LA VIERGE DE NOEL




Ce récit est la suite de Dix Jours, Insomnies, Parents Amies Amants. Il est nécessaire d'avoir lu tous ces récits pour comprendre :




La Vierge de Noël







En ce samedi 20 décembre, Céline et Virginie s’apprêtaient à fêter les deux premiers mois de leur rencontre.

Tant de choses étaient arrivées au cours de ces deux mois !

Leur coup de foudre. Leur envie d’être ensemble, partout et toujours. Malgré le regard des autres. La permanence de leur désir. Les nuits d’amour. Les étreintes fusionnelles.

Mais aussi l’aide précieuse de Camille. Sa folle générosité. La compréhension de Charles et de Marie. Et, finalement, celle de Gilles.

Deux mois si pleins d’événements et de joie. D’amour et de plaisir.

Et pourtant depuis quelques jours, Céline avait constaté que l’attitude de Virginie avait légèrement changé. Elle était parfois perdue dans ses pensées. Elle parlait moins. Elle paraissait triste et tendue.


*


Céline était décidée à savoir ce qui troublait sa compagne.

Elles s’étaient offert un déjeuner au champagne. Pas de quiche lorraine, ni de Pessac-Léognan ! Elles grignotaient quelques plats achetés chez un traiteur tout en dégustant un Veuve Clicquot d’un excellent millésime.

Elles parlaient de tout et de rien. Céline décida de se lancer et de poser enfin “la” question.

- Virginie. Je crois qu’il est temps de tout m’avouer !

- Tout t’avouer ? De quoi parles-tu ?

- Ce regard dans le vague. Cet air pensif. Je ne suis pas aveugle. Tu as l’esprit ailleurs depuis quelques jours. Je crois avoir deviné pourquoi.

- Et qu’as-tu deviné ?

- Tu as rencontré une superbe fille rousse aux yeux verts et tu ne sais pas comment me le dire...

- Je ne regarde plus les autres femmes depuis que je te connais. Je ne les vois même plus depuis que je t’aime.

- Je plaisantais Virginie. Dis-moi ce qui te préoccupe.

- C’est bientôt Noël.

- Oui. Comme tous les ans en décembre. Et alors ?

- Depuis que je suis née, tous les ans, je passe Noël en famille. Avec mon père.

- Oui. Et bien ?

- Il y avait une sorte d’accord tacite entre lui et moi. J’arrivais le 24, je repartais le 26. Il ne parlait jamais de mon... choix de vie. Et moi, en échange, je venais seule. Cela ne m’a jamais coûté. Parce qu’avant toi, je n’avais personne avec qui j’avais envie de fêter Noël. Mais maintenant, savoir que je vais me retrouver dans ce coin de Normandie... Sans toi, même pour deux jours seulement...

- Pourquoi sans moi ? Je peux t’accompagner.

- Ce n’est pas possible Céline. Il ne va pas supporter ta présence. J’appréhende déjà le moment où je vais lui parler de mon adoption par Camille...

- Tu n’en as pas encore parlé à ton père ?

- Non. Ce n’est pas si facile tu sais. Je dois quand même lui annoncer que la grand-tante de mon amante va m’adopter !

- Mais enfin Virginie, la procédure d’adoption est en route...

- Je sais que je suis lâche. Mais mon père est loin d’être aussi compréhensif que tes parents. Charles et Marie n’ont rien dit quand Camille leur a fait part de son projet d’adoption.

- Parce qu’ils n’ont rien à dire. Camille fait ce qu’elle veut. Elle a su se montrer très généreuse avec eux. Quand mon père a ouvert son propre cabinet d’avocat, elle lui a prêté l’argent nécessaire à l’acquisition d’un ravissant petit hôtel particulier dans le 8ème arrondissement. Ensuite, elle a eu la bonne idée de renoncer à sa créance.

- Ils auraient pu s’opposer à mon adoption...

- Juridiquement, ils ne le peuvent pas. Papa le sait très bien. Et puis, tu as demandé à Camille qu’elle me couche sur son testament. Après sa mort, ses biens seront partagés par moitié entre toi et moi.

- Elle m’a déjà fait un don en argent !

- Elle veut te voir heureuse de son vivant. Elle sait bien que, si l’argent ne fait pas le bonheur, il y contribue largement. Et puis, ces deux cent mille euros, ce n’est rien pour Camille !

- Mon père pensera qu’elle m’a achetée et que je me suis vendue.

- Je suis étonnée de découvrir que son jugement t’importe.

- Non. Mais je ne veux pas que ce soit la guerre.

- Pourquoi dis-tu que ton père ne va pas supporter ma présence ? Il ne me connaît pas.

- Il n’accepte pas mon homosexualité. Il garde toujours l’espoir que j’abandonne ce choix de vie et que je me tourne vers les hommes. Quand il va te voir, il va immédiatement comprendre que je ne suis pas près de renoncer à toi. Il va te considérer comme un obstacle.

- Mais puisque je t’aime. Il devrait simplement souhaiter le bonheur de sa fille.

- Ce n’est pas si simple. Pour lui, il ne peut y avoir de bonheur que dans un couple hétéro... Se marier. Avoir des enfants...

- Tu es homosexuelle. Tu n’es pas stérile. Tu peux avoir des enfants. Je peux en avoir. Quant au mariage... Un mariage sur trois finit par un divorce. Et puis, nous pouvons nous pacser.

- Tu ne comprends pas. Mon père est persuadé que si j’essayais les hommes, je me convertirais à l’hétérosexualité. Tout ce qui me détourne de cet essai est traité en ennemi.

- Tu veux dire que... tu n’as jamais...

- Non. Je n’ai jamais fait l’amour avec un garçon. Je suis vierge en quelque sorte. Je n’ai jamais été attirée par les garçons. C’est mon choix.

- Belle comme tu l’es, je n’ai aucun mal à le croire.

- A chaque Noël, à chaque repas familial, il y a l’incontournable célibataire, invité par Papa, qui me regarde avec des yeux de merlan frit... Papa est persuadé qu’une liaison homo ne peut pas durer. Si en plus il apprenait que tu es hétéro, que tu as été fiancée et que tu as failli te marier...

- Il en conclurait que sa fille est une redoutable séductrice...

- Il en conclurait que notre couple n’a pas d’avenir et que, pour toi, je ne suis qu’une expérience.

- Virginie, je refuse de fêter sans toi le premier Noël depuis notre rencontre.

- Tu as raison. Je vais dire à Papa que je ne viens pas.

- Surtout pas. Il me détestera dix fois plus. Qui sera là ?

- Ma soeur Claire. Eric, son mari et leurs deux enfants. Des oncles et tantes. Des cousins. Une vingtaine de personnes. Papa a retapé une vieille ferme. Il a transformé étable et écurie en chambres d’invités. Il peut héberger une armée...

- Et il y aura le célibataire incontournable...

- Oui, Naturellement. Il est aussi indispensable que la crèche et le sapin de Noël !

- Tu devrais téléphoner à ton père pour lui confirmer ta venue. Dis-lui que tu ne viens pas seule, mais avec ton amie.

- Tu es sûre ? Mon père est capable d’être très désagréable. Je ne voudrais pas que cela détruise ce qu’il y a entre nous...

- Virginie. Nous n’avons pas le choix. Je dois séduire ton père. En tout bien, tout honneur. Sinon, tu ne seras jamais complètement heureuse avec moi.

- Bien. Je l’appellerai ce soir. Tout de suite, je n’en ai pas le courage...


*


Virginie éteignit son iPhone.

- Je suis étonnée. Mon père n’a fait aucune remarque quand je lui ai dit que je venais avec mon amie. Mais nous ne devons pas nous faire d’illusion. C’est le calme avant la tempête...

- Parle-moi de lui. Du redoutable Fernand Mirbeau.

- C’est un brave type. Courageux et travailleur. Il ne s’est jamais remis de la mort de Maman. Je ne suis même pas sûre qu’il soit homophobe. Il ne veut pas de “ça” dans sa famille c’est tout. Il est aussi persuadé que je vais être très malheureuse et que je vais connaître une vie de solitude. Et puis il se fait une idée tellement préconçue des lesbiennes. Pour lui, elles sont forcément masculines, voire hommasses, et se contentent des femmes faute d’avoir su plaire aux hommes. Alors, comme je suis plutôt jolie...

- Je confirme. Tu l’es...

- Il ne comprend pas que “ça” me soit tombé dessus. Il est persuadé qu’il a “foiré” mon éducation. Ou que j’ai une vision tellement dégradée de l’image paternelle que je rejette tous les hommes...

- Il pense que tu es lesbienne par réaction contre lui. Et bien, ça promet...

- Je t’ai prévenue. Ce ne sera pas une partie de plaisir. D’autant qu’il m’a annoncé qu’il avait préparé ma chambre d’adolescente. Le lit est minuscule...

- C’est plutôt une bonne nouvelle. Dormir contre toi... Tout contre...

- Tu ne comprends pas. Nous allons devoir faire chambre à part.

- Je vois. Alors, je te propose de prendre un peu d’avance...


*


Céline s’approcha lentement de Virginie. Elle posa ses mains de chaque côté de son visage et l’embrassa doucement, goûtant ses lèvres. Puis sa bouche courut le long de son cou.

Elle colla son corps contre le sien et sentit la pointe de ses seins se durcir à son contact.

Virginie l’enlaça et la souleva légèrement. Céline noua alors ses jambes autour de ses reins et se laissa porter vers la petite piscine et le jacuzzi intérieurs qui agrémentaient le salon.

Arrivées au bord de la pièce d’eau, Virginie déposa Céline. Les deux jeunes femmes se dévêtirent mutuellement, chacune embrassant chaque centimètre du corps dénudé de son amante.

Elles entrèrent dans le bassin à son point le moins profond, l’eau entourant leur taille, et s’enlacèrent.

Céline noua de nouveau ses jambes autour des reins de Virginie et, portée par l’eau, se pencha en arrière, offrant ainsi sa gorge à ses lèvres affamées. Elle ferma les yeux. Elle sentit sa bouche dévorer ses seins et son ventre, puis sa langue jouer avec son nombril.

Se redressant et la tenant contre elle, Virginie entraîna Céline vers le jacuzzi situé dans le prolongement de la piscine.

Elles entrèrent dans la pièce d’eau carrée, par l’entrée étroite qui permettait de passer de la piscine au jacuzzi.

Virginie appuya sur un bouton, déclenchant ainsi de légers bouillonnements, puis elle s’allongea sur l’un des quatre bancs qui longeaient chaque côté du jacuzzi.

Céline s’installa sur ses hanches. Se balançant lentement, elle sentait la peau du ventre plat et musclé de son amante contre son sexe. Virginie prit ses seins en coupe dans ses mains et les caressa.

Céline gémit sous le contact de ses mains. Le souffle court, elle bascula sa tête en arrière et poussa un gémissement rauque. Le plaisir la submergea et elle se laissa retomber sur le corps de son amante au milieu des clapotis de l’eau chaude du jacuzzi.


*


Les deux jeunes femmes devaient arriver au village de Notre-Dame-en-Auge le 24 en fin de matinée et repartir le 26. Virginie n’avait pas jugé utile de prolonger leur séjour. Céline n’avait pas insisté.

Pour l’occasion, Céline devait utiliser sa voiture : une Audi TT noire, cadeau de Charles et Marie pour son diplôme de troisième cycle en histoire de l’art, obtenu brillamment auprès de l’Ecole du Louvre.

Elle aurait préféré une voiture anglaise ou italienne. Mais elle avait accepté avec un sourire ce petit bolide, dont le choix avait été guidé par son père, passionné de berlines allemandes.

Céline avait décidé, avec l’accord de Virginie, de changer de coiffure. Dorénavant, elle porterait des cheveux courts dans le style “garçonne”. Cette coupe avait l’immense avantage de dégager son visage et sa nuque, sur lesquels Virginie ne manquait jamais de déposer de légers baisers.


*


Elles roulaient en direction du petit village normand où vivait Fernand Mirbeau. Céline conduisait. Virginie s’était tue depuis qu’elles avaient quitté l’autoroute, dix minutes plus tôt.

- Virginie. Tu es bien silencieuse. Tu n’es pas heureuse de revoir ton village ?

- Je n’y ai pas que de bons souvenirs. La mort de ma mère. Le rejet de mon père quand j’ai fait mon coming out...

- Tu m’en as vaguement parlé. Raconte-moi.

- J’avais découvert, avec Dana, que je préférais les filles. Je le savais depuis que j’avais seize ans. Claire, ma soeur, s’en doutait. Alors, j’ai voulu être honnête avec mon père. J’ai profité de mon anniversaire pour le lui dire. Le jour de mes vingt ans. Je pensais que ce jour le rendrait plus compréhensif. Ce fut une catastrophe. Il était abasourdi. Il balançait entre le dégoût, le mépris et la colère. Depuis, il ne m’a jamais acceptée telle que je suis. Claire a été la seule à me soutenir et à me défendre. Quant aux autres, je crois que je leur fais pitié. Je venais toujours seule à toutes les fêtes de famille. Ils pensent que je suis la personne la plus solitaire au monde. Ils ne se trompaient pas.

- Tu as pourtant un beau tableau de chasse. Quarante conquêtes...

- Avoir quarante maîtresses d’une ou deux nuits, ce n’est rien. On passe la nuit ensemble et puis au petit matin, on se sépare. Il ne reste rien. Que des draps froissés... Je me sentais si seule. Si seule. Je cherchais désespérément des rapports qui ne soient pas basés sur le mépris, l‘incompréhension ou la séduction. Un jour, je suis allée sur un site de discussion. Je voulais seulement parler avec des gens différents. Différents de moi. Sans arrière-pensée. J’ai chatté avec une parfaite inconnue. Une jeune femme. Ce n’était pas de la drague. Pas une seconde. D’après les confidences qu’elle m’a faites, elle était hétéro. Elle était parfaitement heureuse avec son ami et avait une sexualité épanouie. Je voulais rester anonyme. Alors j’ai prétendu que je m’appelais Jane.

- Pourquoi Jane ?

- Parce que j’adore les romans de Jane Austen. C’était une sorte d’hommage. Cette inconnue et moi prenions plaisir à nos conversations. Alors nous avons échangé nos adresses électroniques. Nous avons continué à correspondre. Une fois, en une semaine, nous avons échangé plus de cent vingt mails. Et puis je ne sais pas ce qui s’est passé. Un jour, une expression que j’avais utilisée l’a choquée. C’était un truc tout bête. Je lui avais dit “salut” au lieu de lui dire “bonjour”. Elle a trouvé cette expression trop masculine, trop virile. Elle a cru que j’étais un homme. Jane, ça pouvait dissimuler le prénom Jean. Elle m’a communiqué son numéro de portable et m’a demandé de l’appeler pour qu’elle puisse entendre ma voix. Je lui ai répondu, par mail. “OK, mais pas tout de suite car un ami vient d’arriver avec une bouteille de champagne sous le bras”. C’était Alain...

- Le connaissant et connaissant ses intentions, il n’a pas dû être bref...

- En effet, il s’est incrusté... Je n’arrivais pas à le faire partir. Et puis enfin, au bout de deux heures, quand il a compris qu’il n’arriverait pas à ses fins, il m’a quittée.

- Tu as enfin pu téléphoner à ton inconnue.

- Avant je suis allée sur ma boîte à lettres électronique et j’ai trouvé un message qu’elle m’avait laissé alors qu’elle attendait que je l’appelle. Et là, j’ai pris un coup de poing en pleine figure...

- Elle avait dû s’impatienter...

- Oui. Elle était persuadée que je me défilais. Que je ne voulais pas lui parler. Parce que j’étais un homme. Elle a eu des mots très durs. Des mots que je n’oublierai jamais. Elle a dit que j’étais un pervers, un voyeur qui se saoulait de mots. Que je lui donnais la nausée. Alors j’ai pris mon portable et je l’ai appelée.

- Tout s’est arrangé.

- Je l’ai cru. Nous avons parlé longtemps. Calmement... Nous nous sommes dit adieu. Mais je n’ai pas voulu laisser son message sans réponse. Je lui ai adressé un dernier mail. Je pensais qu’elle avait compris. Elle n’avait pas fait de confidences à un pervers, à un voyeur.

- Il n’y avait plus de problème puisqu’elle avait entendu ta voix...

- Elle m’a répondu qu’elle avait surtout entendu une voix métallique et qu’il y avait quelque chose de pas “naturel” en moi.

- C’est vrai que tu as une voix légèrement grave et qu’elle l’est encore plus quand tu es émue. Mais de là à dire qu’elle est métallique...

- J’ai compris qu’il n’y avait rien à faire. Elle était persuadée que j’étais un sale type qui se faisait passer pour une femme. Qui se rinçait l’oeil avec les confidences d’inconnues comme elle. J’étais triste qu’elle pense cela de moi. Et triste que ce soit fini. Parce que j’attendais ses mails avec impatience. Elle était drôle et si différente de moi. Nos échanges étaient une richesse. En tout cas pour moi. Et j’ai eu mal. Mal d’être rejetée alors que je ne l’avais pas mérité. Avant de les effacer, j’ai relu tous les mails que j’avais envoyés. Aucun n’était insultant ou intrusif...

- Tu avais son adresse mail et son numéro de portable. Tu pouvais faire une ultime tentative...

- Je n’ai pas le goût du martyre... J’étais persuadée que cela ne servirait à rien. Alors, j’ai effacé ses adresse-mail et numéro de portable de mon ordinateur. Et j’ai essayé d’oublier qu’elle m’avait blessée sans raison. Je n’avais pas de rancune. Seulement de la peine...

- Mon pauvre amour... Dire qu’elle t’a prise pour un homme !

- Mais cette mésaventure a été une bonne leçon. Quand on est aussi sensible que je le suis, il ne faut pas s’égarer sur internet et s’attacher aux gens qu’on y rencontre. De ce jour, j’ai décidé de ne plus correspondre avec des inconnus et de n’utiliser internet qu’à des fins pratiques ou professionnelles. Mais, je me sentais de plus en plus seule. Seule au milieu de mes rares amis. Seule au milieu de ma famille. Seule au milieu du monde. Une simple proie dans les boîtes lesbiennes...

- Tu étais gibier. Mais tu étais aussi chasseresse...

- C’est vrai. J’ai multiplié les conquêtes. Sans amour. Parfois, sans désir. Simplement pour avoir l’impression d’être vivante. Et puis un jour, le soleil est entré dans ma vie... Il était magnifique. Il était blond aux yeux bleus. Il avait vingt cinq ans. Dès que je t’ai vue, je t’ai aimée. J’aurais donné n’importe quoi pour que tu sois à moi...

- Je le suis à présent...

- Céline. Je t’aime. Je t’aime tellement que, parfois, ça me fait mal. Je suis prête à tout te sacrifier. Ma famille. Mon père... Tout...

- Tu n’auras pas à le faire. Je ne veux pas que tu le fasses. Je suis sûre que tout va bien se passer...


*


Céline, du dos de la main, caressa la joue de Virginie. Ses doigts glissèrent le long de son cou et sur sa nuque. Puis sa main vint se poser sur sa cuisse, provoquant un frisson chez son amante.

- Tout va bien se passer. Tu verras. Par amour pour toi, je vais déployer des trésors de diplomatie avec ton père...

- Mon père ne voudra pas être séduit. Même par toi. Il faudrait un miracle pour que tu y arrives...

- Un miracle peut arriver. C’est Noël, après tout. Au fait, quel est le programme des réjouissances ?

- Nous allons arriver dans quelques minutes. Je vais te présenter à ma famille. Nous allons déjeuner d’une collation légère. L’après-midi sera consacrée aux derniers préparatifs du réveillon. Nous commencerons à dîner vers 20 heures. Puis nous irons à la messe de minuit. Ensuite le Père Jean organise un vin chaud dans le presbytère qui jouxte l’église. Tout le village y sera. Le jour de Noël, nous assistons à une seconde messe à 11 heures. Puis ce sera le déjeuner.

- Deux messes en moins de douze heures !

- C’est Noël, Céline ! Et c’est un tout petit village. Il y a moins de deux cents habitants. C’est toujours comme ça qu’ils ont fêté Noël. Pour eux, c’est l’occasion de se retrouver. Tu ne vas pas seulement devoir affronter mon père et ma famille, mais tout un village.

- Ils savent tous pour ton... choix de vie ?

- Bien sûr. Tu sais, ces deux messes, tu auras hâte d’y aller quand tu verras l’attitude de mon père !

- Si ton père est trop infect, nous pouvons toujours partir. Je présume qu’il n’y a aucun hôtel au village ?

- Détrompe-toi. Il y a un ravissant hôtel de charme. Mais il est toujours plein de touristes. Anglais, belges, hollandais ou allemands. Parfois même américains.

- Que viennent-ils faire ici ?

- Le village est l’un des plus beaux de France. Parfois, ils recherchent une maison dans la région. Et puis il y a Notre-Dame-en-Auge...

- Qui est-ce ?

- C’est l’église du village. Elle lui a donné son nom. Une pure merveille de l’art roman. Des vitraux fabuleux. Quand on parcourt le déambulatoire, on ressent une telle paix... Il n’est pas nécessaire de croire en Dieu pour ressentir la magie et la sérénité du lieu...


*

L’Audi noire pénétra lentement dans le village.

Virginie n’avait pas exagéré. Il était ravissant. Toutes les maisons, école, commerces, étaient construites en briquettes et pans de bois. Des voitures étrangères étaient garées devant l’hôtel de charme. L’église dominait l’ensemble. La voiture contourna le bâtiment et continua sa route en direction d’une ferme.

La demeure de Fernand Mirbeau.

Elles entrèrent dans la cour et virent que plusieurs véhicules étaient déjà stationnés.

- Mes parents sont déjà tous arrivés. Gare la voiture à côté des autres. Céline, ça me gêne de te dire ça... Mais, il vaut mieux avoir l’une pour l’autre l’attitude la plus neutre possible. Il ne doit y avoir aucune effusion en public. Aucune. Tu comprends ?

- J’ai compris. Tu ne veux ni les provoquer ni les mettre mal à l’aise. Je n’aurai pour toi aucun geste de tendresse. Même si je le regrette, tu t’en doutes...


*


Le ronflement du moteur avait attiré l’attention des occupants de la maison qui étaient tous sortis sur le seuil.

Céline reconnut immédiatement Claire, au sourire bienveillant. Elle devina que le rouquin qui se tenait à côté d’elle, les mains posées sur les épaules de deux enfants aussi roux que lui, devait être Eric, son mari.

Il y avait d’autres personnes, hommes et femmes entre trente et cinquante ans, ainsi que des adolescents.

Derrière eux, les dominant de toute sa taille, un solide gaillard moustachu. Céline comprit immédiatement qu’il s’agissait de Fernand Mirbeau. Elle vit à son regard qu’elle n’était pas la bienvenue.

- Ce colosse aux moustaches à la gauloise, c’est ton père ?

- Oui c’est lui. C’est Papa.

- Je vois. Je sens qu’on ne va pas rire.

Elles sortirent du véhicule, prirent leurs sacs de voyage dans le coffre et s’approchèrent de la maison.

Claire avança à leur rencontre et embrassa affectueusement sa soeur et Céline. Eric en fit autant et s’empara de leurs bagages. Tous les autres membres de la famille s’approchèrent et saluèrent Virginie, qui était leur nièce ou cousine. Mais aucun n’osa s’adresser à Céline.

Ils la regardaient tétanisés. Et... subjugués.

Grande et mince. Des formes parfaites. Blonde aux yeux bleus. Céline savait très bien l’effet qu’elle produisait. Elle n’en jouait jamais. Mais là, elle savait qu’elle devait utiliser tous ses atouts.

Elle avait choisi un très léger maquillage qui mettait en valeur la subtile carnation de son visage à l’ovale délicat. Ses yeux bleus étaient simplement soulignés par les accents circonflexes de ses sourcils blonds.

Élégamment vêtue d’une veste en tweed, sur un pull en cachemire et un jodhpur rentré dans une paire de bottes indiennes Jimmy Choo, à talon plat et en daim chocolat, elle donnait une impression de force et de sérénité. La force d’une ancienne championne universitaire de natation, la sérénité de l‘experte en art habituée à la compagnie quotidienne d’oeuvres d’art.
Elle porta l’estocade en leur décochant son plus radieux sourire, dévoilant la perfection de ses dents blanches et la fossette enfantine de sa joue droite.

Céline s’amusait de voir le bonheur de Virginie, si fière de la beauté de sa compagne. La jeune femme prenait sa revanche sur la pitié ou le mépris de certains membres de sa famille. Aucun des hommes qui l’entouraient n’avait une telle femme ou une telle maîtresse !

Elles s’approchèrent de Fernand Mirbeau qui n’avait pas quitté le seuil de sa maison. Il regardait Céline sans pouvoir dissimuler surprise et admiration. Elle était si différente de l’idée qu’il s’en faisait...

- Papa, je te présente Céline Frémont, mon amie.

- Bonjour Monsieur Mirbeau. Virginie m’a beaucoup parlé de vous.

- Bonjour Mademoiselle Frémont. Entrez. Je vais vous montrer vos chambres.

“Vos chambres”. En entendant ces mots, Céline jeta un regard amusé et complice à Virginie.

Claire intervint alors.

- Suivez-moi les filles. Je vais vous montrer “votre” chambre. Depuis la mort de Maman, c’est moi qui suis la maîtresse de maison ici.

Son ton était sans réplique. Fernand Mirbeau n’osa pas contredire sa fille aînée. Céline et Virginie comprirent immédiatement qu’elles avaient une alliée précieuse.

La fidèle Claire.


*


Fernand Mirbeau n’avait pas dit un mot de bienvenue. Il était parti s’enfermer dans son atelier de menuiserie au prétexte d’un meuble à terminer pour un client.

Céline et Virginie, après avoir pris possession de leur chambre, avaient rejoint Claire qui s’affairait en cuisine, assistée de plusieurs tantes et cousines.

- Claire, pouvons-nous faire quelque chose pour vous aider ?

- Non Virginie. Vous êtes adorables. Mais nous maîtrisons la situation. Tu devrais plutôt emmener Céline visiter le village. Il en vaut la peine. Revenez vers midi et demi pour un déjeuner léger. Emmenez Brutus. La pauvre bête est comme un chien dans un jeu de quilles. Avec tous ces préparatifs de Noël, elle ne sait plus où poser la patte ou la truffe.

Les deux jeunes femmes n’insistèrent pas, trop heureuses d’échapper à une atmosphère rendue lourde par l’hostilité de Fernand Mirbeau.


*


Virginie était une vraie Normande. Née en Normandie. De parents Normands. Elle éprouvait un attachement sincère pour son coin de terre et elle était fière de le présenter à la femme qu’elle aimait.

Brutus, le golden retriever qui appartenait à Fernand Mirbeau, trottinait à leurs côtés. Si son maître était hostile, le jeune chien, quant à lui, ne cachait pas son enthousiasme. Il gambadait, joyeux, autour de Céline, quémandant ses caresses.

- Brutus t’a adoptée. Quel dommage que mon père n’ait pas son heureux caractère et son bon goût !

- Cela viendra Virginie.

- J’admire ton optimisme !

- C’est l’expérience, Virginie. Jamais aucun homme ne m’a résisté. Montre-moi ton village au lieu de broyer du noir. Entrons dans l’église. Cette merveille de l’art roman.

Elle pénétrèrent dans l’église et attachèrent Brutus à une grille près du porche. Le jeune chien s’allongea sagement.

- Céline, tu crois que Brutus peut entrer dans une église ?

- Pourquoi pas ? On y accepte bien les touristes en short et en tongs !!!

Elles s’avancèrent lentement dans le déambulatoire, admirant les fresques, représentant les stations de la Passion du Christ, peintes sur les colonnes. La lumière du jour pénétrait dans l’édifice religieux à travers les vitraux, nimbant le sol d’une couleur bleue, rouge ou verte. Il régnait une impression de sérénité et de paix.

Tout à coup, l’attention de Céline fut attirée par une petite statue polychrome en bois.

Il s’agissait d’une Vierge à l’Enfant.

Le sculpteur avait merveilleusement su restituer la douceur maternelle et la bonté de la Sainte Vierge dont le visage était tourné vers le bébé joufflu qu’elle portait sur son bras. Les couleurs pastels soulignaient la simplicité de leurs vêtements.

- Virginie, regarde cette statuette. Elle est magnifique et digne d’un musée. Elle doit avoir plus de sept siècles. Elle est en parfait état et les couleurs semblent d’origine. C’est une pièce de collection très rare. L’artiste avait plus que du talent. Il avait du génie. Il émane de cette composition une telle grâce. Une telle pureté. C’est folie que de la laisser ainsi à portée de tous...

- Vous avez raison, Mademoiselle. Cette statue est une merveille.

En entendant ces mots, prononcés derrière leur dos, Céline et Virginie se retournèrent pour découvrir un homme de soixante ans, en soutane.

- Bonjour Père Jean. Comment allez-vous ?

- Je vais bien, Virginie. Ton père me parle souvent de toi. Il regrette que tu ne lui rendes pas visite plus souvent.

- Je sais, mon père. Mais je vis et travaille à Paris. Je vous présente Céline Frémont.

- Bonjour Mademoiselle. Vous êtes une amie de Virginie, je présume ?

- Oui, mon père. Je suis sa compagne.

- Sa compagne... Je vois... Et vous êtes une experte en art religieux ?

- Je suis experte en art auprès de la maison Sophie’s, les commissaires-priseurs anglais.

- Je vois... Et vous aimeriez procéder à la vente de notre Vierge à l’Enfant ?

- Non, mon Père. Je pense simplement qu’elle devrait être mise à l’abri dans un musée. Une telle pièce, si bien conservée, vaut plusieurs centaines de milliers d’euros. Elle peut attirer bien des convoitises...

- La place d’une Vierge à l’Enfant est dans une église, Mademoiselle. Alors qu’un chien n’a rien à y faire.

- Et pourquoi non ? C’est aussi une créature de Dieu.

- Je vois que vous avez réponse à tout, Mademoiselle.

- Non, mon père. Je n’ai pas réponse à tout. Au contraire, je vous envie vos certitudes. J’aimerais regarder cette Vierge à l’Enfant de plus près. Je présume que c’est possible puisqu’elle est à la disposition de tous.

Le Père Jean ne put qu’accéder à la demande de Céline. Il prit la statue de bois et la tendit à la jeune experte qui l’examina attentivement.

- Elle est vraiment magnifique et si légère. Merci mon père. Je vous la rends. C’était un bonheur et un honneur de l’avoir tenue quelques secondes. A ce soir.

- Vous venez à la messe de minuit ?

- Mais bien sûr. Et à la messe de Noël également.

- Virginie a dû vous dire que j’organisais toujours un vin chaud, la nuit, après la messe. Vous y viendrez ? Tout le village sera là...

- Pour rien au monde, je ne manquerais cette occasion de rencontrer les habitants de Notre-Dame-en-Auge. A bientôt, mon père.

- A ce soir, Mesdemoiselles.

Les jeunes femmes saluèrent le prêtre, détachèrent Brutus et sortirent de l’église.

- Tu as conscience, Céline, que tout le village va nous regarder comme deux bêtes curieuses ?

- J’ai parfaitement conscience que tout le monde nous met au défi d’afficher notre amour en public. Cela ne me fait pas peur.

- Parce que c’est nouveau pour toi. Tu n’as jamais eu à affronter le mépris des autres. A subir leur jugement.

- Qui sont-ils pour nous mépriser ou nous juger ? Des maris, des femmes qui trompent leur conjoint. Ou qui rêvent de le faire. Leur avis m’importe peu. Je vis ma vie comme je l’entends et avec qui je veux... D’autant que je ne viole aucune loi et ne fais de tort à personne. Au contraire... j’ai bien l’intention de faire le bonheur de quelqu’un, ou plutôt, de quelqu’une...

En marchant, les deux jeunes femmes passèrent devant l’auberge de charme. Céline remarqua qu’une Porsche, immatriculée en Italie, y était stationnée. Elle pensa alors que, si ses occupants venaient au vin chaud du Père Jean, elle aurait enfin l’occasion de pratiquer son italien.


*


Fernand Mirbeau n’avait pas daigné paraître à l’heure du déjeuner, se contentant d’un sandwich avalé sur le pouce dans son atelier.

Toute la famille avait profité de son absence pour faire plus ample connaissance avec la sublime compagne de Virginie, car les oncles, tantes et cousins de la jeune femme ne craignaient pas le courroux du maître des lieux.

En outre, tout le monde avait remarqué la bienveillance de Claire à l’égard de sa petite soeur et de son amie.

Virginie observa avec admiration la facilité avec laquelle Céline mettait ses parents “dans sa poche”. Un mot gentil ici, un sourire là...

Tous les hommes, de 7 à 57 ans, étaient prêts, comme Brutus, à lui manger dans la main...

Quant aux femmes, elles n’éprouvaient aucun sentiment de jalousie. Céline était de ces femmes auxquelles on ne se compare pas car elles découragent toute comparaison.

Interrogée sur les circonstances de sa rencontre avec Virginie, Céline les raconta avec humour, en taisant naturellement les péripéties les plus torrides qui auraient pu heurter certaines oreilles, ou faire rougir certaines joues.


*


L’après-midi avait été consacré aux ultimes préparatifs auxquels Céline et Virginie avaient participé. Puis était venu le moment de s’habiller pour le dîner.

Céline avait choisi avec un soin extrême la tenue qu’elle devait porter pour le Réveillon puis pour le déjeuner de Noël. Elle voulait être élégante mais sans ostentation.

Une longue veste de velours chocolat, aux revers étroits, ouverte sur une chemise, longue elle aussi, dont les poignets déboutonnés, dépassant largement des manches de la veste, recouvraient le dos de la main. La chemise, au col relevé, aux multiples petits boutons, était blanche et le bas s’ouvrait, comme un gilet, sur une large jupe en crêpe de soie marron glacé. Cette jupe, composée de plusieurs jupons superposés, formait comme une crinoline coupée juste au-dessus du genou.

Les superbes jambes de Céline étaient gansées de bas qui laissaient voir le velouté de sa peau légèrement bronzée. Elle portait enfin des ballerines à talons plats.

Pour seul bijou, un long sautoir de fausses perles blanches. Un très léger maquillage.

Cette tenue était une surprise. Même pour Virginie.

- Céline, tu es... whaouhhhhhh... Magnifique... Sublime... Superbe... Je crois qu’il n’y a pas assez de mots dans le dictionnaire pour te décrire...

- C’est vrai ? Je te plais ?

- Même sans ces vêtements, tu me plairais...

Les deux jeunes femmes s’approchèrent l’une de l’autre. Seules dans leur chambre, elles s’autorisèrent un moment de tendresse. Céline posa ses bras sur les épaules de Virginie qui enlaça sa taille.

- Je voulais te faire honneur. Prouver à tes parents que leur fille, soeur, nièce ou cousine, pouvait séduire une femme plutôt agréable à regarder.

- Plutôt agréable à regarder ? C’est un euphémisme ! Tu es à tomber ! C’est eux qui vont se demander comment j’ai pu te plaire !

- En étant ce que tu es ! Belle, forte, vivante et... différente ! Je t’aime, Virginie. Et je t’interdis de douter de toi, de moi et de mon amour...

Leurs lèvres se joignirent...

Céline brisa cette étreinte.

- Virginie, il vaut mieux finir de nous préparer... Sinon, ta famille pourrait ne pas nous voir de toute la soirée. ça risquerait de faire mauvais effet... Tu ne crois pas ?

- Quel dommage ! Mais tu as raison !

- Comment vas-tu t’habiller ?

- J’ai voulu tordre le cou à l‘image de la lesbienne masculine. Alors je me suis achetée cette petite robe. Comment la trouves-tu ?

Tout en parlant, Virginie se déshabilla puis fit glisser sur son corps une robe noire, courte à manches longues, que Céline n’avait encore jamais vue. Une robe si moulante qu’elle ne supportait pas le moindre sous-vêtement dont la présence aurait laissé une marque. Par contre, elle soulignait ses formes parfaites : la courbe de ses seins, l’arrondi de ses hanches et de ses fesses, son ventre plat. Le décolleté laissait apparaître ses épaules que recouvraient les longues boucles de ses cheveux bruns. Sa peau mate, toujours légèrement hâlée, la dispensait de porter bas ou collant.

Les yeux écarquillés et la bouche sèche, Céline déglutit en voyant son amante ainsi vêtue ou, plutôt, dévêtue...

- Virginie... tu es fabuleuse... mais, rassure-moi, tu n’es pas complètement nue sous cette robe ? C’est le Réveillon de Noël. Tu n’es pas sensée vamper les invités, hommes ou femmes...

- Je n’ai pas de soutien-gorge. Ma poitrine est assez ferme pour “tenir” toute seule. Par contre, je porte un string ficelle.

- Le Père Jean va avoir une crise cardiaque s’il apprend que tu te rends à la messe de minuit en étant si peu vêtue...

- Et qui va le lui dire ? Personne ne le sait, à part toi. Et puis je vais quand même jeter un manteau sur mes épaules. Par chance, il n’y a pas de neige. Exceptionnellement, il n’a pas plu. Le temps est froid mais sec. Je veux être belle, pour toi.

- Tu l’es Virginie. Oui tu l’es. Incontestablement. Bien. Je crois que nous sommes parées de pieds en cap pour affronter ton père.

- Oui. Tu as su séduire les plus farouches dragons de ma famille. Mais il reste mon père...


*


Fernand Mirbeau, seul, enfermé dans son atelier, avait eu le temps de réfléchir.

Cette Céline Frémont était magnifique ! Elle n’en était que plus redoutable.

Virginie était rayonnante. Sa fille n’avait rien de commun avec la triste jeune femme qui vivait les précédents Noëls comme une corvée. Elle était amoureuse. Et heureuse. Cela crevait les yeux !

Mais il ne pouvait pas accepter cette sorte de bonheur. Elle était heureuse aujourd’hui. Mais demain ? Il était persuadé que cette Céline Frémont n’était pas réellement éprise de sa fille. Il était certain que leur histoire ne pouvait pas durer. Il n’y aurait jamais rien pour cimenter leur couple. Pas de mariage. Pas d’enfant. Rien. Virginie sortirait de cette aventure dévastée. Plus solitaire que jamais.

Il fallait qu’elle se rende à la raison. Elle devait quitter Céline. Abandonner définitivement ce style de vie. Et faire sa vie avec un homme. Il devait l’en convaincre.

Mais d’abord, il fallait décourager cette Céline Frémont. La faire fuir.

Tous les moyens seraient bons.


*


Le réveillon avait commencé.

Tous les invités de Fernand Mirbeau étaient présents, devisant gaiement autour du buffet, une coupe de champagne à la main. Parmi eux, le fameux célibataire incontournable. Cette année, c’était à l’instituteur du village qu’avait échu la tâche de convertir Virginie aux amours hétérosexuels...

C’était un brave garçon. Mais il sautait aux yeux de tous qu’il lui serait impossible de surpasser, ou même, de concurrencer Céline dans le coeur de Virginie. C’était un combat perdu d’avance...

Tout le monde était là. Sauf Fernand Mirbeau qui n’avait pas réapparu...

Il était impossible de passer à table sans lui. Claire prit une initiative et se tourna vers son mari.

- Eric, mon chéri, peux-tu aller chercher Papa dans son atelier ?

- Laissez Eric. Je vais y aller...

- Céline, vous êtes sûre ?

- Il faudra bien, qu’un jour, j’affronte votre père. Le moment est bien choisi.


*


Quelques minutes plus tard, Céline frappait à la porte de l’atelier de Fernand Mirbeau. Elle entendit un “entrez” et ouvrit la porte.

Penché sur son établi de menuisier, Fernand lui tournait le dos. Il se retourna et ne put cacher son étonnement en la voyant. Céline lut dans ses yeux ce sentiment qu’elle avait tellement vu dans le regard des hommes : une admiration sincère. Mais Fernand se reprit.

- Claire vous prie de venir nous rejoindre. Le dîner sera bientôt prêt...

- Elle ne pouvait pas venir me le dire elle-même ?

- Elle est accaparée par la préparation du dîner.

- Et Virginie ?

- Elle bavarde, à bâtons rompus, avec ce jeune instituteur que vous avez invité, Monsieur...

Fernand lu dans son sourire qu’elle n’était pas dupe et que c’était peine perdue. Elle pouvait bien laisser son amante en tête à tête avec un homme. Elle ne risquait rien...

- Et vous n’êtes pas avec elle ?

- Non. Je veux laisser à ce jeune homme une chance de remplir la mission que vous lui avez donnée, Monsieur.

- Quelle mission ? De quoi parlez-vous ?

- Séduire Virginie. La persuader qu’elle fait fausse route. Qu’elle doit abandonner son choix de vie pour la “normalité” d’une vie avec un homme.

- Vous n’y allez pas par quatre chemins !

- Quelque chose me dit que vous n’êtes pas homme à choisir des chemins détournés...

- C’est vrai. Alors, je vais vous parler franchement. Sans haine. Je n’aime pas que ma fille ait des relations avec des femmes. Je n’aime pas que ma fille ait une relation avec vous.

- Pourquoi, si nous nous aimons ?

- Je ne crois pas à cette sorte d’amour. Je ne crois pas que cela puisse durer. Je ne crois pas que vous aimiez réellement ma fille.

- Vous vous trompez, Monsieur. J’aime Virginie. J’ai pris des risques pour elle...

- Lesquels ?

- J’ai affronté mes parents. J’ai quitté mon fiancé...

- Votre fiancé ? Vous deviez vous marier ?

- Oui. Si je n’avais pas quitté Gilles, nous serions mariés depuis quelques jours.

- Vous êtes... enfin, je veux dire, vous n’êtes pas...

- Oui, Monsieur. Avant Virginie, j'ai eu des amants...

- J’en étais sûr. Une femme comme vous ne pouvait pas être lesbienne !

- Une femme comme moi ? Vous voulez dire : une jolie femme ? Une jolie femme ne peut qu’aimer les hommes... Et les lesbiennes sont forcément masculines... Des “laissées pour compte” qui se consolent entre elles... Vous avez des idées préconçues, Monsieur.

- Je me moque de ce que vous pouvez penser de moi !

- Sachez que c’est réciproque. Mais Virginie, elle, s’intéresse à ce que nous pensons l’un de l’autre. Par amour pour elle, j’ai l’intention de faire l’effort de vous supporter...

- Par amour pour elle...

- Oui, Monsieur. Par amour pour elle. Je vous laisse le vilain rôle du père homophobe, qui refuse d’ouvrir les yeux sur ce qu’est sa fille. Qui refuse qu’elle soit heureuse. Qui veut lui imposer un mode de vie qui n’est pas le sien...

- Je ne suis pas homophobe !

- Oh vraiment ?

- Oui. Je ne veux pas que ma petite fille souffre. C’est tout.

- C’est vous qui la faites souffrir et les gens comme vous. Des gens qui, avec les meilleures intentions du monde, veulent faire son bonheur malgré elle. Acceptez votre fille telle qu’elle est, Monsieur. Car telle qu’elle est, c’est un trésor...

Fernand Mirbeau ne disait plus un mot.

- Regardez-moi Monsieur. Vous croyez vraiment que ce jeune instituteur vaut mieux que moi ? Que Virginie sera plus heureuse avec lui qu’avec moi ?

- ...

- Votre silence est éloquent... La seule chose qui puisse empêcher Virginie d’être heureuse, c’est le regard des autres, Monsieur. C’est votre regard...

Céline s’approcha de la porte et l’ouvrit.

- Le dîner est prêt, Monsieur. Toute votre famille vous attend...

Elle sortit, laissant Fernand Mirbeau seul avec ses pensées.


*


Fernand Mirbeau s’était enfin préparé, en nouant une cravate sur une chemise, et avait rejoint ses filles et ses invités.

Ces derniers ne savaient rien de la conversation qu’il avait eue avec Céline, quelques minutes plus tôt. Et pourtant, son attitude avait changé. Il continuait à regarder sa fille et son amie avec attention. Mais il n’y avait plus dans son regard cette lueur d’hostilité mal contenue. Il cherchait à comprendre...

Les deux jeunes femmes n’étaient pas assises l’une à côté de l’autre. Elles étaient séparées par Eric, une cousine, et le jeune instituteur.

Et pourtant... Il y avait plus de proximité entre elles qu’entre n’importe qui autour de la table. Elles échangeaient des sourires complices.

Fernand devait se résoudre à cette idée. Sa fille était amoureuse. Virginie regardait Céline en la mangeant des yeux. Elle était incapable d’entendre le langage de la raison. D’ailleurs était-il raisonnable de quitter Céline pour le pâle instituteur qui tentait de capter son intérêt ?

Combien étaient-ils autour de cette table qui auraient volontiers vendu père et mère pour passer ne serait-ce qu’une nuit avec cette beauté blonde ?

Or, sa fille avait le privilège de partager sa vie. Elle était l’élue.

Il n’était pas homophobe. Il avait seulement peur.

Si seulement, il pouvait avoir la certitude que Céline aimait vraiment sa petite fille ! La certitude que Virginie n’était pas une simple expérience pour cette jeune femme qui venait de lui avouer son hétérosexualité.

Ah, si seulement il pouvait avoir cette certitude... Alors oui, il accepterait tout. Il accepterait les choix de sa fille. Il accepterait son “mode de vie”.

Il accepterait Céline...

*


Le réveillon se poursuivait. Chaleureusement. La famille Mirbeau semblait avoir accepté Céline comme l’une des leurs. Seul Fernand restait taciturne et plongé dans ses pensées.

Le dîner avait déroulé la longue liste des plats incontournables - huîtres, saumon, foie gras, poulardes, fromages, bûches - accompagnés de leurs vins.

La table avait été débarrassée. Les hommes fumaient, cigare ou pipe, en sirotant un rhum vieux.

Il fallait encore attendre plus de trente minutes avant de se rendre à la messe de minuit. Les enfants les plus jeunes s’impatientaient. Ils étaient sur des charbons ardents. Ils avaient tous envie d’aller se coucher pour pouvoir se lever tôt le lendemain et découvrir les cadeaux qu’une main mystérieuse n’aurait pas manqué de déposer au pied du sapin.

Non seulement la messe était une corvée ennuyeuse, mais, en plus, il fallait attendre minuit pour s’y rendre ! La révolte grondait !

Céline avisa un piano “quart de queue”, qui se trouvait dans un coin du vaste salon qui servait également de bibliothèque et de salle à manger.

- Virginie. A qui appartient ce piano ?

- C’était le piano de ma mère. Papa l’a acheté aux enchères. Il l’a fait restaurer et le lui a offert peu de temps après leur mariage. C’est un Pleyel. Il a été fabriqué en 1920. Maman l’adorait.

- Tu sais en jouer ?

- Non. Personne ici ne sait en jouer. Pourtant Papa fait venir un accordeur tout les ans.

- Tu crois que ton père se mettrait en colère si je jouais quelque chose ?

- Il vénère ce piano. Mais je ne crois pas qu’il oserait se fâcher. D’ailleurs, il n’est jamais fermé à clef et les enfants s’amusent à pianoter.

- Bien. Alors, je vais tenter une petite expérience...

- Céline que vas-tu faire ? C’est le piano de Maman...

- Ne t’inquiète pas. Fais moi confiance.

Céline s’approcha de la petite Amélie, ravissante petite rouquine de cinq ans et fille de Claire et d’Eric. Elle se pencha vers elle.

- Tu veux jouer du piano avec moi ?

- Oh oui, je voudrais bien mais je ne sais pas jouer.

- Mais si, tu vas voir.

Elle pris la petite fille par la main. Elles s’approchèrent du piano. Cécile s’assit sur le banc et installa Amélie sur ses genoux.

- Nous allons jouer à quatre mains. Tu vas tendre tes index. Voilà. Et tu vas appuyer sur ces deux touches. Toujours les mêmes. Et toujours au même rythme. Comme ça.

Céline fit une démonstration. Les premières notes s’élevèrent à un rythme régulier.

- Maintenant, à ton tour !

Amélie, appuya sur les deux touches désignées par Céline au rythme indiqué. Elle était si concentrée qu’un petit bout de langue pointait entre ses lèvres.

Puis les bras de Céline encadrèrent l’enfant et ses longs doigts fins et élégants se posèrent sur les touches blanches et noires du piano. Elle commença à jouer la mélodie alors qu’Amélie l’accompagnait avec la mesure.

Les notes semblaient voler à travers la pièce. C’était une musique à la fois romantique, joyeuse et légère.

Toutes les personnes présentes les regardaient, fascinées. Elles étaient magnifiques. La jeune femme blonde, dont les mains couraient sur le clavier, et la petite fille rousse, ravie et si fière.

Elle jouèrent ainsi pendant plusieurs minutes jusqu’à ce que Céline interrompe Amélie en saisissant ses mains et plaque le dernier accord.

Le silence se fit. Amélie, folle de joie, jeta ses bras autour du cou de Céline et l’embrassa avec une fougue qui fit rire l’assistance.

Des applaudissements explosèrent. Céline et Amélie se levèrent et saluèrent leur public admiratif et conquis.

Tous les autres enfants voulurent jouer à leur tour avec Céline. Mais Claire intervint.

- Plus tard, si Céline le veut bien. Il est temps de se préparer pour aller à la messe de minuit. Les enfants, allez vous brosser les dents et vous habiller.

Ils obéirent. Mais ils exigèrent que Céline les accompagne. Ce qu’elle fit de bonne grâce. Le salon se vida. Seules Claire et Virginie étaient restées dans la pièce.

- Je ne savais pas que Céline savait jouer du piano. Ton amie a décidément tous les dons !

- Elle a reçu une éducation bourgeoise. La musique fait naturellement partie de cette éducation. C’est la première fois que je l’entendais jouer. Il n’y a pas de piano chez nous.

- En tout cas, elle a bien joué. Dans tous les sens du terme...

- Que veux-tu dire ?

- Pendant que tu regardais Céline, moi je regardais Papa. Il était quasiment au bord des larmes...


*


Virginie était dans la chambre en train de se préparer pour aller à l’église quand elle fut rejointe par Céline.

- Tu as pu échapper à mes neveu, nièce et petits cousins ? Tout à l’heure, j’ai cru qu’ils allaient se battre pour grimper sur tes genoux.

- C’est généralement l’effet que je produit, Virginie. On se bat pour moi... Mais non, je plaisante...

- Je voulais te remercier Céline. Pour tous les efforts que tu fais...

- Primo, ce n’est pas un effort. Ta famille est charmante. Ce n’est pas aussi difficile que je le redoutais. Parce qu’ils t’aiment, ils m’acceptent tous assez facilement. Deuxio, tu vaux bien les efforts que je fais pour toi...

- D’après Claire, même Papa était sous ton charme quand tu as joué du piano...

- Il était plutôt sous le charme d’Amélie. Cette adorable petite fille avec ses tâches de rousseur est irrésistible... Si je m’en tiens à la conversation que j’ai eue avec lui avant le dîner, et bien, ce n’est pas encore gagné... Il a peur que je retourne à mes amours hétéro.

- Céline, tu ne lui as pas dit que... tu aimais les hommes... avant moi ?

- Mais si bien sûr. Pourquoi le lui cacher ? Tôt ou tard, il l’aurait appris.

- J’aurais préféré que ce soit tard...

- Cela ne sert à rien de contourner l’obstacle Virginie. Il vaut mieux que ton père sache à quoi s’en tenir avec moi. Il doit aussi comprendre que ton choix de vie ne t’enferme pas dans un ghetto. Mais que tu rencontres toutes sortes de gens, puisque tu m’as rencontrée. Allons ne sois pas triste ! On va y arriver. Et puis ce soir, ton père est secondaire. N’oublie pas les deux cents habitants du village qui vont nous examiner des pieds à la tête ! Et surtout, Virginie, n’oublie pas que je t’aime.

Céline enlaça Virginie et la serra contre elle. Elle sentit la chaude douceur de ses lèvres contre son cou.

- J’aurais pu fêter Noël à Megève avec mes parents plutôt que de passer cette série d’épreuves. Mais je ne l’ai pas voulu. Ton père, ta famille, tes amis, ton village, c’est ta vie. Je veux en faire partie. Parce que je t’aime.


*


Sur le chemin de l’église, Céline et Virginie s’étaient laissées distancer. Elles marchaient seules, épaule contre épaule, derrière la famille Mirbeau. Elles profitaient de l‘obscurité pour se tenir par la main.

Il faisait un froid sec, sans neige. La lune brillait dans une nuit étoilée.

- Virginie, cette nuit est merveilleuse. Et je n’aurais pas voulu la vivre ailleurs et avec quelqu’un d’autre.

- Moi non plus. Je voudrais te remercier d’exister. Tu vas sans doute trouver cela ridicule mais tu me fais penser à un poème de Verlaine.

- Ce n’est pas ridicule et je crois deviner lequel. Mais je t’écoute.


- Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon coeur transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse ? Je l'ignore.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,
Et pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.

- Ce sonnet est magnifique.

- Je me récitais souvent ce poème autrefois et je désespérais de rencontrer un jour une femme qui m’aimerait et me comprendrait. Et je t’ai rencontrée, Céline. Je connais ce bonheur qui n’est donné qu’à quelques-uns : aimer et être aimé. Je ne veux pas perdre ce bonheur.

- Tu ne le perdras pas car tu ne vas pas me perdre.

- Tout se passe trop bien. Ma famille t’accepte si facilement... Mais le silence de mon père me fait peur. Quelque chose va arriver... J’en suis certaine...


*


Tout le village était là.

Des centaines de cierges avaient été allumés pour l’occasion et le lieu baignait dans cette lumière féerique. Les ombres des statues étaient projetées sur les parois de l’Eglise. Les visages étaient nimbés d’une luminosité digne d’un tableau de Georges de la Tour.

L’organiste du village jouait l’Ave Maria de Gounod. L’émotion était palpable. Une impression de chaleur, de sérénité se dégageait de l’assemblée réunie pour cette messe de minuit.

Céline, assise au fond de l’église, entre Virginie et Claire, se sentait bien. Apaisée, tranquille. Elle leva les yeux sur la Vierge à l’Enfant qui posait sur elle un regard doux et bienveillant.

Son regard glissa sur la statuette puis sur la foule des participants.

Puis, sans raison précise, son regard s’immobilisa sur un couple. Un homme et une femme assis quelques rangs devant elle. Tout d’abord, Céline ne comprit pas pourquoi cet homme et cette femme retenaient son attention.

Puis elle comprit.

Ils ne regardaient pas le Père Jean qui célébrait la messe.

Ils ne priaient pas.

Ils observaient un point dans l’église. Sans pouvoir en détacher les yeux.

Ils la regardaient.

Elle. La Vierge à l’Enfant.


*


Le Père Jean n’était pas normand, mais savoyard. Il avait importé de sa Savoie natale, la tradition du vin chaud qu’il proposait tous les ans après la messe de minuit.

C’était l’occasion pour les habitants du village de se retrouver. Personne ne manquait cette réunion plus païenne que religieuse.

Céline et Virginie n’avaient pas voulu déroger à cette tradition. Elles étaient là, côte à côte, un verre de vin à la main, au milieu des villageois, qui pour certains les dévisageaient.

Tous les regards étaient admiratifs, et certains étaient chaleureux.

Pourtant Céline, pour la première fois de sa vie, comprit ce que voulait dire être jugée et méprisée. Elle savait que si l’on admirait la jolie femme, si élégamment habillée, on condamnait ses amours. Elle comprit ce que sa compagne avait eu à subir. Elle ne l’en aimait que plus. Et souffrant du regard hostile de certains, elle se sentait encore plus proche de Virginie.

Mais les deux jeunes femmes éprouvaient un immense sentiment de satisfaction. Dans cette épreuve, la famille Mirbeau faisait bloc autour d’elles. Claire et Eric ne les quittaient pas et avaient présenté Céline au maire du petit village.

Même Fernand Mirbeau s’était montré loyal et avait fusillé d’un regard noir, ceux et celles qui s’étaient permis de sourire à la vue de sa fille et de son amie.

Au milieu de la foule, Céline aperçut le couple de l’église dont la fascination pour la Vierge à l’Enfant l’avait intriguée.

- Claire, vous connaissez cet homme et cette femme qui discutent avec le maire ?

- Non. Ce sont des étrangers de passage. Des italiens, je crois. Ils ont séjourné pendant quelques jours à l’auberge du village. J’ai entendu son propriétaire dire que ses clients partaient aujourd’hui.


*


Céline et Virginie avaient regagné leur chambre.

- Ouf !!! Déjà une journée de passée !

- Le moins que l’on puisse dire, Virginie, c’est que tu n’as pas l’intention de t’incruster chez ton père !

- Si je pouvais prendre la route immédiatement, j’en serais ravie ! Tu as vu ces gens stupides aux regards méchants ?

- Oui, je les ai vus. Mais j’ai aussi vu des gens charmants. Et puis, dis-toi que ce genre d’épreuves nous rapproche. Ce qui ne nous tue pas, nous rend plus fort.

- C’est mon père qui risque de me tuer tout à l’heure quand il verra les cadeaux que j’ai achetés pour toute la famille. Uniquement des marques de prix. Il va croire que j’ai fait un cambriolage !

- Tu es riche à présent. Tu ne peux plus te permettre de faire de petits cadeaux. Sinon, ta famille risquerait de crier à la radinerie !!!

- Quand Papa va apprendre d’où me vient cette fortune, je suis sûre que je vais passer un mauvais quart d’heure !

- Nous le passerons ensemble, Virginie. Après tout c’est ma grand-tante qui va t’adopter !

- Ces fêtes de Noël sont un véritable parcours du combattant. Je m’en excuse. Pour notre premier Noël, ce n’est pas une réussite !!!

- Je ne partage pas ton avis. Tout se passe aussi bien qu’il est possible compte tenu des circonstances. Ton père a été correct. Le village ne nous a pas lapidées et le Père Jean ne nous a pas excommuniées. Que veux-tu demander de plus ?

- Un Noël en tête à tête avec toi...

- Intéressant... Le projet est à l’étude... Pour le moment, je crois que nous devrions dormir quelques heures.

- Quel dommage ! Mais je crois que tu as raison.


*


Toute la famille était réunie au pied du grand sapin. Adultes et enfants ouvraient les cadeaux auprès d’une montagne de papiers d’emballage déchirés.

L’ouverture de chaque cadeau était suivie d’un cri de joie.

Virginie, ravie, tournait dans tous les sens le superbe appareil photo numérique Leica, gainé de cuir et doté de boutons de commande en chrome que Céline lui avait offert.

Céline s’amusait de la joie de sa compagne. Mais elle observait aussi l’étonnement qui se lisait sur les visages.

Virginie s’était montrée extrêmement généreuse avec sa famille en la couvrant d’iPods, d'iPhones, d'ordinateurs, de sacs de grands couturiers ou de montres suisses.

Fernand Mirbeau regardait d’un oeil rond la splendide pipe en bruyère de grande marque et son coffret en cuir.

Claire s’approcha de sa petite soeur.

- Virginie... Mon Dieu, mais tu t’es ruinée...

- Non... pas vraiment... Il faudrait que je vous parle. A Papa et à toi...

- Que se passe-t-il ? Rien de grave ?

- Non. Rien de grave. Mais quelque chose d’important... Je vais dans le bureau de Papa. Tu peux me rejoindre avec lui ?

Virginie s’éclipsa. Quelques minutes plus tard Fernand et Claire la rejoignaient dans le bureau.

- Virginie comment as-tu fait pour payer de tels cadeaux ? C’est Céline ?

- Non, ce n’est pas Céline. Je vais vous expliquer. Voilà... Vous connaissez le manoir d’Uberville qui se trouve à une quarantaine de kilomètres d’ici.

- Bien sûr.

- Sa propriétaire s’appelle Camille d’Uberville. C’est la grand-tante de Céline. La tante de sa mère. Elle adore Céline. Elle s’est aussi prise d’affection pour moi. Elle m’a fait un don en argent.

- Un don en argent ?

- Deux cent mille euros.

- Deux cent mille euros... Et ben, merde alors... Euh pardon, je voulais dire : mince alors.

- Camille est extrêmement riche. Mais il n’y a pas que ça. Camille a soixante dix ans. Elle ne s’est jamais mariée et elle n’a pas eu d’enfant. C’est le regret de sa vie.

- Et alors ?

- Je vous l’ai dit. Elle m’a prise en affection. Comme Maman est morte, elle se propose de... m’adopter.

- T’adopter ??? Comment est-ce possible ???

Virginie leur répéta alors le cours de droit que Céline lui avait fait quelques semaines plus tôt.

- Comme je suis majeure, il s’agirait d’une adoption simple et je dois donner mon consentement. Un lien de filiation sera établi entre Camille et moi. Je porterai son nom. Je m’appellerai désormais Virginie Mirbeau-d’Uberville...

Le silence se fit. Fernand Mirbeau, qui n’avait rien dit jusqu’à présent, prit la parole.

- Tu es une grande fille. Tu sais ce que tu as à faire. Mais si tu acceptes, alors c’est que tu renies ta famille.

Sans ajouter un mot, il quitta la pièce, suivi par ses deux filles. Dans le couloir, il croisa Céline.

- Vous... Vous avez acheté ma fille avec votre argent et celui de votre famille...

Sans attendre de réponse, il lui tourna le dos et retourna dans son atelier dont il claqua la porte avec colère.

Céline, Virginie et Claire échangèrent un regard désolé.


*


Virginie jetait ses vêtements pèle-mêle dans son sac de voyage.

- Non, non, non et non, Céline ! Je ne reste pas une minute de plus. Mon père est un butor, mal embouché et qui ne m’acceptera jamais telle que je suis. Qui ne t’acceptera jamais. J’ai fait suffisamment d’efforts. Au diable Papa et ses fêtes de Noël ! Où sont son amour et sa compréhension ? Depuis que nous sommes arrivées, il n’a pas eu un seul mot affectueux pour moi. C’est la guerre ouverte avec toi. Une guerre d’usure. Il a gagné. Je m’en vais...

Elle referma son sac qu’elle jeta sur le sol. Et se tourna, boudeuse, vers la fenêtre de la chambre. Elle se mit à regarder fixement, la campagne normande qui s’étendait au loin.

Céline avait laissé passer l’orage. Elle s’approcha d’elle. Se blottit contre son dos, entoura ses épaules de ses bras, colla sa joue contre la sienne et murmura :

- Virginie, si nous partons maintenant, nous ne pourrons plus revenir avant longtemps.

- Je m’en fiche !

- Virginie. Il n’y a pas que ton père. Il y a toute ta famille. Tous, chacun à sa manière, ont fait des efforts, non seulement pour m’accepter, mais pour braver ton père. Parce qu’ils t’aiment. Si tu pars maintenant, tu leur dis “je me moque de vos efforts, je me moque de votre amour. Seul compte le regard de mon père”. Tu risques de les vexer. Terriblement. Ton père, alors, aura gagné. Tu dois rester... Pour Claire, pour Eric, pour tous les autres...

- Mais c’est tellement dur, Céline !

- Je sais que c’est dur. Mais notre amour le vaut bien, non ? Et puis nous sommes presque arrivées au bout de cette épreuve. Il ne reste plus que la messe de Noël et le déjeuner. Je te propose de partir cet après-midi. Nous serons chez nous, ce soir... Tiens le coup, Virginie. Pour moi. Pour nous.

Virginie posa ses mains sur les bras de Céline, qui entouraient toujours ses épaules, tourna la tête légèrement et déposa un baiser sur sa joue.

- Tu as raison. Je vais faire cet effort. Je le fais pour toi. Pour toi, qui n’as pas eu peur d’affronter Gilles et tes parents...

- Oui. Et cela ne nous a pas trop mal réussi, n’est-ce-pas ? Comment devons-nous nous habiller pour la messe ? Je dois remettre les vêtements que je portais pour le réveillon ou suis-je autorisée à m’habiller de façon plus simple ?

- Tu peux remettre jodhpur, pull en cachemire, veste en tweed et bottes indiennes Jimmy Choo, comme à notre arrivée, hier. Moi, je remets un jean.


*


Céline et Virginie se trouvaient au milieu de la foule dans l’église de Notre-Dame-en-Auge. Dans la conception chrétienne, les messes de minuit et de Noël, sont des moments de joie. Mais Virginie avait le coeur lourd.

Céline était désolée pour sa compagne qui n’avait pas réussi à fléchir son père. Leur futur serait fait de cette incompréhension mutuelle.

Elle se dit, qu’en comparaison, elle avait eu de la chance.

Si ses propres parents n’avaient pas dansé de joie à l’annonce de la rupture de ses fiançailles avec Gilles et de son coup de foudre pour une femme, il fallait bien reconnaître qu’ils s’étaient finalement comportés avec beaucoup d’élégance.

Ils la laissaient vivre sa vie. Elle leur en était reconnaissante.

Fernand Mirbeau semblait incapable de cette ouverture d’esprit. Pourtant, hier, lors de leur conversation dans son atelier, il lui avait bien semblé qu’elle avait réussi à le toucher en lui parlant de son amour pour sa fille... Mais ce n’était qu’une illusion...

Dieu que le bonhomme était difficile à convaincre !

Céline tourna les yeux vers la Vierge à l’Enfant. Elle aurait bien besoin de son aide ! Céline n’avait pas la foi qui déplace les montagnes. Mais c’était une pragmatique. Elle pensait qu’aucune aide n’est à dédaigner !

Elle regarda la statuette. Attentivement.

Elle ressentit une curieuse impression. Il n’émanait plus de cette statue cette douce chaleur, cette bonté rayonnante qui la rendait presque vivante. La Vierge à l’Enfant qu’elle avait devant elle était un objet banal. Sortie des mains d’un artiste sans talent. Sans génie.


*


La messe était presque terminée. Le Père Jean prononçait les paroles sacramentelles. Sur les derniers mots prononcés, Céline quitta sa place. Elle sortit de son sac à main une paire de fines lunettes-loupe qu’elle posa sur son nez. Devant le prêtre et les participants abasourdis, elle prit la Vierge entre ses mains, la retourna et l’examina.

Virginie et le Père Jean s’approchèrent.

- Céline, qu’est-ce que tu fais ?

- Je veux m’assurer que cette statuette est bien la Vierge à l’Enfant que j’ai admirée hier.

- Comment pourrait-il en être autrement, Mademoiselle Frémont ?

- Vous n’imaginez pas l’ingéniosité des voleurs d’oeuvres d’art, mon Père. L’une de leurs techniques est de remplacer les originaux par des faux.

- Mais comment ?

- C’est très simple. En utilisant les services d’un sculpteur de talent qui fabrique une copie. Ou en utilisant la bonne vieille technique du pantographe.

- Un pantographe ?

- Un pantographe est un objet qui sert à copier mécaniquement les dessins. Il se présente sous la forme d’un bras articulé avec une pointe qui suit le modèle et un crayon qui le reproduit sur une autre page.

- Je vois. Mais vous dites que l’on ne peut utiliser le pantographe que pour les dessins...

- Cette technique a été améliorée. On l’utilise pour les sculptures. A partir de dizaines de photos, on fabrique un plâtre en trois dimensions de l’objet que l’on veut copier. Ce moule sert de modèle. Puis on utilise une machine numérique d’assistance au geste. C’est une sorte de bras articulé qui, à partir du modèle, va indiquer, pour chaque partie, la distance par rapport à la surface à reproduire. Il n’y a plus qu’à sculpter le bloc de pierre, de marbre ou de bois. C’est ainsi que l’on procède actuellement pour la réfection des statues de la cathédrale de Reims. La copie est alors parfaite. Au micron près. Il n’y a plus qu’à remplacer l’original par la copie. C’est facile avec une statuette qui demeure dans une église, sans aucune protection, à portée de toutes les mains...

- Mais une telle machine doit coûter des fortunes...

- C’est un investissement raisonnable par rapport aux sommes considérables que rapporte le vol d’oeuvres d’art, mon Père. Ce trafic serait le troisième en importance après les trafics de drogues et d’armes.

- Et vous pensez que la statuette que vous avez entre les mains est une copie ?

- J’en suis pratiquement sûre. Car il y a une chose que l’on peut difficilement copier dans une statue en bois.

- Quoi donc ?

- Le bois, justement. Sauf, naturellement, à sacrifier une autre statuette du même âge, il est difficile d’obtenir du bois vieux de sept cents ans. D’autant que ce bois doit être sec. Or le bois de cette statue n’a pas sept cents ans et il est encore humide, comme si l’arbre dont il est issu venait d’être coupé. Cette statuette est beaucoup plus lourde que celle dont j’ai apprécié la légèreté hier.


*


Toutes les personnes présentes dans l’église s’étaient approchées et entouraient Céline. Ils l’écoutaient. Religieusement.

Fernand Mirbeau prit la parole.

- Mademoiselle Frémont a raison. En tant que menuisier, je peux certifier que le bois de cette statuette n’a pas sept cents ans. Deux siècles tout au plus. Et c’est une coupe récente.

“Mademoiselle Frémont a raison” En entendant ces mots, Céline et Virginie ne purent s’empêcher de sourire. Intérieurement.

- Mais alors, quand a eu lieu la substitution et qui l’a volée ?

- La vraie statue était encore là pendant la messe de minuit, j’en suis certaine. Ensuite, le vol a pu avoir lieu pendant le vin chaud ou peut-être après. Qui ? J’ai ma petite idée. Je pense que les voleurs vont essayer de quitter la France et tenter de gagner la Belgique le plus rapidement possible...

- Pourquoi la Belgique ?

- Parce que c’est le pays le plus proche et le plus simple à atteindre. Avec les accords de Schengen, il n’y a plus aucun contrôle douanier à la frontière. Nos voleurs ont besoin d’une voiture rapide. Comme une Porsche, par exemple...

- Bon sang. Le couple d’italiens !!!

Le cri avait fusé de la foule. Tout le monde se rua hors de l’église et commença à courir vers l’auberge de charme, toute proche.

Virginie arriva la première.

La Porsche était encore là, garée devant l’hôtel.

Sans hésiter, la jeune fille sortit un petit couteau Laguiole de sa poche, l’ouvrit et creva deux des pneus de la voiture.

Alors, qu’elle était encore accroupie auprès du second pneu, elle sentit une main puissante s’abattre lourdement sur son épaule et le canon froid d’un revolver se poser contre sa tempe.


*


En voyant Virginie menacée d’une arme, tous les habitants du village s’étaient figés et n’avaient plus osé avancer. Ils restaient prudemment à une dizaine de mètres, regardant la scène.

Céline s’était immédiatement tournée vers les hommes qui l’entouraient.

- Père Jean, allez téléphoner à la Gendarmerie. Racontez-leur ce qui se passe.

- Mais la première caserne est à vingt kilomètres. Ils ne seront pas là avant un bon quart d’heure...

- Nous n’avons pas le choix. Allez-y. Eric, voici les clefs de ma voiture. Allez la chercher et ramenez-la ici. Tout de suite.

- Bien Céline.

Les deux homme obéirent. Fernand Mirbeau se tourna vers la jeune femme.

- Céline, qu’allez-vous faire ?

- Je vais leur donner ma voiture en espérant qu’ils s’en contentent...

Ils tournèrent les yeux vers Virginie. Céline s’approcha assez près pour pouvoir entendre les paroles qu’échangeaient les deux voleurs. Fernand Mirbeau la suivit.


*


- Debout !!! ordonna une voix dure.

Virginie obéit immédiatement et se leva doucement sans geste brusque qui aurait pu provoquer la panique chez l’homme qui la menaçait de son arme.

Elle vit alors son agresseur. Il était grand et fort. Derrière lui, une femme tenait un petit sac de voyage en cuir, serré contre elle. C’était bien le couple d’italiens, ou prétendus tels, qui avait assisté à la messe de minuit et au vin chaud qui avait suivi.

Lui la regardait d’un air mauvais. Elle semblait réfléchir.

Elle comprit immédiatement qu’il n’était qu’un homme de main. Une brute dangereuse. Mais que le véritable cerveau du couple était la femme.

Il regardait hébété et furieux les deux pneus crevés.

- Bon Dieu, qu’avez-vous fait ? Je ne sais pas ce qui me retient de...

- Vito ! Ça suffit !

- Ça suffit ? Et comment allons-nous faire maintenant sans la voiture ?

- Calme-toi et laisse-moi réfléchir !

- Réfléchir ! C’est vrai que ton plan était parfait ! Tout s’est passé sans problème ! Nous avons la statuette et tout un village sur le dos ! On va suivre ma méthode à présent ! On a cette brune. On n’a qu’à exiger une voiture et on l’emmène !

- Il hors de question de commettre une prise d’otage !

- On n’a pas le choix !

- Tu es fou ! Pour l’instant nous ne sommes que deux voleurs. Passibles de la correctionnelle. Si on l’enlève, on est bons pour la Cour d’Assises. Ça ne sera pas le même tarif.

- Si on l’emmène, il n’y aura ni correctionnelle, ni Assises. On pourra échanger notre liberté contre la statue et sa vie ! On aura même de l’argent !

- Tu es fou. Ça ne marchera jamais ! Je refuse de participer à cette folie !

- C’est moi qui donne les ordres à présent !


*


Virginie avait écouté le dialogue en silence. Elle n’en comprenait pas une parole, car le couple s’exprimait en italien. Mais elle avait deviné qu’elle était en danger.

Cécile n’avait pas perdu un mot de ce qui avait été dit.

Parlant couramment l’italien, elle connaissait tout des intentions de l’homme et des réticences de la femme. Elle ne le suivrait pas dans sa folie et allait se rendre à la Gendarmerie. Mais lui était dangereux et voulait un otage et de l’argent.

Elle vit Eric arriver au volant de son Audi TT et fendre la foule pour s’approcher au plus près. Céline lui fit signe de s’arrêter à son niveau.

- Eric, descendez de la voiture et rejoignez les autres. Emmenez Monsieur Mirbeau.

- Céline, qu’est-ce que vous allez faire ?

- Je vais essayer de vous rendre votre fille, Monsieur.

- Me rendre ma fille ? Mais comment ?

- Écartez-vous et laissez-moi faire. Nous n’avons pas beaucoup de temps...

Les deux hommes obéirent et s’écartèrent. Céline prit le volant de son Audi et le plus lentement possible s’approcha des deux voleurs et de Virginie qui la regardaient venir.

Arrivée à leur hauteur, elle s’arrêta tout en laissant tourner le moteur. Elle sortit et les interpella. En français.

- Écoutez-moi. Voici ma voiture. Je vous la donne. Prenez-là. Gardez la statuette et relâchez cette jeune femme.

- Pas question ! C’est une monnaie d’échange !

- Vito ! Laisse tomber ! Il vaut mieux nous rendre.

- Jamais ! Rends toi si tu veux. Moi je continue. Pose la statue sur la banquette arrière !

- Tu es complètement fou Vito !

La femme obéit, ouvrit la porte passager et jeta la mallette à l’arrière de la voiture. Puis elle s’écarta et retourna vers l’hôtel, laissant son complice seul avec Céline, Virginie et tout le village.

L’homme semblait, peu à peu, gagné par la panique. Il n’en était que plus dangereux. Céline prit alors sa décision. Elle se mit à lui parler en italien.

- Je vais vous servir de chauffeur. Lâchez cette jeune femme et montez dans la voiture. Je serai votre otage. Je vous jure que je ne ferai rien pour gêner votre fuite. Je vous aiderai même s’il le faut. Mes parents sont riches, très riches. Ils vous donneront de l’argent et les moyens de fuir la France et même l’Europe...

Sans un mot de plus, elle se rassit au volant de son Audi, claqua sa porte et attendit.

Vito hésitait. Il regardait Céline, qui attendait calme et déterminée. Il repoussa alors violemment Virginie qui trébucha et tomba au sol. Il s’engouffra dans la voiture, claqua sa portière. Il posa le canon de son revolver sur la tempe de Céline et ne lui jeta qu’un mot.

- Démarrez !

La jeune femme obéit aussitôt. La voiture bondit et quitta rapidement le village, devant ses habitants effarés.

Virginie s’était relevée. Les yeux écarquillés par la terreur, elle regardait la voiture disparaître, emportant Céline et la brute qui l’avait prise en otage.

Sans réfléchir, elle se mit à courir dans une vaine tentative pour les rattraper. Puis au bout de deux cents mètres, elle s’arrêta, tomba à genoux, et, les épaules secouées par les sanglots, se mit à crier Céline ! Céline !


*
Claire avait dû soulever Virginie et la soutenir jusqu'à la maison de leur père. Foudroyée par la peur de perdre Céline, elle était incapable de faire un geste. Elle s'était laissée faire comme un enfant.

Mais arrivée au seuil de la maison, elle s’était violemment débattue. Retrouvant toute son énergie naturelle après ce moment d’abattement, elle voulait à nouveau courir au secours de son amante.

- Laisse moi ! Je ne vais pas rester ici bien au chaud alors que Céline est en danger !

- Mais que veux-tu faire ? C’est le travail de la Police et de la Gendarmerie. Le Père Jean l’a prévenue. Les Gendarmes seront là d’une seconde à l’autre !

- Je vais prendre une voiture et les suivre. Si Céline a raison, il n’y a pas trente six chemins pour aller en Belgique.

- Une voiture ? Quelle voiture ? Il te faudrait une voiture rapide pour pouvoir suivre le bolide de Céline. Et, dans le village, la seule capable de le faire était la Porsche des voleurs qui est inutilisable avec ses deux pneus crevés !

- Il faut que je trouve un moyen ! Il le faut !

- Virginie, tu ne dois rien faire. Ne prends plus d’initiative malheureuse qui pourrait se retourner contre Céline !

- Que veux-tu dire ? Que j’ai mis sa vie en danger en crevant les pneus ?

- Je sais que tu as pensé bien faire. Mais le résultat est là...

Virginie, abasourdie, éclata en sanglots nerveux.

- Mon Dieu, mon Dieu, qu’est-ce que j’ai fait...


*


Claire avait installé Virginie dans une autre chambre que celle qu’elle partageait avec son amante. Elle lui avait fait avaler des comprimés pour dormir. Elle s’était endormie difficilement, rongée par le remords d’avoir mis Céline en danger.

Pour les membres de la famille Mirbeau, plus question de repas de Noël. Réunis dans le salon, où le Père Jean et le maire du village les avait rejoints, ils attendaient, anxieux, des nouvelles de la jeune femme qui était entrée dans leur vie et qui risquait, si tragiquement, d’en sortir.

Tous attendaient des nouvelles de Céline.

Tous. Même Fernand Mirbeau.


*


La Gendarmerie était arrivés peu de temps après la fuite de Vito. Sa complice, Laura, s’était rendue et, pour preuve de bonne volonté, avait accepté de collaborer.

Vito et elle faisaient partie d’un réseau de voleurs d’oeuvres d’art qui sévissait essentiellement en France et en Italie, dans les églises, les châteaux et parfois même dans certains petits musées mal protégés.

Ils avaient amélioré leur technique en substituant des copies aux originaux. Ainsi les vols n’étaient pas découverts avant des mois, leur permettant d’écouler la marchandise. Ils n’avaient d’ailleurs aucun mal à la vendre puisque, la plupart du temps, ils volaient sur commande.

Ils avaient des complicités dans tous les pays d’Europe : des faussaires qui copiaient les oeuvres, des receleurs.

Consciente que l’enlèvement de Céline risquait de la conduire devant la Cour d’Assises, Laura démonta pour la Gendarmerie toute la chaîne des réseaux et des complicités. Elle donna des noms qui furent immédiatement transmis aux Douanes et à Interpol.

Grâce à la sagacité de Céline, toute une chaîne de trafiquants d’objets d’art et leurs clients allait, dans les heures qui suivent, tomber dans les filets de la Police.

Mais Laura donna également des renseignements sur Vito. Ils étaient effrayants.

Vito était un exécutant borné qui recevait des ordres.

Il n’était capable que de deux choses. Tuer et conduire une voiture.

Il était extrêmement dangereux. Poursuivi par toutes les Polices d’Europe, il risquait de l’être encore plus. Comme un fauve traqué.


*


Claire était sortie de la chambre où reposait Virginie. Elle croisa son père.

- Comment va-t-elle ?

- Comment veux-tu qu’elle aille ? Je l’ai bourrée de somnifères. Mais elle a un sommeil agité. Elle est secouée de sanglots. C’est pathétique.

- Je suis désolé. J’aimerais tellement que Céline s’en sorte...

- Vraiment ? Tu ne lui reproches plus d’avoir acheté Virginie avec son argent ?

- J’ai dit ça sur le coup de la colère. Mets-toi à ma place. Ma petite fille qui nous préfère une autre famille...

- Mais c’est faux. Virginie est ici, avec nous. Pas avec les Frémont ! Tu as réagi par homophobie.

- C’est faux ! Je ne suis pas homophobe !

- Tous les ans tu lui colles un célibataire dans les bras pour qu’il tente de la séduire ! Tu ne l’acceptes pas telle qu’elle est !

- Je ne cherche que le bonheur de ma petite fille !

- Papa, tu dois te faire à l’idée que le bonheur de Virginie est d’être avec une femme. D’être avec Céline.

- Pour combien de temps ? Céline a eu des amants avant Virginie. Elle a même été fiancée !

- Je le savais. Virginie me l’a dit. Et alors ?

- Je veux simplement être certain que Céline l’aime assez pour rester avec elle et faire son bonheur.

- Elle l’aime assez pour risquer sa vie pour elle. Ça devrait te suffire comme preuve. Non ?

Fernand Mirbeau ne dit plus un mot et baissa la tête. Claire comprit que Céline avait gagné la bataille.

Dans le secret de son coeur elle pria pour que la jeune femme revienne. Saine et sauve.


*


Le temps s’écoulait lentement. Inexorablement.

Depuis le moment où Céline et Vito avaient quitté le village, sept heures avaient passé.

Un silence pesant s’était abattu sur la maison. Personne n’osait parler. Plus les secondes passaient, et plus l’inquiétude grandissait.

Où était Céline ? Etait-elle encore en vie ?

Chacun se posait ces questions. Et chacun, en se les posant, voyait le visage rayonnant de la sublime jeune femme qui n’avait pas hésité à faire le sacrifice de sa vie.

Virginie apparut tout à coup. Elle avait quitté sa chambre pour les rejoindre. Elle avait les yeux rougis, gonflés de larmes.

Sa famille voyait la détresse de la jeune femme et avait mal pour elle.

Elle s’approcha de son père en titubant et tomba dans ses bras. Elle murmura à son oreille ces mots que lui seul entendit.

- Papa, Papa. Je ne pourrai pas vivre sans elle. Sans elle et avec mes remords.

Fernand Mirbeau se sentit alors le plus malheureux des hommes.


*


Il était plus de dix heures du soir. Et toujours rien. Aucune nouvelle. Depuis des heures, toutes les lignes des téléphones, portables ou fixes, étaient en dérangement. Le village était comme coupé du monde.

Personne n’était couché. Même les enfants avaient obstinément refusé de gagner leur lit. Et les adultes n’avaient pas insisté.

Virginie s’était endormi sur un canapé dans les bras de son père qui la berçait comme un enfant.

Brusquement Brutus, le golden retriever de Fernand Mirbeau, leva la truffe. Il était resté tout l’après-midi, allongé dans son coin, calquant sa tristesse sur celle des humains qui l’entouraient.

Il se leva et trottina, joyeux, vers la porte d’entrée. Il se dressa et, d’un coup de patte, baissa la poignée, et sortit.

Amélie fut la première à comprendre. La petite fille se mit immédiatement à courir derrière le jeune chien.

On entendait le ronronnement d’un moteur. Une voiture entrait dans la cour.


*


Toute la famille ainsi que le maire du village et le Père Jean se ruèrent au dehors et, restèrent interdits, au seuil de la maison.

L’Audi TT noire de Céline était bien là. Deux motos de la gendarmerie l’accompagnaient.

Elle vint se garer à côté des autres voitures, et s’immobilisa. Au bout de quelques secondes, la porte du conducteur s’ouvrit. Un gendarme descendit. Il fit rapidement le tour du véhicule pour ouvrir la porte du passager.

Un longue jambe gansée d’une botte Jimmy Choo en sortit. Puis Céline apparut. Souriante, les traits fatigués. Mais si belle !

Brutus sautait autour d’elle, attendant ses caresses. Amélie, qui avait une longueur d’avance sur le reste de la famille, se jeta dans ses bras. La petite fille chuchota.

- Tu sais Céline, ça n’a pas été drôle sans toi. On n’a pas joué. On n’a pas mangé. Virginie a pleuré tout le temps. On attendait tous que tu reviennes.

- Je suis désolée. Mais tout est fini. Je suis là maintenant.

Claire s’approcha à son tour et prit sa fille dans ses bras.

- Laisse Céline tranquille. Tu vois bien qu’elle est fatiguée. Tout va bien Céline ? Ce Vito ne vous a pas fait de mal ? On était tous mort d’inquiétude.

- Non, Claire. Rassurez-vous. Vito ne m’a pas touchée.

Tout le monde faisait cercle autour de la jeune femme. Seule Virginie était restée en arrière. Elle craignait de ne pouvoir se retenir et de heurter ses proches par la virulence de sa passion. Alors Céline fit les premiers pas et s’approcha d’elle.

- Virginie ? Comment vas-tu ?

Incapable de répondre, Virginie éclata en sanglots. Céline l’enlaça et la serra contre elle. Elle posa sa main sur sa nuque et attira sa tête contre son épaule.

- Ne pleure pas. Je suis là. Ne pleure pas.

- Je regrette tellement. Je n’aurais jamais dû crever ces pneus. Je n’ai pas réfléchi. Pardonne-moi.

- Tout est fini. Virginie. C’est du passé. N’y pensons plus. C’est à mon tour de m’excuser. Tu m’avais dit “aucune effusion en public”. C’est plutôt raté.

Virginie parvint à sourire.

Claire s’approcha.

- Dites les filles, il est temps de rentrer. Tout le monde est épuisé. Vous aurez tout le temps, plus tard, de vous faire des tonnes d’excuses. Vous voulez manger quelque chose Céline ?

Céline se détacha de son amante.

- Non. Je n’ai pas faim. Par contre je rêve d’un bain.

- Très bien. Si personne n’a faim, je propose qu’on aille tous se coucher. Céline nous racontera ses aventures demain.

- Je vous obéis Claire. Mais avant, je voudrais remercier les Gendarmes qui m’ont libérée et m’ont ramenée, avec ma voiture, jusqu’ici. Merci Messieurs. Merci infiniment. Et puis, Père Jean, je voudrais vous rendre ceci...

Céline s’approcha de sa voiture, ouvrit le coffre et en sortit une mallette.

- Tenez. Je vous rends votre bien. La place d’une Vierge à l’Enfant est dans une église ou... dans un musée.

Le Père Jean ouvrit la mallette. La statuette y reposait, couchée sur un coussin en velours.

- Je vous remercie Mademoiselle Frémont. Merci d’avoir pris tous ces risques pour elle.

- Ce n’est pas pour elle que j’ai pris ces risques, mon Père. Vous le savez très bien...

- Oui, je le sais. Je veux que vous sachiez que j’ai prié pour vous. Pour que vous reveniez saine et sauve. Auprès de nous et... de votre... compagne.

- Merci mon Père. Je vous souhaite une bonne nuit.

La jeune femme lui tendit une main que le Père Jean garda dans la sienne longuement. Puis elle lui tourna le dos et marcha en direction de Virginie qu’elle prit par la taille. Elles entrèrent dans la maison suivies de la famille Mirbeau.

Fernand Mirbeau les avait précédées et avait déjà regagné sa chambre.


*


Un petite heure plus tard, alors que la maison était silencieuse, Céline et Virginie se retrouvèrent enfin seules sur leur lit. Elles étaient blotties l’une contre l’autre.

- Céline, ce Vito ne t’a rien fait, n’est-ce-pas ?

- Non. Sois sans crainte. Il ne m’a pas touchée. Il n’avait qu’une hâte. Quitter la France au plus vite. Il n’avait pas de temps à perdre avec un viol. Si c’est à ça que tu penses... Je n’ai pas lâché le volant jusqu’à Bruxelles. Nous sommes allés tout droit chez des receleurs. C’est là que la Police belge l’a arrêté avec ses complices.

- La Police savait où vous étiez ?

- Naturellement. Ma voiture a été repérée alors que nous étions encore en Normandie. Les Gendarmes nous ont suivis pendant les 400 kilomètres du parcours, en utilisant une voiture banalisée. En Belgique, ils ont passé le relais à leurs collègues belges. Vito pensait qu’il était tiré d’affaire. Quand il est sorti du véhicule, cinq hommes lui sont tombés dessus et l’ont immédiatement arrêté. Puis on m’a confiée aux Gendarmes français qui m’ont ramenée ici.

- Pourquoi n’as-tu pas téléphoné pour nous annoncer ta libération ?

- Je ne le pouvais pas Virginie. Toutes les lignes téléphoniques fixes ou portables ont été brouillées. Le village a fait l’objet d’un blackout total.

- Comment ça et par qui ?

- La Gendarmerie, la Police, les Douanes et la Justice françaises, en liaison avec Interpol, souhaitaient arrêter tous les membres du réseau en France et à l’étranger. Pour réussir ce coup de filet, il ne devait y avoir aucune fuite. Pour éviter qu’un habitant de Notre-Dame-en-Auge ne parle à un journaliste, ils ont décidé de brouiller les lignes.

- J’ai vécu un enfer pendant toutes ses heures sans nouvelles de toi...

- Je suis désolée Virginie. Mais je n’ai pas été autorisée à t’appeler. Pour que l’opération réussisse, il ne fallait pas que leurs complices sachent que Vito et Laura avait déjà été arrêtés et que j’avais été libérée.

- Tu n’as pas eu peur que ce Vito te fasse du mal ?

- Au début si. Et puis, pendant toutes ses heures, nous avons beaucoup parlé, lui et moi. Et je me suis rendue compte que ce n’était pas un monstre. Mais un brave type plutôt paumé. Qui avait besoin de raconter sa vie.

- Un brave type ? Tu plaisantes ! Ce n’est vraiment pas l’impression qu’il m’a donnée. Je repense au canon froid de son arme sur ma tempe. Sa main lourde sur mon épaule !

- Vito n’a pas eu de chance. Son père, ses oncles étaient liés à la pègre. Comme il était grand et costaud, il a pensé pouvoir échapper à ce milieu en devenant boxeur. Mais son premier match a été truqué à son insu. Une combine de sa famille pour gagner de l’argent avec les paris. A partir de ce moment, il a dit au revoir à ses espoirs d’une vie en dehors du Milieu. Il est devenu homme de main. On lui demandait de donner une bonne correction aux gêneurs. Mais il m’a juré qu’il n’avait jamais tué.

- Et son revolver ?

- Il ne sort son arme que pour impressionner. Il m’a dit qu’il ne s’en serait jamais servi. J’ai tenté de le raisonner. Je lui ai dit que mon père était avocat. Je lui ai dit qu’on l’aiderait s’il se rendait. Que mon témoignage serait bienveillant. Quand on l’a arrêté, il ne s’est pas défendu. Il s’est laissé faire. Tu vois. Finalement, je ne courais aucun risque...

- Mais tu ne le savais pas quand tu as échangé ta vie contre la mienne...

- Non, je ne le savais pas...

- Pourquoi as-tu-fait ça ? Pourquoi as-tu voulu prendre ma place ? Moi aussi je pouvais me défendre.

- Virginie. Je parle couramment italien et pas toi. Je connais les hommes et pas toi. Je sais comment leur parler, comment les séduire ou, au moins, leur donner envie de ne pas me tuer...

- Tu as pris un risque énorme...

- Mais ça en valait la peine. Tu en vaux la peine...

- Céline, je t’aime. Oh, comme je t’aime...

Virginie prit le visage de Céline entre ses mains et l’embrassa, doucement puis avec passion. Elle ne pouvait plus détacher sa bouche de celle de son amante.

Elle ouvrit sa veste de pyjama et la fit glisser le long de ses bras. Elle jeta le vêtement sur une chaise proche. Du bout des doigts, elle effleura les épaules rondes, la poitrine dénudée, le ventre tendre et chaud.

Elle retira rapidement le slip qui atterrit à son tour sur la chaise. Elle caressa l’intérieur si sensible des cuisses ouvertes et prit entre ses lèvres le sexe qui s’offrait.

Céline gémissait sous les attaques si précises de la langue qui la fouillait. Elle sentit une chaleur poindre entre ses jambes puis irradier tout son corps. Elle ne put retenir un cri que Virginie étouffa sous un baiser.


*


La journée du 26 décembre se déroula dans un calme et une sérénité bienvenus après les heures d’angoisse vécues par la famille et le village.

Le repas de Noël avait finalement été mangé. Avec un jour de retard.

Céline avait raconté les heures qu’elle avait passées avec Vito et la traque des gendarmeries françaises et belges. Chacun avait conscience des risques énormes qu’elle avait pris. Mais elle relatait ses aventures avec humour, répondant aux questions sans enjoliver les faits. Sans exagérer son rôle.

Par sa simplicité, elle avait définitivement conquis les parents de Virginie.

Seul Fernand Mirbeau se taisait.


*


A un moment pourtant, il s’approcha de Céline.

- J’aimerais m’entretenir avec vous. Vous voulez bien ?

- Bien sûr, Monsieur.

Elle le suivit dans son bureau. Virginie les regardait s’éloigner d’un oeil inquiet.

Quand ils furent seuls, il parut mal à l’aise. Mais il se lança.

- On dit qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent jamais d’avis. J’ai beaucoup de défauts. Mais je ne crois pas être un imbécile. Alors voilà. Je vous présente mes excuses pour mon attitude. Je me suis comporté comme un rustre avec vous. Je n’ai pas eu un seul mot aimable. Je vous ai insultée et j’ai insulté vos sentiments pour ma fille. Je vous ai blessée. Sans me préoccuper de ce que vous pouviez ressentir, car seule ma propre peine m’importait. Je sais que j’aurais été capable de vous laisser partir sans un mot, sans un au-revoir, sans le moindre souhait de bonheur. Je suis désolé.

- C’est élégant de le reconnaître.

- Ce n’est pas de l’élégance. C’est la moindre des choses. On ne s’humilie pas quand on reconnaît ses faiblesses. Quand on demande pardon pour le mal qu’on a pu faire. Bien au contraire. On se grandit aux yeux des autres quand on a cette intelligence du coeur. La meilleure façon de permettre l’oubli de ses fautes, c’est de s’en excuser... Et puis, je veux vous remercier.

- Me remercier ?

- Pour avoir sauvé ma petite fille. Vous avez eu un courage que je n’ai pas eu. Hier, quand nous attendions tous votre retour, je n’arrêtais pas de me dire que c’est moi qui aurait dû être à votre place. C’est moi que ce Vito aurait dû prendre.

- Vito n’aurait pas voulu de vous, Monsieur. Une femme, jeune et plutôt jolie, est une meilleure monnaie d’échange. Tous les preneurs d’otage vous le diront. Alors vous ne devez pas avoir le regret de ce qui n’a pas été.

- Vous êtes quelqu’un de bien, Mademoiselle Frémont. Vous êtes intelligente et courageuse.

- Merci, Monsieur. Vous avez changé d’avis pour Virginie et moi ?

- Je crois toujours que Virginie va souffrir de l’opinion des autres. Mais vous avez raison. Si je veux que le regard des autres changent, je dois changer mon propre regard.

- Et le jeune instituteur ?

- Il n’y aura plus jamais de jeune instituteur ou de jeune... quoi que ce soit...

- Vraiment ?

- Oui. Car je ne crois plus que Virginie serait plus heureuse avec un homme. Et le bonheur de ma petite fille est tout ce que je souhaite. Elle vous aime. Elle est heureuse avec vous. Je ne veux plus être un obstacle. Vous en aurez tellement sur votre route...

- Par vos paroles, Monsieur, vous effacez des années d’incompréhension et de souffrances. Vous donnez à Virginie le plus beau des cadeaux de Noël. Je peux l’appeler pour qu’elle nous rejoigne ?

- Je vous en prie.

Céline sortit du bureau et vint chercher Virginie qui était restée au salon avec les autres membres de la famille.

- Virginie, tu peux me suivre ? Ton père veut te parler.

- Tu me fais peur. Que se passe-t-il ?

- Tout va bien. Rassure-toi. Ton père a eu le courage de s’excuser pour les propos blessants qu’il a eus envers moi. Son attitude force le respect et permet l’oubli.

En présence de son père, Virginie se sentit comme une petite fille.

- Ma chérie, nous avons eu une conversation Céline et moi. Je voulais te dire que ces dernières heures m’ont ouvert les yeux. Il ne sert à rien de nier les évidences. A l’évidence vous vous aimez. A l’évidence, tu es heureuse avec Céline. Alors je n’ai rien à dire. Rien à faire. Sinon vous aider.


*


Céline et Virginie roulaient sur la petite route. Elles venaient de quitter Notre-Dame-en-Auge. Elles s’apprêtaient à rejoindre l’autoroute en direction de Paris.

Céline conduisait.

- Et bien Virginie, finalement, j’avais raison. Tout s’est très bien passé. J’ai réussi à convaincre ton père de te laisser vivre ta vie comme tu l’entends. Il m’a définitivement acceptée. Au moment de lui dire au revoir, il me regardait avec de tels yeux que j’ai cru qu’il allait me demander en mariage...

- Il ne manquerait plus que ça ! Que mon père et moi soyons rivaux...

- Je plaisante, Virginie. Le Père Jean est venu nous souhaiter un bon retour. La municipalité m’a nommée citoyenne d’honneur du village et le colonel de Gendarmerie m’a dit qu’il était prêt à me rendre service quand je le voudrais. Il m’a laissé ses coordonnées.

- Encore un rival...

- Mais non Virginie. Reconnais qu’avoir un colonel de Gendarmerie dans ses relations peut toujours être utile. Finalement, ce Noël s’est très bien passé.

- Oui, si on fait abstraction du vol et de la prise d’otage...

- Tu es vraiment rabat-joie ! Quel bonnet de nuit ! Si tu le veux nous pouvons avoir un réveillon et un jour de l’An des plus calmes. Camille nous invite dans son manoir normand à Uberville. Là, il n’y aura ni vol, ni Vito, ni... rien du tout ! Rien que des prés, des bois, des pommiers et des vaches. La folle ambiance quoi !

- Du calme et du repos c’est tout ce que je demande. J’accepte avec plaisir l’invitation de Camille. Mais Céline... tu te trompes de route ! Tu n’as pas pris la direction de Paris !

- Et pour cause, nous n’allons pas à Paris.

- Où allons-nous ?

- A Deauville. J’ai pensé que tu aimerais passer la fin de la semaine au Normandy. Nous pourrions rentrer à Paris lundi matin.

- Mais avec les fêtes, ce palace doit être plein. Nous n’aurons jamais de chambre !

- J’ai réservé une suite. Ce serait amusant de passer notre premier Noël dans cet hôtel mythique qui accueille les stars américaines lors du festival. J’ai pu obtenir la suite où Elizabeth Taylor a dormi. Nous pourrions jouer un remake de “la Chatte sur un toit brûlant”. Nous pourrions nous promener sur les planches et sur la plage où Lelouch a tourné son film, “Un homme et une femme”. Mais si tu préfères, nous pouvons rentrer à Paris.

- Jouer les stars à Deauville, c’est génial ! Mais ce que je préfère, ce que je préférerai toujours Céline, c’est être avec toi. Où que ce soit. Pourquoi souris-tu ?

- Je pensais à notre petite aventure. A cette Vierge à l’Enfant. Et à cette magnifique Vierge de Noël pour laquelle j’ai risqué ma vie...

- Tu as risqué ta vie pour une statuette en bois.

- Non, pas pour une statuette en bois. Le prénom Virginie est un dérivé du mot vierge. C’est toi... ma Vierge de Noël.



FIN



*


Les aventures de
Céline et Virginie
se poursuivent dans un autre récit,
Un mort en ce jardin.


*

57 commentaires:

  1. salut je viens voir ton blog, merci pour tes récits. a bientot dicast

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  2. Toujours superbe....
    Dans ta nouvelle tout y est: de l'émotion, du suspense, de l'amour et de la tendresse.
    Tu as su encore m'étonner.

    B A B A

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  3. Merci Baba, c'est gentil.

    Mais, euh, cette nouvelle, je ne l'ai pas encore publiée.

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  4. rires. Je voulais publier un commentaire pour "portrait".Mon impatience me perdra! Prends cela comme une anticipation car je devine que ta nouvelle sera géniale! Non non même pas vrai je ne te met aucunement la pression (sourire) Dans tous les cas je l'attends avec impatience.

    B A B A

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  5. c'est tendre et violent à la fois. Famille je vous hais.

    Tu sais très bien décrire les situations de la "vraie vie".

    Nath

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  6. J'adore déjà ta nouvelle. Toujours très bien écrit. Je la dévore.

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  7. Quelle plaisir de découvrir cette nouvelle FF; ce récit s'annonce passionnant, avec la future rencontre entre Céline et le père de Virginie.
    Merci Gustave.
    Stef 31

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  8. Je dévore comme à chaque fois, vraiment c'est un réel plaisir que de te lire.

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  9. Merci pour cette suite...!
    Vraiment toujours un réel plaisir que de te lire Gustave

    B A B A

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  10. C'est toujours un réel plaisir de te lire, merci Gustave

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  11. Merci pour cette magnifique suite, je l'ai dévorée. J'attends avec impatience dimanche 26 pour la suite...

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  12. Trop belle ta suite, merci .

    Ramsès88

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  13. Bonjour gustave,

    je rentre de vacances et découvre les nouveautés de ton blog dont je dévore déjà la nouvelle über. Je la trouve totalement différente des autres mais elle m'accroche beaucoup, alors je dis, vivement demain midi pour pouvoir lire la suite de cette pure merveille !

    Merci.

    Nounou.

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  14. Merci mille fois, Gustave, quelle belle histoire et quel beau moment que celui de Noël, jolis mélanges de sentiments, j'adore. J'attendrai la suite avec impatience, merci beaucoup de nous faire rêver

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  15. Comme dit Rose, merci mille fois pour cette fabuleuse suite, un délice à lire.

    Ramsès 88

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  16. Gustave tu as su trouver le ton juste dans le dialogue Fernand/Céline et ta description de l'église est saisissante de vérité. Il me semblait la visiter.

    Merci.

    Nath.

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  17. et moi il me semblait tenir dans mes mains cette "vierge à l'enfant".

    Du bonheur à l'état brut Gustave.

    B A B A

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  18. Quel jolie suite encore avec le dialogue entre Céline et le père de Virginie; beaucoup de dignité, d'intelligence et d'amour.
    Hate de lire la suite de cette soirée de Noêl!
    Merci Gustave !
    Stef 31

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  19. Dommage que tu ne peux me voir faire la révérence ;)

    C'est tout simplement éblouissant ! !

    Céline a très bien choisi ses mots ^^ Ca lui donne une longueur d'avance =)

    Vivement la suite ! !

    Merci beaucoup Gustave

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  20. Gustave serais-tu notre "Mère Noelle"? En tout cas, tu nous offres de merveilleux cadeaux.

    merci

    B a b a

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  21. Hey ^^

    Merci pour cette suite Gustave ;)

    Et encore une bonne carte d'abattu pour Céline =)

    Ne reste que la preuve irréfutable pour Fernand et Virginie sera enfin en phase avec son père et elle-même par la même occasion !

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  22. Merci encore Gustave pour cette excellente suite. Ce n'est que du bonheur de te lire.

    Ramsès88

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  23. Un très beau titre et une grande sensibilité dans la description de l'évolution des sentiments du père de Virginie à l'égard de Céline.

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  24. et bien ça fuse dans tout les sens: ce couple d'italiens bien qu'ils soient dans une église ne me semble pas très catholiques, la relation Céline/Fernand/Virginie, le regard des autres et cet amour entre les deux jeunes femmes (le poème de Verlaine cité par Virginie: un grand moment!) C'est rythmé et toujours superbement écrit.
    Merci Gustave.

    B a b a

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  25. Je pense bien que la vierge de noël va disparaître (Le couple y sera pour quelque chose)

    Et ça s'annonce mal pour Vi et Céline >_<

    Hâte d'être à dimanche prochain ! !

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  26. J'aime, j'adore, une pure merveille. Merci Gustave

    Ramsès 88

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  27. Toujours aussi palpitant ton récit. J'ai récupéré mon retard.
    Quelle formidable histoire. Merci

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  28. Fernand MIRBEAU paraissait trop vite conquis. Merci pour ce revirement qui ajoute à l'intrigue policière que l'on devine une dose de piment psychologique.

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  29. Je rattrape mon retard, merci gustave !

    Et Ninie, je suis entièrement d'accord avec ton point de vue ;)

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  30. Encore un beau moment de lecture; de l'émotion, de la tension et du mystère autour de ce couple d'italiens...

    Merci Gustave de nous "transporter" de la sorte avec ton récit.

    Stef31

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  31. Ah quand même j'ai faillit m'impatienter Gustave (rires). J'aime bien l'intrépidité de Virginie et sa présence d'esprit, un peu moins qu'elle ait un canon de révolver sur la tempe! et en plus il est froid en plein hiver elle va s'enrhumer!

    merci Gustave.

    B a b a

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  32. j'adore, de l'action et du suspense et toujours aussi bien écrit. Que demander de mieux? Rien.

    Merci.

    Nath

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  33. Je le savais ! ! xD

    Le couple allait y être pour quelque chose ! ! ^^

    Ca se présente mal pour Vi >_<

    J'adore toujours autant ;)

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  34. De l'action, géniale, j'adore.

    Ramsès 88

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  35. Jolie suite, avec tout l'amour de Céline pour convaincre Virginie et fine obsevartrice dans l'église...; elle a certainement "marqué des points" auprés de son bon père !
    Passionnant...
    Merci Gustave

    Stef31

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  36. Nom d'un petit bonhomme Gustave, tu es priée de ménager mon rythme cardiaque, sinon je t'envoie la facture de mon séjour à l'hôpital (suite à cette parenthèse) toujours superbe et plein de rebondissements.

    merci.

    B a b a

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  37. Quelle belle preuve d'amour et de courage de la part de Céline, qui se sacrifie pour Virginie...
    Palpitante cette histoire, j'aime beaucoup !

    Merci infiniment Gustave :

    STEF31

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  38. Là, il y a de l'action et I like that :)

    Vivement la suite !
    Merci gustave.

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  39. Passionnante cette suite, avec la détresse et l'inquiétude de Virginie, mais avec toute sa famille unie autour d'elle !

    Merci Gustave pour ces émotions et ce suspens.

    STEF31

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  40. En espèrant que c'est Céline qui revient. Hate de lire la suite ...

    Ramsès 88

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  41. L'angoisse de Virginie est particulièrement bien décrite et les remords de papa Mirbeau itou. Comme Ramsès88 j'espère que c'est Céline qui revient...

    Merci Gustave.

    B a b a

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  42. Toujours aussi captivant, merci.

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  43. Je suis heureuse que Céline soit rentrer saine et sauve au "bercail" en revanche je suis beaucoup moins compréhensive qu'elle en ce qui concerne Vito!

    J'aime bien la détresse de Virginie et et leurs retrouvailles émouvantes et passionnées.

    Merci Gustave.

    B a b a

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  44. Toujours aussi palpitant Gustave, merci beaucoup

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  45. Magnifique retrouvaille.......

    Ramsès 88

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  46. Quelle belle émotion avec le retour de Céline, l'héroîque amoureuse, et les retrouvailles tendres et passionnées...

    Merci Gustave

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  47. Ce récit est très attachant et empreint d'une grande sensibilité

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  48. C'est moi ^^

    Je m'excuse du retard, vraiment, mais avec la rentrée j'ai pas eu une minute à moi >_<

    Voilà j'ai rattrapé mon retard et c'est tout simplement magnifique, surtout la chute qui est sublime avec les propos de Céline =)

    (Finalement il était plus meurtri que dangereux ce Vito, je l'aimais bien)

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  49. Quel épilogue grandiose et magique; Céline qui a su convaincre le père de Virginie grace à tout son amour et son courage, et la fin de week-end dans un cadre de rêve...

    Merci infiniment Gustave pour cette histoire palpitatnte, romantique et émouvante !

    Stef31

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  50. Merci pour ce fabuleux récit, c'est toujours frustant d'arriver à la fin tellement on aimerait que ce récit continu encore et encore mais on sait qu'il y en aura d'autres

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  51. Très joli conte...de Noel.

    Je suis comme Ninie j'adore la chute et j'aime toujours autant tes références cinématographiques.

    Merci.

    B a b a.

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  52. Dommage que le mot FIN apparaisse, c'était un réel plaisir de lire "La vierge de ^Nöel".........

    Ramsèss 88

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  53. Merveilleux épilogue avec Céline qui a su convaincre le père de Virginie, grace son courage et son amour...puis le week-end surprise à Deauville.

    J'ai adoré cette histoire pleine de suspens, d'amour et d'émotion...

    Merci Gustave!

    Stef31

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  54. Merci beaucoup Gustave pour cette superbe fiction !!!!

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  55. Une belle plume, sensible, délicate, érudite et imaginative.
    BRAVO!

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  56. merci gustave je viens de pouvoir finir cette ff commencée il y a quelques temps déjà. J'ai aimée celle-ci du début à la fin. au plaisir de continuer à te lire

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