PARENTS AMIES AMANTS


Ce troisième récit est la suite de Dix Jours et d'Insomnies.

Il est absolument nécessaire d'avoir lu Dix Jours et Insomnies pour comprendre :




Parents Amies Amants






Le vendredi 17 octobre 2008, Céline quittait Londres pour Paris, où elle ne devait rester que quelques jours. Âgée de vingt cinq ans, elle s’apprêtait à épouser un homme en tout point parfait, Gilles. Elle ignorait qu’il existait à Paris une superbe jeune femme brune prénommée Virginie.

De son côté, Virginie, qui multipliait les conquêtes, ignorait que son coeur ne battrait plus que pour une seule femme : Céline.

Elle se sont rencontrées le lundi suivant.

En sept jours, elles se sont aimées. Puis elles se sont séparées pour mieux se retrouver.

En sept jours, Céline a décidé de changer de vie, de quitter Londres et Gilles, pour vivre à Paris avec Virginie. Elle a rompu ses engagements avec son fiancé, affronté des parents atterrés, assumé une liaison homosexuelle.

Mais surtout, elle a décidé de vivre intensément sa passion pour Virginie. Une passion qui se moque des conventions.

Virginie a plus souffert pendant ces sept jours que pendant les vingt cinq années de sa jeune vie. Elle a cru n’être qu’une expérience pour Céline alors qu’elle en était déjà follement amoureuse. Mais Céline a su la persuader de la profondeur de ses sentiments.

Elles ont trouvé une complice, Camille, la grand-tante de Céline, qui lui a donné une fabuleuse maison pour abriter leur amour.


*


Le Lundi 27 octobre, Céline et Virginie ont emménagé dans cette maison, au 8 rue Pierre Jeanneret, dans le 16ème arrondissement de Paris.

A cette occasion, Céline a pu constater à quel point Virginie vivait, dans des conditions modestes, dans son petit studio de Montmartre.

Les meubles qu’elle possédait, sans aucune valeur, ont été donnés à une association caritative et les quelques effets personnels qu’elle a gardés tenaient dans deux sacs de voyage, lesquels ne venaient pas d’un grand malletier de l’avenue Montaigne ou de la rue du Faubours Saint Honoré !

En découvrant le quasi dénuement de sa compagne, Céline, jeune femme fortunée, éprouva le désir impérieux de la gâter et de lui donner tout ce qu’elle n’avait pu s’offrir, sans heurter, naturellement, sa sensibilité à fleur de peau.

La maison où elles allaient vivre désormais était une solide alliée. Le fabuleux confort qu’elle offrait tranchait avec les conditions de vie spartiates que Virginie avait toujours connues.

La jeune femme d’ailleurs se laissa rapidement séduire par le jardin en plein Paris, par la petite piscine installée dans le vaste et lumineux salon, et dans laquelle elle pouvait nager pendant des heures, le bassin étant équipé d’un système permettant la nage à contre-courant et d'un jacuzzi.

Céline en souriant, lui avait montré un article dans un magazine de décoration consacré au couturier japonais Zenko et à son loft de 2.000 m2 en plein Paris. Il possédait un bassin de nage semblable au leur !

Virginie adorait enfin la pièce lumineuse réservée à son atelier où, artiste-peintre, elle pouvait réaliser ses oeuvres.


*


Céline avait repris son métier d’experte en art auprès du bureau parisien de Sophie’s. Tous les matins, elle partait travailler dans le majestueux hôtel particulier que la plus riche et la plus célèbre maison de ventes aux enchères au monde avait acheté à Paris, près du Grand Palais.

Sophie’s était sous pression à la perspective de la vente du siècle : la dispersion de la collection réunie pendant cinquante ans par un grand couturier parisien, décédé quelques mois auparavant. Aussi Céline ne disposait-elle que d’une petite pause d’une heure pour déjeuner.

Virginie ne voulait perdre aucun des moments passés avec Céline. Elle la rejoignait systématiquement et les deux jeunes femmes déjeunaient de quelques tapas dégustés dans un restaurant proche où elles avaient, déjà, leurs habitudes et leur table réservée, discrète et à l’abri des regards.

Virginie n’avait, pour le moment, aucun projet de reportage.

Alors, elle s’était transformée en une maîtresse de maison accomplie, exécutant sans broncher, le matin, les tâches domestiques, au demeurant très rares, pour lesquelles elle avait peu de goût autrefois.

Elle avait dû renoncer au désordre qui faisait son ordinaire quand elle vivait seule. Il était inconcevable pour Céline de laisser traîner jean et tee-shirt sur un fauteuil Le Corbusier ou une chaise Charles Eames ! Son éducation s’y opposait.

Virginie s’était, de bonne grâce, pliée à cette discipline.

C’était peu de choses au regard du luxe qu’elle avait découvert et auquel elle s’était vite habituée ! Tous les jours, après avoir exécuté ses travaux domestiques, elle s’offrait trente minutes de nage dans la petite piscine.

C’était peu de choses au regard de la joie de vivre avec la femme qu’elle aimait. Virginie, n’avait jusqu’alors jamais eu d’autre intimité avec une femme que celle partagée, le temps d’une nuit ou deux, avec des maîtresses de rencontre, séduites rapidement dans des boîtes gays.

Céline était très belle et c’était merveilleux de la voir simplement prendre son petit déjeuner ou se maquiller le matin. Elle était toujours ravissante, jamais négligée. Elle faisait naître chez Virginie un désir auquel, systématiquement, elle succombait.

C’était peu de choses au regard des bonheurs vécus avec Céline. De ces moments intenses pendant lesquels, au coeur de la nuit, leurs corps se trouvaient et se confondaient. Quand la bouche de Céline après l’avoir cherchée et fouillée, goûtait ses lèvres humides, la torturait de sa langue et que, cabrée sous la violence du plaisir, Virginie se laissait porter par une vague délicieuse, jusqu’à ce que, enfin, son corps s’apaise.

Céline avait bouleversé son coeur, son corps et sa vie. Pour cela, il n’y avait rien que Virginie ne soit prête à accepter.


*


Virginie possédait dans leur maison un domaine qui n’appartenait qu’à elle : son atelier, dans lequel elle avait très naturellement recréé la bohème digne des artistes de la Ruche ou du Bateau-Lavoir !

Elles avaient passé un après-midi à chiner chez les brocanteurs pour trouver les meubles de métier qui pourraient le meubler. Virginie était ravie. Avec ces meubles offerts par Céline, son atelier était digne de ceux de Picasso ou de Matisse !

L’après midi, après avoir déjeuné avec Céline, elle revenait à la maison et se consacrait entièrement à sa peinture où à la réalisation d’illustrations pour un guide de voyage.

Parfois, elle se rendait chez Camille avec laquelle elle passait des heures à bavarder et pour qui elle faisait quelques menus travaux de bricolage. Camille disait souvent, qu’à soixante dix ans, elle avait passé l’âge de monter sur un escabeau pour changer une ampoule !

Elle s’était aussi prise d’une réelle affection pour la jeune femme chez qui elle retrouvait, tout à la fois, des traits de son propre caractère et des réminiscences de son passé.

Depuis quinze petits jours, qui avaient passé comme des secondes, Céline et Virginie, malgré leurs différences, ou à cause d’elles, s’entendaient à merveille et vivaient pleinement leur amour.

Mais, on a tort de dire que les amoureux sont seuls au monde...


*


Le jour où commence ce récit, Virginie était dans son atelier et mettait la touche finale à un tableau.

Elle était étonnée. Elle avait l’impression que, depuis qu’elle avait rencontré Céline, ses oeuvres étaient meilleures, son art plus abouti. Céline l’inspirait... dans tous les domaines.

Elle était là, en train de songer à la façon délicieuse dont Céline avait changé sa vie, quand on sonna à la porte. Elle n’attendait personne. Elle jeta un oeil distrait à sa montre 16 heures - et alla ouvrir.


*


La porte s’ouvrit sur une belle femme d’une cinquantaine d’années qui sourit à Virginie.

- Bonjour. Je suis bien chez Mesdemoiselles Frémont et Mirbeau?

- Oui, Madame. Que puis-je faire pour vous ?

- Je souhaiterais voir Céline Frémont.

- Mademoiselle Frémont est absente pour le moment. Elle est à son travail. Mais je peux prendre un message pour elle.

- Oui. Pourriez-vous lui dire que sa mère est passée et qu’elle souhaiterait la voir ?

- Sa mère ? Vous êtes Marie ? Oui bien sûr, je lui ferai la commission. Mais je vous en prie, entrez s’il vous plaît.

- Non, Mademoiselle. Je vois à vos vêtements tâchés que vous êtes en plein travail. Je ne veux pas vous déranger.

- J’ai pratiquement fini. Nous pourrions bavarder pendant que je termine ma toile. Par ailleurs, je m’apprêtais à me servir un thé. Je sais par Céline que vous en êtes friande.

Marie sourit et entra dans la maison. Elle suivit Virginie dans la cuisine où celle-ci s’empara d’une bouilloire dans laquelle elle fit chauffer de l’eau, d’une théière japonaise en fonte et d’une boîte métallique noire d’une célèbre maison de thé parisienne de la rue du Bourg-Tibourg.

- C’est du thé Noël. Il est parfait pour un après-midi de novembre gris et froid comme aujourd’hui.

- Je le connais et je l’adore !

Virginie prépara un plateau avec deux tasses et une assiette contenant un cake découpé en tranches. Quand le thé fut prêt, les deux femmes se rendirent dans l’atelier.


*


Marie n’en pouvait plus.

Dix neuf jours. Dix neuf jours très précisément. Dix neuf jours sans la moindre nouvelle de Céline.

Elles s’étaient séparées, ce fameux samedi, après que sa fille lui ait annoncé, ainsi qu’à Charles, sa décision de ne plus épouser Gilles. Parce qu’elle était tombée amoureuse en quelques heures. Amoureuse d’une femme !

Et elle n’avait pas su trouver les mots. Elle avait laissé Céline partir seule vers l’inconnu. Vers cette inconnue.

Alors Marie avait téléphoné à Camille pour lui demander conseil. Elle lui avait appris que Céline avait rompu ses fiançailles par amour pour une femme. La vieille dame avait promis de les rencontrer au plus tôt.

Camille avait tenu sa promesse. Le lendemain, c’était un dimanche, elle avait convié Céline et son amie au 8 rue Pierre Jeanneret.

Le soir même, elle avait téléphoné à Marie pour la rassurer.

Et depuis rien.

Autrefois, Céline et Marie se téléphonaient tous les jours pour partager les dernières nouvelles de Londres et de Paris, les adresses à la mode, les boutiques qu’il ne fallait pas manquer. Pour se dire qu’elles s’aimaient, tout simplement.

Marie vivait cette séparation et ce silence comme une déchirure. Et elle savait que Charles souffrait autant, sinon plus qu’elle.

Charles et Marie adoraient leur fille. Ils se seraient jetés au feu pour elle.

Mais là, à cette occasion, ils s’étaient montrés pitoyables et ils en avaient conscience.

Alors, elle avait décidé d’en finir. Il fallait qu’elle sache si sa fille était heureuse. Il fallait qu’elle rencontre cette Virginie Mirbeau.

Elle avait pris le chemin de la maison de Céline, qui n’était qu’à quelques rues de son propre domicile. Elle savait que sa fille, retenue à son travail, n’y serait pas.

Elle s’apprêtait à un face à face avec son amante.

Quand la porte s’ouvrit sur Virginie, elle resta interloquée, une fraction de seconde.

Elle ne s’était pas attendue à rencontrer une jeune femme comme elle.

Marie avait des idées préconçues. Elle pensait rencontrer une jeune femme masculine, aux cheveux courts, habillée comme un homme. Une butch.

Or la jeune femme qui lui était apparue était superbe. Brune, aux longs cheveux bouclés. Un visage très doux aux pommettes hautes, à la bouche pleine, aux yeux noisette.

Elle avait revêtu des vêtements tâchés de peinture mais qui laissaient deviner ses formes : une chemise en chambray ouverte sur un débardeur blanc, un vieux jean transformé en short. Marie put apprécier la courbe de ses seins et la beauté de ses jambes et de ses cuisses.

Elle l’examina encore quand, avec infiniment de calme, elle prépara thé et gâteau. Elle se mouvait avec aisance. Sa voix, légèrement grave, était très agréable.

Marie était surprise. Dans d’autres circonstances, elle aurait vraiment apprécié cette jeune femme.

Elle vit tout de suite que Virginie n’était pas dupe. Elle avait deviné que Marie venait pour la voir. Elle.


*


Tout en dégustant son thé, Marie examina les tableaux de Virginie.

Bien qu’il s’agisse de peinture contemporaine, ses toiles n’avaient pas la froideur métallique que l’on pouvait trouver chez les oeuvres d’autres artistes. Marie le remarqua et se surpris à aimer les créations qu’elle voyait.

- Vous avez du talent. Et vous réussissez à mettre dans vos oeuvres une chaleur et une vie qui les rendent vraiment plaisantes. Elles sont à vendre ?

- Oui, J’essaie d’en vivre. De cela et de mon métier de reporter-photographe.

- Dans ce cas, j’aimerais acquérir cette toile-ci. Quel est son prix ?

Virginie en riant et en se saisissant d’une liste : Je vous préviens. C’est Céline, en sa qualité d’experte en art, qui a fixé les prix. Huit cents euros. Mais je préfère vous la donner.

- Non, il n’y a aucune raison. Vous devez gagner votre vie, Mademoiselle.

- Vous ne voulez pas m’appeler Virginie ?

Marie sentit qu’il y avait dans le ton de Virginie comme une prière. Elle ne répondit pas et, pour meubler le silence, s’empara d’une pochette à dessins qui se trouvait sur la table de travail. Elle l’ouvrit et découvrit des nus de femme tracés au crayon.

Le modèle, dont le visage était caché, était magnifique et avait été saisi dans des poses où il s’abandonnait ou s’offrait à un amant, à n’en pas douter.

Virginie se mit à rougir. Marie le remarqua.

- Ce sont des dessins très intimes. Le modèle est saisi avant ou après qu’il ait fait l’amour... Ce sont des dessins de Céline, n’est ce pas ?

- Oui. Ce sont des dessins de Céline.

- Ma fille est très belle. Elle connaît ces dessins ?

- Non. Elle n’a pas posé... J’ai dessiné... de mémoire.

- Ces dessins sont très bons, excellents même. Ils sont à vendre ?

- Non, Madame. Ils sont pour moi. Vous n’auriez pas dû les voir.

- Ces dessins ne sont pas que quelques traits de crayon. Ils sont l’expression des sentiments que vous éprouvez pour ma fille. Ils me troublent infiniment. Pourquoi les avez-vous cachés à Céline ?

Virginie hésitait à répondre. Elle savait que Marie avait été plus que réticente en apprenant que sa fille était tombée amoureuse d’une femme.

Elle était gênée de devoir lui confier la profondeur des sentiments qu’elle éprouvait pour Céline. Mais elle ne voulait pas laisser sa question sans réponse.

- J’ai aimé Céline dès que je l’ai vue. Je ne savais rien d’elle. Ni son nom, ni son prénom. Je savais simplement que c’était la femme de ma vie. Mais j’ai pensé que, jamais, je ne pourrais la séduire et que, même si j’y parvenais, je ne pourrais jamais la retenir... Chaque jour qui passe est une victoire. Mais chaque jour qui passe, j’ai peur qu’elle me quitte. J’ai tracé ces dessins pour qu’il me reste quelque chose d’elle, si un jour...

Virginie ne put finir sa phrase et se détourna pour que Marie ne voit pas les larmes qui menaçaient de couler sur ses joues.

Marie ne dit pas un mot et respecta son trouble. Quand elle reprit la parole, ce fut pour lui confirmer qu’elle achetait le tableau.

Elle lui fit un chèque de huit cents euros et lui demanda si elle pouvait l’emballer pour qu’elle puisse l’emporter.

La toile étant de grande taille, Virginie proposa de la lui apporter.

Les deux femmes arrêtèrent un rendez-vous pour le lendemain à 17 heures. Elles se saluèrent et Marie quitta Virginie pour rentrer chez elle.


*


Marie était étonnée.

Elle ne comprenait plus. Elle ne SE comprenait plus.

Elle aurait dû hurler quand elle avait deviné l’identité de l’amante à laquelle Céline s’offrait sur les dessins qui la représentait.

Elle aurait dû hurler quand Virginie lui avait confessé la profondeur abyssale des sentiments qu’elle éprouvait pour sa fille.

Elle aurait dû lui crier sa peine, son incompréhension et son dégoût.

Elle n’en avait rien fait.

Parce qu’elle n’avait éprouvé aucune peine.

Parce que ces dessins disaient suffisamment le plaisir que Céline prenait avec la superbe jeune femme qu’était Virginie.

Parce que ces amours saphiques ne la choquaient pas. Finalement.

Parce que Virginie, dans sa détresse, l’avait émue. Elle prenait un risque énorme en aimant sa fille.

Elle comprenait qu’elle n’avait aucun droit d’intervenir dans leur histoire.

Elle regrettait à présent de l’avoir fait.


*


Virginie était toujours dans son atelier quand elle sentit deux bras enlacer sa taille, et des lèvres douces caresser sa nuque, son cou. Elle n’avait pas entendu Céline entrer dans la pièce à pas de loup pour venir se blottir contre son dos.

Virginie ferma les yeux pour mieux profiter de ses caresses. Céline glissa ses mains sous le débardeur de son amante et se mit à lui caresser le ventre, puis les seins du bout des doigts. Ces très légers frôlements faisaient frissonner Virginie. Une douce chaleur envahit le bas de son ventre, une onde de plaisir lui caressa les reins.

Elle se cambra et rejeta la tête en arrière qui vint reposer sur l’épaule de Céline. Celle-ci ouvrit alors le short de Virginie et y glissa la main. Virginie prit feu.

Céline arrêta ses mouvements, attendant que la jeune femme la supplie de continuer.

- Continue, je t’en prie ! Je t’en supplie !

Céline repris ses caresses guidée par les gémissements de plaisir de Virginie, puis elle se glissa en elle.

Elle sentit les muscles de Virginie se resserrer autour de ses doigts et tout son corps onduler contre le sien. Tout à coup, elle se contracta dans un râlement sourd puis, se relâchant, elle s’abandonna dans les bras de Céline.

Celle-ci, joue contre joue, la maintint quelques longues minutes contre elle, la laissant reprendre son souffle et ses esprits. Puis, avec légèreté, elle l’interrogea sur sa journée.

- Ta journée a été bonne ?

- Très bonne. Et maintenant que tu es là, elle touche à la perfection. Et en plus j’ai vendu un tableau.

- Tu as vendu un tableau ? Mais comment et à qui ?

- A une très belle femme qui a eu vent de mon grand talent et qui est venue me voir ici, cet après-midi. Il n’y a pas de problème n’est-ce pas ? J’ai bien le droit de recevoir les personnes qui apprécient mes oeuvres ? Elles ne sont pas si nombreuses...

Virginie regarda, amusée, le beau visage de Céline et y vit de l’inquiétude et un soupçon de jalousie.

- Mais bien sûr. Tu es chez toi. Tu reçois qui tu veux.

- Parfait. Je te remercie.

Céline mourait d’envie de poser la question, mais n’osait pas. Elle avait peur d’excéder Virginie. Mais tant pis, elle se lança.

Céline, sur un ton qui se voulait désinvolte : Et comment s’appelle cette femme ?

- Elle s’appelle Marie Frémont.

- Ma mère ? Ma mère est venue ici ? Elle t’a acheté un tableau ?

- Oui. Marie était venue pour te voir. J’ai cru deviner, au ton qu’elle prenait pour parler de toi, que tu lui manquais terriblement. Nous avons discuté. Elle a aimé ce tableau. Elle a même insisté pour le payer au prix que tu avais fixé, alors que je voulais le lui offrir. Son chèque est là, dans le bureau. Comme la toile est de grande taille, je dois l’apporter demain chez elle.

Céline ne dit rien mais elle eut comme un pressentiment.


*


Le lendemain, à l’heure convenue, Virginie sonna à la porte de Marie.

Marie accueillit la jeune femme avec une réserve polie et l’invita à pénétrer dans son salon. Là, Virginie vit un grand homme brun de cinquante ans, élégant et sûr de lui. Marie fit les présentations.

- Virginie, je vous présente mon ex-mari et le père de Céline, Charles Frémont.

Virginie comprit immédiatement qu’elle était tombée dans un piège que les parents de Céline lui avaient tendu.


*


Charles Frémont voulait en avoir le coeur net, bon sang !

Bien sûr, il savait depuis longtemps que Céline était une personne équilibrée et réfléchie. Que ses décisions, études, profession, avaient toujours été judicieuses. Qu’elle était libre quant au choix de ses amants. Que c’était à elle, et à elle seule, de décider qui devait partager sa vie.

Mais là c’était trop fort ! Céline n’était pas lesbienne ! Alors pourquoi cette jeune femme ? Cette Virginie Mirbeau ?

Bien sûr, Camille l’avait rassuré. Les deux jeunes femmes semblaient réellement éprises l’une de l’autre.

Bien sûr, Marie lui avait dit que Virginie était une magnifique jeune femme à la féminité triomphante.

Mais par quelle magie avait-elle réussi à séduire Céline ?

Cette question, il se la posait depuis presque trois semaines. Depuis ce samedi où Céline leur avait dit l’impensable : elle était amoureuse d’une femme et elle quittait Gilles pour elle.

Il n’avait jamais été homophobe.

Il savait bien que, très souvent, les homosexuels se dissimulaient en se mariant. Mais que, tôt ou tard, ils finissaient par obéir à leur désir et aux élans de leur coeur. Il avait reçu, dans son cabinet d’avocat, des hommes, des femmes qui n’avaient d’autre choix que de divorcer et qui se battaient pour garder le contact avec leurs enfants, quand ils en avaient. Il les recevait avec dignité, concience, délicatesse, courtoisie, humanité. Il les défendait avec dévouement.

Il savait comme la société pouvait encore être cruelle avec eux. Il ne voulait pas de cela pour Céline.

Si sa petite fille adorée devait souffrir du regard des autres, de leur ostracisme et de leur méchanceté, il fallait que cela en vaille la peine.

Il fallait que Virginie Mirbeau en vaille la peine !


*


Charles Frémont ne s’embarrassa pas de précautions oratoires.

- Bonjour, Mademoiselle. J’irai droit au but. Ma présence ici, aujourd’hui, n’est pas un hasard. Je voulais rencontrer celle qui a détourné ma fille d’une union idéale. Je voulais aussi vous proposer un marché. Je veux que vous quittiez immédiatement Céline, avec laquelle d’ailleurs vous n’avez aucun avenir, et je suis prêt à y mettre le prix.

- Je ne veux pas de votre argent, Monsieur Frémont !

- Vous prenez un risque. Céline n’hésite jamais à quitter les amants qui ont cessé de lui plaire. Dans six mois, dans six semaines, ou dans six jours, elle peut vous signifier votre congé... Vous regretterez alors de ne pas avoir rompu la première en assurant vos arrières. Prenez donc ce chèque. Prenez-le, Mademoiselle Mirbeau.

Virginie resta immobile quelques secondes, puis lentement elle s’approcha de Charles, avança la main avec un peu d’hésitation, puis saisit le chèque qu’il lui tendait. Elle le regarda et lut la somme qui y était inscrite. Deux cent mille euros ! De quoi mettre définitivement un terme à ses problèmes et aider son père et sa soeur.

Elle vit Charles qui souriait et Marie qui la regardait avec intensité.

Alors lentement, elle prit le chèque entre ses doigts... et le déchira en plusieurs morceaux qu’elle déposa dans le cendrier posé sur la table basse.

- Je ne veux pas de votre argent, Monsieur Frémont !

Charles soupira : - Très bien. Mais je pense que vous faites une belle bêtise. J’ai encore quelque chose à vous demander. Promettez-moi de ne rien dire à Céline. Ne lui parlez pas de ma tentative de corruption.

- Vous ne voulez pas que je lui dise que j’ai renoncé à un chèque de deux cent mille euros par amour pour elle ?

- Vous ne devez pas lui dire que son père, qu’elle aime, a tenté de vous acheter pour que vous la quittiez.

- Je comprends. Vous ne voulez pas abîmer l’image qu’elle a de vous. Et je dois taire le sacrifice que j’ai fait pour qu’elle puisse continuer à vous estimer et à vous aimer.

- Oui. Vous êtes intelligente.

- J’aime votre fille, Monsieur. Je ne veux que son bonheur. Je sais qu’elle serait infiniment malheureuse si elle pensait que son père a voulu s’immiscer dans sa vie privée de façon si inélégante. Aussi, je vous donne ma parole. Je ne lui dirai rien. Je vous laisse les morceaux de ce chèque que vous pourrez détruire. Ainsi il ne restera aucune preuve de votre tentative pour m’acheter, à part le souvenir que nous en garderons, vous et moi.

Virginie commençait à se diriger vers la porte quand Charles la saisit par le bras.

- Attendez, Mademoiselle. Ne partez pas !

- Vous avez d’autres marchés à me proposer ? A quoi bon ? Vous semblez si certain que Céline va me quitter sous peu.

- Je n’en suis pas si sûr. Prenez ce siège et écoutez-moi. Vous me prenez pour un bourgeois rassis et homophobe... Vous vous trompez, Mademoiselle. Je suis un avocat, voyez-vous. Je connais la nature humaine, ses souffrances et ses faiblesses. Vos préférences sexuelles ne me choquent pas. J’ai toujours considéré que chacun était libre de faire ce qu’il voulait, entre adultes consentants... C’est dans cet état d’esprit que Marie et moi avons élevé Céline. Aujourd’hui elle a une liaison avec vous. Pourquoi pas ? Ce n’est pas cela que je crains mais le regard des autres sur votre couple et le mal qu’il pourrait vous faire. Mais si le bonheur de Céline se trouve auprès de vous alors, je l’accepte et je vous accepte... Ma tentative de corruption était une épreuve que vous avez brillamment réussie... Je voulais savoir si votre amour pour ma fille était suffisamment fort pour que vous renonciez à deux cent mille euros... Je voulais également savoir si vous aviez un coeur assez noble pour ne rien lui dire. J’ai ma réponse.

- Vous auriez soumis un homme à la même épreuve ?

- Un homme artiste-peintre désargenté, oui. Sans la moindre hésitation.

Marie précisa : - Je connais bien les défauts et les qualités de Charles. Et je puis vous assurer qu’il dit ce qu’il pense. Vous n’avez rien à craindre de nous, Virginie.

- Retournez auprès de Céline et donnez-lui ces clefs. Elle comprendra.

Charles déposa dans la main de Virginie un trousseau de clefs auquel était attaché un petit élan en bois. Puis il lui tendit la main que la jeune fille serra avec un peu d’étonnement.

Puis Marie s’approcha d’elle, et, rapidement, déposa sur sa joue un baiser si léger que Virginie crut l’avoir rêvé.


*


Quelques heures plus tard, Camille, Charles et Marie se trouvaient à la même table d’un restaurant parisien. Charles avait raconté à la tante de son ex-femme, la scène dont Virginie avait été l’héroïne, sans omettre aucun détail.

Charles persistait à penser que Virginie prenait un risque.

- Elle est folle !

- Elle est étonnante !

- Elle est amoureuse.

- Ah non, après avoir séduit ma fille, elle ne va pas aussi séduire ma femme et sa tante !

- Ton ex-femme ! et à ce titre libre de faire ce que je veux. Et j’avoue que si j’avais l’âge de Céline, je ne dirais pas non à une aventure avec Virginie. A titre d’expérience, uniquement !

Charles, en riant : - Je dois bien reconnaître que si cette jeune femme ne réservait pas l’exclusivité de ses talents à des partenaires du même sexe, moi aussi, je ne dirais pas non. Elle m’a étonné. Virginie a été loyale par amour et honnête avec moi. Bien des gens auraient pris le chèque et gardé la maîtresse...

- Vous acceptez la relation de Céline et Virginie ?

- Le vieux bonhomme que je suis doit bien reconnaître qu’il y a dans tout cela quelque chose de paradoxal. Céline était partie vivre à Londres avec Gilles et c’était un crève-coeur de la savoir si loin. Et voilà que c’est son amour pour une femme qui la pousse à revenir à Paris, tout près de nous... Et puis... Elle était l’enfant parfait, si facile à élever. Jamais nous n’avons eu à nous plaindre d’elle. Elle nous a toujours donné de multiples motifs de satisfaction et même de fierté. Bien sûr, nous l’avons toujours entourée d’amour et de confort, même au moment de notre divorce... Mais je connais des confrères dont les enfants se comportent en “fils et filles à papa” sans apporter à leurs parents le millième des bonheurs que nous a donnés Céline... Alors, nous n’allons pas l’abandonner, ou même la juger, alors qu’elle vit un des moments les plus forts et des plus difficiles de sa vie. Alors qu’elle va devoir affronter le regard des autres. Si Virginie n’est qu’une passade, nous n’allons pas nous brouiller avec notre enfant unique pour si peu. Si au contraire, Virginie est l’amour de sa vie, alors nous devons l’accepter d’autant plus. Céline nous a dit “quand on aime ses enfants, on doit accepter ce qui les rend heureux”. Elle a raison. Je ne prétendrai pas que je suis ravi. Mais puisque c’est son choix... 

- Quelle sorte de parents serions-nous si nous n’étions pas là pour elle ? Bien sûr, son choix nous a surpris et, je dois le reconnaître, nous a peinés. Gilles est un si gentil garçon et aurait fait un gendre parfait. Mais nous devons accepter la décision de Céline et l’aider. D’autant que Virginie me paraît être une jeune femme digne de son amour.

Camille sourit et se dit que Marie et Charles étaient, eux aussi, dignes de l’amour de Céline.


*


Le lendemain, Camille appela Virginie afin qu’elle vienne effectuer une petite réparation. Comme d’habitude la jeune femme vint à son secours.

Pendant que Virginie réparait l’appareil en panne, Camille osa aborder sa rencontre avec Charles Frémont.

- J’ai dîné avec Charles et Marie Frémont. Ils m’ont raconté ce qui c’était passé entre eux et vous. La tentative de corruption de Charles. Vous avez eu un très beau geste.

- Vous vous trompez, Camille. Mon geste ne fut pas si beau car le sacrifice n’était pas grand.

- Il s’agissait de deux cent mille euros !

- Ce que je vis actuellement avec Céline vaut bien plus que cela. Et si demain elle me quittait, je n’aurais pas besoin d’argent.

- Que voulez-vous dire ?

- Je vais vous faire une confidence mais je vous supplie de ne jamais en parler à Céline. Quand nous nous sommes rencontrées, je suis immédiatement tombée amoureuse d’elle... J’ai été dévastée quand j’ai appris qu’elle allait se marier. Croyant l’avoir perdue à jamais, j’ai été à deux doigts de... de mettre un terme à ma vie. Céline l’ignore et je veux qu’elle continue à l’ignorer... Je ne veux pas qu’elle se sente prise en otage. Qu’elle se sente obligée de m’aimer. Mais, si demain elle me quittait, ma vie n’aurait plus de raison d’être. Ce n’est pas à vous que j’apprendrai à quel point cela fait mal de perdre la personne que l’on aime.

- Je n’ai jamais songé à me suicider.

- Vous avez vécu quinze ans de passion avec Lucy et elle vous a toujours aimée. Elle ne vous a pas quittée pour un homme ou une autre femme. Je crois que si je perdais Céline, je ne serais pas capable de continuer. Voilà pourquoi l’argent de Charles Frémont m’indiffère.

En entendant ces mots, Camille ne regretta pas la décision qu’elle avait prise.


*


Céline sortit de sa poche son iPhone qui venait de vibrer et fut surprise en entendant la voix de Camille.

- Bonjour ma chérie. Je ne te dérange pas trop ? Pourrais-tu passer me voir ce soir avant de rentrer chez toi ? Nous n’en aurons que pour une petite heure.

- Bien sûr Camille. Rien de grave j’espère ?

- Non, non, rassure-toi. Un projet dont je voudrais te parler. A ce soir.

Céline sourit, admirative, en pensant à cette vieille dame qui avait encore des projets à soixante dix ans !


*


Céline était abasourdie. Camille venait de lui exposer son “projet” d’une voix douce.

- En faisant cela, tu lui donnes la liberté !

- Je le sais. Tu as peur qu’elle te quitte ?

- Elle m’a séduite. Elle peut en séduire une autre. Elle m’aime. Elle peut en aimer une autre.

- Tu doutes de la force de ses sentiments pour toi ? Tu as tort. Écoute-moi. Charles lui a proposé un chèque de deux cent mille euros pour qu’elle te quitte.

- Qu’a-t-elle fait ?

- Elle l’a pris...

Céline blêmit en entendant la réponse de Camille.

- ... puis elle l’a déchiré devant lui et devant Marie. C’est eux-mêmes qui me l’ont dit. Charles a fait promettre à Virginie de ne rien te dire de cette tentative de corruption... Visiblement, elle a tenu sa promesse. Tu vois, tu te trompes en doutant de son amour pour toi.

- Ainsi, elle a rencontré mon père. Elle ne m’a rien dit. Mais je comprends pourquoi. Je me demandais aussi comment Virginie avait pu avoir les clefs de l’appartement que Papa possède à Megève... Jamais je n’aurais cru mon père capable d’une telle chose.

- Tu te trompes à nouveau. Charles a voulu éprouver les sentiments de Virginie. Il voulait savoir si elle t’aimait vraiment ou si elle t’avait séduite par intérêt. L’attitude de Virginie l’a réconforté... Marie a même ajouté que Virginie semblait digne de ton amour. Je crois que tu n’auras plus de problème avec tes parents. Ils acceptent votre relation. Bien sûr, ils auraient préféré que tu aimes un homme, mais pas par homophobie. Simplement parce qu’ils ont peur que tu souffres du regard des autres.

- J’ai décidément beaucoup de chance. Aucun des êtres que j’aime ne me tourne le dos.

- Ce n’est pas une question de chance. Tes parents t’aiment. Or, on n’a pas le droit de tourner le dos aux gens que l’on aime simplement parce qu’ils aiment d’une autre façon. D’autant que vous ne violez aucune loi. Vous ne faites de tort à personne. Et puis Virginie est très belle et très féminine. Cela rend tes parents plus compréhensifs... Pour mon projet, c’est à toi de décider. Si tu t’y opposes, j’y renoncerai et Virginie n’en saura jamais rien. Ton refus n’aura aucune influence sur l’affection que j’ai pour toi. J’oublierai tout. Tout simplement. Je ne te demande pas une réponse immédiate.

- Tu crois Virginie digne de ton projet ?

- Je me trompe rarement quand il s’agit de juger les hommes et les femmes. Virginie est quelqu’un de bien.


*


Elles avaient regagné leur chambre et retrouvé leur lit. Le lieu de leurs plus charmants affrontements. Virginie lisait. L’esprit de Céline était rempli de la conversation qu’elle avait eue avec Camille.

Elle se rappela ces quelques heures qui avaient tout changé, quand, il y avait presque un mois, elle avait décidé, pour Virginie, de bouleverser sa vie, de quitter Gilles et de courir le risque de se brouiller avec ses parents.

Elle se souvint des pensées qui n’avaient cessé alors d’occuper son esprit, de la confusion de ses sentiments.

Elle se souvint de ce samedi où elle avait retrouvé Virginie pour lui dire ses hésitations et ses doutes. Son désir et son amour. Sa certitude qu’elle était celle qu’elle voulait aimer et avec qui elle voulait vivre et vieillir.

Céline ignorait tout du gouffre dans lequel sa compagne avait failli tomber quand elle avait cru la perdre à tout jamais. Elle ignorait à quel point Virginie était une passionnée, et jusqu’où sa passion pour elle pourrait la conduire.

Elles avaient toutes les deux pris un risque en s’aimant. Céline, celui de s’éloigner de ses parents, Virginie de vivre avec une femme qui aimait les hommes et qui pouvait, un jour, retourner vers eux.

Ainsi, malgré l’hostilité de ses parents, Céline avait changé de cap.

Elle ne le regrettait pas !

La vie avec Virginie la comblait au-delà de ses espérances. Il n’y avait pas de monotonie avec elle. Son optimisme était contagieux. Ses caresses la comblaient.

Elle se disait qu’il lui serait impossible de vivre sans elle à présent. Sans sa fougue, ses rires, sa charmante folie. Sans le désordre qu’elle avait mis dans son coeur, dans son corps et dans sa vie.

Et voilà que Camille projetait de lui offrir le chemin de la liberté !

Virginie ne dépendrait plus de personne. Elle pourrait changer de maîtresse, comme elle-même n’avait jamais craint de changer d’amant.

Elle s’en voulait de penser que c’était l’intérêt qui retenait Virginie auprès d’elle.

Elle s’en voulait de penser comme son père, alors que Virginie, qui ignorait tout des intentions de Camille, n’avait pas hésité à renoncer à une petite fortune par amour pour elle.

Elle savait bien que Virginie était totalement désintéressée. Elle avait exigé de participer aux frais de leur vie commune. Et les revenus de ses derniers reportages fondaient comme neige au soleil...

Virginie ne lui demandait jamais rien. Si ce n’est de la tendresse et de l’amour qu’elle lui rendait au centuple !

Céline se traita mentalement d’idiote.


*


Céline regarda Virginie. Elle s’était assoupie, la tête posée sur son oreiller. Le livre qu’elle lisait avait glissé sur la couverture du lit.

Céline admirait son visage aux pommettes hautes, sa bouche pulpeuse dont elle aimait mordiller les lèvres, ses magnifiques boucles brunes dans lesquelles, souvent, très souvent, dans la fièvre de la nuit, elle glissait les doigts.

Elle écoutait sa respiration légère.

Elle prit le livre de Virginie pour le poser sur sa table de nuit. Puis elle se pencha sur elle et l’embrassa, doucement puis avec passion. Un baiser qui disait toute sa faim dévorante.

Virginie ouvrit les yeux, glissa les mains sur sa nuque, puis dans ses cheveux. Elle répondit à ce baiser avec sa fougue habituelle. Renversant Céline sur le lit, elle passa ses mains sous le fin tissu de sa veste de pyjama en lin, et se mit à lui caresser le ventre et les seins. Ouvrant sa veste, elle parcouru son corps en parsemant sa peau de baisers. Puis d’un geste rapide, elle lui retira son slip. Elle posa sa main sur la chair chaude et palpitante, sur sa chaleur humide. Céline s’ouvrit aux caresses de Virginie. Celle-ci baissa la tête et prit Céline entre ses lèvres, la tourmentant de sa langue.

Céline, les mains enfouies dans les boucles brunes, dont la douceur soyeuse caressait la peau si sensible de ses cuisses, gémissait de plaisir. Quand elle jouit, elle cria son nom.


*


Céline et Virginie, repues, allongées l’une contre l’autre, reprenaient leur souffle.

Céline jouait avec les cheveux de Virginie. Le regard embué, elle regardait ce corps dont elle avait tiré la plus complète jouissance.

Céline rougit quand elle pensa à cette nuit intense, au cours de laquelle elle avait, à plusieurs reprises, crié le nom de son amante.

Comment avait-elle pu douter une seule seconde de l’amour de Virginie ?

Elle avait lu un jour cette phrase : “il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour”. Elle n’en croyait pas un mot.

L’amour existait. Elle aimait Virginie. Totalement. Absolument.

Elle était sûre que Virginie l’aimait.

Elle était comblée. Elle avait tout.

L’amour et les preuves de cet amour.

Elle ne craignait plus de dire oui. A Camille et à son projet.


*


Céline et Virginie finissaient leur petit déjeuner. Elles avaient un week-end de farniente devant elles. Elles prenaient leur temps.

Elles étaient là, en train d’organiser leur programme, faire les boutiques, se perdre dans Paris et s’arrêter dans un bar à vins pour déjeuner, visiter l’exposition incontournable du moment... quand le portable de Virgnie se mit à sonner.

- Allo ?! Dana ?! Quelle surprise ! Comment vas-tu ?... Tu es à Paris pour cinq jours ?... Nous revoir ? Mais oui, avec plaisir !

Céline, qui n’avait jamais entendu parler de cette Dana, mais avait peu de doutes sur la nature des rapports qu’elle avait pu entretenir avec Virginie, écouta attentivement les réponses de cette dernière.

- Tu n’es pas seule... Comment s’appelle t’elle ?... Julie. Je suis ravie pour toi. Mais où dormez-vous ?... Je vois... Attends deux petites minutes, je dois parler à ma compagne.

Céline avait compris avant même que Virginie ne lui pose la question.

- Ma réponse est oui. Tu es chez toi, Virginie. Si tu veux recevoir des amies, tu n’as pas besoin de mon autorisation. D’autant plus que la maison est grande et que nous disposons de deux chambres d’invités.

- Tu es un ange ! Merci ! Je t’aime ! Dana, je vous propose de dormir à la maison pendant tout le temps où Julie et toi serez à Paris. La maison se trouve au 8 rue Pierre Jeanneret dans le 16ème. Vous pouvez être là dans une heure. A bientôt.

Virginie après avoir reposé son téléphone, déposa un léger baiser dans le cou de Céline pour la remercier.

- Qui est Dana ?

- C’est une très vieille amie. Elle et moi vivions dans le même village de Normandie. Nous avons fréquenté la même école. Quand nous avons quitté le collège, nous nous sommes retrouvées internes dans le même lycée. On a partagé la même chambre.

- C’est plus qu’une amie, je présume ?

- En effet. Dana et moi, nous nous sommes rendues compte en même temps de notre attirance pour les filles. Nous nous sommes mutuellement soutenues et nous avons été, l’une pour l’autre, la première expérience sexuelle quand nous avions 16 ans... Mais, nous n’avons jamais été amoureuses l’une de l’autre. La vie, les études, le travail nous ont séparées. Dana a suivi des cours de psychologie à l’université et elle travaille dans un cabinet à Rouen. Nous nous étions un peu perdues de vue. Je suis heureuse de la revoir. Je te remercie...

Virginie fut interrompue par une nouvelle sonnerie de téléphone. Celui de Céline.

- Allo ?! Oh, quelle surprise... Comment vas-tu ?... Oui, je vois... Tu as préféré démissionner... Je comprends... Tu viens à Paris... Pour participer au Jobmarket de l’Institut Europlace de Finance... Si nous pouvons t’héberger quelques jours ?... Mais oui, bien sûr. Quand seras-tu là ?... Jeudi prochain ?... Écoute, je préférerais que tu arrives vendredi... Bien, c’est d’accord. S’il y a le moindre problème, je te rappelle. Au revoir. A bientôt.

Céline en reposant son iPhone sur la table, se dit qu’il risquait effectivement d’y avoir un problème. Car l’interlocuteur qui s’invitait chez elles n’était autre que ... Gilles !


*


Virginie avait dégluti péniblement quand elle avait appris que Gilles, l’ancien fiancé et dernier amant de Céline, allait passer quelques jours chez elles. Naturellement, Céline lui avait dit qu’elle pouvait s’y opposer.

Mais, Céline ayant accepté sans sourciller la venue de Dana, il lui était impossible d’en faire moins.

Elle aurait dû se réjouir de rencontrer son rival malheureux. Mais il n’en était rien. Elle était persuadée que la venue de Gilles à Paris, motivée par sa participation au Jobmarket de l’IEF, avait un autre but : reconquérir Céline.

Elle s’apprêtait donc à rencontrer, et, peut être même à affronter, celui que Céline avait quitté pour elle.

Virginie était prête au combat pour garder Céline.


*


Céline, en se préparant, se demandait quelle impression elle allait produire sur la fameuse Dana.

A l’évidence, celle-ci était plus qu’une amie pour Virginie. Après tout, internes dans le même lycée, elles avaient vécu ensemble pendant plusieurs années ! Et elle était sa première amante.

Son influence sur elle devait être immense. Virginie risquait de la voir, ou de la découvrir, au travers des yeux de Dana, psychologue de son état, et qui allait sans doute la soumettre aux rayon X !

Son bonheur dépendait peut-être de l’opinion de cette amie.

Céline était prête à passer par le chas d’une aiguille pour garder Virginie.


*


Les retrouvailles de Virginie et de Dana furent plus que chaleureuses. A peine avait-elle ouvert la porte de la maison que Virginie se retrouva dans les bras de son amie.

- Je te remercie infiniment d‘avoir accepté de nous accueillir. C’est sympa de se retrouver après tout ce temps. Je te présente ma compagne, Julie. Nous vivons ensemble depuis neuf mois. Julie est professeur de physique-chimie dans un lycée de Rouen.

- Je suis ravie de te rencontrer Julie. Et toi, Dana, je suis tellement heureuse de te revoir !

- Et moi donc ! Tu n’as pas changé. Toujours aussi belle !

- J’ai beaucoup changé au contraire. En trois semaines, j’ai plus changé qu’en plusieurs années.

- Et qui est à l’origine de ce changement ?

- J’ai rencontré la femme de ma vie ! Elle s’appelle Céline. Elle est merveilleuse. Je me suis livrée à elle, entièrement, pieds et poings liés. Je ne suis plus la même depuis que je la connais. Elle ne me rend pas seulement heureuse, elle m’a aussi donné une extraordinaire confiance en moi. Être aimée par une femme comme elle cela vaut tous les stimulants !

Pendant ces brefs instants, Virginie avait fait entrer Dana et Julie dans le salon. Les deux jeunes femmes étaient restées “en arrêt” devant la piscine.

- Et tu vis dans un quartier bourgeois et dans une superbe maison ! Cette Céline est une fée !

- C’est amusant ce que tu dis là. C’est exactement ce que j’ai pensé la première fois que j’ai dîné avec elle. Elle avait envoûté toute la salle du restaurant où nous étions.

- Et où est cette magicienne ?

- Elle est sortie faire quelques courses afin de préparer un petit apéritif, ici à la maison. En attendant, je vais vous montrer votre chambre.


*


Céline revint quelques minutes plus tard et retrouva Virginie dans la cuisine où elle préparait des tapas. Elle rapportait du pain frais et des ingrédients qui manquaient. Quant au vin, il suffisait de se servir dans les centaines de bouteilles dont la cave était pourvue grâce à la prévoyance de la précieuse Camille.

- Tes amies sont arrivées ?

- Oui. Elles sont dans leur chambre. Elles font un brin de toilette après leur voyage en train.

- Alors nous avons quelques instants de solitude rien que pour nous !

A peine ces mots prononcés, Céline enlaça la taille de Virginie, l’attira contre elle et l’embrassa doucement puis avec passion. La jeune femme ne résista pas à cet assaut et répondit avec la même fougue.

Les deux amantes étaient dans leur bulle quand elles sentirent une présence dans la pièce. Elles tournèrent la tête et virent Dana et julie, interdites et gênées, au seuil de la cuisine.

- Dana, Julie ! Je vous présente Céline ! Ma Céline !

Dana et Julie découvraient la fameuse Céline.

Virginie n’avait pas exagéré. Elle était superbe ! Des femmes comme elle existaient donc et pas seulement sur les pages glacées des magazines ou au bord des piscines d’Hollywood !

En regardant son amie, rayonnante, une main posée sur la hanche de Céline, Dana prit toute la mesure des sentiments que Virginie éprouvait pour elle et toute la mesure de ce que serait sa peine si elle venait à la perdre.


*


Dana et Julie avaient passé l’après-midi à parcourir les rues du Marais, du Quartier Latin et de Saint-Germain, à courir de boutique en boutique.

Pour remercier Céline et Virginie, elles s’étaient rendues dans un magasin du Marais, Tensou, spécialisé dans le désign, où elles avaient acheté une création amusante de Sté-Sté associés.

Les quatre jeunes femmes avaient dîné.

Elles s’étaient installées dans le salon, devant la cheminée où Virginie avait fait crépiter un feu de bois. Elles dégustaient un vieux Banuyls, découvert dans la cave, en savourant des carrés de chocolat noir.

Chaque couple était allongé sur les larges et profonds canapés, Virginie, dans les bras de Céline, Julie dans ceux de Dana.

Autour d’elles les tableaux de Virginie, que Céline avait accrochés au mur.

En voyant ses oeuvres sur les murs du salon, ses livres dans la bibliothèque, ses vêtements dans le dressing de leur chambre, son gentil “foutoir” dans son atelier, Virginie avait eu la conviction qu’elle n’était pas seulement de passage dans la vie de Céline.

Les quatre amies avaient longuement parlé, à “bâtons rompus”, de tout et de rien. Et, à présent, le feu était en train de mourir dans la cheminée.

Virginie et Dana avaient évoqué leurs souvenirs, évitant soigneusement ceux, trop intimes, qui auraient pu blesser leurs compagnes.

Dana et Julie étaient ravies de leur première journée. Elles n’avaient qu’un seul regret : elles ne pourraient pas voir l’exposition pour laquelle elles étaient venues à Paris.

Il fallait faire cinq heures de queue dans le froid et la pluie pour avoir une chance d’entrer dans le Grand Palais et admirer l’exposition “Picasso et les Maîtres” ! Elles ne voulaient pas gâcher tout ce temps alors qu’elles venaient si rarement à Paris !

Elles avaient bien pensé à acheter des billets coupe-file, pour éviter de faire la queue. Malheureusement, pour des raisons de sécurité, le nombre de places était limité pour chaque jour de visite. Tous les billets étaient déjà vendus jusqu’à jeudi. A cette date, elles seraient déjà reparties à Rouen.

Naturellement, Céline avait une solution.

- L’exposition est organisée par le Louvre, Orsay et le Musée Picasso. Je connais bien l’adjoint du directeur de l’Hôtel Salé où est exposée la dation Picasso. Je vais lui en parler. Je suis sûre qu’il pourra trouver une solution.

Dana s’étonna : - Il pourra nous avoir des billets ?

- Mieux que cela ! Nous pourrions visiter l’exposition mardi prochain. L’exposition, comme tous les musées de France, est fermée au public le mardi, afin de permettre de nettoyer les lieux, de réparer ce qui doit l’être... Toutefois, un petit nombre de personnes, triées sur le volet, a le droit d’entrer : les spécialistes en histoire de l’art qui rédigent des ouvrages, les experts, les conservateurs, les photographes... Naturellement, il faudra montrer patte blanche et j’aurai besoin de vos cartes d’identité ou de vos passeports.

Virginie, suspicieuse : - Tu connais l’adjoint du directeur et jusqu’à quel point le connais-tu ?

- Je le connais... très bien...

- Vous avez été amants ?

Céline, en soupirant : - Oui... Je vois que tu veux jouer au jeu de la Vérité. Alors je te propose de commencer. Parle-nous des quarante conquêtes que tu as eues avant moi !

Virginie était horriblement gênée. Elle avait joué avec le feu et allait se brûler. Mais elle ne pouvait pas se dérober. Elle avait elle-même provoqué cette explication.

- A l’exception d’une ou deux personnes, la plupart de mes aventures étaient purement physiques, des rencontres rapides dans des boîtes lesbiennes et des amours furtifs. J’ai voyagé dans toute l’Europe. Dans certaines villes, Amsterdam, Copenhague, Stockholm, Londres ou Berlin, c’était très facile de faire des rencontres. Cela ne compte pas. Mais parlons plutôt de cet adjoint du directeur si complaisant...

- Il s’appelle Sylvain. Nous avons suivi les mêmes cours d’histoire de l’art au Musée du Louvre. Mais comme pour toi, certaines de mes relations étaient purement physiques et ne comptaient pas plus que cela.

Julie, abasourdie : - Tu aimes les hommes ? Je croyais que tu étais comme nous, uniquement lesbienne.

- Non. Je suis une hétéro. Je n’ai rien à cacher. J’avais dix sept ans quand j’ai fait l’amour pour la première fois avec un garçon. Il s’appelait Laurent. Ensuite, j’ai eu un certain nombre d’amants. Dix huit au total, en comptant Gilles, mon fiancé.

- Tu as été fiancée ?

- Oui. Si je n’avais pas rompu mes fiançailles, notre mariage aurait été célébré dans un mois, quelque jours avant Noël. Quand je pense à mes amants, je m’amuse à les ranger dans des catégories. Celle des dragueurs, pour lesquels je n’étais qu’un trophée de plus à accrocher à leur tableau de chasse. Celle des époux potentiels qui voulaient absolument me présenter à leur maman. Ils avaient tous le même point commun. Tous finissaient par sombrer dans une jalousie proche de la paranoïa. Et puis, il y a Gilles.

- Gilles sortait du lot.

- Oui. Gilles est un chic type. Mon meilleur ami. Nous nous connaissons depuis que nous avons cinq ans. J’ai mis dix huit ans pour en faire mon amant, vingt pour en faire mon fiancé... Il ne m’a fallu que cinq jours pour le quitter par amour pour Virginie.

En prononçant ses derniers mots, Céline resserra son étreinte sur Virginie et déposa un léger baiser sur sa joue.

Dana et Julie, subitement, se sentirent de trop.

Julie, en s’étirant : - Et bien, je me sens un peu fatiguée. Si cela ne vous ennuie pas, je vais aller me coucher. Tu viens Dana ? Bonne nuit, les filles.

- Oui, je te suis. Le voyage en train, la promenade dans Paris, le vin et le Banyuls m’ont achevée. Bonne nuit et à demain.

Céline et Virginie restèrent seules.

- Tes amies sont la discrétion même. Elles savent s’éclipser au bon moment !

- Oui. Elles ne savaient pas si nous allions nous arracher les yeux ou nous arracher nos vêtements. Dans le doute, elles ont préféré battre en retraite.

- En ce qui me concerne, je préférerai la seconde solution. On pourrait faire comme elles et aller se coucher. Mais... nous ne sommes pas obligées de dormir...

- C’est un programme qui me convient tout à fait. Mais nous devons attendre que le feu s’éteigne complètement. Je parle du feu dans la cheminée !

- J’avais parfaitement compris. Moi, c’est en te regardant et en te désirant que je me consume.

Ces simples mots, chuchotés à son oreille, allumèrent un incendie dans le corps de Virginie. Elle se retourna, se pencha sur Céline. Lentement, elle commença à déboutonner sa chemise. Elle dénuda ses épaules et son torse, approcha les lèvres de sa poitrine. Elle ouvrit son jean puis le lui retira. Elle fit glisser son slip tout en accompagnant ce geste de frôlements le long de ses cuisses et de ses jambes.

Subjuguée par ces effleurements légers et par son souffle brûlant qui attisait son désir, Céline saisit les hanches de Virginie pour l’attirer contre son corps. Elle se cambra pour venir au contact de sa bouche chaude. Elle sentit la caresse des lèvres douces sur ses seins, sur son ventre puis sur le triangle humide entre ses cuisses. Agaçant de sa langue la perle offerte, Virginie amena lentement Céline au plaisir jusqu’à ce qu’elle s’abandonne enfin, apaisée et satisfaite.


*


Dana, Julie, Virginie et Céline profitèrent de ce dimanche frais mais ensoleillé pour se promener dans Paris. La ville était resplendissante sous le ciel bleu.

Perdues dans les quartiers les plus touristiques de la capitale, au milieu des flots de touristes venant des quatre coins du monde, elles avaient l’impression d’être dans une moderne Tour de Babel.


*


Dana observait le couple que formaient Céline et Virginie.

Elle ne pouvait pas s’empêcher d’être inquiète pour sa vieille amie. Céline était une femme qui aimait les hommes. Virginie n’était peut-être qu’une passade.

Pourtant, Céline n’avait pas honte de s’afficher comme une femme amoureuse d’une autre femme.

Dans les musées qu’elles visitèrent, dans le restaurant où elles firent une halte, dans les rues où elles marchaient, Céline multipliait les gestes de tendresse, tenait Virginie par la main, qu’elle portait souvent à ses lèvres ou, tout simplement, lui volait un baiser.

En comparaison, les trois autres jeunes femmes semblaient réservées !

Dana pensait naturellement que son attitude était encouragée par l’anonymat offert par une grande ville. Mais l’expression “Paris est un village” se révéla exacte quand elles rencontrèrent un lointain cousin de Céline et son épouse dans la file d’attente du Musée du Louvre.

Céline n’hésita pas une seconde et, la tenant par la taille, présenta Virginie comme sa compagne, Dana et Julie comme deux amies. Cousin et cousine ne trahirent d’ailleurs aucune émotion.

Dana se rassura peu à peu. Oui, à l’évidence Céline n’avait pas honte d’être heureuse avec Virginie.

Quant à son amie, son bonheur était palpable, et aurait pu la rendre jalouse si elle-même n’avait pas trouvé, en Julie, sa moitié d’orange. Même en étant infiniment moins démonstrative, Virginie mangeait Céline des yeux.

Peu à peu les craintes de Dana s’apaisèrent, ses préventions tombèrent. Un détail cependant l’intriguait. Elle était la première amante de Virginie. Céline aurait pu en concevoir une certaine jalousie. Et pourtant rien ! Il est vrai que Dana ne pouvait pas rivaliser avec elle, et elle n’en concevait aucune aigreur. Céline était le charme et la beauté incarnés et elle le savait.

Elle n’était pas que belle. Elle était intelligente, cultivée. Elle avait, sans la moindre difficulté, indiqué leur chemin à un couple d’espagnols qui cherchait le Musée de l’Orangerie.

Céline ne montrait aucune condescendance à l’égard de personnes moins fortunées qu’elle et c’est avec infiniment de tact et de discrétion, qu’elle avait systématiquement offert restaurant et places de musées.

Dana était heureuse pour son amie qui avait enfin trouvé son paradis sur terre. Elle le méritait.


*


Ce lundi, une nouvelle semaine de travail avait commencé pour Céline alors que Virginie avait accepté de tenir compagnie à Dana et Julie, toujours en congé, et qui continuaient de redécouvrir Paris.

Les quatre jeunes femmes s’étaient retrouvées à l’heure du midi dans le bar à tapas proche de Sophie’s, qui était devenu la cantine de Céline et Virginie.

Céline avait déjeuné rapidement pour rejoindre, tout aussi rapidement, les locaux de Sophie’s.

Virginie proposa à Dana et Julie de finir l’après-midi dans un ultime musée, l’Hôtel Salé, où la plus riche collection Picasso du monde est exposée. Elle aurait pu proposer un autre lieu, Paris n’en manque pas, pour voir d’autres oeuvres.

Mais Virginie n’avait pas oublié que Céline devait s’y rendre pour rencontrer cet ancien amant, Sylvain, devenu l’adjoint du directeur, et le convaincre de les laisser pénétrer dans le sanctuaire de l’exposition Picasso et les Maîtres, fermé le mardi.

En se rendant à l’Hôtel Salé au moment où Céline devait s’y trouver avec cet homme, Dana et Julie pensaient que Virginie jouait avec le feu.

Dana, en soupirant : Pourquoi l’Hôtel Salé ? Cela ne fait pas beaucoup de Picasso en quelques jours ?

- L’Hôtel Salé est un lieu magnifique. Il date du XVII ème siècle. Il tient son nom de son premier propriétaire qui avait la charge, extrêmement lucrative, de prélever la gabelle, l’impôt sur le sel.

Julie, les yeux au ciel : C’est aussi l’endroit où Céline doit retrouver Sylvain ! Tu ne peux pas lui faire un peu confiance ? Tu ne te souviens pas de ce qu’elle a dit à propos de la paranoïa de ses anciens amants ?

- Mais je lui fais confiance !

Dana et Julie n’insistèrent pas. La mauvaise foi de Virginie était manifeste, mais sa jalousie était compréhensible. Lors de leurs promenades dans les rues de Paris, elles avaient remarqué à quel point Céline faisait tourner la tête des passants, hommes ou... femmes.

Elles parcouraient les salles du musée depuis une heure. Au moment où elles s’apprêtaient à partir, leur attention fut distraite par un couple qui sortait d’un bureau sur la porte duquel était inscrite la mention “interdit au public”. Ce couple n’était autre que Céline accompagnée d’un homme d’une trentaine d’années. Céline ne pouvait pas les voir, dissimulées comme elles l’étaient par le grand escalier d’honneur.

Céline et lui échangèrent quelques mots en riant, puis, brusquement, il déposa un baiser sur les lèvres de la jeune femme. Celle-ci lui sourit et quitta l’Hôtel Salé.

Virginie, qui n’avait rien perdu de la scène, resta pétrifiée. Julie et Dana, désolées d’être les témoins involontaires du désespoir de leur amie, ne sachant que dire pour la rassurer, l’entraînèrent loin du musée.

Pendant tout le chemin du retour, Virginie ne prononça pas un mot. Mais Dana et Julie savaient qu’une tempête se déchaînait dans son esprit et dans son coeur.


*


Sa tête, son coeur étaient prêts à exploser !

Elle avait vu Céline embrasser cet homme qui, autrefois, fut son amant. Elle lui avait souri de ce sourire éclatant dont elle pensait qu’il n’était destiné qu’à elle.

Elle était restée figée, la respiration coupée.

Elle avait vu cet homme regarder Céline et elle avait deviné les images qui flottaient dans son esprit.

Elle aurait été capable de le tuer si Dana et Julie ne l’avaient pas entraînée loin de ce lieu maudit.

Dana n’avait rien dit. Elle avait eu le tact de ne pas lui dire que c’est le risque à courir quand on aime une femme qui aime les hommes.

Elles avaient marché, sans un mot, pour revenir chez Elles.

Chez Elles ! Comme ces mots étaient cruels. Comment Virginie avait-elle pu croire, une seule seconde, qu’elle pourrait, un jour, avoir un chez soi avec une telle femme ?

Céline lui faisait une faveur en l’aimant et en l’autorisant à partager sa vie. Elle pouvait avoir tous les hommes, toutes les femmes qu’elle voulait. Pourquoi se contenter d’une seule amante ?

Virginie se disait qu’elle devait apprendre à la partager.

Elle devait accepter de la laisser libre. Ou elle devait partir.

Elle devait accepter de mourir à petit feu en redoutant, tous les jours, qu’elle ne revienne du lit d’un homme. Ou elle devait partir.

Mais quitter Céline, vivre loin d’elle, vivre sans elle, étaient une mort encore plus certaine.

Céline ! Céline !

Comme il était, à la fois, dur et doux de l’aimer !


*


Quand Céline arriva à la maison, elle fut surprise de constater que l’atmosphère y était lourde. Elle n’entendait pas les rires et les plaisanteries que Virginie échangeait d’ordinaire avec ses amies.

Elle déposa son sac et ses clefs sur la tablette de l’entrée, pénétra dans le salon et se retrouva face à une Virginie au visage chiffonné, aux yeux rougis par les larmes.

Dana et Julie, gênées, se tenaient deux pas derrière elle.

- Virginie, tu as pleuré ? Mais pourquoi ?

Virginie, d’une voix désespérée, assourdie par les larmes : - Pourquoi ? Tu me demandes pourquoi ? J’étais à l’Hôtel Salé avec Dana et Julie. Je t’ai vue embrasser cet homme. Tu n’as pas été longue à te lasser de notre histoire... Dire que je t’ai crue quand tu me disais que tu n’aimais que moi... Que tu ne pourrais plus jamais te satisfaire de quelqu’un d’autre...

- Tu te trompes. Je n’ai pas embrassé Sylvain. C’est lui qui m’a volé un baiser. Que devais-je faire ? Le repousser ? Le gifler ? Lui faire une scène en public ? Je n’ai rien fait de tout cela parce que ce baiser n’a aucune importance. Il m’a simplement donné envie de goûter d’autres lèvres... Je suis désolée que tu aies assisté à cette scène.

- Et dans son bureau ? Il ne s’est rien passé dans son bureau.

Céline, en soupirant : - Je suis triste que tu puisses penser que je fais partie de ces femmes qu’on peut “sauter” dans un bureau... Mais non, il ne s’est rien passé. Je lui ai demandé d’intervenir pour que nous puissions entrer demain dans le Grand Palais. Il m’a répondu qu’il ne pouvait rien me refuser. Nous avons rempli des questionnaires, fait des photocopies de nos pièces d’identité. C’est vrai que nous avons évoqué de vieux souvenirs. Mais je peux t’assurer qu’il était plus ému que moi. A aucun moment, je n’ai eu envie d’une nouvelle aventure avec lui. D’ailleurs, je lui ai dit que je vivais avec une femme. J’ai bien vu que cela l’émoustillait. Les hommes fantasment tellement sur les couples de lesbiennes... Je t’en aurais parlé si tu ne nous avais pas vus. Au fait, que faisiez-vous au Musée Picasso en même temps que moi ? C’est une étrange coïncidence...

Virginie restait muette.

Dana et Julie auraient aimé se cacher dans un trou de souris ! Elles tentèrent un repli stratégique.

- Dana, Julie, ne partez pas ! Restez ! Je veux que vous entendiez ce que j’ai à lui dire ! Virginie, nous devons apprendre à nous faire confiance. Je comprends tes doutes et tes peurs... Je les comprends d’autant mieux que je les partage... Après tout, toi aussi, demain, tu pourrais me quitter... Tout ce que je t’ai dit il y a presque un mois était vrai. J’étais même en deçà de la vérité... Tu ne dois pas douter de mon amour. Tu ne dois pas douter de mon envie d’être avec toi. Et uniquement avec toi. Maintenant que nous avons vécu ensemble, je sais que je ne pourrais plus vivre avec quelqu’un d’autre et surtout pas avec un homme ! J’ai trouvé mon paradis sur terre. Ne le transforme pas en enfer par cette jalousie instinctive. Tu es tout pour moi. Je ne sais pas comment te le dire pour que tu me croies... Peut-être comme Wystan Hugh Auden...Tu es mon Nord, mon Sud, mon Est, mon Ouest, ma semaine de travail, mon dimanche de sieste, mon midi, mon minuit, ma parole, ma chanson, Mon amour jamais ne finira...

En même temps qu’elle prononçait ces mots, Céline prenait Virginie par la main et l’attirait contre elle. Virginie entoura sa taille de ses bras et posa sa tête sur son épaule, dans le creux de son cou.

Céline jeta un coup d’oeil à Julie et Dana qui comprirent immédiatement que leur présence n’était plus nécessaire...


*


Plus tard, alors que chaque couple avait rejoint sa chambre, Virginie tenta de se justifier.

- Je suis désolée pour la scène que je t’ai faite devant Dana et Julie. Je suis impardonnable...

Céline, en souriant et en lui caressant la joue : - Virginie, ne t’excuse pas. Ta réaction était naturelle. Je pense que j’aurais réagi comme toi, si je t’avais vue embrasser une autre femme... Je suis sûre que dans quelque temps, quand tu auras constaté que je te suis fidèle, il n’y aura plus ce genre de malentendu entre nous... Maintenant, si tu y tiens absolument, il y a une façon très simple de te faire pardonner...

Sur ces derniers mots, Céline posa ses mains de chaque côté de son visage et trouva ses lèvres. C’était un baiser affamé, impérieux.

Virginie ressentit ce désir brûlant qui n’avait cessé de la consumer depuis qu’elle avait rencontré Céline et qui se répandait dans le secret de son corps. Elle souleva sa veste de pyjama en lin et glissa ses mains sur la cambrure de ses reins. Elle baissa la tête et saisit entre ses lèvres la peau fine de la gorge qui s’offrait dans l’échancrure de la veste. Puis elle repris possession de ses lèvres.

Soulevant Céline, qui noua ses jambes autour de sa taille, elle l’emporta jusqu’au lit où elle la coucha.

Céline retira sa chemise puis son slip et s’offrit, totalement nue, à son amante. Virginie ne l’avait pas quittée des yeux. Elle se déshabilla à son tour et vint s’allonger sur elle. Glissant une jambe entre ses cuisses, elle sentit sa chaleur moite contre sa peau.

Céline souleva la tête pour plonger dans le regard noisette voilé de désir.

Virginie, succombant au feu qui coulait dans ses veines, l’embrassa avec passion puis parcouru son corps en couvrant de baisers chaque centimètre de peau. La chair tendre de son ventre, son nombril qu’elle taquina de sa langue.

Arrivée à la fourche de ses cuisses, Virginie prit Céline entre ses lèvres. Elle lui donna tout. Elle la vit se cambrer puis se rendre, un râle de plaisir s’échappant de sa gorge...


*


Ce fameux mardi, Céline avait pu prendre deux heures sur son temps de travail pour se rendre au Grand Palais et accompagner Virginie, Dana et Julie à l’exposition Picasso et les Maîtres.

Elle avait réussi à obtenir de Sylvain qu’il les fasse entrer, un jour de fermeture, en même temps que le personnel habilité. Mais, naturellement, cette autorisation était conditionnée à la présence de Sylvain lui-même.

Céline ne voulait pas que son ancien amant et sa compagne se retrouvent face à face !

Quand elle fit les présentations, Virginie répondit bonjour du bout des lèvres. Malgré leurs tendres explications nocturnes, elle ne pouvait pas s’empêcher d’éprouver un pincement au coeur à l’idée que cet homme avait possédé Céline, autrefois.

Céline était totalement imperméable au charme de Sylvain.

Tenant Virginie par la main, elle contemplait les oeuvres fameuses dont certaines, qui ne quittaient jamais les musées où elles étaient exposées en permanence, avaient été prêtées spécialement pour cette exposition.

Quant à Sylvain, il enveloppait Céline et Virginie dans un même regard pensif. On devinait facilement quelles pensées érotiques occupaient son esprit...

Finalement, cette visite, en tout point exceptionnelle, fut une réussite.

Mais dans la nuit qui suivit, Virginie eut de telles exigences physiques, que Céline devina qu’elle cherchait à effacer de sa mémoire le souvenir du plaisir qu’elle avait pu connaître, autrefois, avec Sylvain.


*


Céline s’était levée la première pour préparer le petit déjeuner. Virginie dormait encore, épuisée par les prouesses dont elle avait régalé Céline.

Elle entendit un pas derrière elle. Dana entrait dans la pièce en lui souriant.

- Bonjour Céline. Bien dormi ?

- Bien, mais peu dormi !

- Je vois. Inutile de me faire un dessin. Je devine que Virginie a donné le meilleur d’elle-même !

- Oui. Virginie m’a étonnée. Elle était vraiment... comment dire... oui... insatiable... J’ai eu l’impression qu’elle voulait me convertir définitivement aux amours saphiques. Mais elle prêche une convaincue !

- Je crois qu’elle a tout simplement peur que tu la compares à tes anciens amants. Ce Sylvain avec lequel elle t’a vue, ce Gilles qui arrive bientôt...

- Elle t’en a parlé ?

- Naturellement. Elle appréhende tellement vos retrouvailles !

- Elle a tort. Tout ce que je lui ai dit devant Julie et toi est vrai. Dans ma vie, il y a avant et après Virginie. Je ne vois plus les choses et les gens de la même façon depuis que je l’aime. Elle est ma référence. Mais je comprends que sa jalousie fasse aussi partie de son amour.

- Il ne s’agit pas simplement de jalousie. La jalousie est inséparable de l’amour. Peut-être est-elle indispensable à l’amour. Virginie t’aime comme elle n’a jamais aimé. A la folie. Il n’y a rien de raisonné et sans doute rien de raisonnable dans ses sentiments. Virginie parle peu, tu as dû t’en rendre compte. Aussi ressent-elle les choses de façon... démultipliée. C’est la raison pour laquelle elle peut se montrer si définitive, si intransigeante comme l’autre jour. Julie et moi n’avons pas su la rassurer quand elle t’a vue avec Sylvain...

- Nous en avons reparlé. Tout est oublié...

- C’est bien... Tu sais... avant de te connaître, elle a connu son puits de solitude. Elle a appris que “la place la plus solitaire en ce monde est réservée aux sans-patrie du sexe”. Nous avons vécu ensemble la révélation de notre homosexualité. Ce qui a facilité notre prise de conscience. Par contre, j’étais en fac quand elle a fait son coming out. Je n’étais plus là pour la soutenir. Je crois que ça s’est très mal passé avec son père. Même si elle paraît forte, elle est déchirée par son incompréhension. Tu lui apportes tout. L’amour, le plaisir, la confiance en soi. Tu es si belle. Elle a l’énorme satisfaction d’avoir eu raison contre tout le monde... Raison d’avoir choisi d’aimer les femmes puisqu’elle t’a rencontrée et que tu l’aimes. Tu as donc une énorme chance d’être aimée ainsi. Mais aussi une énorme responsabilité. Je ne crois pas que Virginie pourrait se remettre d’une séparation...

En entendant les propos de Dana, Céline comprit qu’elle ne devait pas seulement aimer Virginie, mais aussi la protéger, et d’abord contre elle-même.


*


Avant leur départ pour Rouen, Julie et Dana avait voulu déjeuner une dernière fois avec Céline et Virginie.

Les trois jeunes femmes avaient rejoint la jeune experte en art sur son lieu de travail, le bureau qu’elle occupait chez Sophie’s.

Au moment où elle la rejoignirent, Céline était en train d’examiner de très près un dessin attribué à Delacroix, représentant une femme d’Alger. Il n’était pas signé et le Maître en avait réalisé tellement au cours de son voyage en Afrique du Nord !

Derrière elle, sur un lutrin enfermé dans une vitrine, était posé un portrait au crayon de Danton par David.

Ces oeuvres, majeures, étaient deux des lots d’une vente de dessins que Sophie’s organisait dans les tous prochains mois et à laquelle Céline participait activement.

Virginie les admira avec émotion et humilité.

Dana pensa que Céline, experte en beauté et en oeuvres exceptionnelles, n’avait pas pu se tromper en aimant Virginie.

Comme d’habitude, elles se rendirent dans le bar à tapas qui était devenu sa cantine.

Dana éprouvait de la peine à l’idée de quitter Virginie. Mais elle était pleinement rassurée. Céline était quelqu’un de bien qui savait la combler.

Au moment où elles se séparèrent, Dana et Julie embrassèrent Céline avec la chaleur et l’affection des vieilles amies.


*


Virginie avait été ravie de revoir Dana, son amie des bons et des mauvais jours, et de faire la connaissance de Julie.

Mais elle était heureuse de se retrouver en tête à tête avec Céline, même si la présence de son amie et de sa compagne n’avait pas été une entrave à leurs échanges nocturnes.

Elle avait besoin de ce court moment avec elle, avant l’arrivée de Gilles, prévue pour vendredi. Ce Gilles qu’elle n’avait jamais vu et dont Céline avait peu parlé.

Virginie savait seulement que c’était un “chic type” pour reprendre les termes qu’elle avait utilisés. Son meilleur ami depuis vingt ans. Un homme suffisamment charmant pour qu’elle en fasse son amant puis qu’elle envisage d’en faire son compagnon, sa vie durant.

Même si Céline l’avait quitté en quelques jours pour vivre avec elle, Gilles n’en restait pas moins un adversaire redoutable.

Virginie était persuadée que le Jobmarket n’était qu’un prétexte. Elle ressentait sa venue dans leur maison comme une intrusion.

Elle craignait que revoir cet homme ne donne à Céline la nostalgie et le regret des moments passés avec lui. Ils avaient été amants pendant deux ans, avaient vécu ensemble pendant douze mois.

Devant tant de souvenirs, que pesaient pour Céline les quelques jours passés avec Virginie ?

Un mois tout juste s’était écoulé depuis leur rencontre.

Elles ne se connaissaient que depuis un mois. Un seul tout petit mois.

Elle se souvenait de chaque minute de cette rencontre. De ce coup qu’elle avait reçu au coeur quand Céline était entrée dans son studio.

Elle avait été subjuguée. Envoûtée. Séduite, tout simplement.

La nuit, hantée par l’image de cette belle inconnue dont elle ne savait rien, pas même le nom, elle n’avait pu trouver le sommeil.

Elle avait pleuré de rage en pensant qu’elle ne pourrait jamais retrouver celle qui occupait si exclusivement son esprit.

Le lendemain, toute la journée, elle était restée enfermée dans son studio, comme un fauve en cage, espérant le retour de cette inconnue. Ne pensant qu’à elle. Ne vivant, déjà, que pour elle.

Quand enfin, elle était apparue, Virginie avait cru défaillir. Quand enfin, elle lui avait donné son nom, elle s’était mise à trembler.

Elle savait déjà que l’aimer, c’était se condamner à vivre les tourments de la jalousie. Qu’elle devait la laisser passer et tenter de l’oublier.

Virginie se souvint de tout.

De sa joie quand, enfin, elles s’étaient aimées.

De sa détresse, proche de la folie, quand elle l’avait su promise à cet homme.

De ce bonheur, comme une rédemption, quand Céline lui avait dit qu’elle l’avait préférée et choisie.

Un mois. Un tout petit mois. Dont chaque minute était gravée, à jamais, dans sa mémoire.

Mais Céline s’en souvenait-elle ?


*


20 novembre !

Un mois tout juste depuis leur rencontre.

Les craintes de Virginie s’étaient confirmées.

Céline s’était levée, comme d’habitude.

Elle avait pris son petit déjeuner, fait sa toilette, comme d’habitude.

Puis elle était partie à son travail et, à midi, Virginie l’avait rejointe pour déjeuner avec elle. Comme d’habitude.

Virginie était glacée.

Céline ne parlait d’aucune fête. N’évoquait aucun souvenir.

Leur quotidien était déjà rempli de ces habitudes qui mènent, lentement, à la destruction des couples.

Et ce Gilles qui revenait demain ! Comme il lui sera facile de la reconquérir !

Virginie ne savait que faire. Elle avait l’impression que Céline s’éloignait déjà. Qu’elle risquait de vivre comme une corvée ridicule la célébration de leur premier mois.

Alors, elle ne fit rien.

Elle était encore dans son atelier quand Céline entra dans la pièce.

- Je suis fourbue ! Entre la dispersion de la collection Laurent Saint-Yves, l’organisation de la vente en parallèle avec le Salon du Dessin du mois de mars et celle de la succession Dourakine, j’ai l’impression de travailler vingt heures par jour !

- La vente Dourakine ? Mais je croyais qu’elle devait avoir lieu à Londres ?

- Avec la crise, les milliardaires russes de Londres sont fauchés ! Alors la vente Dourakine a été rapatriée à Paris où la dispora russe est moins fortunée mais beaucoup plus nombreuse. Je tombe de sommeil ! Bon, je prends une douche, j’avale un verre de lait et au lit !

Virginie n’avait plus envie de rien.

Sa peine était à la mesure de son amour pour Céline.

Charles Frémont avait raison. Son congé lui serait bientôt notifié !

Elle fit une chose qu’elle n’avait jamais faite jusqu’alors. Elle, la spécialiste du désordre, consacra quelques longues minutes à ranger son atelier.

Puis elle se dirigea vers la salle de bains où elle prit sa douche.

Elle reculait, au maximum, le moment où elle retrouverait Céline, endormie dans leur lit.

Quand elle gagna enfin leur chambre, elle eut une surprise. Céline n’y était pas ! Leur lit était vide !

Incrédule, Virginie sortit de la chambre et descendit en courant l’escalier qui conduisait au salon.

Un feu d’enfer, qui éclairait la pièce, avait été allumé dans la cheminée ! Les coussins des canapés et des fauteuils avaient été répandus sur le sol et recouverts de couvertures de laine douce.

Sur la table basse, une nappe et deux assiettes sur lesquelles des parts de quiche lorraine avaient été déposées. Une bouteille de Péssac-Léognan blanc 2003 dépassait d’un seau à champagne.

Mais surtout, Céline attendait, allongée sur la couche qu’elle avait reconstituée avec les coussins. Souriante, magnifique, ravie de sa surprise et, manifestement, nue sous une tunique en lin ! La douce chaleur du feu caressait ses cuisses.

Virginie restait interdite. Elle n’osait bouger pour la rejoindre alors qu’elle en mourait d’envie. Elle éprouvait le cuisant remord d’avoir, de nouveau, douté de Céline.

Céline lui tendit la main pour l’inviter à s’étendre à ses côtés et ne prononça qu’un mot : - Viens !

Virginie s’approcha alors doucement, retira la chemise qui lui servait de vêtement de nuit, puis se laissa tomber à genoux sur les coussins.

Elle prit le visage de Céline entre ses mains et le couvrit de baisers. Ses lèvres glissèrent le long de son cou puis sur ses épaules dénudées.

Enlaçant les reins de Céline d’un bras, elle déboutonna sa tunique lentement, ne voulant rien précipiter. Puis elle retira le mince rempart de tissu qui séparait encore le corps offert de celui de son amante. Elle s’allongea sur elle puis glissa, le long de son corps, entre ses cuisses.

La langue de Virginie dessinait des volutes sur la peau tendue de ses seins et de son ventre.

Céline sentait le désir déferler comme une vague. Elle gémissait sous les caresses. Ses sens étaient en feu. Elle se cambrait pour venir à la rencontre de sa bouche.

Plongeant ses mains dans le flot de boucles brunes, elle guida Virginie vers la source de son plaisir et poussa un cri rauque quand elle le prit entre ses lèvres douces.

Les flammes, du feu qui brûlait dans la cheminée, projetaient sur les murs du salon les ombres de deux corps en fusion.


*


Le corps au repos, Céline et Virginie dégustaient la quiche lorraine et le Bordeaux blanc.

- C’est merveilleux que tu aies songé à commander chez un traiteur le plat que je t’ai servi le premier soir où nous avons fait l’amour et que tu aies acheté une bouteille du même vin !

- Je me souviens de tout, Virginie. De chaque minute, presque de chaque seconde. Je n’ai pas seulement voulu fêter notre rencontre, si rapide, à l’occasion de ton vernissage, mais également nos premières étreintes. A aucun prix, je n’aurais manqué cette occasion de te prouver mon amour.

Sur ces mots, Céline se leva. Virginie put admirer les formes de son corps superbe qui rayonnait dans la lumière jetée par les flammes.

Céline prit un petit paquet dissimulé parmi les livres de la bibliothèque puis revint s’allonger auprès de Virginie.

- Tiens, c’est pour toi.

Virginie était gênée.

- Pour moi ? Mais moi, je n’ai rien à t’offrir.

- Tu te trompes. Ce cadeau n’est rien à côté de ce que tu m’offres tous les jours. Ouvre donc ce paquet !

Céline regarda avec amusement la fébrilité avec laquelle Virginie arrachait ruban et papier.

Virginie, remarquant la moue amusée de Céline : - Je ne suis pas encore habituée aux cadeaux, tu sais.

Elle ouvrit la boîte. Elle contenait deux anneaux en or. Au milieu de chaque anneau, niché dans l’or, un petit rubis.

- Ce sont des alliances qui ne peuvent être portées qu’à l’annulaire. J’ai choisi le rubis parce qu’il est symbole d’amour, de bonheur et de passion. J’ai fait graver une mention à l’intérieur de chaque anneau. Céline et Virginie. Il y a un anneau pour chacune de nous deux. Naturellement, tu n’es pas obligée de porter cette alliance si tu ne le souhaites pas. Moi, je porterai la mienne.

Céline prit l’un des anneaux et le glissa à son annulaire gauche.

Virginie la regardait. Elle prit la seconde alliance et la glissa à son doigt.

Virginie, émue aux larmes : - Je la porterai toujours. Il faudra me couper le doigt pour pouvoir me la prendre !

Céline prit le visage de Virginie entre ses mains et l’embrassa. Puis, elle s’allongea sur le lit improvisé, attira son amante et se blottit contre elle en tirant les couvertures sur leurs corps nus.

Plus tard, beaucoup plus tard, elles s’endormirent ainsi, couchées l’une contre l’autre, dans la chaleur d’un feu bienveillant.


*


Si la soirée et la nuit, passées dans les bras de Céline, furent délicieuses, le réveil replongea Virginie dans ses angoisses.

Ce vendredi était celui de l’arrivée, tant redoutée, de Gilles.

La crise qui touchait le secteur bancaire était extrêmement dure. Elle atteignait tout particulièrement les jeunes traders. Gilles avait vu ses conditions de travail et de rémunération se dégrader. Aussi, avait-il préféré démissionner plutôt que de faire partie de la prochaine charrette des licenciés.

L’Institut Europlace de Finance organisait, dans les locaux d’HEC à Paris, le premier Jobmarket en France et en Europe.

Cette manifestation était destinée à faciliter le recrutement de jeunes diplômés es-finance en les mettant en relation avec des professionnels, tels que banques ou assureurs, universités et centres de recherches.

Plus d’une centaine de doctorants et post-doctorants, originaires d’une quinzaines de pays d’Europe mais aussi des Etats-Unis, du Canada, de Singapour, devait participer à cette manifestation.

Soixante recruteurs seraient présents afin de nouer des contacts avec ces jeunes diplômés de très haut niveau venant des quatre coins du monde.

Gilles venait à Paris pour y participer. Titulaire d’un mastère spécialisé en mathématiques appliquées à la finance, obtenu auprès de la prestigieuse Ecole Centrale de Paris, il avait rédigé une thèse sur la finance internationale et la gestion des risques. Il avait donc toutes ses chances.

Virginie avait été soulagée, en lisant dans le journal, que le jobmarket ne durait qu’une seule journée, le samedi 22 novembre.

Mais elle savait que si Gilles décidait de s’éterniser à Paris, Céline lui offrirait l’hospitalité pendant tout le temps qu’il souhaiterait.

Gilles n’avait pas d’autre endroit où loger. Ces parents avaient pris leur retraite et avaient quitté la capitale pour vivre à Bordeaux.

Céline n’avait rien eu à craindre de Dana, que Virginie considérait plus comme une seconde soeur que comme une ancienne maîtresse.

Par contre, Virginie redoutait les retrouvailles de Céline et de son ancien fiancé et dernier amant.

Céline le savait parfaitement. Elle avait tenté de la rassurer. En lui offrant cette nuit divine et cette alliance qui la désignait comme sa compagne aux yeux de tous.


*


Après avoir déjeuné avec Céline - c’était désormais un rite qu’elle ne manquerait pour rien au monde - Virginie s’était retrouvée seule dans leur maison.

Elle avait préparé la chambre d’ami destinée à Gilles.

Elle avait choisi la plus éloignée de celle qu’elle partageait avec Céline bien qu’elle se doutât qu’elles seraient condamnées à une sévère abstinence, le temps qu’il serait là !

A présent, elle travaillait dans son atelier. Elle essayait d’oublier la confrontation qui s’annonçait. Elle devait tenir tête à Gilles sans décevoir Céline.

Naturellement, il fallait qu’elle résiste à cette jalousie qui ne manquerait pas de l’assaillir dès qu’il apparaîtrait. Céline le lui avait bien dit : nous devons apprendre à nous faire confiance !

Elle était plongée dans ses pensées quand la sonnette de la porte retentit. Cela ne pouvait être que lui !

Elle regarda avec ferveur l’alliance qu’elle portait au doigt. Ce talisman qui disait à tous qu’elle appartenait à Céline et que Céline lui appartenait. Puis, comme un brave petit soldat, elle se dirigea vers l’entrée en s’apprêtant au combat.


*


Virginie était dans la cuisine.

Elle préparait sa potion magique. Un thé Noël. Elle aurait bien besoin de ce breuvage pour rester zen pendant les heures et les jours à venir !

Elle avait conduit Gilles à sa chambre. Il s’était installé et avait demandé la permission de prendre un bain.

En le voyant, elle avait immédiatement compris pourquoi Céline en avait fait son meilleur ami, puis son amant. Elle avait même compris qu’elle ait songé à en faire son époux.

Elle le savait. Elle l’avait toujours su. Une femme comme Céline n’avait pas pu choisir un homme médiocre. Il n’en était que plus redoutable.
Gilles n’était pas un joli garçon content de lui et sûr de son charme.
Il était viril et solide. Une carrure de rugbyman. Un beau visage large avec une barbe de trois jours. Une tignasse blond-roux qu’on avait envie de peigner avec les doigts. Des yeux verts rieurs, usés par les tables logarithmiques, derrière de fines lunettes de myope.
Elle aurait aimé le haïr. Mais c’était impossible.
Il avait une allure sympathique. Il semblait chaleureux et gentil. Virginie savait qu’il était cultivé et intelligent. Bref l’homme idéal.
Virginie était désemparée. Elle se demandait comment Céline avait pu le quitter. Elle avait tellement peur qu’elle retombe dans ses bras !

Elle sentait comme un grand froid dans le coeur.


*


Gilles entra dans la cuisine. Il avait changé de vêtements.

- Il n’y a rien de tel qu’un bon bain pour réparer un dos endolori par un voyage en voiture !

- J’ai préparé du thé. Vous en voulez ?

- Je préfère une boisson plus sérieuse ! Un vieux whisky écossais, par exemple.

- Pas de problème. Céline a acheté hier un single Highland malt de 15 d’âge.

- Chère Céline... Elle n’a pas oublié mes petites manies ! J’ai beau avoir vécu plus d’un an à Londres, je n’ai jamais pu me faire au tea o’clock. Mais je vois que vous avez le même goût que Céline pour l’eau chaude ! C’est bien... Je peux vous aider ?

Sans attendre de réponse, Gilles s’empara du plateau sur lequel Virginie avait posé théière, tasse, verre et bouteille de whisky et la suivit jusqu’au salon.

Après avoir déposé le tout sur la table basse, Gilles regarda autour de lui. Les deux adversaires prirent place, face à face, dans les confortables canapés. Gilles ouvrit la bouteille de whisky et versa une rasade du liquide doré dans son verre puis, s’enfonçant dans les coussins moelleux, émis un petit sifflement.

- Quelle maison ! Elle est fabuleuse ! Céline et vous avez beaucoup de chance de pouvoir profiter d’une telle maison en plein Paris.

- J’ai conscience d’avoir beaucoup de chance depuis que j’ai rencontré Céline.

Virginie regretta immédiatement ses propos maladroits. Elle avait eu beaucoup de chance. Mais Gilles ne pouvait pas en dire autant.

- Je suis désolée. Je ne voulais pas être blessante. Je n’ai pas réfléchi. Excusez-moi...

- Vous n’avez pas à vous excuser. Si j’avais été à votre place, moi aussi j’aurais essayé de séduire Céline. Chacun pour soi... C’est vrai qu’il y a un mois, je vous aurais volontiers tordu le cou. J’ai souffert... Même si je n’en ai rien dit et rien laissé paraître. Quand elle m’a annoncé qu’elle me quittait, qu’elle renonçait à notre union, j’ai eu l’impression que le ciel me tombait sur la tête... Je l’ai joué à l’anglaise. Avec flegme et humour. Mais je n’en menais pas large. J’avais envie de chialer comme un môme...

Gilles baissa la tête, sa voix se fit plus grave, assourdie par l’émotion.

Virginie sentit son coeur se serrer. Elle ne pouvait pas s’empêcher de plaindre et de se sentir proche de ce garçon qui lui disait sa douleur. Sans colère et sans haine. Son bonheur avait fait le malheur de Gilles. Elle en éprouva un sentiment de culpabilité et aussi de... sympathie.

- Céline ne sait rien de ce que j’ai enduré et c’est aussi bien... De toute façon, cela n’aurait rien changé. Elle peut être si déterminée quand elle tient aux choses ou... aux gens. Quand elle est sûre d’avoir raison. Il était inutile de lui faire la grande scène de l’amant jaloux, du fiancé séduit et abandonné. D’ajouter le pathétique à la tristesse. Et puis quand on aime les gens, on doit souhaiter leur bonheur. Si le bonheur de Céline est d’être avec vous, je dois l’accepter. Je dois vous paraître bien philosophe, mais il m’a fallu plus d’un verre de whisky pour arriver à un tel détachement...

- Je suis désolée de vous avoir fait souffrir. C’était totalement involontaire. Quand j’ai rencontrée Céline, je ne savais pas qu’elle devait se marier. J’ignorais votre existence même si je me doutais bien qu’une telle femme ne pouvait pas être seule.

- Je connais Céline depuis vingt ans. Depuis l’école maternelle. On avait cinq ans tous les deux. Je ne crois pas qu’elle ait jamais été seule depuis qu’elle s’intéresse aux garçons et maintenant... aux filles ! Je l’ai vue avec une fameuse bande de crétins. Tous ces types semblaient marcher sur un nuage parce qu’ils avaient réussi à séduire la belle Céline Frémont ! Aucun ne comprenait qu’il n’était que de passage dans sa vie. Qu’elle cherchait autre chose...

Gilles s’interrompit quelques secondes pour avaler une gorgée de whisky.

- Je ne l’ai pas compris non plus... Elle a attendu dix huit ans pour faire de moi son amant. J’aurais dû me douter que c’était une erreur de casting. Que c’était faute de mieux. Pour faire une fin. Pour cesser de multiplier les aventures avec des décérébrés comme les types qui m’avaient précédé. Pourtant, je sentais bien que notre mariage était un mariage de raison plus que de sentiment. J’aurais dû deviner qu’un jour, elle me quitterait pour quelqu’un d’autre. Mais si on m’avait dit que c’était vous, une femme, qu’elle attendait, je ne l’aurais jamais cru...

- Je ne suis peut-être que de passage dans sa vie, moi aussi...

- Personne ne peut prédire l’avenir. Mais franchement, elle a fait plus d’efforts pour vous qu’elle n’en a fait pour aucun de ses amants... Elle assume une liaison homosexuelle. En vivant avec une femme, elle prend le risque d’une vie de solitude, d’une mort sociale. Elle a dû affronter ses parents. La tête du père Frémont ! Elle m’a fait souffrir, alors que je sais très bien qu’elle a énormément de tendresse pour moi. Elle a quitté Londres et le siège social de Sophie’s, où elle était très appréciée, pour repartir de zéro à Paris, ... Je ne sais pas si Céline vous aime, mais, en tout cas, c’est rudement bien imité !

- C’est curieux. J’ai eu tellement peur de votre venue. Et vous me rassurez sur les sentiments de Céline !

- Vous devez penser que je suis le roi des imbéciles !

- Jamais je ne penserai que vous êtes un imbécile.

- Merci. Mais je vous l’ai dit. J’ai fait la part des choses. Je tiens à l’affection de Céline. Je n’ai pas d’autre choix que d’accepter votre histoire. Et puis vous savez, je ne vous envie pas. Finalement. Vous n’allez pas rire tous les jours... Céline est très belle. Elle plaît énormément. Vous allez être en concurrence avec la moitié de l’univers, à l’exception des enfants et des vieillards... Et encore, je ne suis pas sûr des enfants... ni des vieillards... Et maintenant que vous lui avez donné le goût des femmes... Vous ne pourrez pas casser la figure des types trop entreprenants. Moi, avec mes gros bras, j’arrivais à faire le vide autour d’elle... Enfin... je pensais que j’y arrivais... Alors, bienvenue au club et bon courage !

- Justement, vous n’êtes pas très encourageant...

- Je suis désolé de ne pas être plus enthousiaste. Après tout, je suis quand même votre rival malheureux... Je ne vais pas vous sauter sur les genoux ! Je vais quand même vous donner quelques conseils. Personne n’est maître des sentiments de Céline. Je suis bien placé pour le savoir. Mais il y a une chose qu’elle ne supporte pas, c’est le manque de confiance. Si vous pouviez aussi éviter de lui mentir et de la tromper... Encore que sur ce point, elle ait évolué, si je me réfère à ma propre expérience...

Gilles s’interrompit de nouveau.

- Pendant toutes ces semaines, je me suis aussi demandé pourquoi elle vous avait préférée. Vous savez, ce n’est pas facile à avaler. Pour un homme. Se dire que votre fiancée vous préfère une femme. Il y a de quoi se faire moine... On se pose des questions sur sa virilité. Pourtant, j’ai eu des maîtresses avant Céline. Aucune ne s’est plainte de mes... services ! Céline non plus d’ailleurs. Et plusieurs collègues de travail ont tenté leur chance quand elles ont appris que j’étais redevenu libre. Je crois que je ne suis pas trop repoussant. Alors pourquoi vous et pas moi ?... Je crois que Céline avait peur de s’ennuyer avec moi. Je voulais lui apporter cette stabilité qui lui avait manqué avec le divorce de ses parents... Mais Céline veut autre chose. Ce piment, ce grain de folie que vous lui apportez peut-être. La transgression des codes d’un milieu bourgeois. Je ne pouvais pas lutter contre ça... Et si, en plus, elle vous aime...

- Vous n’avez aucune intention de la reconquérir ?

- Oh que non ! Chat échaudé craint l’eau. J’en ai pris plein la tête une fois, cela me suffit amplement !

- Alors, je ne comprends pas votre venue chez nous. Le jobmarket ne dure qu’une journée. Vous pouviez faire l’allée et retour Londres-Paris-Londres.

- Londres, c’est fini pour moi. J’ai perdu mon job. Je suis à Paris pour tenter d’en trouver un autre. Après le départ de Céline, je ne pouvais plus payer le loyer, prohibitif, de notre appartement... Comme il s’agissait d’une location à la semaine, comme cela se pratique couramment en Angleterre, j’ai pu mettre un terme à mon bail sans aucun problème. De toute façon, je n’avais plus envie de vivre seul dans ce lieu où nous avions vécu ensemble, elle et moi. Depuis, je dormais chez des amis. Je ne suis que de passage chez vous. Dimanche, je prends la route de Bordeaux où je vais retrouver mes parents. J’avais envie de revoir Céline. J’ai apporté dans ma voiture des objets qui lui appartiennent et qu’elle a laissés dans notre appartement de Londres. Et puis... je suis aussi là pour vous...

- Pour moi ? Comment ça... pour moi ?

- Je voulais voir la tête de celle qui, non seulement, m’avait piqué Céline mais, en plus, lui avait donné le goût des amours saphiques... Je ne suis pas déçu. Je dois reconnaître que vous êtes très belle. Et rassurez-vous, ce n’est pas de la drague. En aucun cas...

- Confidence pour confidence, moi non plus, je ne suis pas déçue. Et même si votre amertume vous pousse à ne pas me ménager, vous êtes bien le chic type qu’elle m’a décrit. Son meilleur ami. Presque son frère.

- Céline a cela de magique, en plus du reste qui n’est pas mal non plus, qu’elle oblige les gens qui l’aiment à se supporter les uns les autres. Pour ne pas la décevoir. Pour ne pas la perdre.

- C’est vrai. Et, en ce qui me concerne, elle me pousse à révéler ce qu’il y a de meilleur en moi. Je le vois avec ma peinture.

- Tant mieux. Car vous aurez bien besoin de ce meilleur pour la garder...


*


Quand Céline rentra le soir à la maison, elle fut surprise de trouver Gilles et Virginie en train de discuter dans son atelier, pendant que la jeune artiste nettoyait ses pinceaux.

L’ambiance entre eux n’était pas chaleureuse mais cordiale. Ce qui, déjà, tenait du miracle.

Elle ne savait pas comment se comporter avec Gilles et Virginie. Elle avait peur de les froisser par une attitude trop distante. Elle craignait de les blesser par des effusions trop tendres.

Elle se dit que le mieux était de se laisser guider par la voix de son coeur qui lui dictait d’être naturelle avec l’un comme avec l’autre.

Alors, naturellement, elle mit ses bras autour du cou de Gilles, posa sa tête sur sa robuste épaule, puis l’embrassa sur les deux joues comme elle l’aurait fait pour un parent très cher que l’on retrouve après des années d’absence.

Et, naturellement, elle posa sa main sur la nuque de Virginie attira son visage vers le sien et déposa un léger baiser sur ses lèvres.

Chacun savait, désormais, quelle place lui était réservée dans le coeur de Céline.


*


La soirée se déroula aussi bien qu’il était possible. La gêne, palpable au début du dîner, fit place, peu à peu, à une relative sérénité.

Gilles trouvait la force de plaisanter et de les faire rire avec des anecdotes. Ses derniers jours passés dans la salle des marchés de sa banque, dans la City de Londres, dans la panique générale, alors que tous les écrans d’ordinateurs montraient des courbes affolantes et que les ordres de vente, hurlés au téléphone, se multipliaient.

Les pourparlers tendus au sujet de sa démission. La précipitation avec laquelle il avait dû faire ses cartons, quitter son bureau et se retrouver sur le trottoir. Sous la pluie naturellement, puisqu’on était en Angleterre.

Virginie faisait des efforts pour que rien ne transpire de la trouille qui lui mordait toujours le ventre. Gilles avait du charme, beaucoup de charme. Il en avait d’autant plus qu’il l’ignorait et que, l’ignorant, il n’en jouait pas.

Elle se disait que, si la nature ne lui avait pas dicté ses choix, elle aurait pu aimer un homme comme lui.

Céline était reconnaissante à ses amants d’avoir l’élégance de se supporter. Elle avait conscience des efforts surhumains qu’ils déployaient pour elle.

Parce qu’ils l’aimaient.

L’un comme l’autre.


*


Gilles avait demandé la permission de se coucher tôt.

La journée qui l’attendait était cruciale pour son avenir. Il voulait être frais et dispos. Les recruteurs allaient le passer à la loupe. Il devait leur montrer qu’il n’était pas qu’un cerveau, excellent en mathématiques appliquées. Mais qu’il avait aussi une grande puissance de travail. S’endormir durant le jobmarket, au milieu de tous ces jeunes loups de la finance, qui étaient autant de concurrents, serait du plus mauvais effet.

Il leur avait donc souhaité une bonne nuit et s’était retiré dans sa chambre.

Céline et Virginie avaient rapidement débarrassé la table, pris leur douche séparément, respectant ainsi la présence de Gilles, puis s’étaient couchées.

Quand Céline regagna leur chambre, Virginie s’y trouvait déjà, allongée dans leur lit, couchée sur le côté.

Céline remarqua immédiatement le regard pensif de Virginie. Elle semblait si lointaine tout en étant si proche... Elle connaissait ce regard. Elle savait que c’était un appel. Elle s’allongea à son tour, se lovant contre le dos de son amante, son corps épousant son corps, posa une main sur son ventre.

- Virginie ? Tu parais songeuse. Parle-moi. Tu as un problème?

- Oui, j’ai un problème. C’est Gilles mon problème. Il est si gentil, si charmant, si drôle, si... Comment as-tu fait pour le quitter ? Comme ça. En dix jours ?

- Pas en dix jours. Je t’ai rencontrée le lundi. Je l’ai quitté le vendredi suivant. Cela fait cinq jours. Pas un de plus. Je ne prétends pas que ce fût facile. J’étais déchirée à l’idée de lui faire du mal. Mais je n’avais pas le choix. Il aurait souffert de toute façon. A partir du moment où je savais que je ne l’aimais plus, mais surtout que je t’aimais, je n’aurais jamais pu le rendre heureux comme il le mérite. Je l’ai quitté par respect pour lui et par amour pour toi. J’aurais dû te rencontrer il y a deux ans. Gilles ne serait pas devenu mon amant. Cela lui aurait évité toute cette peine inutile. Mais je n’aurais jamais imaginé que ton rival te plairait au point que tu prennes sa défense...

- Je ne le vois plus comme un rival. Il m’a fait tellement de peine quand nous avons parlé ensemble cet après-midi, en attendant ton retour. Il était si digne dans son désarroi. Il n’y avait aucune agressivité, aucune rancoeur dans ses propos. Il n’a pas prononcé un seul mot contre toi.

- Crois-tu que j’aurais envisagé de lier ma vie à la sienne si Gilles n’avait pas été cet être quasi parfait que tu as découvert aujourd’hui ?

- Je ne comprends pas que tu m’aies préférée...

- Parce que je t’aime, Virginie. L’amour, ça ne se comprend pas, ça ne s’explique pas, ça se vit. Voilà tout.


*


Samedi. Le jour du Jobmarket.

Céline et Virginie étaient dans la cuisine en train de préparer un solide petit déjeuner anglais à l’intention de Gilles. Pain toasté et marmelade, oeufs brouillés accompagnés de fines tranches de bacon grillées, coupelle de fruits frais coupés en morceaux, jus de pamplemousse rose, café, le jeune homme ayant le thé en horreur.

Gilles, rasé de frais, entra dans la cuisine, un délicieux parfum d’eau de toilette imprégnant ses vêtements.

- Vous êtes des anges doublés de cordons bleus ! Prenez garde ! Je pourrais prendre goût à vos charmantes attentions et prolonger mon séjour chez vous !

- Vous ne me croirez peut-être pas, mais je serais heureuse si vous restiez plus longtemps chez nous.

- Je vous crois Virginie. Mais je ne veux pas vous envahir. Et puis mes parents m’attendent. Une autre fois, je répondrai volontiers à votre invitation.

Après avoir fait honneur au festin matinal qu’avait préparé les deux jeunes femmes, Gilles se préparait à partir pour le Jobmarket. En enfilant son duffle-coat, il se tourna vers les deux jeunes femmes.

- Souhaitez-moi bonne chance ! La concurrence va être rude !

Céline lui caressa la joue sur laquelle elle déposa un léger baiser.

- Je penserai à vous toute la journée.

- Merci Virginie. A ce soir. Quel que soit le résultat de la journée, je vous invite au restaurant. Choisissez celui que vous voulez. Et n’hésitez pas quant au prix. J’ai réussi à arracher une jolie prime de départ à ma banque !

Gilles parti, Virginie replongea dans ses pensées.

- Il est incroyable de gentillesse. Je comprends mieux quand tu me disais que Gilles était le seul homme que tu n’aurais jamais voulu faire souffrir...

Céline s’apprêtait à répondre quand son téléphone sonna.

- Allo !? Camille !? Comment vas-tu ?... Virginie et moi ? Oui, tout va très bien... Oui, j’ai réfléchi à notre conversation... Oui, justement, je voulais t’en parler... Demain ?... Chez toi ?... A midi et demi ?... Maman et Papa seront là aussi... Très bien, nous y serons. A demain. Je t’embrasse.

Céline, se tournant vers Virginie en souriant doucement : - Tu vas pouvoir faire la connaissance de mon père. Camille nous invite à déjeuner chez elle demain. Avec Charles et Marie.

Fidèle à la promesse qu’elle avait faite à Charles, Virginie n’avait jamais dit à Céline qu’elle avait déjà rencontré son père, ni qu’il avait essayé de l’acheter pour qu’elle la quitte. Elle allait devoir feindre la surprise. Une nouvelle épreuve l’attendait.

Céline, qui savait tout par Camille mais qui n’avait pas trahi les confidences de la vieille dame, se demandait quelle comédie son père et son amante allaient lui jouer...


*


Céline et Virginie n’avaient pas cessé de penser à Gilles pendant toute la journée du samedi. L’une et l’autre éprouvaient un sentiment de culpabilité. Gilles n’avait pas mérité la rupture si brutale que Céline lui avait imposée.

Le soir, le jeune homme rentra. Sa bouteille de whisky l’attendait.

Gilles semblait content de sa journée. Elles étaient sur des charbons ardents. Elles avaient hâte de savoir si le jobmarket lui avait permis de trouver l’emploi tant désiré. Gilles prenait son temps, sirotait lentement son whisky, s’amusait de l‘impatience des filles. Finalement, Céline craqua la première.

- Gilles, je t’en prie. Dis-nous si ta journée s’est bien passée !

- Et bien oui. Pas trop mal. Je suis pratiquement embauché dans l’agence parisienne de Unibanco do Brasil, la première banque privée brésilienne. Elle se trouve Avenue Foch, dans le 8ème arrondissement. Vous allez bientôt m’avoir pour voisin les filles !

- C’est fabuleux. Mais comment ? Raconte-nous tout.

- Il y a peu de choses à dire. Mes diplômes, ma thèse de doctorat, et même mon expérience à la City de Londres, ont convaincu le chercheur de têtes que je pouvais faire l’affaire... Il n’y a qu’un seul petit problème. Je dois apprendre le portugais en accéléré. A ce propos, j’ai un petit service à vous demander. Vous pouvez refuser. Naturellement...

- Quoi que ce soit, c’est oui.

- Le chercheur de têtes brésilien ne parlait pas un mot de français. Il s’était fait accompagner d’un employé de l’agence qui, lui, parlait parfaitement notre langue. Je l’ai invité à dîner. Je crois qu’il a donné un petit coup de pouce pour que je sois embauché. Bien sûr si sa présence vous ennuie...

- C’est tout ? Mais il n’y a aucun problème. Je serai heureuse de le rencontrer.

Virginie ajouta : - Je serai ravie de faire sa connaissance.

- Merci. J’en étais sûr. J’ai dit à Eva que je l’appellerais dès que je connaîtrais l’adresse du restaurant que vous avez choisi.

Virginie, en souriant : - Eva ? C’est un prénom masculin au Brésil ?

- Non. Eva est une femme. Et ravissante, je dois dire. Oui c’est vrai qu’en vous parlant d’UN employé, vous pouviez penser qu’il s’agissait d’un homme. Céline, J’ai encore un petit service à te demander... C’est un peu gênant...

- Oui... Lequel ?

- Je préférais que tu ne lui dises pas que nous avons été fiancés et que tu as rompu nos fiançailles. Ce n’est pas une publicité très encourageante. Plus tard, quand elle saura à quel point je suis un garçon charmant, brillant, intelligent, cultivé... et un superbe amant, je lui dirai que nous avons failli nous marier... En attendant, j’aimerais que tu évites le sujet.

Céline en riant : - Pas de problème ! Et comment comptes-tu nous présenter, Virginie et moi ? Comme tes deux petites cousines tout droit sorties du Pensionnat des Oiseaux ?

- Non. Je lui ai dit une partie de la vérité. Vous êtes deux de mes amies. Vous êtes lesbiennes. Vous vous aimez. Vous vivez ensemble. Comme vous êtes toutes les deux magnifiques, elle n’aurait pas compris que je ne vous saute pas dessus... Ah, au fait, s’agissant d’Eva, chasse gardée ! Je l’ai vue le premier !


*


Eva était effectivement ravissante.

Métisse aux traits fins, aux longs cheveux crantés, il suffisait de la regarder pour imaginer la plage de Copacabana. Elle parlait avec l’accent des cariocas et, en l’écoutant, on croyait entendre Astrud Gilberto ou Elis Regina.

Ses parents habitaient Rio de Janeiro. Son père enseignait l’histoire au Lycée français Molière et lui avait donné la passion de Paris et de la France.

Jeune informaticienne de talent, parlant couramment le français, elle travaillait depuis plusieurs mois à l’agence parisienne d’Unibanco do Brasil où elle était chargée de repenser entièrement le service informatique.

Gilles semblait ne plus toucher terre.

Il avait été très fier d’entrer dans la salle du restaurant entouré de ces trois femmes superbes. Il avait vu l’envie dans les yeux des hommes qui l’entouraient, d’autant que Céline et Virginie évitaient d’avoir, l’une pour l’autre, les gestes de tendresse qui auraient pu l’humilier.

La soirée avait été charmante. Les quatre jeunes gens s’étaient merveilleusement entendus. Ils avaient échangés leurs coordonnées. S’étaient promis de se revoir dès que Gilles serait revenu de Bordeaux.

Eva avait invité Gilles, Céline et Virginie à venir à Rio pour le Carnaval. Ils seraient hébergés par ses parents qui possédaient une vaste maison dans le quartier “chicissime” d’Ipanema.

Après avoir dîné et fini la soirée dans une boîte de jazz, seule musique sur laquelle les quatre amis s’accordaient pleinement, ils avaient raccompagné Eva chez elle.

De retour au 8 rue Pierre Jeanneret, Céline et Virginie s’amusaient de voir le sourire accroché aux lèvres de Gilles et son regard pensif. Visiblement, si son corps était encore avec elles, ses pensées étaient ailleurs...

Grâce à la séduisante Eva, elles n’éprouvaient plus aucun sentiment de culpabilité.


*


Gilles et Céline étaient dans la cuisine où ils préparaient le petit déjeuner. Virginie était sortie chercher croissants et pain frais.

Elle pensait aussi qu’elle devait les laisser quelques minutes en tête à tête afin que les anciens fiancés aient une discussion.

- Gilles. Je voulais te dire... Je m’excuse pour la désinvolture avec laquelle je t’ai traité à Londres, il y a un mois. J’en éprouve des remords sincères...

- Non, Céline. Tu ne dois éprouver ni remords ni regrets. Virginie est quelqu’un de bien. L’amour, ça ne se commande pas. Mais on doit lui obéir. Je préfère mille fois que tu m’aies quitté pour quelqu’un que tu aimes. Si tu m’avais épousé malgré ton attirance pour Virginie, que serait devenu notre couple ? Un désastre. Un champ de ruines. Nous aurions tous souffert. Toutes les deux, ensemble, vous êtes heureuses. Je ne suis pas malheureux. Et je crois, depuis hier, que je peux être très heureux, moi aussi...

- Eva te plaît beaucoup n’est-ce pas ?

- Quelle perspicacité, Mademoiselle Frémont ! Mais oui, elle me plaît beaucoup. Et même plus que ça !

Au moment de partir, Gilles serra Céline contre lui.

- Sans rancune, ma belle. Quant à vous Virginie, prenez soin de ma petite Céline. Sinon, je reviendrai pour vous tirer les oreilles... Au revoir les filles. Je vous fais signe dès que je suis de retour à Paris.


*


A midi et demi, Céline et Virginie sonnaient à la porte de l’appartement de Camille.

Virginie était tendue. Céline était amusée.

Elle attendait avec une certaine impatience le numéro que Charles, comédien confirmé, allait lui jouer.

Elle savait que Virginie ne serait pas aussi à l’aise que son père. La franchise était l’une des qualités qu’elle préférait chez la jeune femme.

Quand elles pénétrèrent dans le salon, Charles et Marie étaient déjà là. Ils saluèrent Virginie. Marie s’approcha, hésita un moment puis serra Céline contre elle.

- Tu m’as tellement manqué, ma petite fille... Je ne veux plus qu’il y ait le moindre malentendu entre nous.

Charles s’approcha à son tour et enlaça sa fille.

- Moi aussi. Je ne suis peut-être qu’un vieil imbécile. Mais un vieil imbécile qui est capable de comprendre beaucoup de choses...


*


Au moment de partir, après ce déjeuner qui avait permis à chacun de faire la paix, Camille avait entraîné Céline à part.

- Tu as pris ta décision au sujet de mon projet ?

- Oui Camille. Je ne m’y oppose pas.

- Très bien. Je te remercie. J’ai une dernière chose à te demander. Je souhaiterais que ce soit toi qui en parle à Virginie.

- Moi ? Mais pourquoi ?

- Parce que j’ai besoin de son consentement. Si c’est moi qui le lui demande, elle se sentira piégée. Et elle n’osera pas me dire non. Avec toi, elle se sentira plus libre. Libre de refuser. Son consentement n’en aura que plus de prix.

- Bien, je ferai ce que tu me demandes.

- Je suis une vieille dame. N’attends pas trop longtemps.

- Tu es sûre de prendre la bonne décision ? Après tout tu connais Virginie depuis un mois à peine.

- Tu te trompes Céline, je connais Virginie depuis très, très, très longtemps...

En partant, Céline se demanda ce que cette phrase énigmatique pouvait bien vouloir dire.


*


Elles venaient de se coucher, Céline blottie dans les bras de Virginie.

- D’une certaine façon, je t’envie ta famille. Charles et Marie ont pris notre relation avec philosophie et une relative bonne humeur. Nous sommes à des années-lumière de la réaction de mon père.

- Tu me parles rarement de tes parents. Ta mère te manque ?

- Bien sûr. Je me dis parfois que les relations avec mon père auraient été plus faciles si elle avait été là. Ou peut-être pas. Je ne sais pas.

- Que penses-tu de Camille ?

- Elle, je l’adore ! Elle est si gentille. Avec elle, j’ai tout suite eu l’impression de faire partie de ta famille. D’être complètement acceptée. Même si Camille a des raisons personnelles pour approuver notre relation.

- Camille m’a demandée de te parler de quelque chose. D’un projet qu’elle a et qui te concerne...

- Un projet ? Quel projet ? Laisse-moi deviner. Elle veut me commander un tableau ?

- Tu ne devineras jamais.

- Mais en dehors de la peinture et de la photographie, je ne vois pas ce que je peux faire pour elle.

- Tu peux devenir sa fille... Camille veut t’adopter.

Virginie resta sans voix pendant quelques longues secondes.

- M’adopter ? Mais comment est-ce possible ?

- C’est possible puisque ta mère est décédée. Comme tu es majeure, il s’agirait d’une adoption simple et tu devras donner ton consentement. Un lien de filiation sera établi entre Camille et toi. Tu porteras son nom. Si tu acceptes, tu t’appelleras désormais Virginie Mirbeau-d’Uberville. D’Uberville est le nom de famille de Camille. Et évidemment, à sa mort, tu hériteras d’une fortune considérable...

- Mais comment a-t-elle eu une telle idée ? En si peu de temps ? Elle me connaît à peine...

- Camille se fie toujours à sa première impression. Ses sentiments sont instantanés, comme pour Lucy, comme pour moi. Elle t’aime énormément. Elle n’a jamais eu d’enfant. C’est le regret de sa vie. Avec toi, elle réalise, un peu, son rêve. Et elle m’a dit une chose étrange. Elle m’a dit qu’elle te connaissait depuis très, très, très longtemps...

- Mais je deviendrais ta tante. Si demain le mariage homosexuel était autorisé, cela constituerait un obstacle à notre union.

- Nous n’en sommes pas encore là ! Mais ça ne serait pas un obstacle si nous étions un homme et une femme. Je ne crois pas qu’il y aura une différence pour les gays. Tu es libre de refuser. Rien ne peut se faire sans ton consentement. Mais sache que je serais heureuse que tu fasses partie de ma famille. Et tu ferais une joie immense à une très vieille dame.

- Mon père sera furieux si j’accepte.

- Je crois que, jusqu’à présent, tu t’es passée de son autorisation pour vivre ta vie comme tu l’entendais.

- Je ne voudrais pas que tu crois que je suis avec toi par intérêt...

- Virginie, je ne l’ai jamais cru. Et d’ailleurs, quand tu seras la fille adoptive de Camille, c’est à moi que tu pourras faire ce reproche. Sa fortune te donnera une liberté totale. Tu pourras multiplier les aventures et dépasser ce chiffre de quarante et une conquêtes sur lequel ton compteur est bloqué depuis un mois...

- Si cela ne dépendait que de moi, mon compteur, comme tu dis, resterait, à jamais, bloqué sur le chiffre 41...

- Je ferai ce qu’il faut pour ça... Je sais que l’argent ne t’intéresse pas. Camille était au courant pour la tentative de corruption de mon père. Les deux cent mille euros. Ton refus de me quitter. Ta promesse faite à Papa de ne rien me dire. Elle m’a tout raconté... Quelle est ta décision au sujet de ton adoption par Camille ?

- Je ne sais pas quoi dire. Je suis à la fois heureuse et épouvantée. Heureuse d’être aimée à ce point et épouvantée à l’idée de ne pas être à la hauteur de cet amour.

- Tu l’es Virginie. Tu es à la hauteur. Tout le monde dit la même chose de toi. Camille, Papa, Maman et même Gilles, ce matin. Que tu es quelqu’un de bien. Alors, accepte cette adoption. La fortune et le nom de Camille seront dans de bonnes mains. Et puis, je t’aiderai à porter ce nom et à dépenser cette fortune...


*


Virginie ne parvenait pas à s’endormir. Trop d’émotions, trop d’événements.

Elle se disait que, depuis qu’elle avait rencontré Céline, elle n’avait pas eu une seule nuit qui ne soit remplie d’amour ou de chagrin.
De chagrin quand elle croyait l’avoir perdue. D’amour depuis qu’elles s’étaient connues puis retrouvées.
Avec Céline, il n’y avait jamais de sentiments tièdes.
Ce qu’elle vivait avec elle était presque trop beau. La réalité ne pouvait pas être aussi belle. C’était irréel.


*


Elle se tourna vers son amante, qui dormait paisiblement, nue, couchée sur le côté, déposa sur son épaule un baiser qui la réveilla.

- Oui........? murmura Céline, encore à moitié endormie.

- Rien. J’avais simplement besoin de vérifier que tu existais vraiment.

- Je ne te l’ai pas suffisamment prouvé tout à l’heure ? faisant ainsi allusion à leurs ébats amoureux.

- Tu as raison. Je suis idiote. Rendors-toi.

Céline se blottit contre elle et se rendormit.

Avant de s’endormir à son tour, Virginie pensa qu’elle avait, en quelques semaines, connu avec Céline toutes les étapes d’une relation à la fois passionnée et apaisée.

Amies... Amantes... Parentes...



FIN





Vous pouvez lire la suite des aventures de
Céline et Virginie
 dans un autre récit,
La Vierge de Noël

9 commentaires:

  1. Merci beaucoup gustave de continuer ton écrit, j'adore !

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  2. Hey ^^ Ici Ninie =)

    Merci énormément Gustave ! ! Je suis toujours aussi addict à ta manière d'écrire, le déroulement de ton histoire ainsi que tes références qui nous font découvrir quelque peu la ville, le pays et donc nous font voyager ^^

    Bravo

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  3. Kikou ^^ C'est Ninie =)

    J'adore toujours autant xD Et depuis la phrase de Camille :
    - Tu te trompes Céline, je connais Virginie depuis très, très, très longtemps...

    Je me demande si Vi ne serait pas la fille que l'ancienne amante de Camille a eu avec son mari ?

    Je crois que c'est cherché loin mais c'est plausible MDR

    Voilou, encore merci pour cette suite Gustave, à bientôt ^^

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  4. Virginie ne peut pas être la fille de Lucy car elle a 25 ans en 2008. Elle est donc née en 1983 alors que Lucy est décédée en 1978. En fait, cette phrase énigmatique fait référence au PORTRAIT de Louis et d’Alice. Louis et Alice sont les sosies de Céline et de Virginie. C’est la raison pour laquelle, Camille a l’impression de connaître Virginie depuis toujours.

    Mais bravo pour l’idée.

    Je veux vous dire que je vous remercie du fond du coeur de m’avoir suivie sur mon blog. Merci, merci, merci. Cela me donne encore plus envie d’écrire.

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  5. Ah ok xD Je me suis plantée MDR

    Moi qui suis fan de tes écrits, je te suivrais sur n'importe quel site ^^

    (Heureuse que tu es encore plus envie d'écrire =) ! !

    Ninie

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  6. Hey (C'est Ninie xD)

    J'ai fais une tite créa pour ton blog, je te l'envoie sur ton mail sur le forum de C&V ^^

    Tu n'es pas du tout obligée d'accepter, c'est juste que j'avais envie MDR

    Voilou =)

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  7. C'est un plaisir, tous les jours renouvelé de te lire(en "avant première"!) sur ce blog; tout est réuni dans tes récits, l'émotion, la passion, le suspens et les références historiques !

    Encore mille merci pour tous ces beaux moments...

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  8. C'était SPLENDIDE Gustave ! !

    Merci, merci et encore merci ^^

    J'ai vraiment adoré ;-)

    Vivement que tu débutes une new über ! !

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  9. (Euh... C'était Ninie xD)

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