtant, irrésistiblement mes pas m’ont conduite à Montmartre, près de la Place du Tertre, dans la cour de Virginie.
J’ai frappé à sa porte. Une belle femme d’une trentaine d’années est apparue.
J’ai immédiatement pensé que j’avais ma confirmation : Virginie ne m’aimait pas et m’avait déjà remplacée.
Humiliée, j’ai voulu fuir, sans demander d’explications, mais cette femme m’a retenue par le bras.
Elle m’a dit : Je suis Claire, la soeur de Virginie.
Elle m’a fait entrer dans le studio.
Claire m’a regardée avec une gentillesse infinie. Profitant de l’absence de sa soeur, elle m’a parlé et, en peu de mots, elle a transformé ma vie.
Elle m’a dit que, depuis notre séparation, Virginie était restée cloîtrée.
Qu’elle l’avait appelée pour pouvoir se confier à elle. Et qu’elle lui avait parlé de moi, de moi, encore de moi et toujours de moi.
J’ai alors compris que, séparées par des centaines de kilomètres, et par ce silence que ni l’une ni l’autre n’avaient osé rompre, nous n’avions jamais cessé de penser l’une à l’autre.
J’ai entendu un bruit derrière moi. Je me suis retournée.
Virginie était là.
*
Claire a prononcé quelques paroles que je n’ai pas entendues et elle est partie en nous laissant seules.
J’étais pétrifiée.
Incapable de dire un mot ou de faire un geste.
J’avais pourtant tellement de choses à lui dire.
Tant de souffrances accumulées pendant ces heures sans elle qui m’ont paru des années.
J’aurais voulu lui dire que, croyant l’avoir perdue, j’avais failli passer de l’autre côté.
Que depuis quelques minutes à peine, j’avais pris la décision d’en finir avec une vie sans elle.
Mais je me suis tue. J’étais incapable de parler.
Et je ne voulais pas qu’elle se sente prise en otage. Qu’elle se croit obligée de m’aimer.
Céline a rompu le silence en me demandant simplement comment j’allais.
Et cette simple phrase a été comme un déclic.
J’ai laissé parler mon coeur et je lui ai dit les bonheurs et les souffrances que j’avais endurés depuis que je l’avais rencontrée, pendant ces six jours.
Ces moments avec elle qui semblaient des secondes. Ces heures sans elle qui étaient comme une éternité.
Combien j’avais rêvé d’une histoire avec elle.
Combien j’avais souffert en la sachant promise à cet homme.
Mon désespoir quand j’avais compris que je n’étais pour elle qu’une distraction, une parenthèse homosexuelle.
Que je ne voulais plus n’être que cela pour elle. Un divertissement.
Alors je lui ai ordonné de me quitter définitivement et de sortir de ma vie.
Elle m’a écoutée sans m’interrompre et j’ai cru qu’elle allait sortir de mon studio.
Je me suis tournée pour ne pas la voir me quitter.
J’ai entendu sa voix douce et consolante.
Elle me disait la confusion de ses sentiments entre sympathie, désir et amour.
Elle me disait sa décision de bouleverser sa vie pour vivre avec moi.
Elle me disait que, pendant toutes ces heures où j’ai failli basculer, elle avait affronté fiancé et parents pour leur dire son amour pour moi.
Elle me disait que tout, désormais, ne dépendait que de moi.
Qu’elle ferait ce que je voudrais. Partir ou rester avec moi.
En écoutant sa déclaration, j’étais au delà du bonheur. Je me suis mise à pleurer.
Elle s’est approchée de moi, m’a prise dans ses bras et m’a consolée comme un enfant.
Puis elle m’a aimée. Comme une femme.
*
Elle nous a laissées seules, face à face.
Virginie était là, devant moi, vêtue d’un peignoir.
Immédiatement j’ai ressenti le besoin de la prendre dans mes bras.
Mais je n’ai pas osé car son attitude m’a arrêtée.
Elle me regardait fixement, sans dire un mot.
Elle semblait bouleversée.
J’ai vu de la surprise dans son regard, de la fatigue et de la détresse.
Claire m’avait rassurée sur les sentiments de sa jeune soeur.
Pourtant, face à moi, elle semblait si lointaine.
Alors je lui ai demandé comment elle allait.
Et là, avec cette chaleur qui lui est habituelle, elle m’a dit toute sa passion et sa douleur.
L’amour fulgurant qu’elle avait éprouvé pour moi, dès le premier regard.
Sa nuit sans sommeil après notre rencontre et mon image qui l’obsédait.
Sa rage désespérée à l’idée que, ne sachant rien de moi, elle ne pourrait jamais me retrouver.
Sa joie en me revoyant et la permanence de son désir pour moi.
Son bonheur indicible quand enfin nous nous sommes aimées.
Et puis la déchirure quand je lui ai parlé de Gilles.
Sa souffrance quand elle a cru qu’elle n’était rien d’autre qu’un jeu pour moi.
Elle m’a tout dit et j’ai pris toute la mesure de mon chagrin.
Elle a exigé que je cesse de la faire souffrir et elle m’a ordonné de partir, de la quitter et de la laisser à sa solitude.
J’ai enfin eu la réponse à toutes mes questions.
J’ai compris que tout était possible.
Que je n’étais pas qu’une conquête supplémentaire, mais la femme qu’elle aimait.
Que les risques que j’avais pris, en rompant avec Gilles et en affrontant mes parents, n’avaient pas été pris en vain.
Que j’avais eu mille fois raisons de suivre les chemins de mon coeur.
Alors, à mon tour, je lui ai dit mes hésitations et mes doutes.
Mon désir et mon amour.
Je lui ai dit ma certitude qu’elle était celle que je voulais aimer et avec qui je voulais vivre et vieillir.
Je lui dit que, si elle le voulait, je resterais à jamais avec elle.
Elle s’est mise à pleurer.
En la voyant si désemparée j’ai eu envie de la serrer contre moi et de la consoler comme un enfant.
Mais, au contact de son corps contre le mien, seulement séparés par la fine éponge de son peignoir, j’ai ressenti comme une morsure brûlante.
Un désir ardent me consumait.
J’ai alors calmé la faim que j’avais d’elle.
Je l’ai aimée.
*
Sa tête, légèrement penchée, repose sur ma poitrine.
Ses bras enlacent mes reins.
Nos jambes, nos cuisses se croisent et se touchent.
J’écoute sa respiration.
J’entends les battements de son coeur.
Je sens sa chaleur contre ma chaleur.
Je m’enivre de son odeur.
Je pense que je l’aime au-delà du raisonnable.
A la folie.
Je voudrais que cette nuit n’ait pas de fin.
*
Elles sont au 8 rue Pierre Jeanneret dans la superbe maison d’architecte que Camille a donnée à Céline et qui sera celle des deux amantes désormais.
Céline et Virginie dorment paisiblement, dans le grand lit, nues, blotties l’une contre l’autre, épuisées, de cette douce fatigue de l’amour.
Elles connaissent enfin cet autre bonheur : dormir avec la personne que l’on aime.
Aucune insomnie ne vient troubler leur sommeil.
FIN
Vous pouvez lire la suite des aventures
de Céline et Virginie
dans un autre récit,
Parents Amies Amants.
*
Dommage que ce beau récit n'ait reçu aucun commentaire. Après avoir dévoré GENS DU NORD, je n'ai pu résister à la tentation de lire INSOMNIES dans la foulée. Bravo à l'auteur et à son idée de se glisser, successivement, dans la peau des deux héroïnes.
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