UN MORT EN CE JARDIN


Ce nouveau récit est la suite de Dix Jours, Insomnies, Parents Amies Amants, la Vierge de Noël. Il est préférable d’avoir tous ces récits pour comprendre :
Un mort en ce jardin
En ce dimanche du mois de janvier, la neige tombait à gros flocons sur Paris. Une neige surprenante, inattendue. Une neige comme il n’en était plus tombée sur la ville depuis des années. Une neige digne des pays scandinaves ou de la Sibérie. Une neige pour les pays de montagnes ou les déserts blancs.

Sur tout et partout, ce n’était que blancheur immaculée.

On avait l’impression qu’une main géante avait jeté sur les rues, les maisons, les statues, les ponts et les arbres, un épais et gigantesque drap de laine.

La neige tombait sur Paris, enveloppant la ville sous le silence.

Céline et Virginie reprenaient leur souffle. Elles s’étaient aimées avec cette passion dévorante qui les habitait depuis qu’elles s’étaient rencontrées et qui les laissait nues, épuisées, le coeur battant, la peau moite, de fines gouttes de sueur perlant entre leurs seins.

A chaque fois, elles faisaient l’amour comme si elles ne devaient plus se revoir. Et les draps du lit défait témoignaient, par leurs froissements, de l’intensité de leur étreinte.

Quelques heures plus tôt, elles avaient déjeuné d’un léger brunch.

Puis Céline s’était retirée dans la bibliothèque, qui leur servait aussi de bureau. Elle s’était mise à travailler, sur son ordinateur, à l’élaboration du catalogue de la vente Laurent Saint-Yves. Elle rédigeait les articles destinés à présenter les objets qui seraient dispersés au cours de ce qui s’annonçait, déjà, comme le grand rendez-vous mondain de ce début d’année.

Virginie était au seuil de la pièce et la regardait, subjuguée. Elle sentait ce besoin irrésistible monter en elle. Elle se mordait les lèvres pour ne pas crier son désir.

Céline avait senti, sur sa peau, la brûlure de son regard. Elle avait tourné les yeux vers son amante et, un léger sourire sur les lèvres, l’avait interrogée.
- Virginie, tu as besoin de quelque chose ?
- Non, non... Je ne veux pas te déranger...
- Tu ne me déranges pas. Que veux-tu ?
- Je te veux. Toi.
- Tu me veux ? Moi ? “C’est un peu court, jeune homme ; on pourrait dire, bien des choses en somme”...
- Tu te moques de moi. Je ne suis pas Cyrano de Bergerac. Je ne suis pas capable de faire des phrases...
- Mais si tu l’es, Virginie. Je suis sûre que tu peux me parler de telle façon que je m’enflamme comme de la paille...
- Céline. Tu sais très bien ce que je ressens...
- Dis-le moi. Je veux que tu me le dises... Approche... Viens là... Près de moi...
Virginie, obéissante, s’approcha, le regard implorant.

- Je t’écoute...
- Céline, je t’en prie...
- Les mots, c’est aussi très excitant... Excite-moi Virginie. Parle à mon désir...
Céline avait saisi Virginie par les hanches et la maintenait contre elle. Elle la regarda dans les yeux et se mit à chuchoter, les lèvres au plus près de sa bouche.

- Regarde-moi, Virginie. Tu ne dois pas avoir honte de ces sensations qui font trembler ton corps contre le mien...
Céline embrasse Virginie. Un court baiser de quelques secondes. Puis elle détache ses lèvres des lèvres de son amante.
- Tu ne dois pas avoir honte de vouloir ce que tu veux. De le demander et de le dire. Même avec des mots crus... Des mots interdits qui vont nous faire rougir mais qui seront comme nos premières caresses...

Elle l’embrasse à nouveau. Quelques secondes qui font gémir Virginie qui s’abandonne contre elle.
- Tu n’oses pas ? Très bien, alors je vais tirer les premières salves... J’ai envie de toi, Virginie. J’ai envie de ta peau contre la mienne, de tes seins, de ton ventre...

Céline s’interrompt et picore ses lèvres par une succession de petits baisers.
- Je veux faire glisser doucement mes paumes sur tes cuisses, sur tes reins, puis saisir tes fesses dans les coupes de mes mains. J’ai envie de te goûter. De déguster ce fruit que tu m’offres...
- Céline, Céline...
- Je veux te faire gémir. Je vais te dire ce que je vais te faire... Je vais ouvrir ton jean, un bouton après l’autre, et je vais te le retirer, doucement, en frôlant ta peau... Je vais glisser mes doigts sous la dentelle de ton slip et ôter cet ultime obstacle à ma faim...
Ses lèvres glissent le long des joues de Virginie et reviennent sur sa bouche où elles se posent quelques secondes.
- Je vais te caresser jusqu’à ce que tu t’ouvres et je vais m’introduire en toi. Et moi, esclave de ton plaisir, je te donnerai ton premier orgasme. Et quand tu seras là, pantelante entre mes bras, je vais t’emporter vers notre couche où je vais encore te faire l’amour...
Un nouveau baiser, si léger.
- Mes lèvres vont caresser tes épaules et tes aisselles. Ma langue va agacer ta poitrine et ton ventre. Elle va jouer avec ton nombril. Je vais ramper jusqu’à ton sexe... Je vais respirer ton odeur...
Leurs lèvres se joignent, à nouveau, puis se quittent.
- Tu ouvriras tes cuisses pour que je puisse mieux te prendre... Mes doigts vont caresser ta chaleur humide et ma bouche va se sceller à tes lèvres gonflées. Je vais lécher ta liqueur, sucer ta perle. Encore, encore et encore. Et toi, impérieuse, tu me soumettras à ton plaisir. Je vais t’aimer jusqu’à ce que tu jouisses...
Envoûtée par ces mots murmurés à son oreille comme une tendre mélopée, Virginie ne pouvait pas empêcher les ondulations de son corps contre celui de Céline. Elle renversa la tête en arrière et laissa son amante dévorer sa gorge. Elle posa ses bras autour de son cou, noua ses jambes autour de ses reins et se laissa emporter vers le lit de repos qui se trouvait dans son atelier...

Sur les étagères de la bibliothèque que les deux amantes venaient de quitter, on pouvait voir un livre, Hitchcock-Truffaut, Edition définitive, et un dvd, Les Enchaînés avec Ingrid Bergman et Cary Grant...


*


Céline et Virginie reprenaient leur souffle.

Elles étaient allongées sur le lit de repos installé dans l’atelier de Virginie.

Là, au milieu des toiles, des chevalets et de tout le bric-à-brac indispensable aux artistes peintres, elles s’étaient aimées.

Virginie, couchée contre le corps de son amante, tourna la tête vers la baie vitrée qui s’élevait sur toute la hauteur de la pièce. Elle vit la neige tomber à gros flocons. Elle se leva aussitôt.

- Céline, il neige !
- En janvier cela n’a rien d’exceptionnel Virginie...
- Une neige pareille, aussi dense ? Tu plaisantes : ça n’a pas dû arriver depuis des décennies. Il faut que je sorte pour en profiter...
- Pour en profiter ? Qu’as-tu l’intention de faire ? Un bonhomme dans le jardin ? Une bataille de boules de neige ?
- Que tu es bête ! Mais non, un magazine de décoration m’a  commandé un reportage photo sur les jardins de Paris. Je vais prendre des photos des Jardins des Tuileries et du Carrousel sous la neige. Tu viens avec moi ?
- Mais on est si bien ! On ne pourrait pas y aller dans une heure ou deux ?
- Je veux profiter de cette lumière et puis dans une heure ou deux, la neige aura fondu ou aura été tellement piétinée que cela ne rendra plus le même effet. Viens...
- Mais il neige tellement que les rues vont être bloquées. On ne pourra jamais passer...
- Et le métro ? Tu le prends tous les jours pour aller travailler chez Sophie’s...
- Virginiiiiiiiiiiie. Il y a tellement mieux à faire que de  prendre des photos sous la neige...
- Céline. Je dois faire ces photos. Je l’ai promis à la rédactrice en chef du magazine. A notre retour, je m’occuperai de toi et uniquement de toi...
- Alors dans ces conditions, je t’accompagne.
Les deux jeunes femmes se précipitèrent sous la douche et s’habillèrent rapidement. Trente minutes plus tard elles sortaient du métro à la station Concorde.

*

Elles embrassèrent du regard la plus grande place de Paris. Elles ressentirent ce sentiment qu’elles éprouvaient toujours dans les lieux magiques de la capitale. La fierté d’être Parisiennes. D’être des privilégiées vivant dans la plus belle ville du monde que des armées d’architectes et d’artisans avaient façonnée au cours des siècles.

Elles virent la Tour Effeil au loin, l’Assemblée Nationale, l’Obélisque de la Concorde, l’Hôtel de Crillon et le ministère de la Marine.

Elles pénétrèrent dans le Jardin des Tuileries au pied du Jeu de Paume.

Virginie avait préparé son appareil photo numérique. Un Leica, bijou de technologie allemande et cadeau de Céline pour Noël. Elle commença à shooter le jardin des Tuileries, multipliant les prises.

Le Jardin était féerique sous la neige épaisse qui continuait à tomber. Inexorablement. Les fauteuils “luxembourg”, les bancs de pierre, les arbres, les buissons, les statues de ce musée en plein air avaient tous une apparence fantomatique.

Il y avait très peu de monde. La plupart des touristes s’étaient réfugiés dans les nombreux musées qui parsèment les rues, le Louvre, tout proche, Orsay, l’Orangerie, les Arts décoratifs. D’autres avaient préféré les cafés, notamment Angelina, le salon de thé de la rue de Rivoli, célèbre pour son chocolat chaud.

Céline et Virginie avançaient lentement dans le Jardin. Empruntant l’allée centrale, elles parcoururent le Grand Couvert dont les arbres étaient comme pétrifiés sous la neige. Traversant le chemin de Diane, elles gagnèrent le Grand Carré et contournèrent le bassin encerclé par un ensemble de statues du XIXème siècle.

Virginie photographiait sans discontinuer les Jardins endormis sous leur manteau blanc, les statues de colosses musclés, les vénus nues, les perspectives fabuleuses, les toits enneigés du Louvre.

Céline remarqua, avec un petit sourire, que son amie la photographiait également. Beaucoup. Mais elle ne dit rien. Elle laissa faire l’artiste et continua à marcher, seule, sous l’objectif de son amante.

Empruntant les escaliers de la terrasse, elles gagnèrent le Jardin du Carrousel où Virginie photographia les dix-neuf statues d’Auguste Maillol dispersées sur les pelouses au milieu des hauts bosquets.

Elles s’approchaient de l’ensemble appelé les Trois Grâces, lorsque Virginie poussa un cri.

Au pied de la statue des trois jeunes femmes nues, un corps gisait, couché sur la neige fraîche.

L’homme, âgé, avait les yeux grands ouverts.

Une affreuse grimace déformait son visage.

*

Une heure plus tard, Céline et Virginie avaient traversé la Seine et se trouvaient au 36 Quai des Orfèvres où un lieutenant de Police de la Brigade criminelle recevait leur déposition.

Virginie avait demandé à Céline de ne pas parler des nombreuses photographies qu’elle avait prises. Elle était prête à les remettre à la police mais après en avoir fait une copie pour elle-même. Elle s’était engagée à fournir un reportage. Elle voulait tenir sa promesse.

Elles firent une déclaration commune. Elles étaient venues dans les Jardins pour profiter de leur atmosphère si particulière sous la neige, avec l’intention ensuite de visiter le Louvre et enfin de prendre une boisson chaude au café Marly, installé au rez-de-chaussée de l’une des ailes du musée, sur la cour Napoléon.

Elles avaient découvert le corps et avaient immédiatement appelé les pompiers en utilisant leur téléphone portable. En attendant les secours, elles ne l’avaient pas quitté des yeux.

Elles n’avaient prodigué aucun soin, car il était clair que l’homme était mort.

Dans le froid glacé, aucune buée ne sortait de ses lèvres.

*

Après avoir signé leur déposition et laissé une adresse où les joindre, Céline et Virginie avait regagné leur maison.

Virginie avait immédiatement allumé un feu dans la cheminée du salon. Céline s’était installée dans l’un des canapés, un plaid sur les genoux, pendant que sa compagne préparait un chocolat chaud dans lequel elle versa quelques épices.

Quand Virginie entra dans la pièces avec le plateau sur lequel elle avait posé deux tasses et une chocolatière fumante, elle vit que Céline était plongée dans ses pensées et fixait, sans le voir, le feu qui crépitait.

- Céline. Il ne faut plus y penser. C’était terrible. Mais nous ne pouvions rien faire. Cet homme devait être un SDF qui sera mort de froid...

- Tu connais beaucoup de SDF qui portent des manteaux en cachemire de plus de 3.000 euros ?
- Tu en est sûre ?
- Il avait le genre de manteau que porte mon père. Je suis sûre de ne pas me tromper. Je suis sûre aussi qu’il n’est pas mort de froid mais d’un arrêt cardiaque. C’est d’ailleurs, ce que les pompiers ont laissé entendre.
- C’est vrai. Mais les pompiers ont aussi dit qu’un arrêt cardiaque pouvait être provoqué par un froid intense.
- Virginie, quand j’étais en fac de droit à Panthéon-Assas, j’avais un copain médecin qui finissait son internat aux Hôpitaux de Paris...
- Un copain ?
- D’accord. Un amant, si tu préfères...
- Je ne préfère pas ! Vraiment pas !
Céline, en soupirant : Virginie, ma chérie, ce n’est pas le moment de me faire une scène pour une histoire vieille de quatre ans...
- Mais c’est toi qui m’en parles !!!
- Je t’en parle parce que ça concerne notre inconnu du Carrousel.
- Bon, excuse-moi... Je t’écoute...
- Ce... copain m’avait dit que les arrêts cardiaques étaient une des formes les plus courantes de mortalité sur la voie publique et que les défunts conservaient l’expression qu’ils avaient au moment où la mort les saisit. Il y a des morts paisibles, des morts souriants, des morts effrayés. Tu te souviens de l’expression de notre inconnu ?
- C’était horrible... Il avait les yeux grand ouverts et un rictus déformait son visage. Il semblait terrorisé.
- Oui. Je crois qu’il est mort de peur...
- Mais le jardin était si paisible sous la neige. Il n’y avait rien d’effrayant au point d’en mourir...
- Rien que nous n’ayons vu. Mais il devait y avoir quelque chose. Quelque chose qui l’a effrayé au point d’en mourir...
- Oui, mais quoi ?
- C’est ce que je te propose de découvrir. Et nous sommes les seules à pouvoir le faire...
*
Virginie écoutait la démonstration de Céline avec étonnement.
- Pourquoi serions-nous les seules ?
- Parce que nous avons découvert notre inconnu immédiatement après qu’il ait été effrayé.
- Comment le sais-tu ?
- Parce qu’il venait de tomber au sol. Sinon son corps aurait été recouvert d’un épais manteau de neige. Or, il n’en était rien, à part quelques flocons...
- Mais je n’ai rien vu. Ni personne. Je n’ai rien entendu.
- Moi non plus. Par contre, tu as sans doute photographié quelque chose...
- Mes photos ? Tu crois que...
- Virginie. Tu as littéralement mitraillé les jardins, sous tous les angles. Je suis sûre que ton appareil a capté quelque chose.
- Tu dois avoir raison. Je t’avoue que j’y avais déjà pensé. C’est pourquoi je veux faire une copie de la carte mémoire de mon Leica pour la Police. Il suffira de visionner les photos et nous trouverons peut être un indice.
Céline retourna dans la bibliothèque. Elle posa le plateau, avec tasses et chocolat, sur le bureau.

Virginie la rejoignit quelques minutes plus tard, son Leica à la main. Elle le relia à l’ordinateur iMac au moyen d’un câble USB. Immédiatement l’ordinateur reconnut le Leica et ouvrit le dossier qu’il lui avait attribué. Dans ce dossier, apparut l‘icône de la carte mémoire.

Virginie introduisit un DVD+R dans l’ordinateur. Une nouvelle icône apparut sur l’écran. Elle fit glisser l’icône de la carte mémoire sur celle du DVD+R. Sur cette seule indication, l’ordinateur se mit à copier le contenu de la carte mémoire sur le DVD+R.

Puis elle ouvrit le disque dur de l’ordinateur en cliquant sur son icône. En deux clics, elle créa un nouveau dossier qu’elle intitula “Un mort en ce Jardin”.

Puis elle fit glisser l’icône de la carte mémoire sur celle du  dossier. Le contenu de la carte fut immédiatement copié sur le disque dur. Elle débrancha le Leica de l’ordinateur.

- Virginie pourquoi appelles-tu ce dossier “Un mort en ce Jardin” ?
- C’est par référence à un film de Luis Bunuel “La mort en ce jardin”, avec Simone Signoret et Michel Piccoli.
- Oui, je me souviens avoir vu ce film dans une salle d’Art et d’Essai du Quartier Latin quand j’étais étudiante. Mais tous les personnages mouraient si je me souviens bien. C’est plutôt de mauvais augure...
- C’est pourquoi j’ai changé le LA en UN. En espérant qu’il restera unique...
- Sage précaution. J’espère qu’elle suffira...
*
D’un seul clic, Virginie ouvrit le dossier. L’écran de l’iMac se couvrit de photos en réduction de la taille d’un demi timbre poste.

Il y en avait des centaines. En une heure de promenade, Virginie avait effectivement mitraillé les Jardins des Tuileries et du Carrousel.

Mais ses photos étaient excellentes. Les jeux de la lumière,  des ombres et des formes faisaient transparaître la magie des jardins sous la neige. Virginie, utilisant les étonnantes possibilités techniques de son appareil numérique, avait pris des photos en couleurs, en noir et blanc, et même quelques unes en sépia.

D’un seul coup d’oeil, elles purent éliminer celles qui n’apporteraient rien à leur enquête. Celles, nombreuses, qui représentaient Céline.
- Je croyais que ton reportage était destiné à un magazine de décoration. Ces multiples photos de moi étaient bien inutiles...
- Si cela était possible, je passerais mon temps à de photographier ou à te peindre...
- Tu finirais par t’en lasser, Virginie... On finit toujours par se lasser de tout...
- Je ne pourrai jamais me lasser de toi. Je le sais...
- Si nous revenions à notre enquête ?
- Tu disais tout à l’heure qu’il y a avait mieux à faire...
- Nous le ferons, Virginie, nous le ferons... Mais cette histoire me trotte dans la tête. Je voudrais d’abord vérifier si tu as capturé un indice en prenant tes photos.
- Je pense que nous devons d’abord examiner les photos prises dans le Jardin du Carrousel autour des statues de Maillol, là où nous avons découvert le corps de notre inconnu. Au fait, ce serait pratique de connaître son nom... Nous le trouverons peut être dans les journaux de demain...
- S’il ne s’agit que d’un arrêt cardiaque sur la voie publique, je doute que les journaux se donnent la peine d’en parler. Et s’ils le font, ils ne donneront pas son nom. Mais  il y a un moyen de le connaître.
- Lequel ?
- Tout d’abord en questionnant le lieutenant de Police qui nous a interrogées...
- Oui, j’ai remarqué qu’il te regardait avec des yeux... J’ai bien vu qu’il ne pourrait rien te refuser... Et ensuite...
- J’ai un ancien copain de fac qui est devenu Substitut du Procureur de la République de Paris...
- Encore un copain !!! Un ancien amant, je présume ???
- Non. Juste un copain. Bon d’accord, il aurait aimé que nous allions plus loin...
- Je ne suis pas certaine d’avoir envie de poursuivre une enquête qui va t’obliger à revoir tes anciens copains ou amants...
- Virginie, Tu me serviras de garde du corps. Je suis sûre que tu seras parfaite en cerbère de la porte... On continue ?
Virginie sélectionna les photos du jardin du Carrousel. Elle les agrandit et les deux jeunes femmes les regardèrent attentivement. Mais aucun détail suspect n’apparaissait.

- Sélectionne les photos que tu as prises autour des Trois Grâces.
- C’est quand même curieux la présence de ces statues nues dans ce Jardin...
- C’est une volonté commune d’André Malraux, alors Ministre de la Culture et de Dina Vierny qui fut la muse et le modèle du sculpteur Aristide Maillol. Elle posa également pour Matisse, Bonnard, Dufy. Elle a fait don à l’Etat français des statues de Maillol qui la représentent et qui ont été installées à Paris dans le Jardin du Carrousel. Elle a créé, toujours à Paris, le musée Maillol. Pendant la seconde guerre mondiale, elle s’est illustrée dans la Résistance, notamment en aidant des personnes recherchées par l’occupant allemand à fuir en passant par les Pyrénées.
- Quelle vie !
- Dina Vierny est née en 1919 à Chisinau en Moldavie. Avant d’obtenir la nationalité française, elle était Moldave.
*
Les deux jeunes femmes se penchèrent de nouveau sur l’écran de l’ordinateur. Céline eut une idée.

- Avant de mourir, notre inconnu a vu quelque chose. Essaie de retrouver les photos sur lesquelles il apparaît.
Virginie sélectionna les clichés qu’elle avait pris autour du groupe des Trois Grâces. Elle les agrandit au maximum de façon à ce que chacun d’eux recouvre la totalité de l’écran de son iMac.

Tout à coup, l’inconnu du Carrousel apparut sur l’une des photographies. Puis sur une autre. Et encore une autre. Virginie exulta.
- Gagné ! Le voilà !
- Oui. C’est bien lui.
- Cela ne nous avance pas beaucoup. A part lui, il n’y a rien.
- Agrandis encore les photos.
Virginie obtempéra et agrandit la partie de chaque photographie où apparaissait l’inconnu.
- Bien. Maintenant examinons chaque cliché.
La scène était macabre. Virginie, obnubilée par les statues de Maillol, avait, sans en rendre compte, photographié la mort de l’inconnu.

Chacun des clichés, mis bout à bout, était comme un fragment de sa mort filmée en plan-séquence. On le voyait saisi d’effroi, porter la main à son coeur, se crisper, puis tomber au sol où son corps s’affaissa dans une posture grotesque.
- Céline, tout cela ne nous apporte rien de plus. Il n’y a toujours rien en dehors de ce décès atroce.
- Essaie de retrouver les photos prises au moment où il est encore debout. Au moment précis où il découvre ce qui va l’effrayer et le tuer.
Virginie fit un retour en arrière. Elle sélectionna les photographies où l’on voyait l’homme marcher vers sa mort, debout, les mains enfoncées dans les poches de son manteau, le dos rond, luttant contre le froid et la neige.
- Là. cette photo là. Agrandis-là. Agrandis son visage au maximum. Concentre-toi sur son regard.
Une nouvelle photo apparut sur l’écran de l’ordinateur. Virginie zooma sur le visage de l’inconnu.

- Très bien Virginie. Il regarde un point hors champ. Un point qui n’est pas sur la photo.
- Il regarde en direction des buissons qui entourent les statues de Maillol comme des murs.
- As-tu un cliché de ces buissons ?
- Je crois, oui.
Virginie retrouva la photographie sur laquelle apparaissaient les buissons et repéra le point où se portait le regard de l’inconnu. Elle agrandit ce point plusieurs fois.

Les deux jeunes femmes poussèrent un cri de surprise.

Sous l’effet de l’agrandissement, le cliché délivra son mystère.

A moitié caché par un buisson, apparut le visage d'un homme  qui tenait un revolver.

*

Le chocolat avait tiédi dans les tasses sans que les deux jeunes femmes songent à le boire.

- Céline, il faut aller à la Police pour lui montrer les photos et ce que nous avons découvert.
- Mais nous n’avons rien découvert Virginie. L’agrandissement est inexploitable. On devine un visage mais il est si flou qu’il est impossible d’identifier quelqu’un.
- Mais tu vois bien qu’il tient une arme !
- Un arme ? ça peut tout aussi bien être la poignée d’un parapluie. Je te rappelle que notre inconnu est mort d’un arrêt cardiaque. Il n’a pas été révolvérisé.
- Tu es d’avis de ne rien faire alors qu’un homme est mort de peur ?
- Non bien sûr. Mais je crois qu’il faut être prudente avant de lancer la Police sur de fausses pistes. Elle a suffisamment à faire par ailleurs.

- Mais c’est la Brigade criminelle qui nous a interrogées. C’est donc que la Police a des soupçons.
- Je crois surtout que nous avons été auditionnées au 36 Quai des Orfèvres parce que c’était à cinq minutes du Jardin du Carrousel.
- Que proposes-tu ?
- Il faut d’abord identifier notre inconnu...
- Donc prendre contact avec le lieutenant de Police qui te mangeait des yeux ou ton copain substitut à qui tu as laissé des regrets...
- Virginie, ma chérie. Je ne ferai rien sans toi. Tu pourras me suivre partout comme mon ombre...
- Je le ferai !
- Mais tu pourrais aussi me faire confiance. Je crois t’avoir donné suffisamment de preuves de mon amour. En Normandie, il y a quelques jours à peine...
- Céline, je n’oublie pas. Et tu sais comme j’ai eu peur de t’avoir perdue. Mais, si notre inconnu a bien été victime d’un meurtre, notre enquête peut se révéler très dangereuse. Je ne veux plus que tu prennes de risques...
- Tu ne veux pas que je prenne le risque de rencontrer un homme charmant. Bien. Alors voilà ce que je te propose. C’est toi qui va aller voir demain notre lieutenant de Police. En attendant, éteins cet ordinateur. Tu avais bien dit tout à l’heure que tu allais t’occuper de moi...
*
Le lendemain, lundi, Virginie attendait dans les locaux du 36 Quai des Orfèvres. Au bout de quelques minutes d’attente, le jeune lieutenant apparu, tout sourire.

- Bonjour, je peux faire quelque chose pour vous ? Un autre cadavre à ramasser sur la voie publique ?
- Non, non. Je venais pour notre inconnu du Carrousel. Je voulais savoir si vous aviez découvert son nom.
- Bien sûr, c’était même très facile. Il avait ses papiers d’identité sur lui. Vous voulez le connaître ?
- Et bien, Céline et moi pensions aller à ses obsèques, mentit Virginie.
- Entrez dans mon bureau. Je vous demande une seconde. Le temps de retrouver le procès-verbal. Voilà. Votre inconnu s’appelle René Ourbaix, 78 ans, antiquaire en retraite, demeurant à Paris, rue de Rivoli.
- Merci. Vous allez procéder à une autopsie ?
- Une autopsie ? Pour un simple arrêt du coeur ? Vous regardez trop de films policiers, Mademoiselle. Hier, nous avons interrogé le substitut de permanence. Il nous a dit que c’était inutile. Le corps a été remis à sa famille.
- Très bien, je vous remercie. Je ne vais pas vous déranger plus longtemps. Je vous laisse.
- Un instant ! J’aimerais vous poser une question à mon tour. Mademoiselle Frémont et vous êtes cousines, amies, colocataires ? Vous avez la même adresse mais pas le même nom.
- Non. Rien de tout cela.
Virginie vit un grand sourire s’épanouir sur le visage du Policier.
- Céline est ma compagne.
Le sourire s’éteignit aussitôt.

*

- Pourquoi as-tu éprouvé le besoin de lui dire que nous étions amantes ?
- C’est lui qui m’a posé la question. Je n’avais aucune raison de lui mentir.
- Tu pouvais être évasive. Lui dire que nous étions colocataires.
- Je ne comprends pas. Il sait pour nous deux. Quelle importance ?
- Cela importe pour notre enquête. Il va se montrer beaucoup moins coopératif, je le crains. Bon, il nous reste toujours François...
- François. C’est ton substitut, n’est-ce pas ?
- Non Virginie. Ce n’est pas MON substitut. C’est un copain de fac qui est devenu magistrat et qui pourra sans doute nous aider. Cesse d’être jalouse !
- Si tu crois que c’est facile ! Tous les hommes te regardent avec de tels yeux !
- Les hommes et les femmes comme toi recherchez les mêmes maîtresses. Jeunes, jolies et sexy. Il est normal que vous soyez rivaux. Mais je peux m’enlaidir si tu préfères.
- Mais non !
- Alors tu vas devoir t’accommoder du regard des autres. Comme l’ont fait tous mes amants avant toi, avec plus ou moins de patience. Comme l’a fait Gilles.
- Gilles parlons-en ! Il file le parfait amour avec Eva ! Ils sont allés à Rio pour les fêtes. Tu sais ce qu’il m’a dit quand nous nous sommes rencontrés la première fois ?
- Non. Tu ne me l’as jamais dit.
- Gilles m’a dit qu’il ne m’enviait pas car je n’allais pas rire tous les jours. Que tu était très belle. Que tu plaisais énormément et que j’allais être en concurrence avec la moitié de l’univers !
- Te voilà prévenue ! Et cela ne te décourage pas ?
- Non. Je t’aime tellement que je suis prête à me battre contre la moitié de l’univers !
- Tu n’auras pas à le faire Virginie. Car je t’aime.
Et là, dans ce bar à tapas qui était devenu leur cantine depuis que Céline travaillait chez Sophie’s, elle se pencha au dessus de la table et, doucement, déposa un baiser sur les lèvres de Virginie.

*

Le baiser n’avait pas échappé aux personnes assises aux tables voisines. Céline assumait avec un sourire. Virginie était gênée.

- Céline, tu ne devrais pas avoir ce genre d’attitude en public.
- Tu n’as pas apprécié ? Tu n’aimes pas ma façon d’embrasser ?
- Si, bien sûr. Mais je pense à toi. Nous sommes à deux pas de ton lieu de travail. Si tes collègues te voyaient...
- Ils penseraient que j’ai de la chance car j’ai une très belle maîtresse. Et ils se mettraient tous à fantasmer.
- Tu es incorrigible ! Tu as tellement l’habitude d’être admirée que tu ne te rends pas compte que le regard des autres peut être méprisant.
- Le regard des autres est d’autant plus méprisant que l’on a honte de ce que l’on est ou de ce que l’on a fait. Avant de devenir la star que tout le monde connaît, Marilyn Monroe avait posé pour un photographe, nue, allongée sur un drap rouge. Les photos étaient destinées à un calendrier pour camionneurs. Un jour, les photos sont sorties dans les journaux. Lors d’une conférence de presse, un journaliste lui a dit que ces photos étaient scandaleuses. Marilyn, lui a simplement répondu, en prenant un air innocent : “Pourquoi ? Vous n’aimez pas le rouge ?” Tout le monde a ri, le journaliste a été ridiculisé, et Marilyn est restée la star adulée du public.
- Je ne dois pas avoir peur de m’afficher en public. C’est ce que tu penses ?
- Je pense que la vie est trop courte pour vivre triste, Virginie. Je ne te ferais pas l’amour sur la table du restaurant, mais je crois que j’ai droit à quelques gestes de tendresse. De toute façon, on peut lire dans mon regard le désir que j’ai de toi. Je suis transparente.
Virginie rougit violemment sous la déclaration de son amante. Troublée, elle changea de conversation. Ce qui n’échappa pas à Céline.

- Comment allons nous diriger notre enquête ?
- Tu ne souhaites pas que je te parle d’amour. Que je te dise des choses tendres. Mes beaux discours, tu es lasse de les entendre. Bien... Je crois que nous devons nous rendre aux obsèques de René Ourbaix. Tu vois, tu n’auras pas menti à notre lieutenant de Police.
- J’adore tes discours Céline. Je ne pourrai jamais m’en lasser. Mais j’aimerais mieux les entendre ailleurs, là où nous pourrions nous laisser aller... Pourquoi nous rendre à ses obsèques ?
- Nous laisser aller ? Quel programme séduisant... Parce que son meurtrier y sera peut-être.
- Oui, j’ai beaucoup d’idées sur ce que je pourrais te faire... Pourquoi son meurtrier y serait-il ?
- Virginie... Tu me mets l’eau à la bouche... Son meurtrier ne peut être que l’un de ses proches.
- Je voudrais que tu aies toujours l’eau à la bouche. Rien qu’en me regardant. Pourquoi un proche ?
- C’est le cas Virginie. Rien qu’en te regardant, en t’écoutant, en t’espérant...  Seul un proche pouvait connaître sa maladie de coeur...
- Une maladie de coeur ? Moi aussi je souffre d’une maladie de coeur. Mais c’est une si douce souffrance...
- Et je suis prête à te tuer d’amour, Virginie. A la condition que tu ressuscites...
*
Virginie regardait sa compagne avec une lueur dans les yeux que Céline interpréta aussitôt.

- Virginie. Je devine tes pensées. Mais je dois retourner  chez Sophie’s. Exceptionnellement, je quitte mon travail à cinq heures. Tu pourrais me retrouver ce soir et nous irions rue de Rivoli.
- Que veux-tu y faire ?
- Je veux aller au domicile de René Ourbaix. Avec un peu de chance, nous pourrons interroger un de ses voisins sur ses habitudes. Ou, au moins, connaître la date de ses obsèques.
- Je peux le faire si tu veux.
- Non. Virginie. Je préfère que nous restions ensemble. Tu me faisais remarquer hier que notre enquête pouvait être dangereuse. Je ne veux pas que nous nous séparions.
- Soit, Sherlock Holmes. Je t’obéis.
- Merci, cher Docteur Watson. Par contre tu pourrais reprendre les photos que nous n’avons pas encore examinées et faire un blow up de celles qui pourraient être intéressantes.
- Bien, je le ferais.
*
Virginie était rentrée depuis une heure.

Comme promis, elle avait de nouveau trié les photographies prises autour des Trois Grâces de Maillol.

Elle avait trouvé d’autres clichés sur lesquels apparaissait  l’ombre énigmatique qui surgissait des buissons, semblant tenir une arme. Elle avait agrandi ses clichés. Mais la forme était toujours aussi fantomatique.

Elle avait aussi regardé les photographies qu’elle avait prises de Céline. Céline marchant avec une souplesse élégante de danseuse. Céline souriant sous la neige. Céline riant. Céline regardant au loin les toits du Louvre.

Céline, qu’elle ne connaissait que depuis trois mois et qui était toute sa vie.

Elle regardait ces clichés et elle sentit le désir subjuguer ses sens.

Elle s’en voulut de sa faiblesse, mais elle ne put se retenir.

Elle ouvrit son jean, glissa une main sous l’étoffe de son slip, et se caressa. Son corps réagit immédiatement. Le feu qui couvait en elle se ranima, attisé par le souvenir de leurs étreintes. Sa peau avait gardé en mémoire la douceur de cette autre peau. Alors, elle fit jaillir, sous ses doigts experts, un plaisir qui irradia tout son être.

*

Virginie attendait Céline sur le trottoir de Sophie’s. Loin d’avoir apaisé ses sens, le plaisir solitaire avait exacerbé la faim qu’elle avait de son amante.

Elle était arrivée à leur rendez-vous avec vingt minutes d’avance. Elle n’osait pas entrer dans le superbe hôtel particulier de la maison de ventes.

Tout à coup, elle entendit un pas léger qu’elle aurait pu reconnaître entre mille et se retourna. Céline s’avançait vers elle, un sourire lumineux sur les lèvres.

- Tu m’attends depuis longtemps ?
- Non, non. Je viens d’arriver.
- Je suis heureuse de te voir. J’ai pensé à toi tout l’après midi. Viens par ici...
Céline saisit le revers de la veste de Virginie et l’entraîna dans un renfoncement de l’immeuble. Et là, sans plus attendre, elle posa ses bras autour de son cou, colla son corps contre le sien et l’embrassa sur les lèvres.

Virginie protesta.

- Céline, Céline, ne fais pas ça. Je t’en prie. Je ne vais pas pouvoir me contenir plus longtemps... Je suis au bord de l’explosion...
- Bien, alors remettons ton explosion à plus tard et allons mener notre enquête !
*
René Ourbaix avait vécu dans un immeuble de la rue de Rivoli, situé à quelques numéros de l’hôtel Meurice. Ses fenêtres donnaient sur ce Jardin du Carrousel où il devait mourir de façon si mystérieuse.

Céline et Virginie pénétrèrent dans le hall de l’immeuble. Elles virent un panneau, destiné à informer les habitants, sur lequel diverses annonces étaient affichées.

- Regarde Céline. Son décès est annoncé, ainsi que la date et le lieu de ses obsèques.
- Oui, la famille n’a pas perdu de temps. Mercredi prochain au cimetière du Père Lachaise...
- C’est un peu précipité, non ?
- En tout cas, c’est rapide. Viens rentrons. Nous savons ce que nous voulions savoir.
*
Les deux jeunes femmes avaient pris un dîner léger.

Elles étaient retournées dans la bibliothèque où elles examinaient les photographies que Virginie avaient sélectionnées au cours de l’après-midi.
- Tu vois Céline. C’est toujours la même chose. Une forme. Sans doute un homme, mais dont on ne peut pas distinguer les traits. Malgré tous mes efforts, je ne peux pas faire mieux. Mon logiciel n’est pas assez puissant.
- Il doit pourtant exister des programmes informatiques qui permettent de gommer ce flou.
- Je crois que de tels programmes existent mais ils ne sont pas accessibles au public. Ils sont réservés à la Police, aux services de renseignements.
- La Police ? Tu me donnes une idée...
- Tu vas contacter ton beau lieutenant de Police ?
- Non, Virginie. Je vais contacter mon beau colonel de Gendarmerie. Tu sais, celui qui dirigeait les opérations lors de la traque de Vito. L’arrestation de mon ravisseur, de tout le réseau de trafiquants d’objets d’art, ma libération, la restitution de la Vierge à l’Enfant, ont boosté sa carrière. Il m’a dit qu’il ne pouvait rien me refuser désormais...
- Céline, ne sois pas naïve ! Tu sais très bien à quoi il faisait allusion !
- Mais je vais jouer les naïves ! Et même les gourdes ! Je vais lui téléphoner demain et lui demander s’il existe un moyen de rendre tes photos plus nettes. En attendant...
- En attendant ?
Céline saisit la main de Virginie et l’entraina vers l’escalier qui menait à leur chambre.
- Tu m’as bien dit, tout à l’heure, que tu étais au bord de l’explosion ?
*
Mardi, 18 heures 30. Céline et Virginie roulaient en direction de Rosny-sous-Bois. Elles se rendaient à l’Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale (IRCGN).

Le matin même, Céline avait téléphoné au colonel de Gendarmerie qui était intervenu lors de l’affaire de “la Vierge de Noël”. Naturellement, le militaire avait été ravi d’entendre la voix de la jeune femme. Il s’était mis à bafouiller de façon très amusante.

Céline avait rapidement douché ses espoirs. Elle lui avait raconté l’énigme de l’inconnu du Carrousel.

Effectivement, il existait des logiciels qui permettaient de réduire le flou de certaines photographies et la Gendarmerie les utilisait. On trouvait ces logiciels à l’IRCGN de Rosny sous Bois, dans la banlieue parisienne.

Mais l’Institut n’était pas une salle des pas perdus. Il fallait une autorisation spéciale pour y entrer. De même, les matériels techniques étaient réservés aux enquêtes ou aux instructions judiciaires.

Mais, pour elle, qui était presque de la “maison” et qui ferait une si merveilleuse gendarmette, il était prêt à faire un effort.

Il allait téléphoner au Général qui commandait l’Institut afin d’obtenir l’autorisation d’entrer dans les lieux et d’utiliser les ordinateurs. Naturellement cette autorisation vaudrait également pour Mademoiselle Virginie Mirbeau.

*

L’Audi TT s’arrêta devant l’entrée de l’IRCGN. Un gendarme se présenta et demanda leurs papiers d’identité aux deux jeunes femmes. Après avoir examiné une liste, il leur permit d’entrer.

Elles avaient à peine stationné leur véhicule sur le parking visiteurs, qu’un deuxième gendarme apparut. Il leur servit de guide jusqu’au bureau du Général commandant la place.

Après de rapides présentations, elles furent conduites dans le département “informatique et électronique”. Elles étaient entourées d’ordinateurs puissants.

Elles rencontrèrent un autre gendarme, ingénieur en informatique, auquel elles remirent la disquette sur laquelle Virginie avait transféré les photographies prises autour des statues de Maillot.

Il leur expliqua que le logiciel était utilisé dans les dossiers de pédophilie pour accentuer les traits des victimes et de leurs agresseurs, dont les visages étaient systématiquement floutés.

Il effectua quelques manipulations sur un cliché qu’il avait sélectionné. Une sorte de pinceau électronique balaya la photographie. Enfin, au bout de quelques minutes, le cliché apparut dans toute sa netteté.

Le gendarme l’imprima. Elles se penchèrent sur l’épreuve.

Un homme blond d’une quarantaine d’années, grand et mince, avec un fin collier de barbe, semblait surgir des buissons qui entouraient la statue des Trois Grâces.

*

Elles étaient rentrées chez elles et avaient dîner légèrement, comme tous les soirs.

Elles avaient pris une douche tiède qui aidait au sommeil puis s’étaient couchées.

Céline paraissait plongée dans ses pensées. Elle semblait ne pas remarquer la main de son amante qui doucement explorait son corps. Virginie en fit la remarque sur un ton dépité.

- Céline, si je t’ennuie, dis-le-moi !
- Non Virginie. Excuse-moi, mais je pensais à autre chose...
- Je l’ai remarqué !
- Je pensais à René Ourbaix et à l’homme blond de la photo.
- Céline, j’aimerais bien qu’ils n’entrent pas dans notre chambre à coucher !
- Mais tu as vu comme moi. Il n’avait pas d’arme. C’était un simple journal plié qu’il tenait à la main.
- Bien sûr qu’il n’avait pas d’arme sinon la Gendarmerie aurait immédiatement ouvert une enquête.
- Ce n’était donc pas un meurtre.
- Et oui, ce n’était pas un meurtre. Le coeur de René Ourbaix a fait “POUM” ! C’était une banale crise cardiaque !

- Pourtant, sur la photo cet homme a un air menaçant.
- Céline. On dirait que tu regrettes que ce soit un simple accident et pas un meurtre.
- Ce n’est pas ça Virginie. Mais quelque chose me dit que je ne me suis pas trompée. Appelle ça de l’intuition si tu veux mais je suis sûre d’avoir raison. René Ourbaix n’est pas mort par hasard.
- La seule chose que l’on puisse reprocher à ton homme blond c’est de n’être pas resté pour l’aider.
- Comment ça ?
- Oui, comme tout s’est passé en quelques secondes, il l’a vu avoir son arrêt cardiaque. Il l’a vu tomber au sol. Il aurait dû faire comme nous : se précipiter pour lui porter secours. 
- Tu as raison. Il a tout vu.
- Peut-être qu’avec un massage cardiaque, il aurait pu le sauver. Je crois qu’il a pris peur et qu’il s’est enfui.
- Oui, ou alors, il ne voulait pas que René Ourbaix s’en sorte.
- Ah non, tu ne vas pas remettre ça !
- Réfléchis. Imagine que ce soit un proche. Il connaît ses habitudes. Il sait que pour rentrer chez lui, il doit passer par le jardin du Carrousel. Il sait qu’il est atteint d’une grave maladie de coeur. Il surgit du buisson de façon soudaine. Il provoque une telle frayeur chez René Ourbaix que celui-ci fait un arrêt cardiaque. Puis il se sauve et le laisse mourir. C’est le crime parfait.
- Le crime “presque” parfait. On était là et j’ai pris des photos.
- Il y a toujours un grain de sable.
- Que va-t-on faire à présent ? Tu ne pourras jamais convaincre la Police ou la Gendarmerie avec de telles suppositions.
- Nous allons demain aux obsèques de René Ourbaix, comme nous l’avions prévu. Mais... que fais-tu ?
- Je prends mon livre. Je ne sais pas pourquoi, mais depuis quelques jours j’ai envie de lire des romans policiers. J’ai découvert cet ouvrage dans la bibliothèque du salon que Camille a copieusement garnie : le Masque de Dimitrios d’Eric Ambler. C’est passionnant.
- Je le connais, c’est un roman fabuleux. Mais je préférerais que tu reprennes tes explorations là où tu les avais laissées...
Céline lui prit le livre des mains et le posa sur la table de chevet. Puis elle attendit.

Virginie se pencha sur elle, déboutonna sa veste de pyjama dont elle écarta les pans, découvrant les seins ronds, le ventre plat et ferme.

Elle eut envie de mordiller cette chair offerte. Elle parcourut le corps de son amante en le parsemant de baisers et de morsures légères qui firent frémir Céline. Elle respirait son parfum. Sa bouche caressait sa peau au goût de lait.

Elle se redressa et fit lentement glisser le slip de Céline le long de ses jambes en les frôlant du bout des doigts. Puis elle écarta les cuisses de son amante.

Elle découvrit le sexe offert et le recouvrit de sa paume. Céline se mit à gémir et à l’implorer.

- Viens... Maintenant, oh oui, maintenant...

Elle prit Céline entre ses lèvres. Elle agaça son clitoris de sa langue et lécha ses lèvres gonflées.

Céline plongea les poings dans la masse des boucles brunes dont le contact satiné sur ses cuisses la faisait frissonner. Elle tenta de retenir son orgasme. N’y parvenant pas, elle laissa le plaisir l’envahir, puis s’abandonna et cria sa jouissance.

*

Pour Céline et Virginie, l’enquête continuait plus que jamais. Elle s’étaient rendues au cimetière du Père Lachaise dans le vingtième arrondissement de Paris.

Leur intention était d’assister de loin aux obsèques de René Ourbaix, dans l’espoir de trouver un indice.

- Virginie, nous allons nous séparer. Il vaut mieux que le meurtrier, s’il est là, ne nous voit pas ensemble.
- Pourquoi ?
- Pour conserver un effet de surprise. S’il repère l’une de nous, il ne saura pas que nous nous connaissons. Après tout nous pouvons faire partie des milliers de touristes qui visitent le Père Lachaise tous les ans pour voir la tombe de Molière, de Delacroix, de Frédéric Chopin, de Maria Callas, d’Oscar Wilde, de Jim Morrison, ou des centaines de morts célèbres qui sont enterrés ici.
Elles se séparèrent et prirent des rues opposées. Chacune munie d’un plan du cimetière sur lequel figuraient les tombes célèbres, elles jouèrent aux touristes. Elles avaient repéré le corbillard et le suivirent de loin.

Virginie prenait des photographies des tombeaux, comme des dizaines de visiteurs autour d’elle. Elle se rapprocha du caveau où René Ourbaix devait être inhumé.

Elle se dissimula derrière un mausolée de style égyptien. Elle pouvait voir et prendre des clichés sans être vue.

Céline s’était approchée en venant d’une autre allée.

Près de la tombe ouverte, quelques personnes silencieuses.

Parmi elles, un homme blond d’une quarantaine d’années, grand et mince, avec un fin collier de barbe.

*

Chacune de son côté, Céline et Virginie avaient assisté aux obsèques de René Ourbaix. Elles attendirent qu’elles soient finies pour suivre l’homme discrètement.

Il sortit du cimetière, sur le boulevard de Ménilmontant, et s’engouffra dans la station de métro. Elles le suivirent et montèrent séparément dans la rame.

Au bout d’une vingtaine de minutes, l’homme, suivi des deux jeunes femmes, sortit du métro, parcourra encore quelques dizaines de mètres jusqu’à la place Saint-Sulpice où il pénétra dans un immeuble.

Virginie qui, était la plus proche, s’approcha et lu les noms sur les sonnettes. Immédiatement, elle sut qu’elle avait trouvé.

Il ne pouvait pas y avoir de doute. L’un des occupants s’appelait Paul Ourbaix.

*

Céline avait rejoint Virginie au bas de l’immeuble de Paul Ourbaix.

- Paul Ourbaix. Nous savons que l’homme blond de la photo est un parent du défunt. Qu’allons nous faire maintenant ?
- Je devrais retourner travailler chez Sophie’s. Mais je vais leur téléphoner pour leur dire que je prends tout mon après-midi, finalement.
- Tu en prends à ton aise avec ton boulot !
- Sophie’s a besoin de moi. Je parle couramment quatre langues. Je suis une “grande” experte en art qui paye de sa personne puisque je pousse la conscience professionnelle jusqu’à permettre l’arrestation de trafiquants d’art... Et puis en ce moment je passe mes week-ends à rédiger le catalogue de la vente Laurent Saint-Yves. Sophie’s ne peut vraiment pas se plaindre de mon travail !
Tout en parlant Céline avait pris son iPhone pour appeler Sophie’s, la maison de ventes aux enchères dont elle était un des membres les plus choyés.

Sa participation au démantèlement d’un réseau de trafiquants d’oeuvres d’art avait beaucoup impressionné ses dirigeants. Il se murmurait que Céline, malgré son jeune âge, obtiendrait bientôt un poste de direction.

- Voilà c’est fait ! L’avantage quand on a risqué sa vie, pendant ses vacances, pour sauver une statuette polychrome du XVème siècle, c’est que votre patron ne vous prend pas pour une paresseuse.
- Bien, mais que fait-on à présent ?
- J’ai envie de retourner rue de Rivoli.
- Pour quoi faire ?
- Ce qui serait fabuleux c’est de pouvoir pénétrer dans l’appartement de René Ourbaix...
- Pourquoi ? Ce doit être un appartement tout ce qu’il y a de plus banal avec des tonnes d’objets puisqu’il était antiquaire.
- C’est justement cela qui est étrange. Pourquoi avoir provoqué la mort d’un homme en apparence paisible.
- Pourquoi “en apparence paisible” ? Et puis, ce n’était peut-être pas une “mort provoquée” ?
- Virginie tu plaisantes ? Tu crois encore à une mort naturelle alors que son parent n’est pas intervenu pour tenter de le sauver ?
- D’accord tu as raison sur ce point. Mais “en apparence paisible” ?
- Avec sa maladie, René Ourbaix n’avait pas le droit d‘avoir une vie agitée. Je pense que ce devait être un homme tranquille aux habitudes bien arrêtées. Ce qui a d’ailleurs aidé son meurtrier. Mais pourquoi vouloir tuer un tel homme ? Je suis sûre que la réponse est chez lui.
- Comment allons-nous faire pour entrer ?
- Nous trouverons bien un moyen sur place. Allons-y. Tu as encore des tickets de métro ?
Quelques minutes plus tard, elles sortirent du métro à la station Palais Royal, devant le Conseil d’Etat, face aux guichets du Louvre.

Elle marchaient côte à côte en direction de l’immeuble de René Ourbaix. Elles étaient pratiquement arrivées, quand elles virent, au pied de cet immeuble, une femme d’une cinquantaine d’années en train d’ouvrir son sac à main, sans doute pour y prendre sa clef.

Tout à coup, un jeune garçon la bouscula, s’empara du sac à main et se mit à courir. Immédiatement, Virginie bondit à sa poursuite. Ils disparurent dans la foule des badauds, si nombreux aux abords du grand musée parisien.

Céline s’approcha de la femme qui était tombée au sol et l’aida à se relever. Elle était habillée en noir. Céline reconnut en elle, l’une des personnes qui avaient assisté aux obsèques de René Ourbaix.

- Tout va bien, Madame ? Je vais vous aider à vous relever. Vous n’avez pas de mal ? 
- Non, ça va, je vous remercie. Mais je ne peux plus rentrer chez moi. Ce voyou m’a volé son sac avec tous mes papiers, mon argent et mes clefs.
- Je sais. J’ai tout vu. Mais mon amie lui a couru après. Avec un peu de chance, elle va pouvoir le rattraper et lui reprendre votre bien. En attendant, ne restons pas là. Dans le froid. Je vous invite à boire un chocolat chaud, chez Angélina.
- Chez Angélina ? Avec plaisir, Mademoiselle. Vous êtes si gentille.
- Je vous en prie. Je vais envoyer un SMS à mon amie pour lui dire où nous rejoindre.
Elles se dirigèrent vers le célèbre salon de thé de la rue de Rivoli dont, curieusement, la spécialité était le chocolat chaud. Céline demanda une table pour trois personnes. Elles furent installées près de la fenêtre face au Jardin du Carrousel. Le serveur leur tendit deux cartes.

- Prenez ce que vous voulez Madame.
- Merci. Vous êtes bien aimable. Alors je prendrais volontiers un chocolat chaud et une Forêt noire.
- Chocolat chaud plus gâteau au chocolat ? Vous ne pourrez jamais prétendre que vous n’aimez pas ça !
- Non, j’avoue. J’adore le chocolat. J’avais souvent envie de venir chez Angélina. Mais mes moyens ne me le permettent pas.
- Pourtant vous habitez rue de Rivoli.

- Je ne suis que la concierge. J’habite dans la loge et je perçois un tout petit salaire. Heureusement, qu’il y a les étrennes des habitants ! Au fait, je me présente. Agathe Jondi.
- Céline Frémont. Voici Virginie Mirbeau, mon amie. J’espère qu’elle a pu rattraper votre voleur et récupérer votre sac à main.
Virginie marchait vers leur table. Elle s’assit, essoufflée.

- Le petit bandit ! Il m’aura fait courir ! Mais j’ai réussi à le rattraper. Je l’ai laissé partir. Par contre je lui ai repris votre sac. Le voici.
- Vous ne l’avez pas conduit à la Police ?
- Cela ne sert à rien. Ces petits voleurs ont généralement moins de treize ans. La Justice ne peut ni les juger ni les condamner.
- Je vous remercie infiniment d’être venues à mon secours. Sans vous, j’aurais dû faire appel à un serrurier pour rentrer chez moi. Sans compter tous mes papiers et mon argent. Et en plus vous avez la gentillesse de m’inviter chez Angélina !
- Que prends-tu Virginie ?
- Un chocolat chaud.
- Oui, j’ai beaucoup de chance d’être tombée sur vous deux. Le hasard fait bien les choses.
- Ce n’est pas vraiment un hasard. En fait, Virginie et moi venions déposer une lettre de condoléances pour le décès de Monsieur Ourbaix.
- Pour ce si gentil Monsieur ? Vous le connaissiez ?
- Non, à vrai dire. Mais nous étions au Jardin du Carrousel dimanche dernier. Nous avons vu les pompiers qui s’activaient autour de lui. Nous avons entendu son nom prononcé par les policiers qui ont trouvé ses papiers d’identité dans ses poches. Ils ont dit qu’il habitait rue de Rivoli. Nous avons été choquées par cette mort brutale. Alors nous sommes allées à ses obsèques au Père Lachaise. Nous voulions laisser un mot pour sa famille.
- Comme c’est délicat de votre part. Mais c’était mérité. Monsieur René Ourbaix était le plus gentil des hommes. Si bien élevé. D’une politesse exquise. Généreux. Je faisais le ménage chez lui. Cela me permettait d’arrondir mes fins de mois. Il m’avait fait cadeau de petits objets anciens pour décorer ma loge.
- Sa femme doit être bien triste.
- Monsieur Ourbaix était veuf depuis une dizaine d’années. Il n’avait plus que son fils, Paul, qui vit également à Paris.
- C’est bien. Il devait se sentir moins seul.
- Oui. Enfin... dans les derniers temps, ils se voyaient moins son fils et lui. Je crois qu’ils étaient brouillés. Un jour j’ai surpris une dispute. J’étais chez Monsieur Ourbaix en train de faire sa chambre, quand son fils est arrivé. Il l’a reçu dans le salon. Je crois qu’il avait complètement oublié ma présence. Ils ont parlé de quelque chose de grande valeur. Et Paul a dit à son père, “je ne te laisserai jamais faire une chose pareille”. Monsieur Ourbaix a répondu qu’il était libre de faire une donation s’il le voulait. Paul est parti en claquant la porte. Après les visites se sont espacées.
- C’était il y a longtemps ?
- Près d’un an, je crois.
- Quelle est la profession de Paul Ourbaix ?
- Paul est antiquaire comme son père. Il a repris sa boutique quand son père est parti en retraite.
- Monsieur Ourbaix devait adorer vivre dans ce quartier. La proximité du Louvre, du Jeu de Paume et du musée d’Orsay, c’est idéal pour un antiquaire.
- Oh oui. Monsieur Ourbaix avait sa carte des Amis du Musée du Louvre. Il m’avait dit qu’avec cette carte, il pouvait y aller tous les jours. Et c’est ce qu’il faisait. Tous les jours, quasiment à la même heure, il traversait le Jardin du Carrousel, toujours au même endroit, pour se rendre au musée ou pour en revenir.
- Tous les jours ? Même le dimanche ?
- Tous les jours. Sauf le mardi, jour de fermeture. Et quel que soit le temps.
- Je suis certaine que son appartement doit être un vrai musée...
- Oh oui... Ce n’était pas facile de faire le ménage. Je vous prie de le croire. J’avais toujours peur de casser quelque chose...
- Et je suppose que des fenêtres de son appartement, on doit avoir un vue fabuleuse sur le Louvre et les Jardins.
- Oh oui. On a une vue exceptionnelle. Vous aimeriez constater par vous-même ?
- Ce serait très gentil. Mais nous ne voulons pas vous déranger.
- Cela ne me dérange nullement. J’ai les clefs de son appartement. Je vous dois bien cela. Vous avez été si gentilles.
Elles avaient fini les desserts commandés, alors Céline fit signe au serveur et régla la note. Elles sortirent du salon de thé et se dirigèrent vers l’immeuble de René Ourbaix. Agathe Jondi ouvrait la marche. Virginie en profita pour s’adresser à Céline en chuchotant.

- Tu t’y entends pour faire parler les concierges !
- Oh tu sais avec un chocolat chaud et une forêt noire de chez Angélina, c’était facile.
Elles entrèrent dans l’immeuble et prirent le vieil ascenseur.

Arrivées à l’étage, Agathe Jondi sortit sa clef. Elle ouvrit la porte et actionna l’interrupteur. Une lumière jaune éclaira un couloir qui desservait plusieurs pièces. Tous les murs étaient couverts de tableaux. Des consoles étaient chargées d’objets de toutes les époques.

Agathe Jondi les précéda dans le salon dont les fenêtres donnaient sur la rue de Rivoli et les jardins. La lumière de cette fin d’après-midi de janvier éclairait la pièce.

Elle alluma une lampe posée sur un guéridon. Elle poussa une exclamation.

- Tiens, il manque un tableau ! C’est sans doute Monsieur Paul qui l’aura emporté lundi quand il est passé.
- Vous savez ce que représentait ce tableau ?
- Il s’agissait d’une femme, assise à côté d’une table près d’une fenêtre, en train de jouer de la musique avec une sorte de guitare.
- Vous aimiez ce tableau ?
- Oh oui... je l’aimais beaucoup. Il y avait une jolie lumière qui tombait de la fenêtre et une telle sérénité dans cette pièce. Les couleurs étaient douces et j’aimais énormément la précision des détails du tapis posé sur la table.
- Ce doit être un joli tableau en effet. Nous n’allons pas vous retenir plus longtemps Madame Jondi. Merci de nous avoir permis d’apprécier la vue que l’on a d’ici.
Elles sortirent, se saluèrent à nouveau et se quittèrent.

Sur le chemin du retour, Céline était silencieuse.

- Tu ne dis rien Céline. Il y a un problème ? Nous avons pourtant bien progressé dans notre enquête.
- Oui Virginie. C’est vrai, nous avons fait du bon travail. Mais Madame Jondi nous a dit quelque chose d’étrange.
- Quoi donc ? Je n’ai rien remarqué.
- Cela concerne la description du tableau qui a disparu.
- Oui et bien ?
- Et bien, tu vois, quand je suivais mes cours d’histoire de l’Art à l’Ecole du Louvre, c’est exactement comme cela qu’un de mes professeurs avait décrit une oeuvre de... Vermeer de Delft.
*
Virginie resta interdite.
- Un Vermeer ? Tu plaisantes ? Il n’y en a pas trente dans le monde et ils sont tous dans des musées. Le seul particulier à en posséder est la Reine d’Angleterre.
- Je sais Virginie.
- Cette description est très vague. Elle pourrait concerner une multitude de tableaux ou d’écoles de peinture. Un romantique, un impressionniste, un fauve...
- Je sais tout cela. C’est pourquoi, je vais retourner voir Madame Jondi avec un livre consacré à différents peintres. Je vais essayer de savoir de quelle oeuvre le tableau de René Ourbaix est le plus proche.
- Tu vas attirer son attention.
- Je vais l’inviter au restaurant. Elle sera moins méfiante.
- Si c’est bien un Vermeer, je me demande par quel miracle il pourrait se trouver à Paris, ailleurs qu’au Louvre !
- Ce sera un nouveau mystère à éclaircir.
- Si c’est bien un tableau de Vermeer, je comprends qu’on tue pour lui.
- Tu approuves ?
- Non, bien sûr ! Mais Vermeer c’est le summum. Il n’y a rien au dessus de lui. Picasso aurait dit “je donnerais toute la peinture italienne pour Vermeer de Delft”.
- Il y a quatre ans, c’est en voyant la “jeune fille au turban”, appelée aussi la “jeune fille à la perle” qui se trouve à La Haye, que j’ai su que je voulais consacrer ma vie à l’art. On ressent une telle émotion face à elle.
- C’est amusant, je suis allée aux Pays-Bas il y a quatre ans. Quand je suis arrivée à La Haye en stop, je me suis précipitée au Mauritshuis pour voir “la jeune fille au turban”.
- Sans le savoir, nous nous sommes peut-être croisées dans ce musée.
- Toutes ces années pendant lesquelles je ne savais pas que tu existais ! Que de temps perdu !
- Je pense que nous allons le rattraper...

*

Après le dîner, Céline s’était retirée dans la bibliothèque qui servait aussi de bureau. Debout, penchée sur des livres d’art consacrés à Vermeer, elle notait les événements de la vie du peintre qui pourraient servir d’éléments pour leur enquête.

Virginie s’approcha d’elle. Elle se blottit contre son dos, entoura sa taille de ses bras et posa son menton sur son épaule.

- Tu trouves quelque chose ?
- Non, pratiquement rien. On ne sait rien de la vie de Vermeer ou si peu. Écoute ça. “Vermeer est né à Delft en 1632, en octobre - il fut baptisé le 31 de ce mois. Il y est mort en 1675, le 13 ou 14 décembre, et fut enterré le 16 dans un caveau de la Vieille Église. Ces dates sont le seul “récit” conséquent de sa vie. Le reste est affaire de doutes, d’incertitudes et d’hypothèses. La biographie de Vermeer est impossible. Ou elle est une imposture. Ou il faut accepter qu’elle tienne en trois mots. Vermeer a peint. Point.” Voilà  la biographie que je trouve dans ce livre de Pascal Bonafoux qui lui est consacré.
- Avec ça on est bien avancées !
- Si pourtant. Il y a dans le monde 35 oeuvres attribuées à Vermeer qui sont pour la plupart dans des musées et sont donc inestimables. Mais il existerait à ce jour huit tableaux perdus ou non identifiés, dont il est fait mention dans une vente de 1696, des inventaires, ou des catalogues de ventes postérieures.
- Des tableaux perdus, je comprends. Mais non identifiés ? Ils sont datés et signés.
- Non. Vermeer ne datait pas ses oeuvres. Sur les 35 tableaux qui lui sont attribués, seuls trois sont datés. Parfois même, il ne les signait pas. Il est difficile d’identifier un tableau qui ne présente ni date ni signature.
- Alors, tu penses que le tableau de René Ourbaix est l’un des Vermeer perdus qu’il aurait retrouvé et conservé chez lui. Tu penses que son fils aurait provoqué sa mort pour le récupérer. Ce qu’il a fait presque immédiatement.
- Pourquoi pas ?
- Oui, pourquoi pas ? Sauf que tant qu’on ne saura pas de qui est ce tableau, ce ne sont que des suppositions...
- C’est pourquoi, j’ai bien l’intention de revoir Madame Jondi dès demain.
- Décidément, tu passes tout ton temps avec elle. Je vais finir par être jalouse...
- Virginie, tu n’es pas sérieuse ?
- Non, en effet, je ne suis pas sérieuse.
Virginie serra Céline contre elle, le visage niché contre son cou. Puis, lentement, elle suivit la ligne de sa mâchoire en la caressant de ses lèvres. Elle l’embrassa au coin de la bouche.

- Céline, Céline... Tu ne peux pas savoir à quel point j’ai envie de toi...

Elle déboutonna son chemisier, un bouton après l’autre, puis en écarta les pans.

Céline rejeta la tête en arrière et laissa Virginie dévorer sa gorge. Elle se mit à gémir quand elle sentit les mains de son amante glisser sur ses seins puis sur son ventre. Elle posa ses mains sur les siennes et accompagna son geste.

Virginie ouvrit le jean de Céline et glissa une main sous son slip. Elle sentit la peau brûlante, les lèvres humides, le clitoris tendu. Elle glissa ses doigts dans sa moiteur.

Le corps de Céline se cambrait et tremblait. Elle laissa échapper un cri au moment où le plaisir la submergea.

*

Le lendemain, en fin de matinée, Virginie se rendit chez Galignani, la librairie de la rue de Rivoli. Elle choisit un livre sur l’histoire de la peinture. Toutes les écoles picturales y étaient représentées : romantisme, impressionnisme, symbolisme, fauvisme. Et aussi la plupart des peintres majeurs parmi lesquels Vermeer

Céline avait proposé à Virginie de déjeuner au Café Marly, face aux pyramides du musée du Louvre. Quant elle arriva, elle vit que sa compagne était déjà arrivée et qu’elle discutait avec Madame Jondi qu’elle avait invitée.

Les trois femmes déjeunèrent en parlant de tout et de rien. Madame Jondi était détendue. Elle faisait honneur aux plats qu’on lui servait et également au Bourgogne qui remplissait son verre.

Elle évoquait ses souvenirs, parlait de sa vie dans ce quartier si particulier de Paris. Presque naturellement elle en vint à parler de René Ourbaix, de sa très grave maladie de coeur, qui n’était un secret pour personne, et qui le contraignait à vivre en reclus dans son appartement, loin de l’agitation qui aurait pu le tuer.

A un moment, elle avisa le livre que Virginie venait d’acheter. Curieuse, elle se mit à le feuilleter. Les deux jeunes femmes la regardaient faire, dissimulant leur impatience.

- Oh comme c’est amusant Mademoiselle. Dans votre livre, ce tableau, il a un air de famille avec celui de Monsieur Ourbaix. Vous savez. Nous en avons parlé hier. La femme a la même robe de couleur bleue, la fenêtre, le tableau au mur, le beau tapis posé sur la table. Regardez.

Elles se penchèrent sur le livre. Céline décocha un sourire triomphant à Virginie.

*

Elles avaient raccompagné Madame Jondi chez elle. Quand elle furent seules, Virginie grommela.

- D’accord tu as gagné ! Tu avais bien deviné. Le tableau de René Ourbaix ressemble à un Vermeer. Du moins d’après l’avis de Madame Jondi. Mais ce n’est pas une experte en oeuvre d’art. Elle peut se tromper. Les plus grands experts se sont déjà trompés en attribuant à ce peintre des oeuvres qui n’étaient pas de lui.

- J’ai bien réfléchi. Ce qui importe Virginie, ce n’est pas que ce soit un Vermeer. Ce qui importe c’est que René Ourbaix et son fils l’aient cru.

- Je ne te suis plus...
- Pour pouvoir authentifier un tableau avec certitude, il faut pouvoir le soumettre à des examens très minutieux que seuls les grands musées peuvent s’offrir. René Ourbaix ne pouvait pas y avoir accès. Mais il a pu se persuader que c’était quand même une oeuvre du grand peintre tout simplement parce qu’il en rêvait et il a pu en persuader son fils.
- Mouais...
- Non pas mouais. Tu sais, les experts de Sophie’s sont souvent appelés par des particuliers qui sont persuadés de posséder des Picasso, des Matisse, des Fragonard... Et puis finalement...
- René Oubaix et son fils ne sont pas de simples particuliers. Ils sont antiquaires.
- Les antiquaires ne sont pas omniscients. Ils peuvent se tromper comme les experts. Surtout quand il s’agit de Vermeer. Paul Ourbaix peut très bien avoir provoqué la mort de son père pour un tableau sans valeur.
- Admettons. Que va-t-on faire à présent ?
- Je vais aller voir mon copain Hector.
- Ton copain Hector ? Qui est-ce encore ? Je crains le pire...
- Hector a suivi avec moi les cours de l’Ecole du Louvre. Il travaille au Musée à présent. Au département des antiquités grecques, étrusques et romaines. Mais je vais lui demander de nous aider.
- Comment pourrait-il nous aider ?
- Tu te souviens que Madame Jondi nous a dit que René Ourbaix était un inconditionnel du Louvre et quelle avait surpris une dispute entre le père et le fils au sujet d’une donation.
- Tu pense qu’il aurait voulu donner son Vermeer au Louvre ?
- C’est une possibilité, oui. Dans ce cas il en aura parlé à l’association des Amis du Musée du Louvre dont le but est d’enrichir les collections.
- Et c’est là qu’intervient Hector. Bon, d’accord je comprends que tu veuilles le questionner. Mais je ne te quitte pas des yeux.
- Virginie, s’agissant d’Hector, tu n’as rien à craindre. Il est passionné par la statuaire grecque et par les beaux jeunes gens. Je ne suis pas du tout, mais alors pas du tout son genre.
- Et bien tant mieux. Ça me fera des vacances ! Pour une fois qu’un de tes ex-copains ne va pas te manger des yeux et te demander ton numéro de téléphone...
Céline ne put s’empêcher de sourire devant la énième manifestation de jalousie de son amante.
- Tu démarres toujours au “quart de tour”, Virginie. Mais nous n’aurons pas besoin de rendre visite à Hector. Je lui ai déjà téléphoné ce matin. Il a été charmant. Il m’a dit qu’il allait se renseigner pour moi et qu’il me rappellerait. Je lui ai  donné mon numéro de portable. Mais sois rassurée, il en fera bon usage.
- Tu m’as menée en bateau pour provoquer ma jalousie... Tu ne perds rien pour attendre... Ma vengeance sera terrible...
- Je l’espère bien Virginie...

A ce moment très précis, son iPhone se mit à sonner.

- C’est lui. C’est Hector. Hello Hector... Non, non tu ne me déranges pas... Tu as mon renseignement ? Je vois... Il y a un an ?... Il en est sûr ?... Je te remercie infiniment... Non, non, rien de grave... On se voit un de ces jours ? Je te rappelle et on se fait une bouffe ?... D’accord. A bientôt. Je t’embrasse.

- Et bien ? Quel est le verdict ?
- C’est bien ce que je pensais. Hector a interrogé un des administrateurs de l’association des Amis du musée du Louvre. Il connaît très bien René Ourbaix. Il y a un an, il lui a demandé comment il fallait s’y prendre pour faire une donation au musée.
- Tu as encore raison. Ça devient une habitude. Céline, il y a quand même quelque chose qui me chiffonne dans tous cela...
- Oui et quoi donc ?
- Nous ne sommes pas la Police, ni la Justice. Nous ne devons pas jouer les justicières...
- Tu plaisantes, j’espère. Il a provoqué la mort de son père ! Et puis tu ne t’es pas posée tant de questions en Normandie quand tu as crevé les pneus de la Porsche de Vito et de Laura...
- C’est vrai et je l’ai immédiatement regretté. J’ai bien failli te perdre. Mais nous ne savons rien de ce Paul Ourbaix. C’est peut être un brave type, comme son père, qui se sera laissé aveuglé par sa passion pour un peintre de génie. Il a sans doute une femme et des enfants qui ont besoin de lui. Nous allons faire le malheur de toute une famille, alors que tout le mode se fiche de cette histoire.
- Non, il n’a personne. Madame Jondi nous a dit que René Ourbaix avait un fils et c’est tout...
- Elle s’est peut-être trompée ou elle a oublié d’en parler.
- Nous allons en avoir le coeur net. Je l’appelle.
Elle prit de nouveau son iPhone. La conversation ne dura que quelques minutes. Céline écoutait. Quand elle éteignit son portable, elle semblait soucieuse. Virginie l’interrogea.

- Alors ?
- Tu as raison. Paul Ourbaix a été marié. Il y a douze ans, sa femme l’a quittée pour un client argentin qui, un jour, était entré dans la boutique d’antiquités. Ils ont divorcé. Sa femme est partie vivre à Buenos Aires avec son amant. Elle lui a laissé la garde de leur unique enfant. Elle ne s’en est plus jamais occupée. L’enfant n’a jamais revu sa mère.
- Ainsi, Paul Ourbaix est sa seule famille en quelque sorte ?
- Oui. Aujourd’hui c’est une adolescente de 16 ans. Elle est en première au lycée. Elle passe son bac en juin. Elle se prénomme Morgane.
*
Elles marchaient, parcourant les quelques centaines de mètres qui séparaient la rue de Rivoli de la maison de ventes Sophie’s, proche du Grand Palais. Elles avaient traversé la place de la Concorde en longeant l’hôtel de Crillon, puis remonté l’avenue des Champs Elysées.

Elles avaient croisé les statues de Clémenceau et du Général de Gaulle.

Virginie brisa le silence qui s’était abattu.
- Céline, que veux-tu faire à présent ?
- Je ne sais plus. Quand nous avons commencé notre enquête, je n’avais pas envisagé que nous risquions de faire du mal à une adolescente, presque une enfant. Maintenant je me rends compte que ce qui était un jeu peut briser sa vie. D’un autre côté, j’aimerais tellement avoir le fin mot de l’histoire. J’aimerais aller jusqu’au bout, pour ne pas laisser toutes ces questions sans réponse.
- Tu veux résoudre l’énigme de la mort de René Ourbaix et du mystérieux tableau ?
- Oui, je le voudrais. Même si ça ne doit pas avoir de suites judiciaires. Paul Ourbaix a sans doute provoqué la mort de son père. Mais rien n’est certain. Ce qui l’est, en revanche, c’est qu’à présent, il est le seul à se soucier du sort d’une adolescente de 16 ans. Et tu as raison, à part nous deux, tout le monde se moque de la façon dont René Ourbaix est mort...
- Très bien. Alors, voilà ce que je te propose. Nous allons continuer. Mais il n’est plus question de Police ou de Justice. Tu fais une croix sur ton lieutenant de Police et sur ton substitut du Procureur...
- C’est étrange. Mais, j’ai l’impression que ça t’arrange bien...
- Disons que je ne vais pas pleurer. Nous allons résoudre cette énigme. Par simple curiosité intellectuelle. Et, peut-être aussi, pour découvrir un Vermeer inconnu.
- Comment allons-nous nous y prendre ?
- Je crois qu’il est temps de rencontrer Paul Ourbaix. Je vais aller sur internet pour trouver l’adresse de sa boutique d’antiquités et nous allons nous y rendre. Nous verrons bien...
- Ce soir ?
- Déjà ? Tu en es sûre ? Tu ne nous laisses vraiment pas souffler ! Bien, je viens te chercher, ce soir, chez Sophie’s.
- Viens me chercher à 17 heures.
Elles étaient arrivées devant l’hôtel particulier de Sophie’s.

Les employés de la maison de ventes anglaise revenaient y travailler après la pause du déjeuner. Ils passaient auprès des deux jeunes femmes, saluant Céline d’un sourire ou d’un signe de la main.

Alors là, au milieu de ses collègues, Céline passa sa main sur la joue de Virginie et tout doucement déposa un baiser sur ses lèvres.

*

La boutique d’antiquités de Paul Ourbaix était installée sur ce qui est certainement l’un des plus jolis endroits de Paris, la place de Furstenberg dans le VIème arrondissement.

Construite en partie dans le style Henri IV, avec ses maisons de briques aux fenêtres en pierres de taille, elle compta Eugène Delacroix au nombre de ses habitants. Elle abrite toujours la cour qui permet d’accéder à l’atelier du grand peintre, transformé en musée.

Elles s’étaient séparées de façon à ne pas être vues ensemble. Virginie étaient arrivée trente minutes avant Céline et s’étaient assise sur l’unique banc installé sur la place. Elle avait déplié un plan de Paris et jouait les touristes égarées.

Elle vit Céline qui marchait en flânant et qui, pour donner plus de crédibilité à son personnage, avait à la main un paquet de la maison de chemises Anne Fontaine.

Céline s’arrêta devant la vitrine de Paul Ourbaix.

La boutique était petite, mais proposait des objets choisis avec goût. La jeune femme reconnut des meubles années 30 et 40 d’André Sornay, des aquarelles de Paul Signac, des petites huiles d’Albert Marquet, des toiles fauves de Louis Valtat...

Après avoir jeté un coup d’oeil à son amie, Céline entra.

*

Paul Ourbaix se leva et la salua.

- Bonjour Madame. Que puis-je pour vous ?
- Bonjour Monsieur. Je suis très intriguée par ces meubles. Ce sont des meubles années 40, n’est-ce pas. Qui est le créateur ?
- André Sornay. Il est né à Lyon en 1902 et a intégré l’École des Beaux-Arts. A la mort de son père en 1919, il a repris l’entreprise familiale de fabrication et a abandonné la copie de meubles classiques pour ses propres créations.
- Il n’avait que 17 ans !
- Et oui, Sornay était un visionnaire, comme Le Corbusier, comme Charlotte Perriand. Son oeuvre était résolument moderne. Ses créations, fonctionnelles, se distinguent par des lignes pures et géométriques, des proportions harmonieuses. Les matériaux utilisés associent tradition et innovations : bois précieux, caoutchouc, métal.
Paul Ourbaix n’était pas beau mais avait du charme. Il parlait avec douceur mais passion de ce créateur que Céline connaissait déjà pour avoir vu ses oeuvres exposées dans plusieurs Salons d’Antiquités.

Ils parlaient encore des objets qui les entouraient quand, tout à coup, la porte s’ouvrit sur une adolescente qui fit irruption dans la boutique .

- Bonjour Madame ! Salut mon petit Papa !
- Morgane, mais qu’est-ce que tu fais là ? Tu n’es pas en cours ?
- Et non ! Figure-toi que cette vieille chouette de Mère Michel nous a fait faux bond. Elle aurait glissé sur un trottoir givré et se serait cassé le nez. En attendant son remplaçant, nous n’avons plus de prof d’histoire-géo pour plusieurs jours. L’année du bac, tu te rends compte ! Ah, elle nous rend service la Mère Michel !
- Morgane, je t’ai déjà dit de ne pas parler de tes professeurs de cette façon !
- Mais, petit Papa, je suis très respectueuse en cours. C’est du “oui Madame” par ci, “oui Monsieur”, par là... Mais avec toi, et les copains, j’ai quand même le droit de me lâcher un peu... D’ailleurs, mon petit Papa, tu ne t’ennuies pas non plus... à ce que je vois. Les vieux trucs, ça a du bon finalement pour attirer les belles clientes...
- Morgane, bon sang !
Paul Ourbaix se tourna vers Céline.
- Je vous prie d’excuser ma fille. Comme dit le poète, “on n’est pas sérieux quand on a 17 ans”. Et Morgane n’en a que 16... Par ailleurs, elle profite de la faiblesse coupable de son vieux père...
- Elle est toute excusée. Moi aussi, j’ai eu 16 ans... Et dans quel lycée allez-vous, Mademoiselle ?
- Au Lycée Montaigne. Derrière le Jardin du Luxembourg. Mais vous pouvez m’appeler Morgane. Et vous, c’est quoi votre nom ?
- Céline Frémont.
Céline se rendit compte de son erreur au moment même où elle la commettait. Avec ce nom, Paul Ourbaix pouvait connaître son adresse et la retrouver.

Mais elle avait répondu sans réfléchir, gagnée par la bonne humeur communicative de Morgane.

- Céline Frémont. Céline. C’est un très joli prénom. On pourrait se revoir ?
- Morgane ! Tu exagères !
- Mais enfin c’est toi-même qui n’arrête pas de dire que je devrais moins traîner avec les filles et les garçons de mon âge ! Tu ne sais vraiment pas ce que tu veux mon petit Papa !
- Ce que je voudrais, c’est que tu te comportes comme une jeune fille bien élevée...
- La barbe ! Quel ennui !
- Laissez Monsieur, ce sera avec plaisir que je reverrai Morgane.
- C’est vrai ? Demain ?
- Demain ? C’est à dire...
- Demain, je finis à midi et je ne reprends mes cours qu’à 15 heures... Oh dites oui, s’il vous plait...
- Et bien, c’est d’accord. Je viendrai vous chercher à midi à la sortie de votre lycée. En attendant, je vous dis au revoir et à demain Morgane.
Céline sortit de la boutique. Elle était partagée. Paul Ourbaix avait les moyens de la retrouver. Mais elle avait celui de pénétrer chez lui et d’avoir, enfin, la réponse à ses questions.

*

- Tu joues avec le feu, Céline ! En allant chez Paul Ourbaix, tu te jettes dans la gueule du loup !
Elles étaient rentrées chez elles. Céline n’avait rien caché à Virginie de sa rencontre avec les membres de la famille Ourbaix.
- Je n’irai chez lui qu’en compagnie de sa fille. Je doute qu’il me fasse quoi que soit devant Morgane. Et puis je te rappelle que c’est toi qui disais que c’était sans doute un brave type. Je crois que tu as raison d’ailleurs. J’ai du mal à l’imaginer en meurtrier...
- Les gens n’ont pas toujours l’air de ce qu’ils sont vraiment.
- Je ne crois pas me tromper. C’est un homme sensible et intelligent. Il semble en adoration devant sa fille. Il faut voir comment elle le mène par le bout du nez...
- Il t’a fait grande impression, on dirait.
Céline remarqua le ton dépité de Virginie. Elle décida de la taquiner un peu.
- C’est un homme intéressant. Il n’est pas beau, mais il a du charme. Par ses manières délicates, il me rappelle Gilles... Où vas-tu ?
- Je suis fatiguée. Je monte me coucher. Bonne nuit.
Céline s’amusait beaucoup. Décidément, la jalousie de Virginie donnait du piment à leur enquête. Elle monta à son tour dans la salle de bains où elle resta le temps de se démaquiller et de prendre sa douche.

Quand elle entra dans leur chambre, elle vit que Virginie, en veste de pyjama, était couchée sur le côté et lui tournait le dos. Elle faisait semblant de dormir. Elle avait laissé la lampe de chevet de Céline allumée afin qu’elle ne se retrouve pas dans l’obscurité.

Céline se dévêtit totalement. Elle ouvrit le lit et se coucha. Elle se blottit contre le dos de son amante. Elle dégagea sa nuque en repoussant le col de sa chemise et ses boucles brunes. Elle déposa un baiser sur le rectangle de peau offert et attendit.

Elle n’eut pas à attendre longtemps.
- Céline ?
- Oui ?
- Tu as l’air de trouver Paul Ourbaix à ton goût...
- Je te faisais marcher Virginie. Et toi, tu as couru... Tu sais très bien que je ne désire que toi... Que je t’aime à la folie... à l’idiotie...
- Céline ? Pourquoi m’as-tu embrassée tout à l’heure quand je t’ai raccompagnée chez Sophie’s ? Devant tous tes collègues de travail ?
- Parce que j’en avais terriblement envie. Je veux que tout le monde sache que je t’aime. Que mon coeur et mon corps appartiennent à une magnifique et mystérieuse jeune femme brune...
- Tu n’as pas peur de leur réaction ? Tu n’as pas peur d’être rejetée ?
- Le milieu des arts n’est pas particulièrement homophobe, Virginie. Et quand bien même, ce n’est pas en nous cachant que nous ferons évoluer les choses. Les gens ont une image tellement stéréotypée des lesbiennes. Nous devons leur montrer qu’elles sont plus proches de “The L-word” que de “Gazon maudit”.
Souriante, Virginie se tourna vers son amante.
- Céline ?
- Oui, Virginie. Que veux-tu ?
- J’aimerais que tu m’embrasses à nouveau...
Céline se mit rire doucement.
- Bien sûr, Virginie. Et je vais même te faire beaucoup plus que ça...
*
Quand elle ouvrit les yeux, Virginie constata qu’elle était seule dans leur lit. Céline avait quitté ses bras sans la réveiller.

Elle s’étira avec volupté et poussa un soupir.

Elle songea à leur nuit. A leurs étreintes toujours recommencées. Et elle rougit.

Elle enfoui son visage dans l’oreiller sur lequel Céline avait posé la tête, s’empara du drap qui avait enveloppé son corps et s’enivra du parfum qu’elle y avait laissé.
Tout à coup, elle eut faim. D’elle. A nouveau.

Elle se leva et revêtit ses vêtements à la hâte. Elle glissa sur ses épaules nues, la veste de pyjama que Céline lui avait retirée. Elle courut vers la porte, longea le couloir et prit l’escalier qu’elle descendit rapidement.

Arrivée au seuil de la cuisine, elle s’arrêta.

Céline lui tournait le dos. Elle préparait le petit déjeuner.

La radio diffusait les dernières nouvelles. La seconde prestation de serment de Barack Obama. L’interview de Jérôme Kerviel, le trader “vedette” de la Société Générale, les derniers rebondissements de l’affaire Clearstream, la crise, toujours la crise...

Mais Virginie ne prêta aucune attention à ses événements. Fascinée, elle regardait Céline. Elle s’approcha doucement et vint se blottir contre son dos. Elle enlaça sa taille de ses bras et plongea son visage dans son cou.

- Virginie. Je t’ai entendue, tu sais. Je savais que tu étais là...
- Je ne pouvais plus dormir. Je te cherchais dans mon sommeil. Ton absence m’a réveillée.
- Et bien, tu m’as retrouvée à présent.
- Oui, je t’ai enfin retrouvée. Tout à l’heure quand j’ai ouvert les yeux et que j’ai vu ta place vide, j’ai eu une seconde de panique totale. Et j’ai pensé : “et si cette seconde devait durer” ? Si elle me quittait ?
- Virginie. Ne pense pas à cela...
- Je n’ai que moi à t’offrir. Et c’est trop peu.
- C’est beaucoup au contraire. Et c’est tout ce que je veux.

- Hier quand je t’ai vue avec Paul Ourbaix et sa fille, j’ai pensé : un jour, c’est de cela dont Céline aura besoin. Une famille, un enfant. Et moi je ne pourrai pas les lui offrir. Je me suis sentie misérable.
- Virginie. Tout cela je l’aurai, je l’ai déjà. Avec toi. Tu est mon foyer, mon refuge, ma famille. Les enfants viendront. Quand nous le voudrons, toi et moi.
*
Céline avait quitté Sophie’s et s’était engouffrée dans le métro. Après plusieurs changements, elle était montée dans une  rame qui l’avait conduite jusqu’à la station Luxembourg. En courant, elle avait rejoint la rue Auguste Comte au moment précis où les portes du Lycée Montaigne s’ouvraient sur un  flot d’enfants qui sortaient en s’interpellant bruyamment.

Céline aperçut Morgane perdue au milieu de ses camarades. L’adolescente la cherchait des yeux. Quand enfin, elle vit Céline, son visage s’éclaircit d’un sourire lumineux.

Morgane se précipita vers elle.

- Vous êtes venue ! Vous êtes chic !
- Cela n’a rien de surprenant. Je te l’avais promis.
- Les adultes ne tiennent pas toujours leurs promesses. Surtout celles qu’ils font aux enfants.
- Que veux-tu faire ? Où veux-tu aller ?
- C’est comme vous voulez. Je vous suis.
- Bien, si tu as faim, nous pouvons aller chez Sico, rue de Seine. Ils proposent de délicieux petits pains cuits au four garnis de produits frais, saumon, tapenade, tomates confites...
- C’est parfait. Et c’est tout près de chez moi. J’habite Place Saint-Sulpice.
Elles traversèrent la rue Auguste Comte et pénétrèrent dans le Jardin du Luxembourg. Elles marchaient le long de la grande allée en direction du Sénat.

Elles bavardaient. Céline interrogeait Morgane sur ses goûts, ses projets. L’adolescente rêvait d’être égyptologue comme Christiane Desroches-Noblecourt, qui avait contribué à sauver le temple d’Abou Simbel, ou comme... Indiana Jones.

Elles étaient arrivés chez Sico. Elles avaient commandé leurs petits pains, arrosés d’un verre de rosé pour Céline et d’un Coca pour Morgane.
- Et vous, qu’est-ce que vous faîtes comme travail ?
- Je suis experte en art chez Sophie’s, la maison anglaise de ventes au enchères.
- Oh... vous vous occupez de vendre de vieux objets, comme Papa !
- Oui en quelque sorte...
- Vous le trouvez comment mon père ?
- Ton père, mais je le trouve... charmant. Un peu dépassé par sa fille. Je me trompe ?
- Papa s’occupe tout seul de moi depuis que j’ai quatre ans. Depuis que ma mère est partie vivre dans la pampa avec un bel argentin. Je ne l’ai jamais revue. Je n’ai que mon petit Papa, surtout depuis que grand père est mort, il y a quelques jours.
- Je suis désolée...
- Il ne faut pas. Papa dit que c’est la vie. Qu’il vaut mieux que nous soyons heureux, chacun de notre côté, plutôt que de se déchirer. Je suis heureuse avec Papa. Un jour, peut être, j’irai en Argentine, voir ma mère. Mais pas parce que j’ai besoin d’elle. Par curiosité, et aussi pour lui dire que personne n’est irremplaçable. Que j’ai su me passer d’elle. Et aussi pour le voir lui, son amant.
- Pourquoi veux-tu le rencontrer ?
- Je veux voir à quoi ça ressemble un homme assez exclusif pour exiger qu’une mère cesse de voir son enfant et coupe tous liens avec lui.
Il y avait dans la voix de Morgane tant de douleur contenue, de détermination et de fierté, mais aussi tant d’amour pour son père que Céline éprouva une gêne.

Virginie avait raison. Elles n’avaient aucun droit de faire ce qu’elles faisaient. De s’immiscer, par jeu, dans la vie de ce père et de cette adolescente.

Elle décida de cesser là son enquête. Elle savait que Virginie l’approuverait.

*
Morgane et Céline avaient quitté le restaurant. Elles marchaient en direction de la Place Saint-Sulpice.

Puisqu’elles étaient si proches de son domicile, Morgane avait souhaité s’y rendre pour déposer les livres dont elle n’avait plus besoin pour ses cours de l’après-midi.

Céline avait hésité, partagée entre le désir de pénétrer dans ce sanctuaire où un Veermer l’attendait peut-être et sa décision de ne pas aller plus loin dans son enquête.

Mais Morgane avait insisté. Céline n’avait pas osé dire non. Un refus aurait pu paraître suspect ou insultant.

Elles entrèrent dans un immeuble dont les fenêtres étaient tournées vers la fontaine de la place.

Elles prirent un vieil ascenseur en bois blond et s’élevèrent dans les étages. Elles arrivèrent à celui où habitaient Morgane et son père. Après avoir ouvert une belle porte, elles pénétrèrent dans un appartement éclairé par le soleil de ce mois de janvier.

Le lieu était empli d’antiquités, comme l’appartement de la rue de Rivoli, mais avec plus de sobriété. Paul Ourbaix avait choisi des meubles et objets années 30 et 40 comme dans sa boutique de la Place de Furstenberg : précieux meubles Ruhlmann en macassar et ivoire, vases Lalique du paquebot Normandie, service à café en argent Puiforcat, pochoirs Sonia Delaunay...

Morgane se dirigea vers sa chambre. Céline resta seule. Devant elle la porte du salon. Elle hésita. Elle mourait d’envie d’avoir une réponse à sa première question. Si le tableau que Paul Ourbaix avait récupéré rue de Rivoli était bien un Vermeer, il devait trôner dans cette pièce. Mais elle ne voulait pas avoir de certitude : Paul Ourbaix était-il un meurtrier qui avait tué son père pour récupérer cette oeuvre fabuleuse ?

Elle ne fit aucun geste et attendit que Morgane revienne.

- Voilà, c’est fait ! Je suis prête. Vous voulez boire quelque chose ? Un digestif ? C’est ce qui se fait, je crois. Ou un verre d’eau, un jus de fruit ?

- Merci, Morgane. Je n’ai besoin de rien. Je vais te raccompagner à ton lycée.
Elles quittèrent la maison. Céline éprouva à la fois un regret et un soulagement.

*

Morgane venait de rentrer dans son lycée. Elle avait dit au revoir à Céline en lui faisant promettre de la revoir.

La jeune femme se retourna, traversa la rue pour gagner de nouveau le Jardin du Luxembourg. Virginie se porta à sa hauteur.
- Et bien ce Vermeer ? Tu l’as vu ?
- Non, je ne suis pas entrée dans le salon où il pouvait être.
- Tu veux dire que nous avons fait tout ça pour rien ? Je vous ai suivies. J’ai fait le pied de grue place Saint-Sulpice. Tout ça pour rien.
- Oui, Virginie. Tout ça pour rien. Tu avais raison. Nous n’avons pas le droit d’intervenir et de priver Morgane de sa seule famille. Je crois qu’il vaut mieux en rester là. Nous ne saurons jamais s’il y avait un Vermeer. Nous ne saurons jamais si Paul Ourbaix a provoqué la mort de son père...
- Très bien. Que vas-tu faire à présent ?
- Je vais aller travailler chez Sophie’s. A ce soir...
- A ce soir.
Les deux jeunes femmes se séparèrent, chacune continuant sa route de son côté.
*
Samedi.

Il y avait sept jours à peine que Céline et Virginie avaient commencé à jouer les Sherlock Holmes et Docteur Watson.

Mais l’une et l’autre n’en avaient plus envie. L’espièglerie de Morgane, le besoin que le père et la fille avaient l’un de l’autre les avaient dissuadées de poursuivre leur enquête.

La mort de René Ourbaix et son tableau resteraient deux mystères qui ne seraient jamais résolus.

Après un solide petit déjeuner, Céline était partie faire des courses dans les halles et les épiceries de quartier. Virginie ne l’avait pas accompagnée. Elle s’était enfermée dans son atelier pour finir les dessins aquarellés d’un guide de voyage consacré aux hôtels de charme en France.

Céline savait qu’il lui faudrait accomplir seule courses, cuisine et ménage avant que son amante ne réapparaisse.

Même si en soi, ces tâches n’étaient pas exaltantes, elles étaient une distraction bienvenue pour oublier un certain mort du Jardin du Carrousel...
Céline marchait dans les rues du XVIème arrondissement. Elle s’était rendue au marché couvert de la Place de Passy. Elle parlait avec les commerçants, choisissait les produits avec soin.

Quand, enfin, elle rentra chez elle, les paniers pleins, elle ne vit pas qu’un homme l’attendait, caché dans l’encoignure d’une porte cochère.

Un homme blond, d’une quarantaine d’années, grand et mince, avec un fin collier de barbe.

*
Céline était entrée dans la cuisine. Elle avait posé ses paniers et commençait à en vider le contenu.

On sonna à la porte. le facteur sans doute. Elle alla ouvrir et se retrouva nez à nez avec Paul Ourbaix.
- Quelle surprise ! Bonjour Monsieur Ourbaix.
- Bonjour Mademoiselle Frémont. Ma présence vous surprend ?
- Oui, en effet, je m’attendais tellement peu...
- ... à me voir. Vous me permettez d’entrer ?
- Oui, bien sûr. Je vous en prie...
Paul Ourbaix entra puis suivit Céline dans le salon. Il regarda autour de lui en connaisseur.
- Magnifique ! Je ne parle pas uniquement de la pièce et du confort qu’elle offre. Piscine, jacuzzi, cheminée, mais des meubles. Jean Prouvé, Charlotte Perriand, Charles Eames... Votre salon est une succursale du Musée des Arts Décoratifs, Mademoiselle. Je comprends mieux qu’une femme aussi jeune ait du goût pour les créations années 30 et 40 d’André Sornay...
- Ces meubles ont été achetés par ma grand-tante, une vieille dame de soixante dix ans. Elle était architecte. Elle m’en a fait cadeau.
- Voilà une vieille dame fort généreuse quand on sait les prix que ces meubles atteignent chez les marchands et dans les ventes aux enchères. Mais vous ne l’ignorez pas, Mademoiselle Frémont, puisque c’est votre métier.
- Morgane vous a dit que j’étais experte en art chez Sophie’s.
- Oui, Morgane ne cesse de me parler de vous. Elle vous aime beaucoup...
- Morgane est une adolescente adorable.
- Il y a une autre personne qui vous apprécie énormément et qui n’a pas le mérite de la jeunesse.
- Ah oui et qui ?
- Madame Jondi. La concierge de mon père.
Céline, sans savoir pourquoi, se sentit tout à coup en danger. Peut être, tout simplement, parce que le ton de Paul Ourbaix avait changé. Parce que sa voix s’était faite plus froide.
- Madame Jondi ?
- Agathe Jondi. Elle ne tarit pas d’éloges sur votre compte. Il est vrai qu’une passante qui vous invite chez Angélina puis au Café Marly, c’est plutôt rare dans les rues de Paris.
- Elle avait été victime d’un pickpocket, alors j’ai voulu la réconforter...
- Et pour vous remercier elle vous a fait visiter l’appartement de mon père, René Ourbaix. Quel hasard curieux...
- Oui, c’est amusant...
- C’est par hasard aussi, je présume, que vous étiez à ses obsèques, le même jour, au Père Lachaise...
- Et bien... j’aime l’atmosphère très particulière du Père Lachaise. Surtout sous la neige...
- Oh vraiment ? Alors vous avez dû apprécier le Jardin du Carrousel, recouvert de son blanc manteau... Dimanche dernier...
Céline déglutit péniblement. Elle comprit que Paul Ourbaix avait mené son enquête. Qu’il avait interrogé Agathe Jondi. Mais comment pouvait-il savoir pour le Père Lachaise et le Carrousel ?
- Mademoiselle Frémont, je suis antiquaire... Cela signifie que je suis attiré par la beauté, comme le papillon l’est par la lumière. C’est une chose qu’une experte en art peut comprendre... La beauté que l’on trouve dans les objets. Que l’on trouve chez les êtres. Or vous êtes remarquablement belle, Mademoiselle. Vous étiez magnifique quand vous marchiez dans les allées du Jardin du Carrousel. Je vous ai tout de suite remarquée. Je vous ai reconnue aux obsèques de mon père. Comment oublier une femme telle que vous ? Quand vous êtes entrée dans ma boutique, j’ai su que ce n’était pas un... hasard.
Tout en parlant, Paul Ourbaix sortit la main qu’il tenait dans sa poche. Au bout de cette main, une arme, que Céline reconnut immédiatement pour être un Lüger, le revolver utilisé par les officiers allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle ne put s’empêcher de penser “encore une antiquité”.
- Madame Jondi m’a tout raconté. C’est une telle bavarde... Le tableau, le livre... J’ai compris que vous étiez à mes trousses, Mademoiselle. Et que vous vous rapprochiez de plus en plus de moi. Jusqu’à séduire ma petite fille à laquelle une présence féminine et maternelle manque tant...
- Monsieur Ourbaix, je vous jure...
- Ne jurez pas Mademoiselle. J’ai compris que vous faisiez une enquête sur mon compte. Je sais que vous savez. J’ai provoqué la mort de mon père et je me suis enfui. En tant que témoin de cette scène, vous avez le moyen de me faire jeter en prison et pour longtemps...
- Monsieur Ourbaix, je ne ferai rien de tel. Depuis que j’ai rencontré Morgane, j’ai renoncé à mon enquête.
- J’aimerais vous croire, Mademoiselle. Mais je ne peux pas prendre ce risque. Je ne peux pas prendre le risque d’être séparé de ma petite fille. Le risque qu’elle soit confiée à une mère dénaturée qui ne se soucie plus d’elle depuis douze ans...
- Alors, vous avez pris la décision de me faire taire. Définitivement.
- Oui.
- Le crime parfait n’existe pas. La Police ne manquera pas de faire le lien entre vous et moi. On vous aura vu entrer chez moi.
- La Police croira que votre amante vous a révolvérisée par jalousie. Et oui, moi aussi, je suis capable de jouer au détective privé... Je veux vous faire un dernier cadeau. D’abord vous, ensuite elle... Vous ne serez pas séparées. Pas même dans la mort.
A ce moment précis, une main s’abattit sur le bras de Paul Ourbaix. Virginie s’était approchée sans faire le moindre bruit. Paul Ourbaix ne pouvait pas la voir car il lui tournait le dos.

La jeune femme tenta de le désarmer d’une main tout en l’étranglant avec son autre bras.

Il se retourna face à Virginie. Une courte lutte s’ensuivit.

Le combat était incertain mais il ne dura que quelques secondes. Car, tout à coup, une détonation retentit.

Virginie poussa un cri de douleur et s’écroula au sol.

*

La jeune femme était assise, adossée contre le mur, le souffle coupé. Elle tenait ses mains crispées sur son ventre.
Céline se précipita vers elle, sans se soucier de ce que pouvait faire Paul Ourbaix. Ce dernier restait hébété devant le spectacle de la souffrance de Virginie. Il jeta son arme et se laissa choir dans un fauteuil. Il prit sa tête entre les mains.

- Mon Dieu, mon Dieu, qu’ai-je fait ?
Le Luger gisait au sol.
Céline s’empara de l’arme et laissa éclater sa colère.
- C’est un peu tard pour avoir des regrets. Je ne sais pas ce qui me retient de...
Virginie intervint alors.
- Céline, je t’en prie... 
- Virginie, mon amour, où as-tu mal ?
- Au ventre. Ça fait un mal de chien...
- Laisse-moi voir.
Céline écarta les mains de Virginie. Elle vit alors qu’il n’y avait pas de sang sur les vêtements de son amante mais que, par contre, il y avait des traces de brûlure.

Elle ouvrit la crosse du Luger et constata que l’arme était chargée avec des cartouches à blanc, c’est à dire contenant une charge de poudre mais dépourvues de projectiles. Virginie avait “seulement” été brûlée par la poudre qui s’était enflammée au moment du tir.

- Où avez-vous eu cette arme ?
- Je l’ai trouvée chez mon père, Rue de Rivoli.
- Vous savez comment il se l’est procurée ?
- Non, je l’ignore.
- Cette arme ne pouvait pas tuer car elle ne contenait que des munitions à blanc.
- Céline. J’ai mal...
- Je sais ma chérie. J’appelle immédiatement des secours. Quant à vous, aidez-moi à la porter jusqu’à notre chambre.
Aidée par leur agresseur, Céline conduisit Virginie jusqu’à leur lit où elle la coucha.

Elle prit son iPhone et appela leur médecin. Il répondit qu’il serait chez elles dans vingt minutes.

En attendant son arrivée, il lui indiqua quels étaient les premiers soins à prodiguer à la victime.

Paul Ourbaix sorti, elle aida son amante à se dévêtir. Par chance, son sweat-shirt en coton n’était pas collé à la peau.

Virginie apparut devant elle, le torse dénudé.

Elle constata qu’elle présentait une brûlure sur le ventre.

Céline couru à la salle de bains et rapporta une compresse imbibée d’eau tiède qu’elle posa sur la brûlure. Virginie éprouva un soulagement immédiat.

Puis elle lui fit avaler une aspirine afin d’apaiser sa douleur.
- Je vais te laisser Virginie. Je vais voir ce que fabrique Paul Ourbaix...
- Je ne veux pas te laisser seule avec lui...
- Ne crains rien, ma chérie. Je crois qu’il est devenu totalement inoffensif...
- Non, je viens avec toi. Céline ?
- Oui ? Que veux-tu ?
- Seulement te dire que je t’aime.
- Je sais, ma chérie. Tu viens de me le prouver en risquant ta vie pour moi.
Céline, assise sur le lit, prit la tête de la jeune femme entre ses mains et déposa un baiser sur ses lèvres.
- Tu étais magnifique quand tu te battais avec cet homme. Tu ne peux pas savoir ce que j’ai éprouvé alors. De la peur, de la fierté, de l’amour, du désir...
- Céline...
- Tu es ma lionne, superbe et généreuse... Je t’aime.
Malgré sa douleur, Virginie se leva et enfila une chemise Abercrombie and Fitch que Céline lui avait rapportée de Londres, la dernière fois qu’elle y était allée pour son travail, n’y restant que la journée.

Les deux jeunes femmes descendirent dans le salon. Là, elles constatèrent que Paul Ourbaix avait fui. Alors, Céline prit son portable et appela Morgane.
*
Le médecin venait de partir. La brûlure de Virginie n’était que superficielle. Aucune hospitalisation ne serait nécessaire.

Il avait posé un pansement sur sa blessure. Elle avait avalé un antalgique afin de l’aider à supporter la douleur.

Il avait félicité Céline pour les premiers soins qu’elle avait prodigués et avait sermonné Virginie pour les risques qu’elle avait pris en jouant avec une arme de collection.

C’est en effet le mensonge que les deux jeunes femmes avaient trouvé pour éviter que la Police soit prévenue.

Virginie avait écouté le médecin en bouillant intérieurement. Mais elle n’avait pas protesté. Elle était d’accord pour que tout soit tenté afin que la vie de Morgane ne soit pas bouleversée.
- Bon sang ! Dire que je dois laisser ce médecin me faire la morale alors que j’ai failli me prendre une balle !
- Je sais ma chérie. Cela n’a rien d’agréable !
- Tu te rends compte Céline que nous faisons des efforts pour sauver un assassin ?
- Je ne suis pas si sûre que Paul Ourbaix soit un assassin.
- Tu ne crois plus qu’il a tué son père ?
- Pourquoi provoquer sa mort au milieu d’un jardin public, à deux pas du musée le plus fréquenté au monde, alors qu’il aurait pu le surprendre chez lui, rue de Rivoli, à l’abri des regards ?
- Mais il t’a avoué avoir provoqué la mort de son père puis s’être enfui... Et tu oublies qu’il a menacé de nous tuer...
- Oui, mais il n’avait qu’une arme chargée à blanc. Tu reconnaîtras que, pour un tueur, il est bien maladroit.
- Je suis perdue. Il me paraissait diabolique avec ses promesses de nous réunir dans la mort. Un vrai serial killer, digne de Ted Bundy...

- Tu exagères... 
- Et maintenant, tu crois qu’il est aussi doux que l’agneau... Tu as réussi à joindre Morgane ?
- Oui. Elle sera là dans quelques minutes. Mais nous ne devons rien lui dire de ce qui s’est passé ici. Je lui ai demandé de venir pour la mettre en sécurité. Maintenant qu’il se sait découvert, on ne sait pas ce que Paul Ourbaix pourrait faire. Il peut se rendre à la Police ou se suicider. Mais s’il choisit cette seconde solution, il pourrait emmener sa fille avec lui.
- Et pour lui ? Que va-t-on faire ?
- Morgane m’a communiqué le numéro de téléphone de son père. J’ai exigé qu’il revienne pour nous donner une explication.
- Je ne suis pas sûre d’avoir envie de le revoir...
- Virginie. Nous devons avoir le fin mot de l’histoire...
- Bien. Mais je ne veux pas que tu le rencontres seule. Je veux être à tes côtés.
*
Morgane les avait rejointes.

Elle était ravie. Elle découvrait la demeure de Céline, la compagne de Céline. Elle avait l’impression qu’une véritable amitié naissait entre elles puisque la jeune femme ne lui cachait rien de ce qu’était sa vie.

Pour l’adolescente en manque d’amour maternel, Céline devenait beaucoup plus qu’une amie. Une grande soeur à laquelle se confier.

Virginie et Céline le comprirent immédiatement. Plus que jamais, il leur était impossible de trahir la confiance de Morgane.

- Mince de maison ! En plein Paris ! Ça change de notre appart’ ou de celui de grand-père ! C’est pas Place Saint-Sulpice ou rue de Rivoli qu’on pourrait avoir piscine et jacuzzi dans le salon ! Sans compter le home-cinéma et la salle de gym... Je pourrais venir de temps en temps faire du sport avec vous ? Je déteste ça au lycée. Mais avec vous, j’adorai...
- Bien sûr Morgane. Tu peux venir quand tu veux. Tu dînes avec nous ce soir  ? Ton père sera là aussi.
- C’est vrai ? Oh merci, vous êtes chic...
- En attendant, fais comme chez toi. Virginie et moi devons aller en cuisine pour préparer le repas.
- Ne vous en faites pas pour moi. J’ai apporté mon ordinateur et un livre que je dois étudier. Je passe le bac français cette année. Alors...
- Très bien, installe-toi dans la bibliothèque. Tu y seras mieux pour travailler.
*
Elles étaient dans la cuisine. Virginie maugréait.
- Je ne comprends pas que tu prennes le risque de recevoir ce type !
- Tu as l’air d’aller mieux ! Tu n’arrêtes pas de rouspéter !
- Je rouspète parce que nous prenons un risque inutile. Recevoir ce... tueur à notre table comme si c’était... un cousin de province en visite à Paris. C’est complètement surréaliste ! C’est Dada !
- Nous ne prenons aucun risque Virginie. Il ne tentera rien devant sa fille qu’il adore.
- Nous allons dîner avec un tueur et ça ne t’inquiète pas plus que ça !
- Paris est une ville cosmopolite !!! Tu dois l’accepter même si cela choque la campagnarde normande qui sommeille au fond de toi.
- J’admire ta désinvolture et ton courage.
- Je ne suis pas désinvolte. Je serai très attentive au moindre geste de Paul Ourbaix. Mais c’est vrai que je n’ai pas peur. Car je sais que j’ai ma wonderwoman à mes côtés.
Céline s’approcha de son amante et déposa un léger baiser sur ses lèvres. Ce qui eut pour effets de calmer la colère de Virginie et de clore la discussion.
*
Le repas était terminé.

Morgane, qui tombait de sommeil, avait demandé la permission d’aller se coucher dans une des chambres d’amis.

L’adolescente bachotait toutes les nuits pour obtenir une mention au bac. Elle était fatiguée.
Paul Ourbaix était assis dans un des fauteuils du salon, les bras posés sur les genoux, la tête baissée. Céline lui avait servi un whisky.

Elles attendaient qu’il se confie.
- Je vous remercie de ce que vous faîtes pour Morgane. C’est la première fois que des jeunes femmes s’intéressent à elle. Elle n’en parle jamais, mais je sais qu’une présence féminine, comme une mère ou une soeur aînée, lui manque.
- Nous sommes prêtes à faire beaucoup plus pour elle... Nous taire, par exemple. Ne rien dire de la mort de votre père et des événements de ce matin. Mais à la condition que vous nous disiez tout.
Paul Ourbaix regarda Céline et Virginie pendant quelques secondes. Il avala un gorgée de whisky et se lança.
- Oui, je sais que je peux vous faire confiance. Alors voilà mon histoire. Les Ourbaix sont une famille d’antiquaires depuis plusieurs générations. Le premier était Honoré Ourbaix. Il a ouvert sa boutique vers 1850, Place de Furstenberg. Une telle adresse, exceptionnelle, serait inabordable aujourd’hui. Il avait Eugène Delacroix pour voisin direct. Et malgré cette proximité, il n’a jamais acquis aucune oeuvre de ce peintre génial. C’est Honoré qui a acheté l’appartement rue de Rivoli.
- Ses affaires étaient prospères...
- Non, pas vraiment. Mais à l’époque ces adresses n’étaient pas aussi courues qu’aujourd’hui et bien moins chères. En fait, nous sommes de petits antiquaires. Nous n’avons rien à voir avec les familles prestigieuses comme les Fabius, les De Jonckheere. Mais comme eux, toute notre vie nous avons été à la recherche de l’oeuvre fameuse qui serait le bijou de nos collections.
- Comme ce tableau découvert par hasard par André Fabius lors d’une vente sans importance. L’oeuvre, sale, était posée à même le sol. Après nettoyage et expertise, on découvrit que c’était un George de la Tour...
- Vous connaissez cette histoire ? Quel expert en art ne la connaît pas ? Ou comme ces deux Gainsborough découverts aux Puces de Londres et achetés pour une bouchée de pain...
- Le rêve. Mais cela arrive si rarement dans la réalité.
- Mon père René adorait son métier. Parce qu’il aimait l’art par dessus tout. C’était un antiquaire passionné. Il n’y a pas un seul vide-grenier qu’il n’ait fait, pas un salon de la brocante qu’il n’ait visité, pas une salle des ventes qu’il n’ait investie. Toutes les semaines, il recevait la Gazette Drouot. Aujourd’hui à l’heure d’internet, il serait le plus heureux des hommes. Accéder aux salles des musées, aux catalogues de ventes d’un seul clic...
- Vous l’avez suivi dans sa passion.
- Passion. C’est le mot. Au sens biblique. Comme la Passion du Christ. Souffrir, éprouver, endurer. Un jour, dans les années 60, mon père s’était rendu en Bourgogne. Il devait assister à une vente aux enchères dans une ville, Auxerre, Tonnerre, ou Saint-Florentin, je ne sais plus... En chemin, il passa dans un petit village où un vide-grenier avait lieu. Mon père s’arrêta. Naturellement... Il déambulait parmi les exposants qui avaient déposé devant leur maison, sur des couvertures jetées sur les trottoirs, les objets dont ils ne voulaient plus. Et là, au milieu des casseroles en cuivre, des assiettes ébréchées, des pipes cassées...
Céline et Virginie étaient littéralement suspendues au récit de Paul Ourbaix.
- Son coeur se mit à battre la chamade. Ses mains devinrent subitement moites. Il prit l’air de rien. Il acheta quelques objets dont il discuta le prix. Pour ne pas éveiller le soupçon. Quand enfin, le vendeur accepta, mon père emporta la marchandise qu’il avait acquise. Il se sauva comme un voleur. Sans se retourner. Il avait tellement peur que le vendeur ne se ravise. Il jeta les objets dans le coffre de sa voiture. Mais ELLE, il la garda près de lui, sur le siège passager. Il n’était plus question d’aller à la vente aux enchères. Il retourna immédiatement à Paris. Il était fou de joie. Et pourtant, son calvaire commençait.
- Son calvaire ? Pourquoi ?
- Parce qu’au milieu de ces objets, il y avait le rêve de toute une vie. Le miracle absolu. Un Vermeer de Delft.
*
Paul Ourbaix but une gorgée de whisky.
- De retour chez lui, rue de Rivoli, il se précipita dans son bureau serrant contre lui le tableau qu’il avait enveloppé dans son manteau. Il ne réapparut plus de la soirée. Ma mère vint toquer à la porte, qu’il avait fermée à clef, pour qu’il vienne dîner. Il lui répondit, sans lui ouvrir, qu’il n’avait pas faim. Il ne vint pas se coucher. Il resta toute la nuit seul, sans pouvoir quitter l’oeuvre qu’il avait sauvée du néant. Le lendemain, il n’alla pas à son travail. Plusieurs jours passèrent ainsi. Mon père ne quitta pas son bureau. Il y dormait. Il y mangeait. Il reprit enfin une vie presque normale quand il put enfermer son Vermeer dans le coffre qu’il avait fait installer chez nous.
- Tout rentra dans l’ordre alors...
- Non, car mon père ne reprit jamais sa vie d’avant. Cette oeuvre avait bouleversé son existence de façon définitive. Il s’avéra incapable de s’en séparer. Elle faisait sa joie et son malheur. Elle le fascinait par sa beauté et l’enfermait dans une prison de solitude. Mon père partait à son travail après avoir mis le tableau en sécurité dans son coffre. Ma mère ne l’a jamais vu. Elle n’a même jamais su qu’il existait. Comme mon père craignait qu’elle ne bavarde, il ne lui en a jamais parlé.
- Vous voulez dire que votre mère a vécu près de trente ans auprès d’un Vermeer sans le savoir ?
- Oui. Mon père ne l’a accroché au mur qu’après sa mort.
- C’est incroyable...
- Cette oeuvre a séparé mes parents. Ils vivaient l’un à côté de l’autre. Mon père nous laissait partir seuls en vacances, ma mère et moi. Il restait à Paris. Mais le pire restait à venir...
- Vous nous faites peur...
- Oh non, ce n’est pas ce que vous croyez. Mon père n’a pas tué pour ce tableau. Il n’y a que moi qui ait failli faire cette folie. Non, c’est lui-même que mon père a tué à petit feu.
- Que voulez-vous dire ?
- Il a fini par souffrir d’une très grave maladie de coeur. Je suis persuadé que c’est à cause de ce tableau. Il craignait tellement qu’on le lui prenne. Le moindre bruit le faisait sursauter. La moindre contrariété était un drame. Il suspectait un voleur derrière chaque facteur. A la fin de sa vie, il ne sortait plus qu’une heure par jour pour se rendre au Louvre, après avoir, naturellement, mis le tableau dans son coffre.
- Mais vous, comment avez-vous découvert son existence ?
- J’avais quinze ans. Ce tableau était entré dans nos vies depuis une dizaine d’années déjà, bien que je sois incapable de vous donner la date exacte. Mais, comme ma mère, j’en ignorait tout. Je savait simplement que mon père avait un secret qu’il enfermait à double tour dans son bureau. En farfouillant dans les placards, je suis tombé sur un jeu de clefs. C’était le double de toutes les clefs de notre appartement. Une nuit, j’ai profité du sommeil de mon père qui dormait dans la chambre de mes parents. Je suis entré dans son bureau. Et là, dans la lueur d’une torche électrique dont la lumière jouait avec les couleurs du tableau, je l’ai vue. Je l’ai immédiatement reconnue... Je suis tombé assis dans un fauteuil, le souffle coupé. Je n’en croyais pas mes yeux...
Paul Ourbaix interrompit son récit. Céline et Virginie s’exclamèrent, d’une seule voix.
- Oui... continuez...
- Elle était là, elle me regardait, la tête tournée vers moi, sa bouche rouge légèrement entrouverte, son turban jaune et bleu qui enserrait sa tête et recouvrait ses cheveux, tombant dans son dos, avec sa perle dans laquelle se reflétait la clarté de la fenêtre...
- La jeune fille à la perle ! Mais c’est impossible ! Ce tableau se trouve à La Haye !
- Je le sais. Le tableau de La Haye n’est qu’un détail d’une oeuvre plus grande. Sur le tableau de mon père, la jeune fille est assise sur une chaise près d’une table recouverte d’un tapis... Elle s’apprête à jouer de la guitare. Les proportions sont plus petites. Vermeer a enfermé son modèle, et tout le décor qui l’entoure, sur une toile guère plus grande que le chef d’oeuvre que l’on peut admirer au Mauritshuis. Mais c’est la même émotion qui vous étreint le coeur... et qui vous fait vous sentir tout petit devant le génie d’un homme...
Virginie protesta.
- Je n’arrive pas à le croire. La jeune fille à la perle est l’un des tableaux les plus célèbres au monde. Elle est surnommée la Joconde du Nord. Comment aurait-elle pu traverser les siècles sans qu’on la repère ? Comment a-t-elle pu se retrouver jetée sur une couverture dans le vide-grenier d’un village bourguignon ? Comment son vendeur pouvait-il ignorer qu’il détenait le chef d’oeuvre absolu du plus grand des peintres ?
- Je me suis aussi posé ces questions, Mademoiselle. Et mon père a tenté d’y répondre. Car avec Vermeer, on ne peut pas avoir de certitudes. Mon père se levait chaque nuit pour veiller sur son tableau. Il m’a surpris. Il a refermé la porte de son bureau. Il a allumé les lumières. La jeune fille est apparue dans toute sa splendeur. Il ne m’a pas grondé. Il m’a dit qu’il savait qu’un jour viendrait où il devrait me mettre dans la confidence. Il me fit jurer sur sa tête, sur celle de ma mère et sur celles de mes enfants à naître, que jamais je ne trahirais son secret. Naturellement, j’ai juré...
- Votre père vous enfermait dans la même prison que lui...
- Oui, je ne l’ai pas compris alors. Il me raconta comment il avait découvert cette oeuvre. La Bourgogne. Le village. Le vide-grenier. Les années qu’il avait déjà passées auprès d’elle, à la contempler et à l’examiner. Les recherches qu’il avait entreprises pour savoir quand elle avait été peinte et les circonstances de son surgissement en France. Il avait commandé, auprès de la librairie Galignani, rue de Rivoli, tous les ouvrages existants sur Johannes Vermeer. Les ombres de la vie du grand peintre sont comme une réponse à la lumière de ses créations. On ne sait rien de sûr. On ne peut que deviner, supposer...
- Et qu’a-t-il découvert ?
- Ce que l’on sait de la vie de Vermeer tient en quelques lignes. Il est né à Delf, en Hollande, en 1632, il y est mort à 43 ans en 1675. Entre-temps, il a été peintre, cabaretier et marchand de tableaux. Il est mort ruiné laissant une veuve et onze enfants. A sa mort, un inventaire de ses biens a été dressé. Au milieu des objets personnels, du matériel de peinture, on a répertorié ses oeuvres, du moins celles qu’il n’avait pas encore vendues. Pour régler ses dettes, sa femme a cédé vingt-six tableaux à un marchand d’Amsterdam. De son vivant, Vermeer avait un mécène qui lui achetait un à deux tableaux par an et en accumula une vingtaine. Il finiront par échoir à son gendre, Jacob Dissius... A la mort de ce dernier, la collection fut dispersée. Le nom de Vermeer va sombrer dans l’oubli. Il ne sera réhabilité qu’au XIXème siècle soit deux siècles plus tard. Les inventaires qui ont été dressés à la mort de Vermeer et de Dissius permettent d’authentifier les oeuvres conservées dans des musées. Mais la plupart des historiens pensent qu’un certain nombre de tableaux, entre dix et vingt, auraient disparu ou n’auraient jamais été identifiés comme étant des oeuvres du maître de Delft.
- Votre père pensait que sa jeune fille en faisait partie.
- Bien sûr. Il en était persuadé.
- Mais comment expliquait-il sa présence en France ?
- En mai 1940, au début de la Seconde Guerre Mondiale, les troupes allemandes ont d’abord envahi les Pays Bas et la Belgique provoquant la fuite des populations vers la France. Mon père pensait qu’une famille hollandaise avait dû se réfugier chez nous en emportant un pauvre bagage, parmi lequel ce tableau. Naturellement, ce n’était qu’une hypothèse, car il n’est jamais retourné dans ce village de Bourgogne.
- Comment cette famille pouvait-elle ignorer la valeur de l’oeuvre qu’elle possédait et le vendre pour rien ?
- Mon père pensait qu’il pouvait s’agir d’une famille juive qui a pu être arrêtée par la police française et déportée, laissant tous ses biens derrière elle. Le vendeur, qui n’était qu’un tiers, ignorait donc tout de la valeur du tableau.
- Ce ne sont que des suppositions.
- Je n’ai rien de mieux à vous offrir...
- Admettons. Il vous reste à éclairer le décès de votre père...
*
Paul Ourbaix baissa la tête.

- Du jour où je découvris le secret de mon père, je me suis attaché à la même chaîne que lui. Nous sommes devenus, l’un comme l’autre, les esclaves de la jeune fille. Je me suis voué au même culte. Naturellement, je devins antiquaire. Ma vie se limitait aux murs de la boutique, à ceux du bureau de mon père. Encore aujourd’hui je me demande comment j’ai réussi à rencontrer et à séduire la mère de Morgane. Une chose est certaine, c’est que je n’ai pas su la garder. Elle a rencontré cet homme alors que je l’avais laissée seule à la boutique. Je suis plus à blâmer qu’elle.
Sa voix se brisa. Céline et même Virginie ressentirent la détresse de cet homme qui racontait son désarroi.
- Vous connaissez la phrase de Picasso. “Je donnerais toute la peinture italienne pour Vermeer de Delft”. Et bien moi, j’ai tout donné à la jeune fille. Mon adolescence, mon mariage, l’enfance de Morgane. Alors, j’ai fini par considérer que ce tableau m’appartenait et qu’il appartenait à ma fille. Que c’était une sorte de dédommagement pour les sacrifices que je lui avais consentis.
- Mais vous avez appris que votre père voulait en faire don au Louvre...
- Oui. C’était il y a un peu plus d’un an. Mon père m’a annoncé qu’il voulait faire don de la jeune fille. La donation René Ourbaix. Ainsi son nom entrerait dans le plus prestigieux des musées. Il deviendrait le plus remarquable des antiquaires. Celui qui avait su découvrir un chef d’oeuvre. J’étais abasourdi. J’avais l’impression qu’il me volait, qu’il volait Morgane...
- Vous vous êtes disputés. Madame Jondi vous a entendus.
- Oui, j’étais furieux. Je lui ai dit que je ne le laisserais pas faire. Et puis je suis parti. Je ne suis plus jamais revenu à son appartement. Sauf cette semaine pour reprendre le tableau et le mettre à l’abri chez moi.
- Et la mort de votre père ?
- J’y viens. J’était désespéré. Parce que je ne les voyais plus. Ni mon père, ni la jeune fille. Nous avions coupé tous les ponts. Morgane ne voyait plus son grand-père. Elle a déjà si peu de famille. Alors, dimanche dernier, j’ai décidé de me rendre rue de Rivoli, pour faire la paix avec cet homme vieux et malade. Pour lui dire qu’il pouvait faire ce qu’il voulait de ce tableau qui lui avait rongé le coeur. La neige s’est mise à tomber à gros flocons. C’était surprenant. En quelques minutes, la ville a été recouverte d’un manteau blanc. Quand je suis arrivé dans les Jardins des Tuileries, tout était fantomatique. Il n’y avait personne. Pas un promeneur. Mais surtout, pas un bruit. J’ai vu mon père. Il traversait le Jardin du Carrousel pour se rendre au Louvre. J’ai couru pour le rattraper. Quand je suis arrivé à sa hauteur, il a été surpris. Mortellement surpris. Il ne m’avait pas entendu avec cette neige qui étouffait les bruits. Je lui ai fait peur. Mais je jure que c’était involontaire. Il s’est écroulé au sol. A son visage, j’ai compris que c’était fini. Je suis resté interdit quelques secondes. Je ne savait pas quoi faire. Et puis vous avez surgi. Alors, j’ai fui sans réfléchir...
- Et ce matin ? Vous ne pouvez pas prétendre qu’il s’agissait d’un accident...
- Je ne le prétends pas. Je vous l’ai dit. Quand vous êtes entrée dans ma boutique, j’ai immédiatement reconnu en vous la jeune femme du Père Lachaise et du Jardin du Carrousel. J’ai compris que ce n’était pas un hasard. J’ai interrogé Madame Jondi. Elle m’a tout dit. J’ai compris que vous aviez tout deviné. J’ai eu peur d’être arrêté. Peur d’être séparé de Morgane. Peur qu’elle soit confiée à sa mère... Alors, j’ai pris chez mon père ce Luger qu’il gardait dans un tiroir. Il l’avait acheté pour défendre son tableau au cas où. Mais il n’a jamais eu à s’en servir...
- Comment expliquez-vous qu’il était chargé à blanc ?
- Tout à l’heure, je suis retourné à la boutique. Vous savez que les antiquaires sont obligés de tenir des cahiers sur lesquels ils doivent noter la marchandise qu’ils achètent et qu’ils vendent. J’ai retrouvé le cahier qui correspond à l’achat de ce Luger. Mon père l’avait acheté à une maison spécialisée dans les accessoires de cinéma. Or, quand on tourne un film, les armes sont toujours chargées à blanc. J’avoue que je n’ai pas vérifié quand j’ai pris cette arme dans le bureau de mon père. Je pense que lui non plus. Voilà, vous savez tout...
- Vous n’auriez pas hésité à nous tuer ?
- Je ne sais pas ce que je voulais. Vous faire peur. Vous faire taire. J’étais dans le même état de folie qu’à l’époque où je vénérais ce tableau...
- Qu’allez vous en faire ?
- Je vais respecter la volonté de mon père. Ce tableau ira au Louvre. Du moins s’il est authentique. Mais j’aurai une exigence. Une seule. Ce sera la Donation René et Morgane Ourbaix...
*
En ce dimanche du mois de janvier, la neige avait recommencé à tomber.

Céline était assise sur l’un des canapés du salon, les jambes repliées sous elle. Un feu de bois ronronnait dans la cheminée. Elle feuilletait un livre d’art consacré à un peintre italien.

Virginie apparut avec un plateau sur lequel étaient posées une théière et deux tasses. Elle posa le tout sur une console, à portée de main et s’installa sur le canapé. Céline vint se blottir contre elle. Virginie l’entoura de ses bras.

- Céline, j’admire ton côté pratique. Avoir conseillé à Paul Ourbaix une dation en paiement plutôt qu’une donation...
- Les frais de succession qu’il va devoir régler pour pouvoir conserver la boutique de la Place de Furstenberg, les appartements de la rue de Rivoli et de la Place Saint-Sulpice, les antiquités de son père, sont tels qu’il aurait été obligé de vendre une partie de ces biens. En offrant le Vermeer pour payer les frais de succession, il fait l’affaire de tous. De sa famille, de l’Etat français, du Louvre.
- C’est une belle chose que d’avoir un master en droit !
- Les dations en paiement sont couramment pratiquées. La collection Picasso, qui se trouve au Musée Salé, en est une. C’est ainsi que les musées français s’enrichissent de chefs d’oeuvre qu’ils ne pourraient pas s’offrir autrement.
- Il neige à nouveau !
- Oui. Mais cette fois-ci tu n’arriveras pas à me faire sortir...
- Je n’en avais pas l’intention. Je préfère rester ici, au coin du feu, avec toi. Que regardes-tu ?
- Un livre sur Guiseppe Arcimboldo. Notre aventure m’a donné envie de revoir ses tableaux.
- Pourquoi lui ?
- Tu te souviens de ce que tu m’as dit il y a quelques jours. Les gens n’ont pas toujours l’air de ce qu’ils sont vraiment. Et bien tu avais raison. La mort de René Ourbaix avait l’air d’un meurtre. Mais ce n’en était pas un. Son fils Paul avait l’air d’un assassin. Mais ce n’était qu’un brave type qui adore sa fille.
- Quel rapport avec Arcimboldo ?

- Regarde cette oeuvre appelée le Jardinier. Quand tu la regardes, tu crois voir un plat rempli de légumes. Si tu la retournes, tu vois la tête d’un homme. Ce tableau nous dit : il ne faut pas s’arrêter à l’apparence des choses.
- Une peinture italienne ?
- Moi, je ne pense pas comme Picasso. Je ne donnerais pas toute la peinture italienne pour Vermeer de Delft...
- Ah non ?
- Non. Moi, je donnerais toute la peinture italienne pour... Virginie Mirbeau...


FIN



Vous pouvez lire la suite
des aventures de Céline et Virginie
 dans un autre récit,
Enchères.


*

85 commentaires:

  1. Merci gustave pour ce petit cadeau d'anniversaire que je reçois quelques heures en avance et dont les mots sont parfaits...

    Je vois que Hitchcock et les Enchainés font parlés d'eux ici également... ;)

    Bon dimanche.

    RépondreSupprimer
  2. Oups Gustave, tu vas déchainer les passions!!!!

    B a b a

    RépondreSupprimer
  3. Un grand bravo pour ce monologue empli de désir, j'en avais le ventre noué xD

    Normal que Vi est complètement succombée ^^

    Bonne journée Gustave ;)

    RépondreSupprimer
  4. Gustave, tu nous gates avec ce nouveau récit, très beau début, avec ce désir de Céline si bien exprimé, c'est un délice à lire. Merci.

    Ramsès88

    RépondreSupprimer
  5. Encore un nouveau récit et un petit joyau avec ce début. Quelle merveilleuse façon pour Céline de d'exprimer son désir et son amour passionné pour son amante...
    Merci infiniment !
    Stef31

    RépondreSupprimer
  6. Gustave évoque aussi bien aussi bien les paysages que les scènes érotiques, sans jamais tomber dans la vulgarité.

    Ce nouveau récit est plein de promesses et il me tarde d'en connaître la suite.

    RépondreSupprimer
  7. très Henri-Georges Clouzot cette suite...Pourquoi pas c et V en fins limiers? Excellente idée.

    Merci Gustave.

    B a b a

    RépondreSupprimer
  8. C'est complètement génial ^^

    Une intrigue policière :)

    J'ai trop hâte d'en savoir plus ! !

    Merci Gustave ;)

    RépondreSupprimer
  9. Très captivant, merci Gustave

    Ramsès 88

    RépondreSupprimer
  10. Merci Gustave pour ce nouveau récit, tu nous régales.

    RépondreSupprimer
  11. Quel suspense ! J'ai hâte d'être à la semaine prochaine pour connaître la suite !

    RépondreSupprimer
  12. Que de suspens autour de Céline et Virginie qui s'improvisent enquetrices, aprés une simple promenade dans des jardins eenneigés...!
    Passionnant !
    Merci Gustave !

    RépondreSupprimer
  13. Céline et Virginie en enquêtrices de charme et de choc. merci aussi pour cette leçon d'histoire dès plus passionnante Gustave.

    B a b a

    RépondreSupprimer
  14. Je suis tout à fais d'accord avec B a b a ^^

    Elles sont superbes nos deux inspectrices =)

    J'ai hâte de lire cette enquête et je suis sûre de me régaler jusqu'au dénouement ;)

    Jspr que tu as fais bon voyage :)

    Bisous ! !

    RépondreSupprimer
  15. Quel plaisir encore de lire la suite de ce récit avec la complicité des deux enquêtrices de charme, et toujours les références culturelles et historiques.

    Merci infiniment Gustave.

    Stef31

    RépondreSupprimer
  16. j'aime beaucoup le déroulement des plan-séquences, il me semble visionner un film des années quarante en noir et blanc.

    Merci chère Gustave.

    B a b a

    RépondreSupprimer
  17. Passionnante cette suite avec Céline et Virginie en fines investigatrices !

    Merci Gustave de nous tenir en haleine avec ce récit..

    STEF31

    RépondreSupprimer
  18. Toujours aussi captivant...

    Ramsès 88

    RépondreSupprimer
  19. Céline et Virginie toujours bien décidées à découvrir la vérité sur la mort de cet inconnu; captivant et amusant aussi de voir la jalousie de Virginie...

    Merci Gustave, j'aime beaucoup ce récit !

    STEF31

    RépondreSupprimer
  20. Touours un plaisir de te lire...

    Ramsès 88

    RépondreSupprimer
  21. J'aime beaucoup, beaucoup cette nouvelle. Tous s'enchaine parfaitement: de l'action, de l'amour...des cocotiers (non là je m'égare)

    Merci Gustave.

    B a b a.

    RépondreSupprimer
  22. Très bonne idée cette intrigue policière. Vivement la suite.

    RépondreSupprimer
  23. Le dialogue "ping-pong" entre Céline et Virginie est particulièrement savoureux.

    Mêler érotisme et investigation, joli challenge que tu réussis parfaitement.

    Merci Gustave.

    B a b a

    RépondreSupprimer
  24. Je ne suis pas comme b a b a Vito a peut-être des circonstances atténuantes mais il nous a fait quand même peur.

    Tu décris l'indescriptible (je parle d'érotisme) sans être choquante alors grazie mille.

    Nath.

    RépondreSupprimer
  25. Toujours aussi passionnante cette enquête

    RépondreSupprimer
  26. Merci, j'adore ton récit.

    ramsès 88

    RépondreSupprimer
  27. Toujours aussi fusionnelles et passionnées les deux amoureuses; j'aime aussi beaucoup le dialogue mélant amour et investigations !
    Un grand moment...

    Merci Gustave !

    RépondreSupprimer
  28. Ingénieux récit avec de merveilleuses descriptions des lieux.

    RépondreSupprimer
  29. J'aime beaucoup la façon dont les filles mènent l'enquête, vivement la suite

    RépondreSupprimer
  30. Palpitant et j'aime cette "ballade" dans Paris et comme en plus j'adore le Père Lachaise que du bonheur.

    Merci Gustave.

    B a b a

    RépondreSupprimer
  31. Toujours aussi prenant....Merci

    Ramsès 88

    RépondreSupprimer
  32. Passionnante les investigations des jeunes femmes; IGPN pour leurs photos, filature dans les rues de Paris...
    Avec toujours de la passion entre Céline et Virginie!

    Merci Gustave, j'adore cette histoire!

    Stef31

    RépondreSupprimer
  33. Me re voilou =)

    Il y a vraiment tout ce qu'il faut, où il faut ^^

    De vraies inquétrices, elles assurent, c que c pas facile de mener une enquête :)

    (Encore moins de maintenir le suspens et l'intrigue, mais tu le fais si bien ;)

    RépondreSupprimer
  34. Coucou ^^

    Il a y a de plus en plus d'éléments qui les mènent un peu partout. J'aime le fait d'être transportée d'un endroit à un autre et de rencontrer de nouvelles personnes =)

    Heureusement que Céline s'y connait en art et qu'elle a des relations xD

    Vivement la suite, merci Gustave =)

    RépondreSupprimer
  35. Céline fait preuve d'une grande ingéniosité quant à Virginie, elle se montre toujours aussi intrépide.

    Mais dis moi Gustave comment un portrait de Vermeer de Delft peut se retrouver chez un particulier ? Surtout si c'est celui "Femme avec un luth".
    De plus en plus mystérieux.

    Merci.

    B a b a

    RépondreSupprimer
  36. Baba, tu es toujours aussi perspicace ! Bravo. Mais patience. Vous aurez bientôt la réponse. En tout cas, merci de me faire part de tes réflexions. Cela m'aide quand je rédige mes récits.

    RépondreSupprimer
  37. j'aime le duo Céline (la tête) et Virginie (les jambes). Jolie complémentarité.

    Très belle promenade dans Paris et dans le milieu de l'art.

    Nath.

    RépondreSupprimer
  38. Quel redoutable duo d'enquêtrices ! La P.J, concurrencée sur son propre terrain, a du souci à se faire.

    RépondreSupprimer
  39. Toujours aussi passionnant ce récit avec nos deux héroines qui forment un duo de choc, chacune apportant ses qualités. La promenade dans Paris et le milieu de l'art le rendent d'autant plus plaisant !

    Merci infiniment Gustave pour tout ces beaux moments...

    Stef31

    RépondreSupprimer
  40. C'est fou, on dirait un roman policier des plus grands auteurs !

    Chaque détail à son importance et chaque fait est très précis =)

    Je suis complètement subjuguée !

    Un grand bravo Gustave.

    (Je ne voudrais pas paraitre égocentrique mais t'ai-je inspiré le prénom de l'adolescente ?)

    RépondreSupprimer
  41. Bravo Sherlock Holmes ! Tu m'as en effet inspiré le prénom de l'adolescente.

    RépondreSupprimer
  42. Merveilleuse immersion dans le monde de l'art et du roman noir.

    je suis Morgane de tes récits Gustave.

    Merci.

    B a b a.

    RépondreSupprimer
  43. L'enquête avance, merci pour ce récit

    RépondreSupprimer
  44. J'adore toujours autant, tes suites sont toujours aussi prenantes !!!

    Ramsès 88

    RépondreSupprimer
  45. Ce récit est à la fois passionnant et romantique, avec l'enigme autour d'un, probable, tableau de Vermeer...
    Nos deux enquétrices de charme sont toujours aussi rusées et intrépides !

    Mille mercis encore Gustave !

    Stef31

    RépondreSupprimer
  46. Nos deux héroïnes confrontées à un cas de conscience...

    Bravo pour le cartouche représentant "la jeune fille à la perle", qui s'intègre bien dans ce passionnant récit.

    RépondreSupprimer
  47. J'adore! Tellement rafraîchissant. J'adore le côté espiègle de Morgane, les provocations de Céline et la jalousie de Virginie.

    Et puis cette phrase: je t'aime...à l'idiotie. J'adore mais je crois que tu avais compris (rires).

    C'est drôle, léger et en plus tu nous fais partager tes références culturelles. C'est parfait.

    B a b a.

    RépondreSupprimer
  48. Toujours aussi passionnante cette histoire

    RépondreSupprimer
  49. Le personnage de Morgane est très intéressant, très amusant et tu cites Rimbaud.
    Quelqu'un que je connais un peu à du apprécier.

    C'est réellement un plaisir de te lire Gustave.

    La jalousie de Virginie, c'est trop mignon.

    Nath

    RépondreSupprimer
  50. Moi aussi j'adore le personnage de Morgane. Si frais, si déluré. Mais aussi si touchant... L'adolescente qui n'a pas connu sa mère et qui sympathise immédiatement avec Céline.

    Vraiment un très joli personnage

    RépondreSupprimer
  51. Passionnante encore cette suite, avec la rencontre entre Céline et Morgane, puis la jalousie de Virginie...

    Merci Gustave !

    Stef31

    RépondreSupprimer
  52. J'espère que Céline changera d'avis, j'aimerai connaître l'histoire...

    RépondreSupprimer
  53. J'adore ton récit, vivement la suite ........

    Ramsès 88

    RépondreSupprimer
  54. Je pense comme Rose. J’espère que Céline et Virginie vont bien aller jusqu’au bout de leur enquête...

    RépondreSupprimer
  55. Trés jolie suite encore;d'abord ce moment de tendresse entre Céline et Virginie puis la conversation netre Morgane et Céline qui décide alors d'en rester là avec l'enquête...

    Passionnant, j'espère qu'elles n'abandonneront pas complètement et que nous en saurons plus sur ce Vermeer, dans ce récit passionnant sur le monde de l'art.

    Merci infiniment Gustave!

    Stef31

    RépondreSupprimer
  56. Que va t'il atrriver à Céline ?

    RépondreSupprimer
  57. Tu sais combien j'adore cette nouvelle. Céline veut renoncer à son enquête car elle a de l'affection pour Morgane. Je trouve cela touchant. Il semblerait cependant que le destin en ait décidé autrement....

    Subtil, délicat...

    B a b a.

    RépondreSupprimer
  58. Jolie suite; l'attachement de Céline pour Morgane et la vie de Virginie et de Céline qui semble reprendre son court, tranquille, mais jusqu'à quand...!?

    Merci Gustave !

    Stef31

    RépondreSupprimer
  59. C'est la série ! Après Louis, c'est Virginie ! Ce Paul Ourbaix me semblait trop poli pour être honnête. Vivement dimanche prochain. Pour que tu nous donnes des nouvelles de Louis et de Virginie. Bonnes, j'espère. En tout cas, je serai là à 10 heures précises.

    RépondreSupprimer
  60. Je l'aimais bien Paul Ourbaix...Arffff voilà qu'il se révèle être un serial killer...Mais dans quel monde vivons-nous?

    Gustave tu en veux à Virginie? Si ce n'est pas le cas, c'est bien imité! (rires)

    B a b a.

    RépondreSupprimer
  61. Tu nous laisses sur notre faim et en pleine angoisse quand au sort de Virginie....

    Merci Gustave et vivement la suite de Dimanche prochain !

    Stef31

    RépondreSupprimer
  62. Tu ne peux pas nous faire ça, pas Virginie ....

    Ramsès 88

    RépondreSupprimer
  63. Ouf, rien de grave pour Virginie, merci Gustave

    RépondreSupprimer
  64. Jolie suite encore, d'autant que Virginie n'est que légèrement blessée...
    Merci Gustave!

    RépondreSupprimer
  65. Tu nous as fait peur..........

    Ramsès 88

    RépondreSupprimer
  66. Ted Bundy? Tu n'y va pas de main morte Gustave! (rires).

    Ce Paul Ourbaix me semble complètement paumé ce qui rends ton récit encore plus intéressant car qui est l'assassin?

    B a b a.

    RépondreSupprimer
  67. Toujours aussi passionnant..............

    Ramsès 88

    RépondreSupprimer
  68. Passionnantes confessions de Paul Ourbaix au sujet du Vermeer...
    Merci Gustave

    RépondreSupprimer
  69. Ton récit commençait par une scène érotique torride, se poursuivait par une promenade aux Tuileries, et maintenant par un cours d'histoire de l'art. Sans temps mort et sans ennui. Bravo !

    RépondreSupprimer
  70. J'aime beaucoup l'histoire de ce tableau, passionnant Gustave. Merci

    RépondreSupprimer
  71. Une belle page de l'histoire d'un magnifique tableau ..................

    Ramsès 88

    RépondreSupprimer
  72. René Ourbaix ou comment aimer à la folie. J'adore cette façon que tu as de nous faire (re) découvrir Vermeer tout en nous offrant de nouvelles aventures de Céline et Virginie qui nous manquent tant.

    RépondreSupprimer
  73. Merci gustave pour cette histoire,
    tu nous fais pénétrer dans un milieu
    que, pour ma part je ne connais pas
    bien, celui du monde de l'art et de
    la peinture, sur fond d'intrigue policière. C'était passionnant, tu as beaucoup d'imagination.
    Et les personnages de Céline et de
    Virginie, on en redemande...

    RépondreSupprimer
  74. Très jolie histoire et que de bons moments passés autour de ce tableau et de son histoire. La fin arrive toujours trop vite. J'espère qu'on retrouvera vite tes écrits dans une autre histoire. Merci Gustave

    RépondreSupprimer
  75. J'ai adoré cette histoire et j'attendais le dimanche avec impatience pour lire tes suites, tu nous as tenu en haleine jusqu'à la fin. Encore merci.

    Ramsès 88

    RépondreSupprimer
  76. Très esthétique et très inspiré ce récit.

    Un récit en 3D, j'avais l'impression de flâner dans un musée.

    Merci.

    B a b a.

    RépondreSupprimer
  77. Décidément, Gustave, tu sais surprendre tes lecteurs. A quand une nouvelle promenade dans l'art ?

    RépondreSupprimer
  78. J'oubliais : bravo pour le choix des photos !

    RépondreSupprimer
  79. Magnifique, j'ai beaucoup aimé la plongée dans le monde de l'art et l'intrigue policière. Céline et virginie deviennent peu à peu des héroïnes de série qui éludent tous les mystères, et je me suis attachée à ces deux personnages bien loin de PBV.
    Et c'est toujours si bien écrit.
    Vivement la suite.

    RépondreSupprimer
  80. C'était un réel plaisir de lire ce récit..........

    Ramsès 88

    RépondreSupprimer
  81. Quel sublime épilogue pour ce récit plein de rebondissements, d'émotions et d'amour, dans le monde de l'art et de la peinture.
    Trés beau moment de lecture à chacune de tes suites.
    Merci infiniment Gustave !

    RépondreSupprimer
  82. merci magnifique du début à la fin. Nos deux héroines sont resplendissantes, courageuse parfois même un peu téméraires et toujours autant d'amour entre elles.

    RépondreSupprimer