L'AMOUR ET RIEN D'AUTRE



Voici la troisième partie de mon récit. Comme les précédentes, elle ne prétend pas à la vérité historique. Aussi, ai-je un peu modifié les faits et les dates pour les besoins de mon histoire. Le titre est un hommage à un film de Bertrand Tavernier : la vie et rien d'autre.

Mes récits suivent une chronologie précise. Il faut avoir lu Parade et Esquisses pour comprendre :




Vienne et Eva
L’amour et rien d’autre






Eva était réveillée depuis quelques minutes. Elle était tournée vers Vienne et la regardait dormir.

Elle admirait les traits fins et la petite bouche. Les longs cils. Les cheveux soyeux que la nuit avait ébouriffés.

La jeune aviatrice si forte, si intrépide était comme une enfant. Une enfant qu’elle aurait aimé prendre dans ses bras.

Elle éprouva de nouveau cette même fascination, cette même attirance. Et elle savait que c’était aussi du désir.

Elle avait une envie irrésistible de glisser ses doigts dans les courts cheveux bruns. Alors elle n’y résista pas.

Elle frissonna au contact de la soie qui caressait sa paume. Elle vit que ce léger frôlement avait réveillé Vienne.

Les yeux noisette s’ouvrirent et dès qu’ils se furent posés sur elle, une lueur de joie se mit à y briller.

Vienne saisit la main qui avait glissé sur sa joue et la porta à ses lèvres pour y déposer un baiser.

- Bonjour Eva... Vous êtes déjà réveillée ?
- Oui. Depuis quelques minutes... Je vous regardais dormir...
- Votre affreux cauchemar n’est pas revenu ?
- Non Vienne... Votre présence a vaincu les mauvais visiteurs  de la nuit...
Vienne se mit à rire. - Je me fais l’impression d’être un preux chevalier qui se précipite au secours de sa belle... Je suis à votre disposition pour d’autres nuits. Puis elle ajouta, sur un ton plus sérieux : - Et même pour toutes celles à venir...
Eva n’osa pas répondre. Mais elle pensa qu’elle aimerait lui offrir ses nuits. Et ses jours.


*


Elles avaient quitté Emma qui les avaient embrassées et serrées sur sa forte poitrine.

La servante pleurait car elle savait qu’elles allaient repartir pour le front.

Elle détestait cette époque qui obligeait les jeunesses d’Europe à s’affronter dans cette immonde boucherie.

Elle les supplia de faire très attention à elles et leur fit promettre de revenir la voir, dès qu’elles le pourraient.

Les jeunes femmes avaient tenté de la rassurer en lui disant que vivre était la chose qu’elles désiraient le plus au monde. Elles avaient échangé un long regard ardent en disant ces mots.

Elle avaient promis de prendre soin d’elles, de lui écrire, et de revenir bientôt auprès de leur amie de Giverny.


*


Elles étaient revenues à Paris.

Le voyage en avion était toujours aussi grisant. Mais, il était empreint de mélancolie. Car elles avaient quitté la féerie des jardins de Monet pour revenir vers l’est. Vers une ville bombardée.

Et Paris était la première étape de leur retour vers les combats.

Elles ne disaient rien de leurs inquiétudes mais elles n’avaient pas besoin d’en parler. Car elles savaient qu’elles éprouvaient la même appréhension. Que cette guerre, qui avait permis leur rencontre, ne les sépare. A jamais.

Mais avant ce retour au front, il restait cinq jours. Cinq jours encore.


*


Elles avaient atterri à Orly et repris la motocyclette rouge.

Afin de retarder le moment de la séparation, Vienne avait suivi le chemin des écoliers.

Elles avaient traversé les  petites rues qui les avaient menées dans le quartier de Montparnasse.

Avant de ramener Eva au Parc Monceau, Vienne avait voulu faire une halte chez elle pour y prendre un livre qu’elle lui avait recommandé, les dernières aventures de Sherlock Holmes d’Arthur Conan Doyle.

Le titre, La Vallée de la Peur, était tout un programme et la promesse de délicieux frissons.

C’était l’excuse que Vienne avait trouvée pour prolonger ce moment avec Eva.


*


Quand elles arrivèrent, elles virent qu’une lettre avait été glissée sous la porte cochère qui ouvrait sur le jardin.

Vienne ouvrit l’enveloppe. Elle jeta un rapide coup d’oeil sur le dessin japonisant qui illustrait un carton et s’exclama - Encore une invitation à l’une de ces fêtes excentriques dont Foujita a le secret !!
- Foujita ? Qui est-ce ?
- Un peintre arrivé à Paris il y a cinq ans. Venu tout droit de son Japon natal. Il avait promis à sa fiancée de ne rester en France que quelques mois. Le temps de se familiariser avec la peinture européenne puis de retourner au Japon pour l’épouser. Il est toujours là. Organisant des fêtes somptueuses. Foujita est très riche. Son père était général. Médecin de l’Armée impériale japonaise... Et ses créations commencent à avoir beaucoup de succès...
- Vous parlez d’excentricité... Pourquoi ?
- La fête proposée par Foujita est un bal où tout le monde doit être en smoking... Même les femmes...
- Même les femmes ? Et vous irez Vienne ? Vous allez vous habiller en smoking ?
- Mais oui... Je l’ai déjà fait... C’est très élégant... Venez donc avec moi... Ce sera l’occasion de rencontrer ces gens étonnants et de vous amuser...
- Mais je n’ai pas de smoking...
Vienne répondit en riant - Ça ne constitue pas un obstacle. Je pense qu’on pourra facilement en trouver un dans une ville comme Paris... Entrez chez moi... Je vais vous montrer...


*

Eva attendait que son amie réapparaisse vêtue de son  smoking.

Elle regardait, en l’admirant, l’oeuvre de Modiciani. Ce nu de Vienne. Si troublant. Si fascinant. Si attirant.




Elle ne pouvait pas empêcher que des images érotiques envahissent son esprit.

Elle était nue, elle aussi. Elle s’approchait de Vienne allongée sur ce lit. Car c’était à elle que s’adressaient ce sourire et ce regard si gentiment ironiques.

Ils étaient une invitation et un défi. Oseras-tu ? Oseras-tu aller jusqu’au bout de ton désir ? Oseras-tu m’aimer ?
Alors elle osait. Elle osait rejoindre Vienne sur ce lit. Elle se couchait près d’elle. Face à elle.

Mais elle avait peur. Peur de décevoir son amante... Vienne allait se moquer de sa maladresse... Elle avait si peu l’expérience de l’amour physique !!

Mais elle se traita d’idiote. Le désir est le meilleur professeur. Et elle avait tellement envie de poser sa bouche sur les courbes de ce corps. D’en suivre les rondeurs jusqu’à la fourche des cuisses. Jusqu’au buisson du Mont de Vénus...

Vienne avait compris son hésitation. Alors, du bout des doigts, elle caressa doucement les lèvres d’Eva, ses joues puis son cou.

Un délicieux frisson irradia ses lèvres, ses joues, son cou. Eva ne savait pas qu’un effleurement léger, si léger, pouvait électriser à ce point.

Les doigts de Vienne poursuivaient leur découverte et leur conquête. Ils suivaient le sillon qui séparaient les jolis seins ronds et fermes. Puis le ventre plat qui frémit sous la caresse.

Eva se mit à gémir et s’offrit plus encore aux caresses de son amante.


*


Eva ferma les yeux. Elle se sentait prise d’un vertige. Son esprit imaginait les scènes les plus insensées. Elle devait se reprendre.

Cette peinture l’ensorcelait. Elle aurait aimé la détacher du mur et l’emporter avec elle. Pour que Vienne, ou au moins son image, ne la quitte jamais.

Elle se dit qu’il fallait qu’elle cesse de se raconter des histoires. Vienne n’était pas qu’une merveilleuse amie.

Elle était tellement plus. Elle était devenue...

Un léger bruit derrière elle l’arracha à ses pensées. Elle se retourna.

Vienne se tenait debout. Elle avait revêtu un smoking noir sur une chemise blanche. Elle avait noué une cravate autour de son cou.




Avec ses cheveux courts, elle était la quintessence de l’élégance masculine. Et pourtant elle restait si délicieusement femme.

Et en la voyant, Eva eut la réponse à la question qu’elle n’osait pas se poser.

Elle désirait Vienne. Elle aimait Vienne.


*


L'esprit d'Eva était plein de confusion.

Elle avait enfin identifié la nature de ses sentiments, mais elle distinguait aussi toutes les épreuves qui l'attendaient. Et d'abord l’attitude de Vienne.

Plus Eva connaissait ses propres sentiments et plus elle doutait de ceux de son amie.

Une femme amoureuse ne se conduirait pas comme Vienne le faisait. Avec cette amitié affectueuse.

Vienne avait eu de nombreuses occasions de lui dire ce qu'elle ressentait. Pourtant elle était restée muette.

Elle n'avait rien laissé paraître quand Eva lui avait raconté sa rencontre avec Paul. Pas de dépit. Pas de jalousie. Mais une indifférence polie.

Bien sûr, parfois, il y avait eu quelques mots de flirt. Mais Eva savait que cela ne voulait rien dire. Que les paroles de l'amour n'ont rien de commun avec le jeu de la séduction.

Leurs moments d'intimité auraient pu être l'occasion d'aveux les plus doux. Comme cette nuit, dans cette chambre dans la maison de Monet. Mais rien. Toujours rien.

Alors il fallait qu'elle se fasse une raison. Vienne ne l'aimait pas. Elle n'était qu'une amie.

Elle ne serait jamais rien de plus. Elle ne souhaitait pas être plus.


*


Elles se tenaient face à face. Sans dire un seul mot.

Vienne avait perçu le trouble de son amie. - Eva, tout va bien ? Vous semblez soucieuse...
- Non Vienne. Pas du tout... mentit la jeune femme. Je vous admirais dans ce smoking et je me disais que jamais je ne pourrais avoir votre élégance et votre décontraction. Ce vêtement est tellement différent de ce que j'ai l'habitude de porter. Et puis c'est un habit d'homme. Je n'en ai jamais porté... Sauf des tenues de cavaliers pour monter à cheval. Les d'Uberville ont l'équitation dans le sang. Alors, ils m'ont appris...
- Je suis persuadée que vous serez magnifique... Vous l'étiez dans votre costume d'aviatrice. Et pourtant, le casque en cuir, les grosses lunettes de vol, ça ne va pas à tout le monde...
- Mais que vont dire les gens en me voyant ainsi vêtue ?
- Les artistes qui vous verrons ne s'étonnent de rien. Et puis, se moquer de l'opinion des autres est l'un des secrets du bonheur...
- Il y en a d'autres ?
- Être aimée de qui l'on aime. Ce n'est pas un secret. C'est une évidence répondit Vienne en riant. Mais vous le savez déjà...
- Oui Vienne. Je le savais déjà...
La jeune aviatrice eût honte tout à coup. - Pardon Eva. Je suis d'une maladresse impardonnable. Je vous rappelle votre époux...
- Ne vous excusez pas. Sa mort ne doit pas vous empêcher de parler... Et de parler d'amour...
Le silence retomba. Toutes deux avaient tellement envie d'en dire plus. Mais elles se turent de peur de se heurter à l'incompréhension ou aux sarcasmes de l'autre.

Eva parla de nouveau pour rompre ce silence qui lui pesait car il était comme un rappel de ses craintes - Il y a pourtant deux personnes dont l’opinion m’importe...
- Lesquels ?
- Henri et Marie... Je ne veux pas les peiner en affichant une joie égoïste. Je suis toujours la veuve de leur fils... Quant à Henri, vous savez ce qu’il pense des “femmes en pantalons” comme il dit...
- Je comprends. Et bien, je n’insiste pas Eva... J’aurais été ravie d’avoir le plaisir de votre compagnie à ce bal... Mais je comprends vos sentiments vis à vis de vos beaux-parents et de votre époux... Une autre fois peut-être...
- Oui... Peut-être...


*


Vienne avait reconduit Eva au Parc Monceau. La séparation avait été rapide. Presque brutale.

Les deux jeunes femmes s'étaient dit Au revoir et à bientôt devant la porte de l'hôtel particulier des d'Uberville.

Vienne avait déposé un baiser sur la joue d'Eva puis elle avait enfourché sa moto et elle était partie.

Eva l'avait regardée s'éloigner avec mélancolie.

Sa présence lui manquait déjà. Lui manquait tellement.

Elle se disait qu'elle était stupide. Qu'elle aurait dû le lui dire... Lui dire ce qu'elle ressentait...

Mais Vienne n'avait rien dit non plus. Parce qu'elle n'avait rien à dire.

Alors elle cessa de fixer l'endroit où Vienne avait disparu à sa vue. Et elle sonna à la porte de la vaste maison bourgeoise.


*


Henri et Marie l'avaient accueillie avec soulagement.

Ils n'avaient pas pu s'empêcher d'être inquiets car Eva n'était pas rentrée le soir même de son escapade avec Vienne.

Bien sûr, ils avaient deviné que le violent orage, qui avait éclaté sur Paris et son agglomération, avait dissuadé Vienne de voler dans des conditions si difficiles. Et ils avaient apprécié la prudence de la jeune femme.

Mais ils avaient aussi redouté un accident.

Surtout Henri qui, décidément, se méfiait de ces avions qui, certes, traversaient les airs. Mais qui tombaient aussi parfois.


*


Ils avaient complètement oublié leur inquiétude dès qu'ils avaient revue Eva.

Ils la pressaient de questions sur leur ami Monet. Et sur l'effet que ses jardins avaient produit sur Vienne.

- Elle les a trouvés enchanteurs... Si pleins des couleurs que l'on retrouve sur les tableaux du Maître...
Elle leur raconta leur journée. Du moins ce qui était du domaine de la balade champêtre.

Marie posa la question. - Quand devez-vous vous revoir Vienne et vous ? Vous savez qu'Henri et moi serons toujours ravis de la recevoir.
- Et bien, justement, elle me propose de l'accompagner à une fête donnée par un peintre japonais du nom de Foujita. Mais je n'ose pas y aller...
- Une fête ? Mais c’est une excellente idée... Ça vous changera de ces soirées où ces militaires défilent devant vous comme à la parade. Mais pourquoi n'osez-vous pas y aller ?
- Et bien Marie... tout d'abord parce que je porte le deuil de Paul et que j'ai des scrupules à m'amuser alors que...
- Sornettes que tout cela... bougonna Henri. Je vous l'ai déjà dit. Paul n'aurait jamais voulu que vous vous enfermiez dans ce deuil votre vie durant. Vous n'avez que 24 ans. Vous devez vivre. Pour vous. Et aussi pour Paul. Il voulait tellement que vous soyez heureuse. Vous ne devez pas laisser passer les occasions de l’être. Paul ne l’aurait pas voulu. Et Paul, à votre place, ne l’aurait pas fait...
- Il y a une autre raison ? le coupa Marie que la simple évocation de son fils tendrement chéri faisait souffrir.

- Oui. C'est un bal costumé...
- Un bal costumé ? Mais c'est très amusant... Où est le problème ? En quoi allez-vous vous travestir ? En Colombine ? En princesse vénitienne ?
- Je n'ai pas le choix de mon costume Marie. Il est imposé... Tous les invités seront habillés de la même façon...
- Ah bon ? Comme c'est curieux... Ce sera très uniforme alors... Finalement cette fête ne sera pas très différente des soirées où nous vous emmenons...
- L'ambiance sera différente... N'y seront invités que les amis de Foujita. Des Montparnos...
- Des Montparnos ? Comment Vienne les connaît-elle ?
- Elle habite Montparnasse... A quelques pas des ateliers où vivent et travaillent ces peintres...
- Et quel est ce costume qu'on vous impose ?
- Un smoking...
- Un smoking ?? s'exclama Henri. Les femmes doivent être en smoking ?? Et les hommes ?? En robe de soirée avec un collier de perles autour du cou, je présume !!?? Mon dieu, mais c'est le monde à l'envers !!!
- Non... Les hommes doivent aussi porter un smoking...
- C'est du grand n'importe quoi !!! Décidément, la France ne tourne plus rond...
- C'est bien toi ça !!! intervint Marie. Tu trouves normale la stratégie militaire de nos généraux qui envoient des centaines de milliers de jeunes hommes à la mort. Par contre tu fronces le sourcil à l'idée qu'une femme porte un smoking pour s'amuser un peu... C'est toi qui ne tournes plus rond...
Eva ne voulait pas être une cause de querelle alors elle murmura - Je n'ai pas encore dit oui à Vienne. Je vais renoncer à cette soirée. D'ailleurs, je n'avais pas de smoking...
- Il n'en est pas question !! Les occasions de s'amuser un peu ne sont pas si nombreuses... N'écoutez pas mon mari...
Mais Henri avait déjà rendu les armes.
- Je vois que c'est encore moi qui vais passer pour le rabat-joie de service répliqua Henri en soupirant. Et bien, allez à cette soirée Eva. J'aurais mauvaise grâce à vous en empêcher... Surtout que dans quelques jours vous allez nous quitter pour retourner soigner ces soldats. Alors vous avez tous les droits. Y compris celui de vous rendre à ces soirées... excentriques...
- Merci Monsieur...
- Non Eva... C'est moi qui vous remercie... Et d'abord de supporter un vieux grincheux comme moi. Je ne suis pas quelqu'un de "moderne" voyez-vous. Marie le sait... Mais je fais des efforts pour me mettre au diapason de notre époque... Pour que ma femme et mes enfants soient heureux. Autant que cela est possible.
Eva avait frémi en entendant le mot "enfant". Ainsi c'est bien comme cela qu'Henri la voyait. Comme son enfant. Cet homme, pourtant si pudique, n'avait pas hésité à révéler le fond de son coeur.

Les silences de Vienne lui parurent d'autant plus insupportables.


*


Vienne était rentrée chez elle.

Elle faisait les cent pas.

Elle prit un livre sur une table, le feuilleta sans le lire, sans voir les mots imprimés sur les pages. Puis elle le reposa sur une étagère.

Elle fouilla les plans disposés en vrac sur son bureau. Les plans d’un avion que son frère et elle avaient conçu avant la mort de Mike. Puis elle s’en détourna.

Elle cherchait un moyen d’occuper son esprit.

Mais cette activité confuse et désordonnée ne servait à rien.

Car son esprit refusait d’effacer l’image d’Eva. Les propos d’Eva.

Il s’en souvenait parfaitement car les mots qu’elle avait prononcés  étaient gravés dans sa mémoire comme au fer rouge. Il y a deux personnes dont l’opinion m’importe... Henri et Marie... Je ne veux pas les peiner en affichant une joie égoïste. Je suis toujours la veuve de leur fils...

Vienne pensait à ces mots qui lui avaient fait tant de mal,  Ainsi, quoi que je puisse dire ou faire pour lui montrer mon attachement, mon amour, le coeur d’Eva bat toujours pour son époux. Elle ne pense qu’à lui. Elle n’agit qu’en fonction de lui. De ce qu’il aurait voulu... De ce qu’il aurait pensé... Elle renonce à ce bal parce que son fantôme pourrait la voir s’amuser...

Vienne sentait le désespoir monter comme une vague. Jamais Eva ne voudra vivre un amour qui irait à l’encontre de sa morale bourgeoise. Qui choquerait ses beaux-parents. Rien ne sera jamais possible entre elle et moi... Seulement  le chagrin de ne pas obtenir son coeur, de ne pas posséder son corps... Je dois cesser de penser à elle... Mais comment l’oublier ? Comment cesser de la désirer ? Comment cesser de l’aimer ? Comment faire, si je la vois tous les jours ?

Vienne trouva rapidement la réponse à ses questions. Et son désespoir se mua en colère et en dédain. Comment l’oublier ? Mais, c’est tout simple... Tu dois cesser de la voir. Tu dois vivre pour toi... Vivre... Avant un mois peut-être, tu ne seras plus qu’un cadavre dans la carcasse disloquée de ton avion... Alors cesse de perdre ton temps avec elle... Elle refuse les rares occasions de s’amuser pour s’accrocher à ses voiles de deuil ??? Grand bien lui fasse !!! Ce qu’Eva dédaigne, d’autres l’accepteront avec joie... Après tout, elle n’est rien d’autre qu’un joli visage... Elle n’a rien fait de sa vie... Elle ne sait rien... Ne connaît rien... Alors que je vis entourée de poètes et d’artistes...

Tout à coup, elle pensa à Tamara. Tamara la fidèle. Tamara l’aimante. Que je suis sotte de perdre mon temps à courir après des amours chimériques !!! Alors que j’ai tant d’amies... Talentueuses, tendres, passionnées... Tamara sera ravie de me revoir... Et de m’avoir... Elle m’attend... Je vais lui proposer de m’accompagner au Bal de Foujita. Elle ne refusera pas. Elle...

Alors, sans plus réfléchir, Vienne jeta son blouson en daim sur ses épaules et sortit de sa maison.

Pour rejoindre Tamara.


*


Deux jours avaient passé.

Tout d’abord, Eva avait été surprise de ne pas avoir de nouvelles de Vienne.

Après tout son refus d’aller au bal de Foujita n’était pas définitif. Et elle avait espéré que Vienne l’interrogerait de nouveau.

Chaque fois que l’on sonnait à la porte, elle pensait que c’était Vienne. Mais à chaque fois, ses espérances étaient déçues.

Leur séparation, deux jours auparavant, sur ce bout de trottoir devant l’hôtel particulier des d’Uberville, avait été si froide.

Elle cherchait les raisons de la distance presque glaciale qui s’était glissée entre son amie et elle. Vienne semblait si étrangère, presque hostile... Qu’ai-je dit ? Qu’ai-je fait ? Je l’ennuie peut-être. Après tout, elle ne voit que moi depuis presque trois semaines... Alors qu’elle a tant d’amis surprenants. Et d’amies...
Immédiatement son front se plissa sous cette pensée importune qui s’était invitée dans son esprit. Vienne et ses amies... Vienne et ses maîtresses... Elle est retournée auprès d’elles. Auprès de Tamara peut-être...
Et des larmes lui venaient au bord des yeux. Eva se sentait totalement désemparée. Car elle ne savait pas comment faire pour renouer le contact avec Vienne.


*


Marie ne l’avait pas laissée avec ses pensées déprimantes.

Le bal organisé par Foujita l’amusait énormément.

Même si elle ne pouvait pas s'y rendre personnellement, elle avait décidé de noyer Eva sous ses conseils affectueux.

Ces préparatifs étaient un divertissement bienvenu dans le morne quotidien d’un Paris en guerre.

Elle avait d’abord ouvert toutes les armoires de la maison et examiné tous les smokings qui s’y trouvaient.

Henri, les yeux au ciel en une prière muette, avait même dû jouer les mannequins d’un jour.

Bien sûr, il n’était pas question qu’Eva revête un costume qui avait déjà été porté. Mais Marie voulait pour la jeune femme un modèle qui soit le plus élégant possible.

Enfin, elles avaient jeté leur dévolu sur un habit à “queue de pie” avec chemise, gilet et noeud de papillon blancs.

Eva n’avait rien osé dire. Surtout pas que l’invitation ne tenait plus.

Elle avait suivi Marie dans ses recherches. Elle l’avait encore suivie chez Gabrielle Chanel, pour les essayages.

La couturière, chez qui le Tout-Paris se précipitait depuis des mois, avait promis que l’habit serait prêt en quarante-huit heures.

Juste à temps pour le bal de Foujita.


*


Et il le fut.

Il était superbe d’élégance et de classicisme.

Henri et Marie regardaient Eva avec une admiration qu’ils ne cherchaient pas à dissimuler.

- Et bien, et bien, jeune dame... Même si je vous préfère en robe, je dois bien reconnaître que l’habit vous va à ravir murmura Henri. Mais ceci étant dit, je vous en supplie Eva, ne prenez pas l’habitude des pantalons...

Il s’approcha de la jeune femme et accrocha un oeillet blanc à sa boutonnière. - Voilà. Comme ça, vous êtes parfaite...



- Merci Monsieur... Merci infiniment...
Marie s’approcha d’Eva à son tour et déposa une cape noire sur ses épaules. - Je ne partage pas toujours l’opinion d’Henri. Mais, pour une fois, j’avoue qu’il a raison. Vous êtes superbe...
Henri la coupa. - C’est à moi que revient le droit de lui donner les derniers conseils. Je vous rappelle, jeune dame, qu’un homme n’a pas de sac à main... Simplement quelques billets au fond de sa poche. Ses cigarettes et son briquet...
- Vous avez le droit d’y ajouter un bâton de rouge à lèvres et un minuscule flacon de parfum... ajouta Marie en riant. Quand Vienne doit-elle venir vous chercher ?

Eva mentit en espérant que Marie et Henri ne verraient pas sa gêne. - Nous nous retrouvons sur place. C’est plus simple pour elle. Je vais prendre un taxi...

Elle pensait Sans carton d’invitation, je ne peux pas participer au bal de Foujita. Un taxi me conduira dans un café quelconque où j’attendrai que la nuit passe. Et je reviendrai au petit matin...

- Un taxi ? Pas question !! l’interrompit Henri. Prenez la Delage. Georges vous conduira et vous ramènera après le bal.

Eva ne pouvait plus reculer car le chauffeur des d’Uberville allait lui servir de cerbère.

Elle devait se rendre à ce bal où elle n’était pas invitée.

Où elle n’était pas attendue.


*


La Delage, aux flancs noirs et gris, parcourait les rues de Paris.

La voiture, longue de près de six mètres, ne passait pas inaperçue. Les passants se retournaient sur la luxueuse limousine.




Au bout d’une vingtaine de minutes, ils arrivèrent près d’un immeuble aux fenêtres violemment éclairées.

Une foule nombreuse se pressait sur le trottoir. Une foule uniformément habillée en noir et blanc.

Les invités de Foujita avaient respecté ses consignes. Hommes et femmes avaient tous revêtu smokings ou habits de soirée.

Georges gara la Delage le long du trottoir. Puis il quitta son siège pour venir, la casquette à la main, ouvrir la portière d’Eva.

Elle savait qu’elle ne pouvait pas fuir.

Elle sourit au chauffeur et fendit la foule des invités qui s’écartaient devant elle en murmurant. Qui est cette jeune femme ? Elle est belle comme un songe. Vous la connaissez ? Non. Je ne l’ai jamais vue... Un modèle de Foujita sans doute... Un modèle ? Qui pourrait s’offrir une Delage avec chauffeur ? Impossible...

Eva voyait qu’elle monopolisait tous les regards. Alors, le coeur battant à l’idée d’essuyer un refus, elle s’approcha de l’homme qui filtrait les entrées.

Il la regardait venir vers lui.

Quelle excuse pouvait-elle trouver ?

C’est alors qu’elle entendit distinctement quelques mots prononcés en italien.

- Che bella... Bellissima...
Elle tourna la tête et vit un homme d’une beauté troublante. Grand, brun, ténébreux. Avec un charme fou. Il la regardait, fasciné.
Elle le reconnut immédiatement car la description que Vienne en avait faite était exacte au mot près.

Amédéo Modiciani se tenait à ses côtés et la dévorait des yeux.


*


Il n’avait rien de commun avec les hommes qui l’entouraient.

Il ne s’était pas donné la peine d’obéir aux ordres de Foujita. Il ne portait pas de smoking. Seulement un pantalon de velours, qui avait connu des jours meilleurs, une chemise blanche et un foulard rouge noué autour du cou.

Et pourtant, il y avait chez lui une classe naturelle mêlée à une nonchalance d’artiste bohème.




Ses yeux bruns étaient comme deux tisons qui la brûlaient et les paroles de Vienne lui revinrent à l’esprit C’est un peintre italien. Il a quitté son pays pour “réussir” à Paris où il ne connaît que misère... Les femmes en sont folles... Mais pas moi... J’aime une certaine fragilité... Et on ne la trouve pas chez ce genre d’hommes... Faites attention, Eva. Il risque de vous harceler tant qu’il ne vous aura pas couchée sur une toile ou... dans son lit...
Le regard d’Amédéo avait une franchise désarmante. La franchise d’un désir qu’il ne dissimulait pas. Et c’est avec la même franchise qu’il s’adressa à elle.

- Bonjour. Je ne vous ai jamais vue avant ce soir. Qui êtes-vous ?
- Je m’appelle Eva...
- Eva ??? Comme Eve. La première femme... Permettez-moi d’être votre Adam... Mais pour plus de simplicité, appelez-moi Amédéo... Me ferez-vous l’honneur d’entrer à mon bras ?
Elle lui répondit avec son plus beau sourire - Bien sûr... Avec joie...
- Alors venez...
Ils se tournèrent vers l’homme qui filtrait les entrées alors qu’il s’adressait à Eva - Votre carton Madame ?
Mais Modiciani le fit taire d’une phrase - Madame est avec moi !
- Très bien Monsieur Modiciani. Entrez je vous prie et bonne soirée...


*

Intérieurement, Eva jubilait. Quelle chance ! Jamais je n’aurais cru que ça pourrait être aussi facile...
Elle comprit que sa beauté était un atout fabuleux, un sésame qui lui ouvrait toutes les portes. Jamais elle n’en avait eu autant conscience qu’aujourd’hui.

Bien sûr il y avait eu l’amour de Paul, l’affection de Marie et d’Henri.

Et il y avait eu l’amitié de Vienne...

Elle pensa. Vienne... Elle doit être là... Accompagnée sans doute... Par une autre. Elle a préféré la compagnie d’une autre à la mienne....
Elle éprouvait déception et colère mais elle se reprit. Tu ne dois pas montrer de dépit. Après tout, tu peux te passer d’elle. Tu as la compagnie d'un homme dont “toutes les femmes sont folles”. Et qui semble attiré par toi. Alors amuse-toi...


*


Elle avait abandonné sa cape au vestiaire et elle marchait dans la vaste salle de réception.

Amédéo était toujours à ses côtés. Il semblait ne pas vouloir la quitter.

Les têtes se tournaient sur leur passage. Des sourires apparaissaient sur les lèvres.

Eva n’était pas dupe de ces sourires. Elle savait ce qu’ils signifiaient. Tout le monde la prenait pour la nouvelle maîtresse de Modiciani. Ou, si ce n’était pas encore fait, sa prochaine conquête.

Mais l’avis de tous ces gens lui importait peu. Seul celui de Vienne comptait. Où était-elle ?


*


La foule était compacte. Agglutinée autour de serveurs qui présentaient des coupes de Champagne posées sur des plateaux.

Ce vin coulait à flots. Et Eva se demandait comment il pouvait y en avoir tant alors que les plaines de la Champagne étaient ravagées par la guerre.

Dans un coin de la salle, installé sur une estrade, un  musicien noir martelait un piano entouré de joueurs de banjos.

Des hommes, des femmes dansaient le charleston. Les gens parlaient fort, riaient.

Elle reconnu Picasso, Cocteau et Appolinaire qu’elle avait vus à la première, et dernière, de Parade.

Elle vit près d’eux un petit homme asiatique aux cheveux d’un noir de charbon. La frange sur le front, la moustache en forme de M, les grosses lunettes d’écaille et le nez de Bouddha. Elle l’identifia immédiatement. Ce ne pouvait être que Foujita.

Il s’approcha d’eux et les interpella. - Modi !! Tu ne me présentes pas ton amie ?? Elle est à croquer... Au fusain... naturellement... C’est exactement ce que me disait Pablo...
- Je ne peux rien dire te dire car nous nous sommes rencontrés devant ta porte...
Elle sentit qu’elle devait dire la vérité. - Je m’appelle Eva d’Uberville-West. J’ai forcé votre porte avec la complicité involontaire d’Amédéo. Je n’étais pas invitée.
- La jeunesse et la beauté sont partout chez elles, Eva. Vous êtes la bienvenue répondit Foujita en lui tendant une coupe de Champagne. Donc, vous ne connaissez personne ici ?
- Si je connais... Vienne Brooks... qui est là, je crois...
- En effet. Je l’ai vue arriver avec Tamara de Lodz-Picka. Ainsi vous connaissez Vienne ? Et comment la connaissez-vous ?
Il échangea un regard entendu avec Modiciani qui leva les yeux au ciel en soupirant.
La réaction des deux hommes n’échappa pas à Eva. Mais elle s’en moquait. Car Vienne était là. Avec Tamara..

Elle pensait, avec amertume, qu’elle ne s’était pas trompée. Mais elle ne laissa rien voir de sa déception et elle répondit - Je suis infirmière dans un hôpital sur le front. Je soigne les blessés. J’ai soigné le lieutenant Vienne Brooks...
- Quel beau geste... Mais pourquoi près du front ? Pourquoi prendre un tel risque alors que les hôpitaux à l’arrière, à Paris ou ailleurs, ne manquent pas ?
- Parce que mon époux est mort en Champagne...
- Votre époux ? balbutia Modiciani pour qui la conversation avait subitement repris de l’intérêt. Je vous plains Eva. Je hais la guerre. La plupart des artistes qui sont ici sont étrangers comme moi. Ils se sont engagés dans la Légion pour pouvoir se battre pour la France... Blaise Cendrars y a perdu son bras et ses illusions...
Mais Eva n’avait pas envie de se lancer dans une discussion philosophique. Car, grâce à un mouvement de la foule, elle  avait vu Vienne et Tamara.

Vienne portait le smoking noir avec lequel elle l’avait déjà vue. Tamara était son exact contraire car son habit était blanc.

Les jeunes femmes se tenaient l’une près de l’autre et discutaient.

A un moment, Tamara tourna la tête et elle vit le petit groupe qu’elle formait avec Modiciani et Foujita.

Elle murmura quelques mots et Vienne tourna la tête à son tour. Elle resta interdite.

Alors Eva leur fit un léger signe de tête et leur décocha un sourire ironique.
- Excusez-moi Messieurs, mais je vais vous fausser compagnie... J’ai aperçu mes amies Tamara et Vienne. Je vais leur dire quelques mots.

Sans attendre de réponse, les mains enfoncées dans les poches, elle marcha vers les deux femmes, en fendant la foule qui s’écartait devant elle.


*


Vienne la regardait avancer vers Tamara et elle.

Elle voyait tous les regards qui suivaient la jeune femme. Tous ces hommes qui la contemplaient. Ces femmes qui l’enviaient. Elle lisait l’admiration dans leurs yeux. Et tant d’autres choses. Des choses moins avouables mais si évidentes.

Elle voyait aussi la surprenante assurance d’Eva. La jeune infirmière timide avait disparu pour laisser la place à une femme sûre d’elle.

Tamara traduisit sa pensée de son accent inimitable - Mais c’est Evaaaa. Elle est éblouissante !! Elle n’a plus rien de la petite fille rougissante... Modiciani la couve d’un tel regard. On a l’impression qu’il va couper la gorge de tous ceux qui oseraient approcher sa nouvelle proie.  Oups... elle vient vers nous... Je vous laisse... Je suis persuadée que vous avez des milliers de choses à vous dire... Non, non Vienne, ne me remercie pas. Je sais quand je dois me faire discrète... A tout à l’heure Vienne très chèrrre....


*


Eva avait rejoint Vienne qui était adossée à une cheminée, naturellement éteinte en ce mois d’août.

Elle lui fit face. Elle ne savait pas sur quel ton lui parler. Mais elle se dit que le mieux était de feindre l’indifférence.

Elle s’accouda à la cheminée tout en gardant nonchalamment une main dans la poche.




Elle éprouvait un sentiment curieux. Ce vêtement d’homme lui donnait un courage nouveau.

Pas celui qu’elle ressentait au milieu des soldats blessés alors que les obus ennemis explosaient autour de l’hôpital militaire. Mais celui qui vous permet de soutenir les centaines de regards posés sur vous.

Car elle savait ce que voyaient ces yeux posés sur Vienne et elle. Deux femmes qui s’attiraient. Curieusement elle s’en moquait.

- Bonsoir Vienne. Je suis surprise de vous voir ici ce soir. Je pensais que vous aviez renoncé à venir à la fête de Foujita.
- Bonsoir Eva... Je suis heureuse de vous revoir. Et moi aussi, je suis surprise. Je croyais que cette fête ne vous intéressait pas. Pas suffisamment en tout cas pour braver le “qu’en dira-t-on”...
- J’ai suivi votre conseil Vienne. Se moquer de l’opinion des autres... Ne se soucier que de celle des quelques rares personnes qui comptent...
- Bravo. C’est le début de la sagesse. Mais pourquoi aurais-je renoncé à une occasion de m’amuser avant de repartir pour la guerre ?
- Je pensais... Comme je n’avais plus de nouvelles de vous... et de votre charmante invitation...
- Une charmante invitation que vous avez refusée...
- Ce n’était pas un refus... Mais une hésitation...
- Pardonnez ma curiosité, Eva... Mais comment avez-vous pu entrer ?
- Le hasard. J’ai rencontré Modiciani devant la porte... Vous aviez raison Vienne... Il est très séducteur... Très entreprenant... Il m’a invitée à le suivre. Une vraie chance...
Vienne répliqua sur un ton moqueur. - Une vraie chance en effet !! Je constate que vous n’avez pas eu d’hésitation pour accepter l’invitation de Modiciani...
Eva marqua un temps.

Elle avait saisit l’amertume contenue dans la remarque de Vienne.

Il était facile de la rassurer. Il suffisait de lui dire qu’elle n’avait pas hésité à le suivre tout simplement parce qu’elle voulait la rejoindre.

Mais elle se dit qu’il était encore trop tôt. Qu’elle risquait simplement de s’attirer une nouvelle remarque moqueuse.

Et puis, il y avait Tamara. Qui certes s’était éclipsée. Mais qui était encore là, il y a quelques minutes...

Avant d’en dire plus, elle voulait savoir. Elle voulait être certaine.


*


Elle répondit à la remarque de Vienne en riant. - Non. Je n’ai pas eu d’hésitation à le suivre ! Quelle femme en aurait eue ? Il est jeune, beau, talentueux et charmant... Attirer son regard, le retenir c’est plutôt flatteur... Mais je sais que vous vous méfiez de ce genre d’hommes...
- En effet. Je me méfie de ces hommes qui ne conçoivent pas qu’on leur résiste. Qui n’acceptent pas qu’on leur résiste... Ce sont des prédateurs qui se cachent sous une apparence séduisante...
- Et vous n’avez pas été séduite. Je le sais. Vous êtes impitoyable avec Modiciani. La description que vous en faites est surprenante. Elle me surprend. Je ne mets pas votre parole en doute Vienne. Mais vous me permettrez de me faire ma propre opinion. À partir de ma propre expérience... répliqua Eva avec un soupçon d’insolence.
- Votre propre expérience ? Que voulez-vous dire ? répondit Vienne. Elle avait tout à coup la bouche sèche comme on l’a quand la peur vous submerge.

- Dois-je vous faire un dessin Vienne ? Non... Je ne crois pas que ce soit nécessaire...
Vienne était atteinte. Ainsi il avait suffi d’un regard, et de trois phrases pour qu’Eva soit séduite. Alors, elle répondit sur un ton sec.
- Non. C’est inutile en effet. Vous êtes une grande fille et je ne suis pas votre chaperon. Je n’ai pas à vous donner de conseils sur la façon dont il convient de se conduire avec Amédéo. Permettez-moi pourtant de vous raconter une petite histoire...

Malgré la colère et l’agressivité contenues dans les propos de Vienne, Eva refusa de se lancer dans une querelle stérile où leur amitié avait tout à perdre.
Alors elle préféra manier l’ironie - Elle se termine bien j’espère ?? Je préfère les histoires qui se terminent bien...
- Je vous laisse le soin d’en juger. Il y a deux ans, Lunia, une jeune poétesse russe, tomba éperdument amoureuse d’Amédéo. Elle devint son modèle et sa maîtresse. Elle ne voyait en lui que l’artiste incompris qui n’avait pas le succès que son talent méritait. Sur ce point, elle avait raison. Comme vous, elle ne voyait que l’homme beau et charmant. Elle ne voyait que l’amant passionné...




- Vous savez Vienne que vous faites d’Amédéo un portrait bien tentant...
- Parce que je n’ai pas encore fini ma petite histoire... Elle ne savait pas encore qu’il noyait ses échecs dans le vin, l’alcool, l’éther... Et qu’alors, le superbe artiste se transformait en bête avinée... et violente... Que parfois, fou de rage pour des raisons que lui-même n’aurait pu donner, il entrait dans de terribles colères. Et qu’au cours de ces scènes, il se mettait à la battre, la traînant par les cheveux. Puis quand, dessaoulé, il prenait conscience de ce qu’il avait fait, il se jetait à ses genoux, implorant son pardon, promettant qu’il ne recommencerait plus...
Eva ne riait plus. Elle écoutait Vienne. Attentivement. Son regard s’était posé sur Modiciani qui continuait à bavarder avec Foujita tout en la guettant du coin de l’oeil.
- Qu’est-elle devenue ?
- Un jour, à bout de patience, elle a pris la décision de le quitter... Il l’a regrettée trois jours... Puis il l’a remplacée... Par une autre... Tel est Amédéo... Les femmes passent...
- Comment savez-vous tout cela ?
- Parce qu’elle s’est confiée à moi. Le soir où elle a fui Modiciani, elle est venue se réfugier chez moi...
- Chez vous ? Et pourquoi chez vous ?
- Parce qu’elle savait que je ne suis pas dupe du charme de Modiciani. J’ai posé pour lui. Et je ne lui ai pas cédé. Parce qu’elle savait que je ne ferais pas son éloge aveugle. Et que, si j’apprécie l’artiste, je me méfie de l’homme. Ce soir-là, je l’ai aidée. En l’accueillant, en l’écoutant, et en l’aidant à le fuir... Alors, je vous renouvelle mon conseil. Faites attention à lui...
- Je vous remercie de m’avoir raconté votre petite histoire Vienne. Mais je vous approuve sur un point. Je suis une grande fille. Et je mène ma vie comme je l’entends. Moi, je ne vous dis pas qui aimer. Je ne fais pas la sélection de vos... amantes...
- Mes amantes ? Je ne comprends pas... fut la réponse pitoyable de Vienne. Réponse qu’elle regretta immédiatement car elle sentit la déception dans les paroles d’Eva.
- Vous ne comprenez pas ?.. Vous vous dites mon amie et pourtant vous ne m’avez jamais confié ce que vous êtes... Ce que vous êtes vraiment...
- Que voulez-vous dire ?
-  Vous n’avez aucun mal à résister aux charmes de Modiciani parce que vous n’êtes pas attirée par les hommes... La femme brune sur le tableau de Tamara. Sa maîtresse. C’est vous n’est-ce pas ?
Vienne comprit qu’elle ne devait plus lui mentir alors elle balbutia - Oui... C’est moi...
- Pourquoi ne m’avoir rien dit ?
- J’avais peur que vous me rejetiez...
- Vous me prenez vraiment pour une petite bourgeoise stupide et bornée...
- Non Eva... Pas du tout... Mais certaines femmes refusent d’être vues en ma compagnie quand elles savent ce que je suis...
- Ce n’est pas mon cas. Deux cents paires d’yeux nous regardent ce soir... Et je ne cherche pas à vous éviter. Bien au contraire...
- Pardon Eva... J’ai été stupide... 
- Oui. Vous l’avez été... Quant à vous pardonner...
Mais elle ne put terminer sa phrase car Modiciani s’était approché. - Eva. Vous m’avez abandonné !! Venez avec moi. Je veux vous présenter mes amis.
- Je vous suis Amédéo. Au revoir Vienne... Je vous laisse en compagnie de Tamara.  Saluez-la pour moi... A bientôt...
Elle lui tourna le dos pour suivre le peintre italien.


*
Vienne était restée seule.

Elle s’en voulait terriblement. Comment ai-je pu être aussi stupide ? Malgré sa jeunesse et son inexpérience, Eva est intelligente et sensible. Elle a deviné sans me juger. Mon silence l’a blessée. Et maintenant elle fait ce que j’ai tant redouté. Par déception, par colère, elle fuit ma compagnie. Et j’aime tellement la sienne... Je ne voulais pas en être privée. Alors, j’ai menti. Par omission... Et maintenant je suis là... Seule. Alors qu’elle est entourée de ces hommes qui tentent de la séduire... Mon Dieu, quel supplice !!!
Elle n’avait pas vu que Tamara s’était rapprochée.

- Alors ? Vienne très chèrrre... Tout va bien ???
- Non Tamara... Tout va très mal au contraire...
- Pourquoi très mal ?
- Eva a deviné pour moi. Pour nous...
- Elle a deviné ? Tu ne lui avais rien dit ?
- Non.
- Mais pourquoi ?
- J’avais peur qu’elle me rejette... Elle ne l’a pas fait. Mais elle a suivi Amédéo...
- Je comprends. Mais tu ne lui as pas dit que tout était fini entre nous deux ?
- Non. Je n’ai rien dit. A quoi bon ?? Regarde-la. Rayonnante au milieu de ces hommes...
- Je la vois... Mais je vois aussi qu’elle jette de temps en temps un coup d’oeil dans notre direction...
- Je lui ai dit quel homme était Amédéo... Je lui ai même parlé de Lunia...
- Et tu lui as dit qu’entre Lunia et toi...
- Non... Je n’ai pas osé... J’avais trop peur que toutes ces confidences la détournent de moi... Je ne pourrais pas supporter qu’elle se détourne de moi...
- Mon Dieu, tu es vraiment mordue... Vienne, très chèrrre, écoute le conseil de Tamara. Tu ne dois pas abandonner tant que tu n’auras pas la certitude qu’Eva ne t’aime pas.
- Que dois-je faire ?
- Etre là Vienne. Pour elle. Surtout ce soir.
- Non. Ça ne sert à rien Tamara. Je n’ai aucune envie de rester là à assister au triomphe de Modiciani. Je préfère partir. Excuse-moi, mais je vais te laisser. Je vais rentrer chez moi.
- Vienne... Reste... Je t’en prie...
- Non Tamara n’insiste pas... Tu t’amuseras bien mieux sans moi. Je ne suis vraiment pas une compagne agréable ce soir. Au revoir...

Elle déposa un rapide baiser sur la joue de Tamara puis, lui tournant le dos, elle fendit la foule en direction de la sortie.


*
Présenter Eva à ses amis était le prétexte que Modiciani avait trouvé pour la séparer de Vienne. Il ne voulait pas que quelqu’un d’autre que lui l’accapare. Surtout pas Vienne.

- Vous étiez plongée dans une grande discussion avec Madame Brooks. De quoi parliez-vous ?
- D’une connaissance commune répondit Eva avec un petit sourire. Lunia.
- Lunia ?
- Une jeune poétesse russe que vous avez bien connue je crois...
- J’ai connu beaucoup de femmes... Mais je me souviens très bien de Lunia... Ainsi Vienne vous a parlé d’elle ?
- Oui.
- Vous a-t-elle dit que Lunia avait eu une relation amoureuse avec elle ? Et que Lunia l’avait quittée pour moi ?
Eva était abasourdie. - Lunia et Vienne ? Non. Elle ne m’en a rien dit...
Modiciani se mit à rire doucement - Vienne est une rivale redoutable. Nous aimons les mêmes femmes... Mais, sans fausse modestie, je dois bien dire que les femmes me préfèrent. Pauvre Vienne...
- Vraiment ? Vous semblez bien sûr de vous et de votre charme...

- N’ai-je pas raison d’être sûr de moi Eva ? Vous êtes bien avec moi...
- Non, je ne suis pas “avec vous” Amédéo. Ou plutôt, je n’y suis plus. Il y a ici cent femmes qui seront ravies d’être votre conquête d’un soir ou d’une nuit. Mais pas moi... Je vous dit au revoir. Je suis ravie de vous avoir rencontré...
Eva ne lui laissa pas le temps de la retenir. Elle était déjà partie.
*
Vienne avait abandonné la fête de Foujita.

Elle marchait dans les rues de Paris. Avec le bruit de ses pas pour seule compagnie.

Elle pensait que les jours avaient passé avec une telle rapidité. Parce qu’ils étaient pleins de moments passés avec Eva. Et qu’avec elle le temps était aérien. Il ne pesait pas.

Mais elle pensait aussi que de tels moments, il n’y en aurait plus pour elle. Parce qu’Eva ne serait plus là.

Vienne pensa aussi que, dans deux jours, elle repartait pour le front. Elle en était heureuse. Car la guerre allait occuper tout son esprit.

Et, avec un peu de chance, un chasseur allemand lui permettrait d’en finir. La vie lui avait tout donné pour tout lui reprendre. Elle savait qu’il était inutile d’en attendre plus...

Elle était tellement plongée dans ses pensées déprimantes qu’elle ne prêta pas attention au bruit d’une portière que l’on claquait.

Elle ne tourna pas la tête vers la luxueuse Delage aux flancs noirs et gris qui la doublait et qui disparut au bout de la rue.
*
Vienne était toujours perdue dans ses pensées accablantes.

Soudain elle entendit un léger bruit. Elle sentit une présence.

Elle tourna la tête. Son coeur se mit à battre follement. Car Eva marchait à côté d’elle.

Elle ne sut pas quoi dire. La joie la rendait stupide. Alors elle murmura - Tiens... vous n’êtes pas restée au bal de Foujita ?
- Non Vienne... Je n’y suis pas restée...
- Pourquoi ?
- Ce n’était pas aussi amusant que je l’espérais... Je pensais assister à une de ces bacchanales complaisamment décrites dans les journaux. Un délire de sons et de danses... Finalement, ce n’était qu’une petite fête bien gentille. Sans le moindre parfum de scandale...
- Vous êtes trop sévère. Vous avez rencontré Foujita, Picasso... Modiciani...
- Que sont ces artistes sans leurs pinceaux ? De simples hommes...
- Je vous ai pourtant vue rire avec Amédéo... Sa compagnie ne semblait pas vous déplaire... De quoi parliez-vous ?
*
Eva perçut le dépit qui perçait dans la voix de Vienne. 

Elle hésita. Elle craignait de blesser son amie en lui rappelant un passé qui l’avait meurtrie.

Mais elle voulait en savoir plus sur cette poétesse. Parce qu’il avait suffit que Modiciani parle de sa relation avec Vienne pour qu’elle en soit jalouse...
- Nous avons parlé de Lunia... Il m’a dit que vous étiez amantes et qu’elle vous avait quittée pour lui...
Vienne soupira... Elle s’y attendait tellement... Elle s’attendait à ce que Modiciani bavarde. Qu’il se vante de son triomphe et se moque de son échec.
- C’est exact... Son talent l’a subjuguée. Elle a tout de suite cédé à l’artiste génial. Moi, avec mon pauvre petit diplôme d’ingénieur, je ne pouvais pas rivaliser... Je paraissais tellement banale. Quotidienne.
- Vous étiez amoureuse d’elle ? osa Eva.
Vienne cessa de marcher pour se tourner vers Eva. Elle soutint son regard.
- Lunia était une jeune femme libre. Elle pensait qu’elle avait le droit de vivre sans entraves. Elle se moquait des conventions. Elle avait des amants, des maîtresses... Je n’était qu’une parmi d’autres. Quand elle m’a quittée, j’ai eu mal... Un peu... Et pas très longtemps... J’ai su que je n’étais pas amoureuse... Parce qu’alors on ne cesse pas de souffrir aussi vite...
*

Eva pensa Et moi ? Si je repartais pour Londres... Si je disparaissais, combien de temps te faudrait-il pour m’oublier ? Moi je sais que je ne le pourrais pas... Tu seras toujours là au fond de mon coeur... Mais elle continua son discret interrogatoire - Où est Lunia à présent ?
- Après Modiciani, elle s’est enflammée pour la... Révolution russe. Elle disait que sa place était dans son pays. En Russie. Là où s’écrivait l’Histoire. Avec un grand H. Elle est partie rejoindre son peuple. Ses camarades... Les Bolcheviks. Son destin... Je l’ai accompagnée à Bordeaux où elle a embarqué sur un navire en direction de Saint-Pétersbourg... Nous nous sommes dit adieu... J’ai ressenti la peine qu’on éprouve quand on voit partir une amie. Rien de moins. Mais rien de plus...
- Vous n’avez plus de nouvelles d’elle ?
- Si. De temps en temps, elle m’envoie une lettre ...
- Elle pense toujours à vous...
Vienne se mit à rire - Je ne crois pas... Ou plutôt, pas dans le sens où vous l’entendez... Elle me parle de Marx, de Lénine, de Trotski. Des lendemains radieux qui viendront en Russie quand la guerre civile entre les rouges et les blancs sera terminée... Elle m’encourage à faire la révolution à Paris. Elle voudrait que je m’enthousiasme pour les mêmes idées qu’elle. Mais je ne peux pas... Parce qu’elle me parle aussi des procès et des exécutions sommaires. Comme celle de la famille impériale. J’ai beaucoup de mal à croire que la cause, même la plus juste, peut se satisfaire de l’assassinat de cinq enfants...




- Lunia est une femme entière.
- Comme toutes les personnes que vous avez vues ce soir. Ils vivent pleinement leurs passions... Vous auriez dû rester près d’eux pour apprendre à les connaître...
- Peut-être... Ce sera pour une autre fois... Et ce sera avec vous... Vous me servirez de guide... Et puis... je préfère votre compagnie...
- Ma compagnie ? balbutia la jeune femme.
- Oui Vienne... Je le sais maintenant. J’en suis certaine... Ce que je préfère, au-delà de tout, c’est être avec vous...

Vienne la regardait avec intensité.

- Eva... Il ne faut pas me dire ces choses-là... Surtout si vous me les pensez pas... Parce qu’elles me font trop de bien... Elles me feront trop de mal quand je vais réaliser qu’elles n’étaient pas vraies...
- Mais elles sont vraies... Alors j’ai envie de vous les dire... Mais je vois que les mots seuls ne suffisent pas...
*

Eva s’approcha de Vienne et posa ses mains de chaque côté de son visage qu’elle attira doucement vers le sien.

Elle ferma les yeux au moment où ses lèvres se posaient sur celles de Vienne.

Elle avait si peu embrassé et c’était si loin... Mais ce qu’elle ressentit, alors que les mains de Vienne se posaient sur  sa taille, c’était comme une soif qu’on étanche à la source la plus fraîche...

Elle sentait le corps de Vienne contre le sien et les lèvres douces qui s’attardaient sur les siennes...

Elle n’avait pas envie d’ouvrir les yeux. Elle voulait se laisser engloutir dans ce moment. Dans la magie de ce moment.

Combien de temps dura ce baiser ? Elle ne le savait pas... Ce qu’elle savait c’est qu’elle avait envie que cette étreinte ne cesse pas.

Elle avait envie que les lèvres de Vienne glissent sur sa peau...

Elle voulait aussi faire ces gestes dont son inconscient rêvait depuis des semaines. Le désir du corps de Vienne montait en elle comme une vague.

Elle se mit à trembler entre ses bras.

Vienne quitta ses lèvres - Eva, qu’avez-vous ? Vous avez froid  ma chérie ?
- Non Vienne. Je ne tremble pas de froid... Mais de désir... Je voudrais tellement...

Mais elle n’osa pas finir sa phrase...

- Moi aussi ma chérie... Tellement, tellement plus... Si vous saviez comme j’ai attendu ce moment... Le moment où je pourrais enfin vous tenir dans mes bras... Eva, Eva... je vous aime... Je vous aime... Depuis le premier regard... Quand vous vous êtes penchée sur moi avec votre voile d’infirmière... Chacun des soins que vous me prodiguiez était pour moi comme une caresse... Comme je rêvais de vous... Mais sans espoir... Mes journées de convalescence passaient à vous attendre, à vous espérer... Et voilà que ce soir, cette nuit...
- Cette nuit ? Enfin...

- Cette nuit... je vais vous raccompagner chez vous Eva.
- Mais Vienne... Non...
- Je ne veux pas d’amour à la sauvette... Je rêve de toute une nuit avec vous... Et celle-ci se termine déjà... Regardez, le jour se lève...
Eva tourna la tête. Elle vit qu’une lumière rose enrobait les toits de Paris. Bientôt, il ferait jour.

Elle devait rentrer. Henri et Marie l’attendaient. Elle savait qu’ils devaient être dévorés de curiosité. Et qu’ils avaient mille questions à lui poser.

- Mon Dieu... Déjà... Le temps est passé si vite... Mais je vais vous revoir... Vienne... N’est-ce pas ? Aujourd’hui même ?..

- Oui aujourd’hui même ma chérie. Je ne pourrais pas attendre plus longtemps. Et puis c’est notre dernier jour de permission à vous comme à moi...
- C’est vrai, il va falloir retourner vers cette affreuse guerre. Je ne veux pas que vous y retourniez Vienne... Je ne le veux pas... Je ne veux pas que vous preniez des risques avec votre avion...
- Ce ne sera plus nécessaire ma chérie. La guerre a changé de nature. Ce n’est plus une guerre de positions, chaque armée étant fixée dans ses tranchées. Il était nécessaire de survoler les lignes ennemies pour ajuster le tir de nos canons... Mais à présent, nos troupes avancent... Enfin... Ce sont des combats aériens. Et mon avion n’est pas armé pour ça...

- Quelle joie... Je sais que mon bonheur est égoïste alors que tant d’hommes vont encore mourir. Mais pas vous... Je ne le veux pas...

- J’obéis volontiers à un ordre si doux répondit Vienne en riant. Venez. Je vous accompagne chez vous.

*

Elles avaient marché lentement pour prolonger ce moment.

Elles n’avaient plus peur l’une de l’autre. Elles n’avaient plus peur des sentiments de l’autre.

Elles pensaient, l’une comme l’autre, Que de temps perdu... Alors qu’il suffisait d’un simple baiser...

Enfin, elles arrivèrent devant l’hôtel particulier des d’Uberville.

- Je viens vous chercher en début d’après-midi, Eva. Vers 14 heures... Cela vous convient ?
- Toutes ces heures à vous attendre encore Vienne ... Mais oui, cela me convient...

- Alors à tout à l’heure ma chérie... Je vous aime...
- Je vous aime Vienne... A tout à l’heure...

Eva déposa un baiser sur sa joue. Si près de la commissure de ses lèvres. Son regard contenait tout l’amour et le désir...

Puis la porte s’ouvrit devant elle. Elle entra, fit un léger signe de la main et disparut.

Vienne regarda longtemps la lourde porte en bois.

Puis elle leva la tête vers le soleil qui s’était enfin levé.

Et elle reprit sa marche en direction de Montparnasse.

*

Vienne était revenue dans la rue où habitait Eva.

Au fur et à mesure qu’elle s’approchait, elle s’étonna.  Elle pensait la retrouver devant la porte des d’Uberville.

Mais la jeune femme n’était pas là.

Elle pensa que, dans sa hâte à la retrouver, elle avait dû arriver trop tôt.

Elle jeta un rapide coup d’oeil à la montre qu’Eva lui avait offerte quelques jours plus tôt. 14 heures. Pas une minute de moins.

Elle décida de l’attendre. Elle savait qu’Eva était toujours exacte à leurs rendez-vous.

Les minutes passèrent. Mais Eva n’apparaissait pas.

14 heures 5. 14 heures 10. 14 heures 15.

Au bout d’une trentaine de minutes, Vienne commença à douter. Elle avait dû rêver ce rendez-vous.

Elle en avait tellement envie qu’elle avait pris pour la réalité ce qui n’était qu’un mirage.

Pourtant, elle n’avait pas rêvé ce baiser. Elle n’avait pas rêvé quand Eva lui avait murmuré qu’elle l’aimait...

A moins qu’elle ne se soit moquée d’elle et de ses sentiments...

Le découragement laissa la place à la colère. Elle n’avait pas mérité qu’Eva se joue d’elle et de son amour.

Mais en même temps elle n’arrivait pas à croire à la désinvolture d’Eva.

Elle connaissait trop la jeune femme qui l’avait soignée avec tendresse et dévouement. Qui risquait sa vie si près des champs de bataille alors que rien ne l’y forçait.

Elle savait qu’une telle femme ne pouvait pas se comporter avec une frivolité blessante.

Tout à coup elle s’inquiéta de son absence. Et si Eva était souffrante ?

Alors elle sonna à la porte et attendit qu’on vienne lui ouvrir.


*


Ce fut Marie qui l’accueillit.

- Vienne... Quelle joie de vous revoir ! Mais je dois vous gronder. Vous aviez promis de nous rendre visite...
- Je vous prie de m’excuser, Madame...

- Je plaisantais... Vous êtes toute excusée Vienne. Vous avez le droit de passer du temps avec vos amis plutôt qu’avec Henri et moi...
Vienne se mit à rire - Je vais vous obéir Madame. Justement... j’avais rendez-vous avec Eva...
- Je sais. Elle me l’a dit... Mais, je suis désolée Vienne... Eva est partie...
- Partie ?... Vienne pensa Ainsi j’avais raison. Eva s’est moquée de moi et de mon pauvre coeur...

- Elle a reçu un coup de téléphone de ce médecin avec lequel elle travaille...
- Le Docteur Vincent ?...
- Oui c’est ça... Le Docteur Vincent... Henri avait bien raison de ne pas vouloir de téléphone chez nous. Il disait qu’il n’apportait que de mauvaises nouvelles. Et qu’en plus, il les apportait vite. C’est moi qui ai insisté pour qu’on installe cet appareil ici. Je le regrette... Après avoir parlé avec ce médecin, Eva a fait son bagage. Elle m’a embrassée. Puis elle est partie à la gare pour prendre un train. Elle a juste eu le temps d’écrire une lettre pour vous... La voici...

Vienne regardait l’enveloppe  que lui tendait Marie. - Une lettre ? Merci Madame... Vous me permettez de la lire immédiatement ?

- Bien sûr Vienne. Je vous en prie... Je vous laisse... Vous me retrouverez dans le salon...

Restée seule, Vienne ouvrit l’enveloppe et commença la lecture


*


L’écriture était belle, fine et élégante.

Vienne ne s’en étonna pas. C’était bien l’écriture qui convenait à Eva.

Mais les phrases, couchées sur le papier bleu ciel, la firent frémir.


Ma chère Amie,
Ma très chère Amie,
J‘écris ces quelques mots pour vous dire mon regret de ne  pouvoir vous revoir avant mon départ.
Je viens d’avoir un entretien au téléphone avec le Docteur Vincent.
Il m’a demandé de partir immédiatement. Sans attendre la fin de ma permission. Je dois prendre un train sanitaire qui quitte la gare de l’Est à 13 heures.
Il m’a donné les raisons de ce retour précipité. Je ne peux pas vous les dire. Par ordre du Gouvernement, et des autorités militaires et sanitaires qui exigent un secret total.
Je peux seulement vous confier qu’un événement terrible est en train de se produire. Et que l’on a besoin de chaque médecin, de chaque infirmière...
Ma chère amie, je vous en conjure, suivez ces conseils que j’ai déjà prodigués à Marie et Henri. Tenez-vous éloignée de toute personne, homme, femme ou enfant, qui vous paraîtrait souffrir d’une grippe, d’un refroidissement, ou même d’un simple rhume. Fuyez dès que vous entendez une toux ou un éternuement... Ayez toujours des mains parfaitement propres...

Je suis obligée d’arrêter ici la rédaction de ce billet.
Je n’ai plus que quelques minutes pour jeter deux ou trois affaires dans un sac de voyage et pour me rendre à la gare...
Je ne sais pas quand nous allons nous revoir... Mais je veux que vous sachiez que je souhaite ardemment vous revoir. Je le souhaite de tout mon coeur.
Votre amie pour toujours et à jamais,
Eva


*


Vienne lisait et relisait ces quelques lignes. Il n’y avait pas de mots d’amour. Pourtant, elles étaient pleines d’une infinie tendresse. La tendresse d’une femme amoureuse...

Mais le bonheur de se savoir aimée de la femme qu’elle aimait était presque éclipsé par un sombre pressentiment.

Elle ne cessait de répéter ces mots énigmatiques Un événement terrible est en train de se produire. On a besoin de chaque médecin, de chaque infirmière...
Vienne réfléchissait à une vitesse folle et son esprit logique trouva rapidement la solution de l’énigme. Que peut-il y avoir de plus terrible que cette horrible guerre avec ses morts, ses blessés par millions ?... Elle me dit de fuir toute personne malade... Une épidémie ?...
Elle reprit la lecture du billet. “Je ne sais pas quand nous allons nous revoir”... Mon Dieu, elle a peur... Pour moi... Pour elle... Elle a peur de ne jamais me revoir... Comment ai-je pu douter d’elle ?... Je suis monstrueuse d’avoir pensé qu’elle se moquait de moi...
Vienne glissa la lettre dans sa poche.

Sa décision était prise.

Peu importait où elle était, peu importaient les risques, elle devait rejoindre Eva.


*


Elle sortit de la pièce où Marie l’avait laissée seule. Elle n’avait pas fait trois pas qu’elle rencontra Henri.

Il semblait bouleversé. Et ses yeux étaient rougis. Surpris, il bafouilla...

- Madame Brooks ? Vous êtes ici ? Bonjour...
- Bonjour Monsieur. J’avais rendez-vous avec Eva...
- Elle est partie... On lui a demandé de rejoindre un hôpital militaire près du front... Je viens de la conduire à la gare...
- Où est-elle allée ?
- Je vais vous le dire... Mais rejoignons d’abord ma femme... Venez...
Ils entrèrent dans le salon où Marie attendait.

- Henri !! Enfin !! Tu es revenu !! Tu en a mis un temps !! Le train avait du retard ??
- Non hélas... Il est parti à l’heure exacte en emportant notre chère petite Eva. Je ne suis pas rentré immédiatement parce que je suis passé par le Ministère de la Guerre... Je voulais savoir... Et j’ai obtenu les renseignements que je voulais... Ça n’a pas été facile mais j’y suis arrivé...
- Qu’as-tu appris ?...
- Depuis avril dernier, une épidémie de grippe sévit parmi les soldats entassés dans les tranchées. Tout d’abord, cela n’avait pas inquiété les autorités outre mesure car les conditions d’hygiène dans les tranchées suffisent à transformer la grippe la plus banale en maladie mortelle... Mais elle s’est répandue rapidement par le biais des mouvements des troupes... Elle fait de nombreuses victimes... La même souche sévit en Espagne. Comme ce pays n’est pas en guerre, il n’est pas soumis à la censure. Là-bas, en juin dernier, sept habitants de Madrid sur dix ont été contaminés en l’espace de trois jours. Chez nous, les autorités militaires et gouvernementales n’ont rien dit pour ne pas affoler les soldats et la population civile. Pour que l’ennemi ne sache pas que nos troupes étaient affaiblies. Des hôpitaux spéciaux ont été créés pour recevoir les malades atteints de la grippe. Eva a été appelée pour travailler dans l’un d’eux...
- Pourquoi elle ?
- Parce qu’elle est très expérimentée et parce qu’elle parle couramment anglais. Il semblerait que les régiments américains soient particulièrement atteints...
Vienne intervint - Où est cet hôpital, Monsieur ? Vous le savez ?
- Oui. Eva me l’a dit. Il est à Sainte-Ménehould. Dans la Marne...  Avant de monter dans ce train sanitaire qui allait l’emporter, elle s’est jetée à mon cou... Je l’ai serrée contre moi... Ma petite fille... Elle est seule... Toute seule au milieu de ces hommes malades et contagieux...
Accablé, la tête basse, il se laissa tomber dans un canapé. Marie vint s’asseoir près de lui et posa sa main sur son épaule.

- Que peut-on faire Henri ? Tu ne peux pas faire jouer tes relations pour qu’elle revienne ici ?
- Tu sais très bien qu’Eva ne voudra jamais bénéficier de ce genre de passe-droit... Nous ne pouvons rien faire... Sinon prier pour elle...
- Il y a autre chose à faire !!
- Et quoi donc Vienne ?...
- La rejoindre et l’aider... Je vais le faire... Je vais partir aujourd’hui même...


*


Vienne roulait depuis des heures.

Seuls deux cents kilomètres séparent Paris de Sainte-Ménehould. Autant dire rien. Mais les obstacles étaient nombreux sur le chemin qui la menait vers Eva. Des obstacles qui retardaient leurs retrouvailles.

Elle avait pris sa motocyclette rouge aux larges pneus blancs. Elle avait revêtu son uniforme d’aviateur. Elle avait jeté son sac, qui contenait quelques objets indispensables, dans le side-car.

A présent, elle suivait le chemin qui lui semblait le plus court. Mais c'était aussi le plus fréquenté. Elle ne cessait de doubler de longues files de camions qui menaient les soldats vers de nouveaux combats.

Elle en croisait d'autres qui ramenaient des soldats blessés.

Et ces camions, sur lesquels une croix blanche était peinte, étaient comme un rappel lancinant du danger qui guettait Eva.


*


Vienne était inquiète.

Et elle était en colère. Elle n'avait pas pu quitter Paris aussi vite qu'elle l'avait espéré.

Elle avait dû obtenir l'autorisation du Général qui commandait son escadrille. A défaut, elle aurait été considérée comme déserteur.

Elle avait aussi dû obtenir le laisser-passer indispensable pour se rendre à Sainte-Ménehould et pénétrer dans la ville.

Car l'endroit était stratégique. Et on ne pouvait pas y entrer sans s'y être autorisé.

Les troupes allemandes avaient occupé la ville dans les toutes premières semaines du conflit.

Libérée, elle était devenue ville de guerre. Le poste de commandement d’une partie de l’armée française, mais aussi  un noeud ferroviaire et, à présent que la guerre avait duré quatre longues années, un vaste centre sanitaire.

Plus de cinquante lieux de soins s'y trouvaient. Hôpitaux, hospices, écoles transformées en cliniques. On y regroupait les blessés. Puis des médecins faisaient une sélection entre ceux qui pouvaient être sauvés et les autres, les intransportables.

Les premiers embarquaient sur des trains sanitaires à destination de villes où ils pourraient être soignés dans des hôpitaux spécialisés. Les seconds, que le personnel hospitalier assistait jusqu'à leur mort, étaient enterrés dans les cimetières qui entouraient Sainte-Ménehould.

Les infirmières étaient indispensables. Elles étaient partout. Dans ces lieux de soins et de mort. Dans ces trains où elles aidaient les blessés et les malades.

Tout cela, Vienne l'avait appris grâce à Henri qui avait fait le siège des ministères pour lui obtenir le laisser-passer qui lui permettrait de rejoindre Eva.

Il avait fait tout son possible pour l'obtenir rapidement. Mais il avait fallu attendre deux longs jours avant que le précieux papier soit signé.

Deux jours pendant lesquels, cent fois, Vienne avait eu envie de se jeter sur la route sans attendre plus longtemps ce document hypothétique.


*


A présent, elle roulait. Sans se soucier des cahots du sol défoncé. Mais ce voyage n'en finissait pas. Car elle devait souvent s'arrêter pour laisser passer un train qui coupait la route.

Elle voyait des hommes harassés marchant sur les bas-côtés, pliant sous le lourd paquetage et le fusil, engoncés dans la tunique bleue si chaude par ce soleil des premiers jours de septembre. Certains étaient des hommes mûrs, à la barbe fournie, d'autres n'avaient guère plus de vingt ans.




Mais malgré leur épuisement, ils marchaient toujours car l'espoir avait changé de camp. Depuis ces jours de juillet, quand la dernière offensive allemande s'était brisée sur le mur des forces alliées.

Depuis qu'au mois d'août, lors d'une conférence organisée à Spa, les principaux chefs militaires du Kaiser et de l'Empereur d'Autriche-Hongrie avaient expliqué à leurs souverains qu'ils ne croyaient plus à la possibilité d'une victoire.

Alors, les soldats alliés marchaient vers le front avec la certitude que, dans quelques semaines, ce cauchemar, qui durait depuis quatre ans, serait bientôt terminé et qu'il se terminerait par leur triomphe.


*


Vienne était proche de Sainte-Ménehould. Elle n'avait plus qu'une vingtaine de kilomètres à parcourir.

Elle imaginait déjà la surprise d'Eva quand elle la reverrait. Elle espérait qu'elle en serait heureuse. Et qu'elle laisserait libre cours à sa joie et à son désir.

Elle, elle savait bien qu'elle ne pourrait pas se contenir. Elle savait qu'elle aurait beaucoup de mal à se retenir de faire les gestes dont elle rêvait depuis des semaines. Depuis la première minute où elle l'avait vue.

Cette fois-ci, elle n'attendrait pas. Elle ne laisserait pas échapper l'occasion de l'aimer. Car elle savait que la vie pouvait, à tout moment, reprendre ce qu'elle avait donné.

Son coeur était si plein d'espoir, que Vienne en avait oublié les fatigues du voyage. Elle se laissait bercer par le ronronnement du moteur de la motocyclette et par ses rêves d'amour.


*


Soudain, alors que son esprit était si éloigné des réalités de la guerre, une formidable explosion retentit.

La surprise fut telle que Vienne freina brusquement et que la motocyclette fit une embardée.

Effrayée, elle regarda autour d'elle. Au loin, elle vit un panache de fumée.

Des dizaines de soldats couraient en direction de ce nuage qui planait, menaçant, au-dessus de la plaine.

Elle remit sa moto en route et se dirigea vers le lieu de l'explosion afin d'apporter son aide.

Au fur et à mesure qu'elle approchait, elle découvrait une ligne de chemin de fer qui disparaissait sous un tunnel creusé dans une petite colline.

Horrifiée, elle vit les deux derniers wagons d'un train, couchés, renversés. Des hommes en sortaient en titubant. Il s’écroulaient blessés, et rampaient dans l'herbe, suppliant qu'on vienne les aider.

Elle vit alors que la tête et le corps du train étaient restés sous le tunnel d'où sortait l'épais rideau de fumée.

Elle comprit immédiatement que le train avait déraillé et que les wagons et leurs occupants étaient prisonniers du tunnel.

Quand elle fut si près qu'il ne lui était plus possible de continuer à motocyclette, elle l'arrêta et continua en courant.

Elle savait que chaque minute comptait. Qu'il suffisait d'une seconde pour sauver la vie d'un homme.

Mais, alors qu’elle n’était plus qu'à quelques dizaines de mètres du train, elle se heurta à un cordon de militaires qui barrait le passage.

Un sergent hurlait des ordres - N’avancez pas !! Reculez !! Ça peut encore exploser !! Laissez passer les brancardiers !! Uniquement !!
Elle s’adressa à lui en hurlant à son tour - Je suis le lieutenant Vienne Brooks !! J'ai un laisser-passer !!
- Je suis désolé mon Lieutenant !! Mais vous devez obéir aux ordres ! Les Allemands ont miné le tunnel ! Les charges de dynamite ont explosé au passage d'un train sanitaire. Le tunnel peut s'écrouler d'une minute à l'autre... et engloutir les secouristes...
Vienne eut l’impression de le sol se dérobait sous ses pieds. Elle répondit d’une voix blanche, déformée par la peur - Un train sanitaire ?... Vous... vous en êtes sûr ?...
- Certain, mon Lieutenant... C'est un convoi de soldats américains. Des malades que l'on expédiait dans une autre ville... Les pauvres types...
- Des malades ? Des malades de la grippe ? articula Vienne.

Le sergent la regarda avec étonnement. - Je suis désolé, mon Lieutenant... Je ne peux pas vous en dire plus... Je vous en prie, reculez maintenant. Laissez passer les secours...
- Répondez-moi Sergent !! C’est un ordre !!
Le soldat lui répondit en murmurant de façon à n’être entendu que d’elle - Oui mon Lieutenant... C’est ça. C’est bien ça... Ils avaient la grippe... Écartez-vous à présent... Vous ne pouvez rien faire pour eux...


*

Vienne obéit et recula de quelques pas.

Elle était comme assommée. Elle avait l’impression qu’on l’avait privée d’air et qu’elle s’asphyxait.

Son coeur était lourd comme une pierre et elle pensa qu’elle allait s’évanouir.

Elle resta hébétée pendant quelques longues secondes, incapable de réagir parce qu’une seule idée habitait son cerveau. Eva est dans ce train... Elle est dans ce tunnel...

Elle vit que des hommes avaient passé le cordon de protection et qu’ils entraient dans le tunnel.

Certains en sortaient déjà en portant des corps sur leur dos.

Alors elle se réveilla de sa torpeur désespérée. Je dois la retrouver... Je dois la sauver... Elle se jeta en avant.

Elle bouscula un jeune soldat qui tentait de l’empêcher de passer et elle se mit à courir au milieu des secouristes.

Enfin, elle fut près du tunnel. Sans hésiter, elle pénétra dans le dernier wagon couché.

Se tenant aux parois du couloir, elle passa d’un compartiment à l’autre. Les couchettes étaient renversées. Il régnait un désordre indescriptible. Une forte odeur d’éther la saisit à la gorge. Elle sut qu’elle ne pourrait pas rester longtemps dans ce lieu empoisonné.

Elle chercha un corps. Mais le wagon était déjà vide. Ses occupants l’avaient fui. Elle passa au second wagon. Mais elle savait déjà qu’elle n’y trouverait personne.

Elle sortit et elle avançait déjà vers l’intérieur du tunnel quand un robuste soldat la retint par le bras.

- N’y allez pas, mon Lieutenant !! Ça va s’écrouler d’une seconde à l’autre !! Le plafond est sur le point de se rompre !!!

Elle tenta de lui échapper en hurlant - Laissez-moi soldat !! Laissez-moi !!
Mais il la retenait toujours. Alors elle pensa le frapper pour qu’il la lâche.

C’est à ce moment que plusieurs hommes sortirent du tunnel en hurlant - La paroi est en train de céder !! Fuyez !!! Ça va s’effondrer !!!

Le soldat entraîna Vienne qui se débattait toujours.

Un craquement lugubre se fit entendre et le plafond du tunnel s’effondra, projetant un gigantesque nuage de poussière.

Puis le silence succéda à ce déchaînement brutal. Un silence mortel.

Le soldat desserra son étreinte, libérant Vienne. La jeune femme tomba à genou, le corps secoué de sanglots. Elle assistait impuissante au drame de sa vie.

Une seule idée occupait son esprit. Le train est enseveli sous les tonnes de pierres de la colline. Il est devenu la tombe de ses malheureux passagers... La tombe d’Eva...


*



Déjà des soldats s’approchaient du tunnel effondré. Mais ils n’osaient pas avancer plus avant.

Ils parlaient entre eux - Attention c’est dangereux !! Il faudrait consolider la paroi en l’étayant !! Comme pour une mine !! Il faudra des semaines, des mois pour le déblayer !! On ne va retrouver que des cadavres !!
Vienne ne bougeait pas. Elle avait baissé la tête. Ses épaules s’étaient arrondies et fléchissaient sous le poids de son désespoir.

Le soldat, qui lui avait sauvé la vie en l’empêchant de s’engouffrer dans le tunnel, se tenait près d’elle.

Il la regarda mieux.

Il reconnut les insignes de lieutenant américain et les ailes accrochées au col de sa veste.

Il était étonné. Une femme ! Cet officier à l’uniforme beige et aux souples bottes de cuir était une femme !! Et plus surprenant encore, c’était une aviatrice !!




Il pensait qu’une telle femme devait avoir une énergie et un courage à toute épreuve pour avoir obtenu le droit de porter un uniforme et des galons d’officier. Et celui de piloter un avion.

Il vit qu’elle était désespérée. Pourtant, elle ne pleurait pas. Sa douleur était muette. Elle n’en était pas moins tragique.

Alors, maladroitement, il voulut tenter de partager sa peine. - Vous aviez un ami dans ce train mon Lieutenant ? Un fiancé ? Un mari ?
Vienne tourna la tête vers lui. Il était gentil. Il lui avait sauvé la vie... Mais elle ne savait pas quoi lui répondre... Elle ne pouvait pas lui dire que la femme qu’elle aimait était dans ce train... Alors, elle mentit. - Oui, c’est ça... mon fiancé...
- Vous savez, mon Lieutenant... il y a beaucoup de trains sanitaires qui quittent Sainte-Ménehould... Vous êtes sûre qu’il était dans celui-ci ? Et puis... des hommes ont réussi à s’enfuir... Vous devriez chercher au milieu des rescapés...
Vienne n’osa pas lui dire que ses tentatives pour la rassurer étaient inutiles. Alors elle répondit - Oui... Merci Soldat... Vous avez raison... Je ne dois pas perdre espoir... Merci pour tout... Merci de m’avoir sauvée...
Elle se leva et, le remerciant d’un sourire timide, elle se dirigea vers les quelques hommes qui avaient réussi à quitter le train avant que le tunnel ne l’engloutisse.


*


Elle marchait au milieu d’eux.

C’étaient bien des soldats américains. Certains avaient été blessés quand le train avait déraillé.

Ils étaient couchés à même le sol. Les secouristes étaient penchés sur eux et leur donnaient les premiers soins.

Elle s’approcha de l’un d’eux. Bien qu’affaibli, il semblait capable de parler. Elle s’adressa à lui en anglais - Soldat... Comment allez-vous ?
- Ça va mon Lieutenant... J’ai réussi à m’en sortir parce que j’étais en queue du train... Mes camarades, qui étaient en tête, n’ont pas eu autant de chance...
- Vous pouvez répondre à mes questions ?
- Bien sûr mon Lieutenant...

- Pourquoi étiez-vous dans ce train ? Vous avez la grippe ?
- Oui mon Lieutenant... On avait tous la grippe... On nous déplaçait vers un hôpital à l’arrière...
- Avez-vous vu une jeune infirmière dans le train ? Brune aux yeux bleus... Très belle...

- Je ne peux pas vous répondre mon Lieutenant. Ce sont des brancardiers qui m’ont installé dans le train à Sainte-Ménehould. Je dormais à moitié... Je n’ai pas vu les infirmières...
- Mais il y avait des infirmières dans ce train ?
- Ça c’est sûr qu’il y en avait... Il y en a toujours... Mais je ne peux pas vous en dire plus... Peut-être qu’à Sainte-Ménehould, ils pourront vous dire qui était dans ce train...
- Oui. Vous avez raison... Merci Soldat... Prenez soin de vous...
- Merci mon Lieutenant... Vous aussi...
La seule chose à faire était d’aller dans cette ville. Dans l’hôpital où Eva avait travaillé. Vienne savait que c’est là qu’elle aurait les réponses à ses questions.

Mais elle n’avait aucun espoir.

Parce que la mission d’Eva était de soigner les soldats américains malades de la grippe.

Et que la place d’Eva était dans ce train.


*


Vienne avait repris la route de Sainte-Ménehould.

Elle s’était arrachée avec peine à ce tunnel. Parce qu’elle avait l’impression d’y abandonner Eva.

Mais elle ne pouvait rien faire de plus dans ce lieu de mort. Il était impossible de déplacer les blocs de pierre à mains nues.

Les hommes du Génie, les ingénieurs de l’armée étaient déjà sur place pour examiner le tunnel. Dégager le train serait un travail de titan. Qui prendrait des mois.

Leur première tâche était de détourner la voie ferrée pour éviter le tunnel. Car il fallait que les trains continuent à circuler. Pour poursuivre l’effort de guerre. Pour amener de nouveaux soldats. Pour emporter de nouveaux blessés...

Telle était la loi de la guerre. Continuer. Jusqu’à la victoire finale...

Qu’étaient quelques centaines de morts et de blessés de plus ? Alors qu’il y en avait déjà tant ?

Mais pour Vienne la différence était énorme.

Parce que parmi ces morts, à présent, il y avait Eva...


*


Au fur et à mesure qu’elle roulait vers Sainte-Ménehould, son désespoir faisait place à la colère.

Ce qu’elle voyait la mettait en rage.

Elle voyait les terribles ravages sur cette terre de France qu’elle aimait tant.

Elle traversait des villages qui n’existaient plus.

Elle savait que sur la ligne des combats, de la Mer du Nord à la Suisse, sur huit cents kilomètres de long et vingt kilomètres de large, les forêts avaient disparu. Les terres cultivées étaient dévastées, encombrées de ferrailles et d’obus. Des centaines de milliers de corps y étaient ensevelis qu’il faudrait exhumer pour leur donner une sépulture digne.

Elle savait que depuis quatre ans, les Allemands avaient pratiqué un véritable pillage des départements qu’ils avaient occupés.

Et maintenant que leurs armées se repliaient, ils détruisaient tout ce qu’ils n’avaient pas déménagé chez eux. Ils inondaient les mines de charbon et de fer, saccageaient les hauts-fourneaux, dynamitaient les usines, détruisaient les ponts et les tunnels...

Elle savait que la totalité du potentiel industriel du département du Nord avait été pillé ou détruit par les Allemands.


*


Jusqu’à présent elle s’était toujours battue sans éprouver de haine parce qu’elle pensait que le soldat allemand comme le soldat français, anglais ou américain, n’était qu’un pion sur l’échiquier des ambitions politiques de ses chefs.

Mais à présent que la femme qu’elle aimait était morte, elle laissait la haine envahir son coeur...

Elle pensait aux premiers jours de la guerre quand l’Allemagne n’avait pas hésité à violer la neutralité du Luxembourg et de la Belgique en envahissant ces pays qui ne pouvaient pas lui résister.

Elle pensait à ces habitants des villages de Wallonie, fusillés par des pelotons d’exécution allemands sans autres forme de procès, en vertu des lois de la guerre qui offrent aux vainqueurs droit de vie et de mort sur le vaincu.




Elle pensait à ce jour d’avril 1915 quand les Allemands, en violation des accords internationaux, avaient bombardé les tranchés situées au nord d‘Ypres, en Belgique, avec des gaz de combats.

Elles pensait aux habitants des zones occupées condamnés à mort pour avoir tenter de résister.

Les Allemands voulaient gagner cette guerre. Vite. Avant que le blocus décidé par les alliés ne les affame. Par tous les moyens. Pillages, massacres, prises d’otages, boucliers humains, viols parfois... Peu importaient les traités qui garantissaient le respect des populations civiles, qui interdisaient l’utilisation des gaz toxiques...

Mais cette brutalité expéditive avait eu des effets contraires. Elle avait soulevé l’indignation du monde contre la “barbarie allemande”.

Et elle avait encouragé des hommes, des femmes, de tous les pays, à venir en France pour l’aider à gagner cette guerre.




*


A présent, les sentiments de Vienne n’étaient plus que haine et vengeance.

Elle en voulait aux soldats allemands d’obéir à ces ordres iniques. Elle en voulait au peuple allemand de ne pas se révolter contre leur empereur tyrannique et mégalomane...

Que lui importait de vivre maintenant qu’Eva n’était plus...

Elle allait la rejoindre. Mais elle ne se contenterait pas d’un suicide. D’une balle tirée dans le coeur...

Elle était décidée à mourir aux commandes de son avion. Après avoir jeté  une bombe sur une ville allemande.


*


Vienne roulait toujours.

Elle n’était plus qu’à quelques kilomètres de Sainte-Ménehould.

Elle était brisée de fatigue. Son corps, son coeur étaient douloureux.

Mais elle voulait tenir bon. Et elle puisait dans sa haine toute neuve l’énergie d’avancer encore...

Soudain, elle ne vit plus la route poudreuse car la pluie ruisselait sur son visage.

Elle s’arrêta sur le bas-côté. Et elle comprit. Il ne pleuvait pas. Des larmes coulaient sur ses joues.

Elle quitta sa motocyclette et tomba assise dans l’herbe. Elle ramena ses jambes contre elle et posa son front sur ses genoux.

Et elle pleura. Elle pleura toutes les larmes qu’elle avait retenues. A la mort de ses parents. A la mort de son frère Mike.

Elle pleura la disparition d’Eva qui était comme l’ultime coup qu’elle avait reçu du destin. Le plus dur. Parce qu’avec Eva elle avait cru pouvoir tout construire...

Elle se rendait compte combien elle avait perdu en la perdant. Non seulement l’amour et le désir. Le présent et l’avenir.

Mais aussi sa part d’humanité.

Elle songeait, avec horreur, qu’elle avait envisagé de tuer des hommes, des femmes, des enfants pour la simple raison qu’ils étaient Allemands...

Par la faute de quelques brutes, qui s’étaient comportées avec violence et lâcheté, et de leur souverain, elle en avait oublié les multiples merveilles de la culture allemande. Comme ce chef d’oeuvre de Thomas Mann, les Buddenbrook, qu’elle avait pourtant lu avec fascination quelques semaines auparavant.

De quel droit se permettait-elle de juger ? Elle qui venait d’un pays où les tribus indiennes avaient pratiquement disparu par l'effet d’une politique de conquête qui ne laissait aucune chance aux premiers habitants de l’Amérique ?

Et depuis qu’elle combattait, elle avait vu le peu de cas que certains généraux français faisaient de la vie de leurs hommes. Les précipitant dans des assauts inutiles où ils perdaient la vie par milliers. Pour tenter de reprendre à l’ennemi une colline, un champ. Parfois, pour quelques mètres à peine.

Alors qu’elle n’avait jamais tué, elle avait voulu commettre cette chose monstrueuse. Provoquer la mort pour venger une jeune femme qui n’était que beauté et bonté...

Elle ne se reconnaissait plus. Elle avait perdu la femme qu’elle aimait. Elle était en train de perdre son âme et le respect de soi. En éprouvant cette haine qu’elle n’avait pas ressentie au moment de la disparition de son frère.

Elle se dit qu’elle ne devait pas haïr à cause de la mort d’Eva parce que ce serait comme la tuer une seconde fois.

Elle ne devait pas laisser la haine envahir son coeur car alors Eva n’y aurait plus toute la place.

Elle essuya ses larmes d’un revers de la main, enfourcha sa motocyclette et reprit la route pour Saint-Ménehould.


*


La circulation dans la petite ville de la Marne était dense.

Même si une grande partie de ses habitants l’avait fuie aux débuts des combats quand la ville avait été envahie par les uhlans, quand elle avait été bombardée au canon puis par les avions et les zeppelins, une intense activité y régnait toujours.

Il y avait des centaines de véhicules militaires car, à vol d’oiseau, les fronts d’Argonne et de Champagne étaient tout proches.

De nombreuses ambulances, car la ville était dotée d’un hôpital d’évacuation où le tri des blessés était effectué.

En entrant dans la ville, Vienne avait vu les multiples voies ferrées qui s’entrelaçaient et qui partaient en direction du sud, du nord et de l’ouest.

Elle avait vu les longs quais sur lesquels des dizaines de milliers d’hommes avaient débarqué pour rejoindre la zone des combats.


*


Elle avait du mal à se frayer un chemin et son side-car l’empêchait de se faufiler au milieu des véhicules.

Mais bientôt, elle vit trois soldats qui lui firent signe de s’arrêter. Elle obéit. Ils la regardaient avec cet étonnement auquel elle avait fini par s’habituer après ces mois de guerre. Sa motocyclette rouge, son uniforme, ses galons. Tout chez cette femme les étonnait.

L’un d’eux leva la main à son képi en un salut militaire - Bonjour mon Lieutenant. Je suis désolé mais vous ne pouvez pas entrer dans la ville sans autorisation ou sans un ordre de mission...
- Je le sais Caporal. Voici mon laisser-passer...
Après l’avoir lu rapidement, le soldat reprit la parole - Très bien mon Lieutenant. Il est en règle. Allez-y...
- Caporal... Dites-moi où se trouve l’hôpital où sont soignés les soldats américains...
- Les soldats américains ? Il vaut mieux ne pas y aller mon Lieutenant... On a organisé une sorte de quarantaine autour d’eux. Et puis, ils ont été évacués vers l’arrière... Un train sanitaire est parti il y a quelques heures déjà...
Vienne sentit un douloureux pincement au coeur à l’évocation de ce train qu’elle avait vu être avalé par la colline. Comme ce soldat lui faisait mal... Mais elle se tut et reprit ses questions. - Je dois y aller Caporal... Je cherche une personne en particulier...
- On ne vous laissera pas entrer mon Lieutenant... Allez plutôt à l’hôpital d’évacuation. Ils devraient pouvoir vous renseigner... C’est là que se trouvent les services du médecin-inspecteur général...
- Merci Caporal... Au revoir...
- Au revoir mon Lieutenant... Et bonne chance...
Ils la regardèrent partir sur sa moto rouge. L’un d’eux murmura. - Ces Américains ne font rien comme nous... Ils enrôlent des femmes dans leurs escadrilles d’aviation...


*


La nuit commençait à tomber alors qu’elle errait dans la ville.

Enfin, elle avait réussi à trouver le fameux hôpital de tri. La bâtisse était vaste. De nombreuses salles avec, partout, des lits où des hommes blessés attendaient.

Son coeur se mettait à battre dès qu’elle apercevait un voile d’infirmière.

Après de longues minutes d’attente, elle fut enfin reçue par le médecin.

Mais face à lui, elle fut prise de cette peur qu’elle identifia immédiatement. Elle avait tellement peur qu’il lui confirme ce qu’elle savait déjà.

Alors, elle resta silencieuse. Ce fut lui qui l’interrogea.

- Et bien Lieutenant ? Vous vouliez me voir ? Faites vite... J’ai du travail qui m’attend...
- Je cherche une infirmière... Elle s’appelle Eva d’Uberville-West. Je sais qu’elle soigne des soldats américains...
- Des soldats américains ? Mais Lieutenant, vous vous trompez d’interlocuteur... C'est à vos compatriotes que vous devez vous adresser...
- Madame d’Uberville travaillait pour l’armée française, il y a quelques semaines encore...
- Elle est française ?
- Anglaise. Mariée à un soldat français, mort au combat. C’est pour lui qu’elle a voulu soigner des soldats français.
- Je vois... Les Américains ont leur propres infirmières... Mais il est possible que Madame d’Uberville ait été affectée temporairement à leur service de santé... Ils ont un gros problème de contamination... Je vais me renseigner Lieutenant... Mais ça va demander un peu de temps. Et il est déjà tard. Dans l’immédiat, je vous conseille de prendre du repos. Vous semblez épuisée... Tenez... allez à cette adresse. C’est une grosse maison. Presque un château... Elle a été réquisitionnée pour y héberger le personnel médical. On vous donnera un lit. Revenez demain... Bonne nuit Lieutenant...
Il n’avait pas laissé à Vienne le loisir de lui poser d’autres questions. Il avait trop à faire. Et la vie de tant d’hommes dépendait de lui.
Alors elle lui obéit et quitta la pièce.


*


Elle trouva la maison, presque un château, que le médecin-chef lui avait indiquée. La demeure était grande en effet. Un peu à l’écart du centre de la ville. Elle était enserrée dans de hauts murs. Un petit parc l’entourait.

Vienne franchit la porte double en fer forgé.

Elle arrêta sa motocyclette et la gara devant la maison.
Quelques minutes plus tard, elle entrait dans une petite chambre chichement meublée. Un lit en fer, une chaise devant une table. C’était tout.
Elle se laissa tomber sur la chaise. Renversa la tête en arrière sur le dossier. Elle n’en pouvait plus... Elle se demanda comment elle avait pu tenir... Quelle force l’avait poussée à avancer encore.

Mais maintenant, elle ne le pouvait plus. Ses membres étaient douloureux. La fatigue, les émotions avaient pris le dessus.

Elle resta assise. Elle n’avait plus la force de se jeter sur le lit.

Elle ferma les yeux pour mieux laisser le sommeil l’engloutir.

Les paupières à peine closes, elle sentit des larmes couler sur ses joues et elle se mit à gémir.

Elle pensa Mon Dieu, toute une vie sans elle... Toute une vie sans Eva... Je ne pourrai jamais... Je n’en aurai jamais le courage... Pourquoi me l’avoir fait connaître, si c’était pour me la reprendre aussitôt ?... Pourquoi ? C’est tellement dur maintenant de vivre... Maintenant que j’ai trouvé mon idéal et qu’il m’a été repris...

La fatigue et le chagrin se mêlaient. Et Vienne se sentait glisser doucement vers le néant du sommeil. Un néant apaisant. Jusqu’au lendemain.

Un sommeil où, peut-être, elle pourrait rejoindre Eva. La toucher. Et l’aimer.

Déjà, elle sentait la caresse d’une main sur sa joue. Le contact de lèvres douces sur les siennes.

Elle ouvrit les yeux et vit d’autres yeux. Si bleus. Et un visage penché sur le sien. Si beau.

Eva.


*


Elle savait que ce visage n’était qu’un mirage. Un espoir fou qui avait fini par habiter ses rêves.

Elle comprit que ce serait là l’unique consolation à son chagrin.

Chaque nuit, elle retrouverait Eva.

Elles resteraient ensemble dans le nid chaud du sommeil comme au creux d’un lit. Et elles ne seraient séparées qu’au petit matin, quand les lueurs du jour chasseraient ses songes et le fantôme de sa douce amie.

Ensuite, chaque jour serait un jour de solitude. A attendre que la nuit revienne et, avec elle, sa merveilleuse amante.

Ainsi, elle ne vivrait que la moitié de sa vie. Jusqu’au moment où elle finirait pas la rejoindre. Pour l’éternité.


*


Les lèvres douces avaient quitté ses lèvres pour glisser sur sa joue en un léger frôlement.

Puis le contact se brisa et elle eut mal car son rêve s’estompait déjà...

Elle entendit une voix.

- Vienne... pourquoi pleurez-vous ?
- Parce que vous êtes morte Eva... Et que j’en crève à petit feu...

Un joli rire lui répondit.

- Morte ??? Quelle idée !!! Je suis bien vivante et... je vais vous le prouver...
Vienne sentit qu’une main emprisonnait sa nuque alors que l’autre se posait sur son épaule.

La bouche d’Eva pris possession de la sienne en un baiser impérieux. Il n’avait rien de désincarné ou de fantomatique. Ce n’était pas le baiser d’un songe mais celui d’un être de chair et de sang.

Il n’avait rien d’inexpérimenté ou de chaste. C’était le baiser d’une femme sûre de son désir.

Vienne crut que son coeur allait exploser de joie. Car, enfin, elle avait compris. Ô mon Dieu... Je ne rêve pas. Eva est vivante... Vivante...

Alors elle répondit au baiser avec ardeur. Elle avait une telle faim...

Elle referma ses bras sur le corps chaud qui se pressait contre le sien. Elle souleva Eva et la porta jusqu’au lit.


*


Elle se mit à genoux devant elle.

Elle glissa ses mains sous la jupe. Puis, doucement, du bout des doigts, elle suivit la courbe des mollets et le galbe des cuisses.

Bientôt elle toucha les jarretières qui retenaient les bas. Elle les retira sans précipitation. Puis elle fit glisser lentement les bas le long des jambes.

Elle mourait d’envie d’arracher ces vêtements. Mais elle craignait que l’impétuosité de son désir ne choque son amante.

Eva regardait Vienne, prosternée à ses pieds. Elle avait laissé sa main sur sa tête. Elle serrait les courts cheveux bruns dans son poing.

Soudain, elle éprouva le violent besoin de sentir ses lèvres sur son corps. Ce besoin la brûlait. Elle les voulait tout de suite. Sans plus attendre.  Alors, elle jeta sa cape bleue au sol.

Elle se fit implorante, adoptant naturellement le tutoiement. - Ma chérie... Je t’en prie... Je ne peux pas t’attendre plus longtemps...

Obéissante, Vienne défit la ceinture, retira la jupe et le jupon de coton alors qu’Eva, fébrile, déboutonnait son chemisier blanc.

Bientôt elle parut vêtue du corset qui enserrait sa taille et son buste.

Vienne dénoua le lien qui fermait cette camisole. Elle s’ouvrit, libérant le ventre plat, les petits seins ronds et fermes.

Ils étaient comme deux jolies pommes que Vienne avait envie de mordiller.

Elle les saisit dans les coupes de ses mains et en caressa les mamelons jusqu’à ce qu’ils durcissent sous ses doigts.

Eva se mit à gémir doucement - Ma chérie, viens... maintenant...

Vienne abandonna la jolie poitrine.

Elle posa les mains sur la culotte de coton blanc.

Elle fut émue par la simplicité de la lingerie d’Eva. La jeune infirmière ne portait pas de dentelles comme elle en avait tant froissées sur d’autres amantes.

Et cette simplicité exacerba son désir.

Mais elle ne voulait rien précipiter car elle savait que le plaisir se gagne aussi par le regard. Et elle voulait voir. Elle voulait jouir de la vue du corps de sa maîtresse.

Lentement, elle retira la culotte et découvrit le mont de Vénus. Elle posa sa main sur la  délicate petite colline dont elle caressa les soies.

Elle sentait la chair tendre palpiter sous ses doigts. Eva se donnait sans pudeur. Sans retenue.

Alors Vienne posa sa bouche sur les lèvres offertes.


*


Elles étaient nues, blotties l’une contre l’autre. Dans le lit étroit où elles s’étaient aimées.

Eva avait posé sa tête sur la poitrine de Vienne qui caressait ses longues boucles brunes.

Elles n’avaient pas souvenir d’avoir jamais été aussi bien. Ou alors quand elles s’étaient rencontrées pour la première fois. Ou encore cette autre fois dans le bois de Boulogne ou celle dans les jardins de Claude Monet.

Et à chacun de ces instants, elles étaient ensemble. Elles savaient que leur vie prenait une autre saveur quand elles étaient ensemble.

Pourtant Vienne soupira - Pour notre première fois... je rêvais d’un grand lit... D’un paysage magnifique... D’une bouteille de Champagne dans un seau à glace...
- Et nous n’avons eu que ce petit lit en fer... Qui grince horriblement et dont tu as failli tomber répondit Eva en riant. Pourtant, c’était merveilleux ma chérie... Je n’aurais pas voulu autre chose...  Tout était parfait...
- Vraiment ? Même quand tu t’es cognée la tête contre le mur ? répliqua Vienne en riant elle aussi.

- Ce n’est rien... Pas même une bosse. D’ailleurs je n’ai rien senti. J’éprouvais tant d’autres choses... Ce délicieux frisson du plaisir...
Eva ne termina pas sa phrase qui n’en avait pas besoin.

Elles restèrent silencieuses, repensant à ces moments qu’elles avaient vécus quelques minutes auparavant.

Mais Eva murmura. - Vienne, je voudrais te poser une question...
- Toutes les questions que tu voudras ma chérie... Je t’écoute...
- Voilà... Je n’ai pas été trop... enfin, je veux dire... tu ne regrettes pas Tamara... ou d’autres ?..
- Ma chérie... J’ai beaucoup d’affection pour Tamara. C’est une merveilleuse amie. Et certaines autres sont restées chères à mon coeur... Mais tu les éclipses toutes. Elles sont comme la lune quand le soleil est apparu. On ne la voit plus... Tu es mon soleil... Je ne vois plus les autres femmes. Je ne les désire plus...
- Je voulais dire...
- Je sais parfaitement ce que tu voulais dire. Tu pensais à ton... inexpérience... Et bien moi, je t’ai trouvée très savante au contraire...
Elles éclatèrent de rire et se serrèrent l’une contre l’autre, plus étroitement encore.


*


Mais Eva avait encore de multiples questions à poser. - Par quel miracle es-tu à Sainte-Ménehould ? Quand j’ai vu ta motocyclette rouge devant la maison où je viens dormir après mon service auprès des blessés, j’ai cru que j’avais une hallucination... Tu as un ordre de mission ?
- Henri a fait le siège du Ministère de la Guerre pour m’obtenir un laisser-passer... La seule raison de ma venue ici c’est toi ma chérie... Quand j’ai lu ta lettre, j’ai pris la décision de te rejoindre... Je ne voulais pas te laisser seule au milieu de ces hommes malades...
- Mais pourquoi m’as-tu crue morte ?
- En arrivant près de Sainte-Ménehould, j’ai croisé un train. Il avait déraillé sous un tunnel que les Allemands avaient saboté et qui s’était écroulé sur lui. Il n’y avait pratiquement aucun survivant... C’était un train sanitaire qui transportait des soldats américains malades de la grippe... Henri a appris que tu avais reçu l’ordre de soigner des soldats américains... Alors j’ai cru...
- Tu as cru que j’étais dans ce train...
- Oui... Je ne pourrai jamais décrire ce que j’ai ressenti quand j’ai cru que je t’avais perdue... J’ai voulu mourir à mon tour... J’ai aussi voulu venger ta mort. J’ai pensé à des folies... Comme jeter une bombe sur une ville allemande...
- Vienne... Quelle idée !! Les Allemands sont comme les autres nations... Ils sont dépassés par ces horreurs... Ils font sauter ponts et tunnels pour ralentir les armées alliées qui vont bientôt entrer en Allemagne... A leur place, on ferait comme eux...
- Je le sais... Mais imagine ce que j’ai pu ressentir... Je t’ai vue prise au piège de ces tonnes de pierres. Ton beau visage, ton corps écrasés... J’étais désespérée... J’ai détesté ces Allemands... Ils m’avaient déjà pris mon frère et tant d’amis... Toi maintenant... J’ai eu des envies de meurtres...
- Je comprends Vienne... Je te comprends tellement. Il y a quelques mois, le Docteur Vincent m’a donné l’ordre de rejoindre une école dans un village que ses habitants avaient abandonné. Je devais la préparer pour recevoir trois cents blessés. Il m’avait choisie pour mon expérience... et aussi parce qu’il pensait que j’étais suffisamment forte pour accepter de soigner des... prisonniers de guerre allemands... J’ai éprouvé un sentiment de répulsion et de haine. Ils avaient tué Paul, estropié Roger à vie. Sans parler du reste. J’ai demandé au Docteur Vincent de me dispenser de cette mission. Il a refusé. Il m’a dit que toutes les femmes de France avait perdu un mari ou un frère, un cousin ou un ami. Que la Convention de Genève nous obligeait à soigner tous les blessés, quelque soit leur patrie d’origine... Alors, j’ai obéi...
- Tu as dû masquer tes sentiments...
- Au début oui... Et puis, petit à petit, je me suis rendue compte que c’étaient de gentils garçons, jetés dans un conflit qui les écrasaient. Un blessé n’est plus un soldat qui se bat pour sa patrie. C’est simplement un homme qui souffre. Pour eux, j’étais comme une mère, une soeur... Alors je les ai soignés avec dévouement. Mais je n’ai jamais dit à Marie, Henri et Roger que je l’avais fait... C’est trop tôt. Leurs chagrins sont encore trop récents. Ils n’auraient pas compris... L’un de ces soldats a fait mon portrait au crayon et me l’a donné...



- Par chance, tu n’étais pas dans ce train. Parce que gentil ou pas, je ne sais pas ce que j’aurais été capable de lui faire si un soldat allemand avait croisé mon chemin... Heureusement, Henri s’est trompé quand il m’a dit que tu soignais des soldats américains...
- Non. Henri ne s’est pas trompé. Je soigne bien des soldats américains. De la 93ème division d’infanterie...
- Mais pourquoi le fais-tu ? On m’a dit que les Américains avaient leurs propres infirmières. Venues tout droit des Etats-Unis avec leurs armées...
- En effet. Mais par ordre du haut commandement américain, elles n’ont pas le droit de soigner les soldats de la 93ème division...
- Mais... pourquoi ?
- Parce que les soldats de la 93ème sont... noirs.






*




Vienne balbutia - Oh... je comprends mieux...
- Tu comprends ? Alors tu sais que le chef des armées américaines, le général Pershing, pratique une ségrégation impitoyable. Il a refusé la présence de soldats noirs dans ses troupes. Une fois arrivés en France, ces soldats ont donc été confiés au commandement français. Ils combattent sous les ordres d’officiers français, aux côtés des soldats français. Et quand ils sont blessés...
- Ce sont des infirmières françaises qui les soignent.
- Exactement... D’autant que les infirmières américaines blanches ont interdiction de les approcher. Et comme les infirmières noires sont rares...
- Je sais tout ça. Le seul et unique pilote noir, Eugène Jacques Bullard, est américain. Et il n’a pas le droit de voler avec ses compatriotes. Il vole avec les Français. Mon Dieu... Comme j’ai honte de mon pays...




Eva quitta le corps de Vienne contre lequel elle s’était amoureusement lovée.

Elle la regarda. Elle vit son désarroi. Doucement, elle caressa son visage afin de chasser les sombres nuages qui passaient sur son front.

Puis elle se pencha sur elle. Elle déposa de légers baisers sur le bout de son nez, sur ses paupières. Elle butina ses joues puis enfin ses lèvres.

Vienne répondit à ces baisers tendres. Et sa tristesse s’en fut...

Ses mains frôlèrent le dos d’Eva. Elles en suivirent la cambrure jusqu’à la chute des reins. Ses doigts s’attardèrent sur le fin duvet et les fossettes qui la ponctuaient. Puis ils s’immiscèrent dans le tendre sillon fessier.

Eva vint se coucher sur son amante, en laissant ses mains disposer de son corps. Elle ne pouvait pas rêver de matelas plus doux et plus... caressant.

Elle soupira d’aise et de plaisir. Pendant que Vienne continuait ses légers frôlements, elle trouva des paroles consolantes.
- Vienne... Tu n’y es pour rien... Je suis persuadée que tu n’as pas ce genre d’opinions racistes...
- Tu as raison. Je sais que mes compatriotes noirs ont voulu participer à cette guerre dans l’espoir que leur comportement héroïque permettrait de mettre un terme à la ségrégation raciale dont ils sont victimes chez eux... Pour avoir les mêmes droits que les blancs. Pour qu’enfin cesse cette pratique répugnante du lynchage... On en est loin...
- Cela viendra... Je suis certaine que cela viendra...
- J’aimerais avoir ton optimisme... répondit Vienne en soupirant. Mais elle poursuivit, admirative. Ainsi, tu as soigné des prisonniers de guerre allemands. Tu soignes des soldats noirs américains... Tu te moques des préjugés... Tu es incroyable... Tu es merveilleuse, ma chérie...
- J’obéis aux ordres... Et puis je ne suis pas la seule... Toutes les infirmières françaises le font... Mais c’est vrai que je n’éprouve aucun racisme, aucune xénophobie. Je n’en voulais pas aux soldats allemands parce qu’ils étaient allemands. Mais parce qu’ils avaient tué Paul et blessé Roger...
- C’est bien ce que je dis ma chérie. Tu es merveilleuse !! Quel bonheur et quelle chance de t’avoir rencontrée !!


*

Eva se mit à rire. Elle profita de sa position stratégique, la tête posée dans le creux de son épaule, pour embrasser le cou puis la naissance des seins de son amante.

Vienne sentit qu’elle succombait de nouveau. Mais soudain une image horrible vint s’emparer, tel un parasite, de son esprit.
- Quand je pense que tu aurais pu être dans ce tunnel... Dans un train sanitaire réservé aux soldats noirs...
- C’est impossible, ma chérie...
- Et pourquoi est-ce impossible ?
- Tu m’as bien dit que ce tunnel se trouvait sur la ligne de chemin de fer qui va vers l’ouest... Vers Paris...
- Oui et alors ?..
- Nous procédons actuellement au regroupement des soldats noirs américains avec les tirailleurs sénégalais pour les envoyer vers les mêmes lieux de soins et de convalescence... Ils vont partir à Menton, sur la Côte d’Azur... Dans des palaces qui ont été réquisitionnés et transformés en hôpitaux...
- Dans des palaces ? A Menton ? Sur la Côte d’Azur ? Tu plaisantes ?...
- Non, je suis sérieuse. C’est une “délicate attention” du Ministère de la Guerre à l’égard des soldats d’Afrique. Il pense que le climat du Midi leur convient mieux... Et comme avant la guerre Menton était surtout fréquenté par les aristocrates belges et russes qui n’ont plus la liberté ou les moyens de voyager, ses palaces étaient déserts...
- Ainsi ces soldats vont aller des savanes africaines aux palaces de la méditerranée...
- En passant par les tranchées boueuses de la Meuse et de la Marne...
- Tu vas les accompagner ?
- Naturellement... Les soldats de la 93 ème division ont besoin d’une infirmière qui parle couramment anglais...
- Alors je viens avec toi !! Désormais, j’irai là où tu iras !! Je serai là où tu seras !! Je t’ai retrouvée. Je n’ai pas l’intention de te perdre...
- Je ne crois pas qu’il soit possible de me perdre dans un lit aussi petit... répondit Eva en riant. Puis d’une voix ensorcelante, Et c’est moi qui vais aller là où tu es...


*

Vienne avait posé ses bras sur l’oreiller. Elle semblait attendre. Alors Eva se pencha sur elle.

Elle plongea son regard dans le sien. Elle vit tant de choses dans les yeux noisette... Et d’abord son propre désir...

Elle approcha son visage au plus près du sien. Ses lèvres frôlèrent sa joue. Elles en goûtèrent la douceur veloutée.

Du bout de la langue, elle suivit la ligne de la mâchoire puis glissa lentement le long du cou et de la gorge. Elle parcourut le sillon qui séparait les seins dont elle lécha les mamelons.

Elle entendit le souffle de Vienne. Sa bouche perçut les palpitations de son coeur à travers sa peau.

Eva posa ses mains sur ses hanches et en caressa les courbes.

Ses lèvres continuaient à parcourir ce corps dont chaque rondeur, chaque ombre étaient une promesse de bonheur.

Elle quitta la jolie poitrine pour conquérir le ventre plat qui frissonna sous la charmante agression. Elle embrassa le nombril, jolie ponctuation sur le chemin de son désir.

Vienne plongea les doigts dans les vagues soyeuses de la chevelure d’Eva. Ils jouaient avec les longues boucles brunes qui ruisselaient dans son dos jusqu’au creux de ses reins.

Eva poursuivait sa découverte irrésistible du corps de son amante. Le pubis bouclé. Enfin, sa bouche se posa sur le sexe, dont elle lécha le fruit.

Vienne sentit une onde de chaleur l’envahir. C’était presque insoutenable. Et elle se mordit les lèvres pour ne pas crier son plaisir.


*

Elles avaient fini par s’endormir. Et leur sommeil avait été infiniment paisible. Aucune pensée morbide, aucun sentiment d’abandon ne les avaient visitées.

Elles avaient simplement dormi, serrées l’une contre l’autre dans ce lit si petit, bercées par leurs respirations calmes et régulières.




Au petit matin - il était six heures - Eva s’était réveillée guidée par des années d’habitudes matinales.

Elle avait regardé Vienne qui dormait encore. La jeune femme paraissait si sereine. Un léger sourire flottait sur ses lèvres.

De nouveau elle avait éprouvé désir et amour. Elle pensait que Vienne était, enfin, devenue sa maîtresse mais qu’elle était aussi sa meilleure amie. Celle à qui elle pouvait tout dire et tout confier. Celle qui l’écoutait sans la juger. Celle qui la comprenait et qui l’aidait...

Elle pensa aussi au risque que Vienne avait pris en la rejoignant. Le risque d’attraper cette maladie qui pouvait se révéler mortelle. Qui planait comme une menace sur tous ceux et celles qui approchaient les soldats américaines.

C’était un magnifique témoignage d’amour comme l’était aussi la folie de Vienne qui avait pensé venger sa mort dans un suicide désespéré et meurtrier.

Mais elle la préférait vivante. Ô oui bien vivante... Si vivante...

En rougissant, elle repensa à leur nuit... Quelle nuit !!! Comme tout avait été facile et si... évident...

Et elle sut qu’avec Vienne il ne pouvait en être autrement et qu’il en serait toujours ainsi.


*

Eva ramassa ses vêtements qui gisaient au sol.

Elle revint s’asseoir sur le lit et remit la culotte que Vienne lui avait ôtée. Elle fit lentement glisser les bas le long de ses jambes.

Elle revêtit à nouveau corset, jupon, et jupe. Chemisier et ceinture. Enfin elle déposa la cape bleue sur ses épaules.

Elle avait bien vu que Vienne regardait chacun de ses gestes.

Alors elle se pencha sur elle et l’embrassa. Le premier baiser de la journée. Qui devenait ainsi le premier d’une merveilleuse habitude.

Le pilote émérite, qui n’avait peur de rien et de personne, prit une mine et un ton boudeurs - Tu es réveillée ma chérie ? Tu es déjà habillée ?? Tu me quittes si tôt ?
- Je le dois... Et, crois-moi, c’est un crève-coeur. J’aurais tellement aimé rester avec toi... Mais je prends mon service dans une heure. Je dois aller dans ma chambre, faire un brin de toilette et manger quelque chose avant de retourner travailler pendant douze heures...
- Douze heures !!! Je ne vais pas te revoir avant douze heures !!! Ce n’est pas possible... Ce n’est pas humain... Je ne vais pas pouvoir survivre !!!
Eva se mit à rire - Vraiment ?? Tu ne vas pas pouvoir survivre à mon absence ?? Mais comment faisais-tu avant de me connaître ??
- Mais justement je ne te connaissais pas... Maintenant que je te connais, toute entière, corps et esprit, je ne peux plus me passer de toi !!!
- Il le faudra bien pourtant... Je dois retourner auprès des blessés... Mais, j’ai une pause à treize heures. Viens me retrouver...
- Je n’y manquerai pas. Même l’armée du Kaiser Guillaume ne pourrait pas m’empêcher de te rejoindre !!!
- Je n’en doute pas !!! A tout à l’heure, ma chérie... En attendant de nous revoir, repose-toi... Tu as subi tellement d’émotions hier...
- Les plus intenses, c’étaient de te retrouver et de t’aimer ma chérie...
- Alors repose-toi... Car j’ai bien l’intention de te faire revivre les mêmes émotions...
Eva posa sa main sur la joue de Vienne qui emprisonna ses hanches dans ses mains.

Elles s’embrassèrent de nouveau.

Mais elles n’arrivaient pas à se quitter. Alors le baiser dura de longues secondes.

Enfin, Eva s’arracha à l’étreinte de Vienne - Ma chérie... Je dois y aller...

Vienne tenta de la retenir - Encore une minute... Rien qu’une toute petite minute...
- Ma chérie ne me tente pas... Tu sais bien qu’après cette minute, il y en aura une autre et encore une autre... Je ne peux pas te résister bien longtemps... Je dois y aller... Il le faut... Au revoir... Je t’aime...
Ses doigts frôlèrent la joue de Vienne puis la quittèrent. En deux pas elle fut à la porte de la chambre. Elle sortit tout en lui disant un dernier Je t’aime...

*

Vienne regardait fixement la porte qui s’était refermée sur Eva.

Elle espérait, mais sans trop y croire, que cette porte allait s’ouvrir de nouveau et que la femme qu’elle aimait allait la rejoindre.

Mais elle savait que ses espoirs étaient vains parce qu’Eva était une femme de devoir. Qu’elle était fidèle à sa tache. Fidèle à ses amis...

- Elle est vraiment exceptionnelle pensa Vienne. Elle n’est pas que belle. Elle est... magnifique. Elle est à la fois douce et ardente. Tendre et passionnée. Calme et volcanique. Elle est unique... Et je l’ai rencontrée... J’avais tellement peur qu’elle ne me remarque pas et elle m’a remarquée. J’avais tellement peur qu’elle ne m’aime pas et elle m’a aimée. J’avais tellement peur qu’elle me compare... et c’est elle qui a peur de la comparaison avec Tamara. Alors qu’elle est incomparable...

Mais rapidement, elle se fit des reproches. - Je suis venue ici pour l’aider... Pour la protéger de cette terrible épidémie. Et je la laisse partir pour l’affronter toute seule... Ce n’est vraiment pas brillant... Secoue-toi bon sang !! Lève-toi et rejoins-la !! D’autant qu’il faut bien le dire... Tu ne peux pas te passer d’elle. Ou si difficilement...

Vienne se jeta hors du lit défait, le faisant crier une dernière fois.

Elle se mit à chercher fébrilement ses vêtements, les jetant pèle-mêle sur son bras.

Elle étouffa un juron - Bon sang de bois !!! Où ai-je mis cette fichue botte ???

Elle s’habilla rapidement.

Et bientôt elle était redevenue un lieutenant américain. A l’uniforme froissé par l’amour.

*

Vienne se tenait au garde-à-vous devant le médecin-inspecteur général qu’elle avait rencontré la vieille.

- Bonjour Lieutenant... Vous avez pu trouver une chambre pour la nuit ?
- Oui Monsieur. Dans la vaste maison que vous m’avez indiquée.
- Parfait Lieutenant. J’espère que vous avez pu y prendre un peu de repos. Car hier vous paraissiez épuisée...
- Oui Monsieur. Merci Monsieur. mentit Vienne qui pensait à la charmante façon dont Eva l’avait fatiguée.

- Et bien moi, je n’ai pas chômé pendant que vous vous reposiez Lieutenant... J’ai retrouvé la jeune infirmière que vous cherchez... Madame Eva d’Uberville-West... Une parente à vous ?

- Une cousine Monsieur répondit Vienne qui pensa qu’elle ne mentait pas vraiment puisque les Américains et les Anglais étaient cousins et faisaient partie de la même grande famille anglo-saxonne.

- Vous aviez raison Lieutenant. Elle soigne bien des soldats américains. Ceux de la 93 ème division. Vos compatriotes nous les ont confiés parce qu’ils sont noirs. Mais je vous assure que le sang qui coule de leurs blessures est bien rouge. Comme le nôtre... Enfin, passons... Toutefois, je ne peux pas vous autoriser à rejoindre Madame D’Uberville-West...
- Pourquoi ?
- Parce que certains des hommes qu’elle soigne sont particulièrement contagieux. Seules des personnes spécialement habilitées sont autorisées à les approcher.
- Donnez-moi cette autorisation Monsieur...
- Vous n’êtes pas infirmière !!
- Non. Mais j’apprendrai... Et en tant qu’américaine, je parle couramment anglais...
- Soit Lieutenant... Je ne discute pas. C’est votre vie après tout. Pas la mienne... Tenez. Voici votre ordre de mission. Je vous affecte en qualité d’interprète... Rompez Lieutenant...

- Merci Monsieur. Au revoir Monsieur répondit Vienne en saluant calmement le médecin officier. Mais, intérieurement, elle jubilait.

*

Vienne avait gagné l’hôpital où Eva travaillait.

Elle était entrée dans la salle de repos. Elle resta interdite pendant quelques instants.

La salle était immense.

Des lits, séparés par des rideaux blancs, étaient disposés en deux rangées le long des murs.

Devant chaque lit, une chaise sur laquelle reposait l’uniforme du soldat. Sur cet uniforme américain en grosse toile kaki, le casque réglementaire français Adrian, peint en bleu-horizon.

A côté de chaque lit, une table de chevet avec un verre et une bouteille d’eau.

Elle marchait lentement au milieu de la pièce quand elle entendit une voix faible, avec un fort accent américain, la héler en anglais.

- Mon Lieutenant, s’il vous plaît...
Elle se tourna vers l’homme qui l’avait interpellée. Il ne devait pas avoir beaucoup plus de vingt ans. - Oui Soldat ?
- Vous pourriez me donner à boire Mon Lieutenant ? Tout seul, je n’y arrive pas... répondit le soldat qui souleva ses mains recouvertes de bandages.

- Bien sûr...

Elle s’approcha de la table de chevet, remplit le verre d’eau qu’elle porta aux lèvres du soldat noir.

- Merci mon Lieutenant. Les infirmières ont tant à faire... et nous sommes tellement nombreux... Mon Lieutenant ?.. Ça ne vous gêne pas de me donner à boire ???
Vienne était bouleversée par cette question posée sur un ton si naïf.

Alors elle lui répondit gentiment - Non Soldat. Ça ne me gêne pas. Bien au contraire... C’est pour moi un honneur. Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de vous rendre service...
Elle entendit un bruit léger qui lui fit lever la tête.

Eva la regardait. Avec dans les yeux une infinie douceur et un amour infini.


*

Eva s’approcha d’elle et chuchota - Que fais-tu ici ? Comment as-tu fait pour entrer ? Sans autorisation, c’est impossible...
- Ce que je fais ? Je donne à boire à un soldat assoiffé... Comment suis-je entrée ? Grâce à un laissez-passer qui accompagne mon ordre de mission...
- Un ordre ? Mais pour quelle mission ?
- Le médecin-inspecteur général m’a affectée auprès de la 93 ème division en qualité d’interprète... A ma demande...
- A ta demande ? Mais Vienne tu ne sais pas que tu risques la mort en approchant certains de ces hommes ? Ils sont contagieux... Et nous ne savons pas comment soigner cette grippe...

- Je sais que je risque la mort. Mais je veux être là près de toi. Je veux être là pour toi... Et puis toi aussi, tu risques ta vie...
- C’est un choix que j’ai fait il y a longtemps...
- Moi aussi j’ai fait ce choix. J’ai risqué ma vie en pilotant un avion... Aujourd’hui, je la risque pour être avec toi... Je trouve que c’est un progrès... Elle se mit à rire. De toutes façons, tu n’arriveras pas à me persuader de partir... D’autant que je dois obéir aux ordres que le médecin-inspecteur général m’a donnés... Et tu dois obéir aux miens. Après tout, je suis ton supérieur hiérarchique...
Eva porta la main à son voile et lui fit un petit salut réglementaire et amusé - Bien mon Lieutenant... Je vous obéis mon Lieutenant...

- Rompez soldat !! répondit Vienne sur le même ton. Maintenant parle-moi de cette grippe... Que se passe-t-il au juste ???
Eva saisit Vienne par la main et l’entraîna dans un coin de la salle où on ne pouvait pas les entendre. Une conversation chuchotée suivit. - Viens par ici... Je ne veux pas en parler devant les soldats... Même si la plupart d’entre eux comprend très mal le français...

- C’est donc si grave ? Henri a appris qu’elle sévissait  depuis le mois d’avril...
- En effet. On pense qu’elle vient des Etats-Unis. Elle serait arrivée en France avec l’armée américaine. Ensuite elle s’est propagée au sein de toutes les troupes alliées. Mais le virus a évolué. Au printemps, la maladie clouait le soldat au lit pendant trois jours... Elle était parfois mortelle... Mais, la plupart du temps, le malade se rétablissait. Maintenant...
- Maintenant ???
- La grippe tue en trois jours vingt fois plus de personnes qu’une grippe normale... Et elle est affreusement contagieuse... On pense, qu’à cause des mouvements des armées, elle est en train de se répandre dans tout le pays. Dans toute l’Europe...
- Mon Dieu... Que pouvons-nous faire ?
- A notre modeste échelle, pas grand chose... Soigner, assister les malades. On les a isolés dans une autre salle... Mais je crois que c’est une mesure inutile...
- On ne peut rien faire pour se protéger de la contagion ?
- On nous demande d’avoir des mains toujours propres et d’éviter d’approcher les malades quand ils toussent ou quand ils éternuent...
- Ce sont des mesures bien dérisoires... Tu m’as dit que vous alliez quitter Sainte-Ménehould ?
- Oui. Dans deux jours... Dès que tous les hommes auront été regroupés, nous prendrons le train en direction du sud, jusqu’à Menton...
- En attendant, que vas-tu faire ?
- Ce que je fais depuis le début de cette guerre. Soigner ces hommes, les écouter et les consoler... Il m’arrive aussi d’écrire des lettres pour ceux qui ne savent pas le faire ou qui ne le peuvent plus...

- Je veux faire comme toi... Tu peux me montrer ?
- Bien sûr... Mais à deux conditions...
- Lesquelles ?
- La première : Tu m’apprendras à piloter ta motocyclette... La seconde : tu m’apprendras à piloter ton avion...
- Avec joie... Mon plus grand souhait, c’est de te faire partager mes passions...
- Alors, c’est parfait... Parce que c’est exactement ce dont j’ai envie... Aimer ce que tu aimes...
Eva s’approcha de Vienne et frôla sa joue de ses lèvres. A quelques pas de ces hommes alités, elles ne pouvaient pas s’offrir mieux que ce baiser chaste...


*

Les deux jours qui suivirent furent harassants.

Le personnel médical se consacra à la sélection des malades et à séparer ceux qui pouvaient être déplacés de ceux qui étaient intransportables.

Il y avait tant de désespérance dans cette idée que des hommes, parfois extrêmement jeunes, ne quitteraient leur lit de douleur que pour la tombe d’un cimetière.

Vienne souffrait de son impuissance devant la mort. Elle enrageait de ne pouvoir rien faire. Elle prenait toute la mesure de la condition humaine.

Elle n’en éprouvait que plus d’amour pour Eva. Et une admiration sans borne.

Eva ne comptait pas ses heures. Elle était partout à la fois. Toujours calme et sereine. Rassurante et patiente.

Elle soignait, sans émotion apparente, les blessures les plus affreuses, les visages les plus ensanglantés. Sans jamais qu’un charmant sourire ne quitte ses lèvres.

Elle savait que ces soldats avaient besoin qu’elle les regarde comme des hommes. Même ceux qui avaient perdu une main ou une jambe, ceux dont la poitrine était ouverte, ceux dont la face était fracassée.

Alors la jeune infirmière se penchait sur eux. Elle les rassurait d’un mot. Ils s’endormaient, parfois pour toujours. Et la dernière image qu’ils emportaient était une image de beauté et de douceur.


*

La nuit, elles se retrouvaient.

Seules. Enfin seules dans le même petit lit en fer dont les grincements accompagnaient leurs ébats.

Elles s’aimaient avec une faim insatiable. Et seule la fatigue mettait un terme à leur lutte amoureuse.

Elles reposaient alors dans les bras l’une de l’autre jusqu’au petit matin quand la pâle lueur du soleil venait les caresser à travers la fenêtre de la chambre.


*

Ces deux jours, au cours desquels elles avaient affronté ensemble la douleur et la mort, les avaient soudées.

Elles ne que quittaient guère, travaillant côte à côte dans les mêmes salles. Et pourtant, elles aimaient cette proximité. Elles la recherchaient.

C’est dans ces premiers jours vécus ensemble qu’elles comprirent qu’elles ne pouvaient pas se quitter et qu’elles ne le voulaient pas.


*


Le regroupement des soldats noirs et la sélection entre ceux qui pouvaient voyager et ceux qui devaient rester à Sainte-Ménehould étaient terminés.

Le train attendait en gare. Peu à peu, les brancardiers apportèrent les hommes qui partaient vers le sud.

Les compartiments étaient remplis de malades ou de blessés. Il était difficile de se frayer un chemin parmi eux.


*


Vienne et Eva étaient du voyage.

La jeune pilote avait réussi à faire embarquer sa précieuse motocyclette  sur un wagon-plateforme au milieu des caisses de médicaments et de pansements.

Après plusieurs heures consacrées à l’embarquement, le train avait enfin démarré dans un sifflement et un panache de fumée blanche.

Il roulait lentement vers le sud et traversait des régions qui n’avaient pas connu la guerre. Que les troupes allemandes n’avaient pas envahies.

Les villages étaient intacts. Les clochers étaient dressés vers le ciel.

Il ne manquait pas un seul arbre aux forêts. Les champs étaient cultivés.


*


Vienne et Eva avaient quitté leur service pour quelques instants.

Elles admiraient le spectacle d’une France préservée.

- C’est incroyable chuchota Eva. On se croirait sur une autre planète... Quand on voit ces paysages, on n’a pas l’impression que le pays est en guerre depuis quatre ans...
- Comme en Normandie chez Monet... Mais les cicatrices sont là pourtant. Dans chaque famille de chaque village... Comment vont tes protégés ?

- Ils attendent notre arrivée avec impatience. Le voyage est pénible pour eux. Mais l’ambiance est curieuse, presque joyeuse. Car ils quittent enfin les plaines de l’est où ils se sont battus et ont tant souffert pour les rivages ensoleillés de la Méditerranée.
- Je comprends leur joie... Par une étrange ironie de l’histoire, la villégiature préférée de l’aristocratie européenne est devenue leur lieu de résidence... Dans combien de temps arrivons-nous ?
- Menton est la ville la plus proche de la frontière italienne. Ça va nous prendre deux jours pour l’atteindre...
- Deux jours... Mais dans deux jours nous serons sur la Côte d’Azur... Je suis comme ces soldats... J’ai du mal à le croire...
- La vie est faite de surprises. Bonnes ou mauvaises... Tu étais ma surprise Vienne. Et elle est merveilleuse...

- S’il n’y avait pas eu cette guerre...
- Je suis certaine qu’on se serait rencontrées quand même...
- Oui, tu as raison... C’est un monde meilleur qui nous attend désormais... Parce que nous sommes ensemble...
- Oui, un monde meilleur... Un nouveau monde...


FIN


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Les aventures de Vienne et Eva
 continuent dans le récit suivant,  Nouveaux Mondes



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Les photomontages que j’ai réalisées vous attendent dans les rubriques
 les portraits de Vienne,
 les portraits d’Eva et
Galerie de Portraits.
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52 commentaires:

  1. Ahhh le retour de "l'enfant prodigue", je te rassure, tu remplis toutes nos espérances...Prodigue te va bien car tu nous donnes des récits à profusion!

    J'adore ce compte à rebours, plus que cinq jours, le temps presse et les sentiments cavalent eux aussi. Eva se rend à l'évidence, elle aime Vienne.

    Toujours un enchantement, les lieux, les situations, la délicatesse de Vienne...Un tout absolument charmant.

    Merci.

    Béa.

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  2. Passez une bonne journée, mon ami!

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  3. Oscar-on-line2 mai 2011 à 12:16

    Le cheminement intellectuel d'Eva est enfin accompli.

    Merci à Gustave de nous faire entrer prochainement dans l'environnement du peintre FOUJITA.

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  4. Je ne m'en lasse pas de ce récit, alors quel bonheur de te retrouver après quelques jours de pause.

    Maintenant qu'Eva a compris la nature du sentiment qu'elle éprouve pour Vienne, les deux femmes vont certainement vivre intensément les derniers jours qu'il leur reste avant le départ de Vienne. On ne peut que languir la suite...

    Merci Gustave.

    Marie Pierre

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  5. Oscar-on-line9 mai 2011 à 13:06

    Décidément, le chemin suivi par nos deux héroïnes est semé d'embûches. Maintenant qu'Eva s'est clairement avoué la nature de ses sentiments pour Vienne, les voilà qui se taisent dans la crainte que leur inclination réciproque ne soit pas partagée.

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  6. Décidément tout n'est pas si facile, et elles n'arrivent pas à se trouver sur la même longueur d'onde au même instant. Mais le bon moment va surement arriver, le moment ou elles vont enfin comprendre que cet amour est réciproque...

    Merci Gustave, toujours aussi délicieux ton récit.

    Marie Pierre

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  7. Ce sont deux points d'interrogations géants! Que l'amour est compliqué...La peur, l'angoisse, le désir et l'espoir, tout est parfaitement résumé.

    Il ne leur manque plus qu'un dialogue "vrai" et hop hop hop il n'y aura plus que l'espoir d'une vie à deux.

    Merci.

    Béa.

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  8. Eva, en smoking, est à tomber, d'ailleurs je suis tombée!

    Allons-bon Vienne prend le mors-aux-dents, la frustration est mauvaise conseillère. Heureusement Eva est têtue comme un troupeau de mules et se rend à la soirée. Soirée qui risque d'être épique et...poc!

    Merci pour ton récit, tes illustrations et tes photomontages.

    Béa.

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  9. Bravo pour la photographie d'Eva en smoking (cet habit lui sied à ravir) et pour le choix du véhicule approprié à l'élégance de sa passagère. Heureusement que des interventions extérieures viennent bousculer les résolutions de nos deux héroïnes.

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  10. Eva fait une entrée remarquée, ce qui n'est guère étonnant, pas plus que la réaction flatteuse des artistes à sa vue. Les photographies sont toujours aussi bienvenues.

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  11. Un nouveau personnage entre en scène pour brouiller les cartes, Eva va-t-elle en jouer, et quelle va être la réaction de Vienne ? Et combien de temps vont-elles encore jouer au chat et à la souris ?

    Et quel contraste entre cette réception mondaine ou le champagne coule à flot, et la guerre, si loin et pourtant si près.

    C'est toujours un vrai plaisir de te lire Gustave. Merci

    Marie Pierre

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  12. le chrysalide, une très jolie chrysalide au demeurant, s'est transformée en papillon. Eva est absolument ravissante dans ce smoking (bravo pour ce magnifique photomontage). Cet habit lui confère une assurance qu'elle n'avait pas.

    Le dialogue entre Vienne et Eva s'annonce passionnant et palpitant, d'ailleurs j'ai le coeur qui palpite.

    Merci.

    Béa.

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  13. Oui, je confirme, il est très très bien ce photomontage. Elle est magnifique Eva !

    Merci Gustave.

    Marie Pierre

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  14. Gustave nous laisse encore sur notre faim, mais le smoking va à ravir à Eva.

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  15. Certes Gustave, je sais que c'est la période des barbecues, c'est pourquoi tu nous mets sur le grill mais en ce dimanche que fais-tu de la charité chrétienne?

    Bon...L'incompréhension entre Vienne et Eva continue de plus belle...Snifff!

    La Delage disparait au bout de la rue, c'est un "voyage au bout de la nuit",prions donc pour que la lumière soit!

    Merci Gustave.

    Béa.

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  16. Gustave laisse s'installer les malentendus et fait tarder le moment où les héroïnes se dévoileront enfin leurs sentiments. Mais une plus grande précipitation aurait gâché le plaisir des lecteurs.

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  17. Quel régal encore cette nouvelle suite, avec ce face à face entre les deux jeunes et certains non-dit enfin mis à jour...
    Tu nous laisses sur notre fin avec la Delage qui dépasse Vienne...
    Hâte de lire la suite

    Merci infiniment Gustave

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  18. Ah enfin le baiser tant attendu ! Quel plaisir de de lire, un vrai régal !

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  19. Quel délicieux moment avec ce long baiser échangé au petit matin et cet amour mutuel enfin avoué...
    Merci infiniment Gustave

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  20. Le moment tant attendu est arrivé : Eva s'est enhardie jusqu'à franchir le dernier pas qui la séparait encore de Vienne. Que d'intensité et de poésie dans cette rencontre !

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  21. Je suis désolée. Je me suis emmêlée les doigts dans le clavier de mon ordinateur et j'ai effacé les derniers commentaires. Je les ai retrouvés dans les archives de mon blog et je les poste de nouveau. Les voici.

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    Rose a dit...  
     
    AH là là, tu nous fais souffrir Gustave, on s'imaginait autre chose de plus heureux après ce baiser... mais attendons la suite...

    Le 12 juin 2011 11:47 
     
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    Gustave a dit...

    Je suis un peu sadique. J'aime bien faire souffrir mes lecteurs. Pardon.

    Bon d'un autre côté, même si j'ai commencé à écrire les aventures de Vienne et Eva il y a 7 mois, dans mon histoire, elles ne se connaissent que depuis trois semaines...

    Mille mercis pour votre patience et votre fidélité... Gustave

    Le 12 juin 2011 14:19

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    Oscar-on-line a dit...

    Décidément, Gustave s'entend à manier le suspense : voilà une rencontre fort prometteuse ajournée et de nouvelles embûches, cette fois extérieures à leur volonté, sur leur chemin.

    Le 13 juin 2011 10:44

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    fred2638 a dit...

    Quel rebondissement, je ne m'attendais pas à ça...enfin pas tout de suite, pas à cet instant !! Mais c'est vrai que nous sommes là dans une époque tellement trouble et tourmentée où tout peut arriver et à tout moment, et cette époque tu nous la décris si bien !

    Je me régale toujours autant à lire ton histoire, un vrai plaisir !

    Merci Gustave.

    Marie Pierre

    Le 13 juin 2011 10:46

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    Rose a dit...

    Ah non alors pas Eva !!! j'espère qu'on aura une bonne surprise dans les prochaines suites...

    Le 19 juin 2011 13:41

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    Oscar-on-line a dit...

    Quelle angoisse : il va falloir attendre une semaine avant de savoir ce qu'il est advenu d'Eva, à moins que Gustave ne concocte un nouveau contretemps. Mais j'ose penser qu'il ne jouera pas aussi longtemps avec les nerfs de ses lecteurs.

    Le 20 juin 2011 18:50

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    réCits et nouVelles a dit...

    J'ai suivi un cours de supplices chinois. Jouer avec les nerfs de ses lecteurs est une méthode qui a fait ses preuves. Gustave.

    Le 20 juin 2011 20:03

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  22. Le suspense persiste, donnant ainsi à Gustave l'occasion d'évoquer une période tragique de notre histoire et de dissiper quelques idées reçues.

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  23. Remarquable description du désespoir de Vienne.

    Je dois avouer que sa volonté de bombarder une ville allemande pour venger la mort d'Eva m'avait choquée. cela corresponds si peu à l'idée que je me fais de ton héroïne. C'est en cela que ta description est remarquable car le désespoir lui fait perdre la tête et les idées les plus folles se bousculent dans son esprit. Fort heureusement elle retrouve la raison et puis...Eva. Mais est-ce réel ou bien est-elle encore dans son rêve?????

    Mystère et boule de suif.

    Merci.

    Béa.

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  24. Suite très émouvante, et si triste. J'espère que ce n'est pas un rêve et qu'Eva est bien présente.... Merci Gustave

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  25. J'ai beaucoup aimé ce nouveau passage et la description du désespoir et des sentiments de Vienne. C'est magnifique.

    Et comme tout le monde je me demande si l'arrivée d'Eva n'est pas un rêve...

    Merci Gustave

    Marie-Pierre

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  26. Je vous remercie pour vos commentaires toujours si stimulants. J'étais un peu triste ces dernières semaines, parce que certaines de mes commentatrices n'étaient pas au rendez-vous... J'ai pensé que vous n'aimiez plus ce récit. Me voici rassurée.

    Je savais que mon avant-dernière suite allait gêner certaines d'entre vous. Elle est très anti-allemande... Mais je crois sans trop me tromper qu'elle est assez proche des sentiments que les Français et les Belges ont éprouvés pendant cette guerre. Le nationalisme aidant.

    Je connais très mal cette époque. Je suis obligée de m'aider en lisant des livres d'histoire. Afin de ne pas écrire trop de bêtises. Elle est passionnante. Et si... romanesque.

    Merci encore. Gustave.

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  27. Magnifique ! Très émouvant avec un débouché sur une belle leçon d'humanité.

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  28. Trés émouvante cette suite; l'immense chagrin de Vienne prend une dimension encore plus forte dans le chaos de la guerre...
    L'espoir renait avec la dernière image, entre rêve et réalité
    Merci infiniment Gustave

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  29. Et non ce n'était pas un rêve, quel bonheur ! J'aime bien l'idée du personnage d'Eva impudique (vu l'époque et le contexte !) et je suis certaine (enfin presque !) qu'elle saura lui rendre la pareille (enfin j'espère !)... J'attends la suite avec impatience.

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  30. Je laisse un commentaire riquiqui...Je comprends mieux pourquoi le temps est à l'orage, cette suite est torride...

    Bravo Gustave le choix du 14 juillet est judicieux, je m'attends à un vrai feu d'artifice!

    Merci.

    Béa.

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  31. Non ce n'était pas un rêve mais une merveilleuse réalité ! De beaux moments d'amour au milieu de cette période si tourmentée et tragique. Les voilà enfin réunies alors qu'elles ne s'y attendaient plus !

    Merci Gustave. Et ne t'inquiète pas, ton récit est toujours aussi captivant.

    Marie Pierre

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  32. DELICIEUX!

    J'adore ce tendre dialogue saupoudré d'humour.

    Je constate Gustave que tu ne perds jamais le nord, en train en avion ou en motocyclette, badaboum le récit rebondit sur un pan de l'histoire peu glorieux des Etats-Unis: la ségrégation.

    Merci Gustave de mélanger subtilement, l'Histoire avec un grand H à l'Amour avec un grand A.

    Rien pour le plaisir de te lire, je suis prête à réciter l'alphabet à l'endroit et à l'envers!

    Béa.

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  33. Gustave, tu sais parfaitement égrener la carte du tendre. Nous suivons avec le même intérêt les tourments de Vienne, sa culpabilité et sa tristesse sur le sujet de la ségrégation que la chute de rein d'Eva... Quoique sa chute de rein....(Soupirs).

    Bref, c'est parfait (rires).

    Merci.

    Béa.

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  34. L'attente de la rencontre charnelle des deux héroïnes valait la peine : après le moment où Vienne, dans sa torpeur, entremêle rêve et réalité, la profondeur des sentiments s'exprime librement au travers des gestes. C'est aussi l'occasion de poursuivre la leçon d'histoire et de nous instruire sur l'humanité des peuples, au-delà de ce conflit ravageur. Les illustrations sont toujours aussi bien choisies.

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  35. Je viens de lire ta suite à l'instant et comme réveil matin on ne peut choisir mieux!

    Que de sensualité et d'amour dans cette suite. Courte certes (GRRRRR) mais intense.

    Merci réveil matin alias Gustave.

    Béa.

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  36. Savourons ce pur moment de bonheur de nos deux héroïnes, enfin à l'unisson, avant que la guerre, revenant en scène, ne jette de nouveau une ombre sur ce répit tant attendu.

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  37. A peine réunies déjà séparées...J'appelle cela l'enfer du devoir!

    Tu nous donnes RDV ce soir?

    HATE DE LIRE LA SUITE!!!!

    Béa.

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  38. Voilà l'enchantement des retrouvailles suspendu par les contraintes professionnelles et une banale déconnexion d'internet...

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  39. Toujours aussi captivant, merci Gustave.

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  40. Quel plaisir de lire ces retrouvailles émouvantes entre nos deux magnifiques héroïnes; elles s'abandonnent enfin dans les bras l'une de l'autre, et s'aiment dans un environnement pourtant sombre et hostile...
    Merci Gustave

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  41. Fort heureusement, la connexion internet a été rétablie, nous replongeant dans les coulisses de la guerre.

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  42. Vienne est un fin stratège, cela ne m'étonne pas après tout elle est dans l'armée, elle a trouvé la solution pour rejoindre Eva.

    C'est craquant, elle affronte à ses côtés le danger et ainsi elle prouve que les américains n'étaient pas tous ségrégationnistes.

    Merci.

    Béa.

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  43. Hop ho hop, encore un récit dans ta besace, pour notre plus grand plaisir!

    Est-ce la "grippe espagnole" dite plus familièrement "grippe castagnettes" dont elles parlent?

    J'adore le contraste entre leur nuit et leur journée. Pour le coup, elles peuvent dire "mes nuits sont plus belles que vos jours".

    Merci Gustave pour ce magnifique récit.

    Béa.

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  44. Très beau récit, d'amitié puis d'amour et surtout une page de l'histoire de France qu'on ne doit pas oublier.
    J'attends comme toujours avec impatience ton nouveau récit. Je te souhaite de passer d'excellentes vacances.

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  45. Oui Béa. Vienne et Eva parlent bien de la grippe espagnole. Qui a fait des ravages entre 1918 et 1919.

    Mais d'après ce que j'ai lu, on aurait pu l'appeler grippe chinoise ou américaine. Elle serait venue de Chine en passant par les Etats Unis.

    J'ai déjà parlé de la peste dans Révolutions. La grippe espagnole a fait plus de victimes en deux ans, que la peste noire pendant des siècles.

    Grippe castagnette ? C'est sans doute parce que les malades claquaient des dents ????

    Merci Béa d'avoir aimé mon récit. Et de l'avoir commenté avec cette belle constance.

    Tu en reprendras bien une tranche en septembre quand je commencerai à publier Nouveaux Mondes ?

    Merci encore.

    Gustave.

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  46. Au fait, oubli impardonnable...

    Bonnes vacances Gustave!

    Une part à la rentrée? tu veux dire tout le gâteau, non mais!

    Merci encore.

    Béa.

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  47. Merci Rose d'avoir aimé cette histoire et ces personnages. Je te remercie infiniment pour tes commentaires.

    J'espère que mon nouveau récit sera à la hauteur de ton attente et de ton impatience.

    J'ai déjà l'idée générale en tête. Il ne me reste plus qu'à écrire les péripéties qui vont, je l'espère, te tenir en haleine.

    Nouveaux Mondes va ouvrir un nouveau cycle. Un peu comme Révolutions l'a fait pour Alice et Louis.

    Mes vacances seront en partie consacrées à mes amies Vienne et Eva. Alors oui, je crois qu'elles seront excellentes.

    A bientôt Rose et bonnes vacances à toi aussi.

    Gustave.

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  48. Quelle gourmande tu fais Béa !!!

    J'espère que mon gâteau ne sera pas trop indigeste !!!

    Bonnes vacances et à bientôt.

    Gustave.

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  49. Ce récit fut délicieux, émouvants, tragique, tendre, amoureux...
    Oui Gustave tu nous as fait vivre mille émotions et beaux moments de lecture grâce à ces deux courageuses et merveilleuses héroïnes.

    Merci Gustave et excellentes vacances à toi.
    Au plaisir de te retrouver à la rentrée

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  50. Bonsoir Stef.

    Mille mercis pour ces charmantes appréciations.

    Que j'apprécie mes lecteurs quand ils ont aussi bon goût !!! (rires)

    Je te souhaite d'excellentes vacances.

    A très bientôt.

    Gustave

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  51. De retour de vacances, je retrouve avec beaucoup de plaisir ce récit et ses derniers épisodes.

    Les personnages de Vienne et Eva sont très attachants, et tu as su si bien mêler à cette belle histoire d'amour, un contexte historique douloureux mais si propice à plein de rebondissements. J'ai beaucoup aimé ta précision dans la reconstitution des évènements de l'époque, pour certains pas très connus.

    Je découvrirai évidemment avec plaisir le prochain récit en septembre. Merci Gustave et très bonnes vacances.

    Marie Pierre

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  52. Merci infiniment Marie-Pierre.

    Je suis désolée d'avoir mis plus de dix jours pour publier ton commentaire. Mais je viens juste de rentrer de congés. Et là où j'étais je n'avais ni ordinateur ni accès à internet. Non, ce n'était pas la planète Mars... Pourquoi ???

    La première guerre mondiale puis les années folles sont des prétextes inépuisables à de multiples aventures. Alors, c'est presque facile d'écrire les aventures de ces deux personnages. Il suffit de recopier les livres d'histoire...

    J'espère que mon prochain récit te plaira et te surprendra.

    A bientôt.

    Gustave.

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