BOSTON STORY




Après Reflets, voici une nouvelle rencontre entre Rachel Peabody et Dylan Hederson.

Les héroïnes que vous allez découvrir dans ce récit ont des vies différentes de celles que vous connaissez déjà.

Et, tout aussi naturellement, au moment où commence mon histoire, elles ne se connaissent pas.





Boston story





Il faisait un temps magnifique à Boston. Le ciel était d’un bleu qu'aucun nuage ne venait troubler.

La grande ville de la Nouvelle-Angleterre ne souffrait pas de la vague de chaleur qui sévissait sur les États Unis depuis plusieurs semaines.

L’Océan Atlantique, qui baignait ses flancs, les petits vents marins qui parcouraient ses rues, rafraîchissaient ses places et ses jardins.

Les restaurants du port étaient pris d’assaut par les touristes qui, après avoir visité les monuments majeurs de la vieille ville, venaient engloutir les homards rouges fraîchement pêchés.


*


Rachel Peabody marchait le long de Beacon Street. Elle entra dans Boston Common, le parc au coeur de la ville qui, autrefois, mais c’était il y a si longtemps, en 1800, servait à la fois de pâturage et de lieu de pendaison...

Elle aimait cet endroit. Elle aimait sa ville. Ancienne et moderne. Riche et bohème. Bourgeoise et révolutionnaire. Elle y était bien.

Elle regarda le mouvement que faisait sa robe autour d’elle. Le joli balancement fluide autour de jambes ravissantes...

Des hommes étaient assis sur les bancs. Ils abandonnaient la lecture de leurs journaux pour la suivre des yeux.

Comment de pas tourner la tête vers cette belle jeune femme aux longues boucles brunes tombant sur ses jolies épaules ? Comment ne pas être séduit par ces clairs yeux bleus, ce doux visage, ce sourire lumineux ?

Bien sûr, Rachel appréciait l’attention qu’elle suscitait mais elle savait aussi ce qui se cachait derrière ces regards admiratifs. Et ça, elle n’en voulait pas.

Alors, elle répondait machinalement aux sourires mais continuait sa marche.

Rachel sortit du parc à l’angle de Boylston Street et de Tremont Street. Encore quelques minutes à peine, et, après avoir traversé Chinatown, elle serait arrivée à sa destination.

Au Tufts-Medical Center sur Washington Street.


*


Elle entra dans le bâtiment moderne et s’avança vers la réception.

En quelques secondes, elle obtint son renseignement et se dirigea vers les ascenseurs qui pouvaient la mener au service de gynécologie et d’obstétrique.

Là, elle suivit un long couloir jusqu’à une  porte de laquelle surgissaient des éclats de voix et des rires. Elle frappa, entra dès qu’on l’y invita. Deux jeunes femmes étaient là. L’une était alitée, l’autre était assise près d’elle.

- Rachel !!! Quelle bonne surprise !! Comme c’est gentil d’être passée nous voir, la grenouille et moi !..

- Toi ? Seulement toi ? Et moi ??? Tu oublies un peu vite la seconde maman de notre “grenouille” comme tu l’appelles !!

- Mais non, je ne t’oublie pas ma puce... Tu es et tu seras toujours sa maman... Mais c’est quand même moi qui l’ai mise au monde, non ??

- Ça c’est trop fort !! Et qui a fait la chasse au géniteur, je te prie ? Qui a battu le rappel de toutes nos amies pour nous aider à trouver un homme avec des gènes impeccables ?

- C’est toi ma puce... Mais reconnais que porter un enfant pendant neuf mois et le mettre au monde, ça compte aussi...

Rachel avait embrassé ses deux amies qui n’avaient pas cessé leur dispute pour autant.

Elle avait déposé le bouquet de fleurs qu’elle avait apporté et s’était approchée du berceau où la “grenouille” dormait, ses petits poings serrés.

Son sommeil était calme, paisible. Son souffle était régulier. Elle était à des années-lumière de la gentille querelle de ses deux mamans.

Rachel admirait ses amies pour avoir eu le cran de tenter une pareille aventure. Deux femmes et un couffin !!

Elle savait bien qu’elle n’aurait pas eu ce courage.

Elles lui avaient pourtant assuré que c’était facile. Il suffisait de s’aimer et d’en avoir envie. Et, ensuite, avoir un enfant ensemble allait de soi.

Bien sûr, il restait quelques petits détails à régler. Comme trouver un géniteur. Mais ce n’était pas le plus difficile. Quand les bons copains ne suffisaient pas, il y avait les banques du sperme... 

Le plus difficile était de trouver celle avec laquelle avoir envie de tout. Celle avec qui avoir un enfant...

Rachel pensa que la grenouille n’était pas seulement un bébé endormi dans son berceau. C’était aussi un aboutissement.


*


Quand elle ressortit de la chambre un heure plus tard, une heure de bavardage et de potins, Rachel se sentait curieusement mélancolique.

Elle était heureuse du bonheur de ses amies. Mais ce bonheur accentuait la pénombre de sa propre existence.

Elle plaisait et même beaucoup. Alors, elle en profitait, butinant çà et là. Mais il n’y avait rien de stable et de concret dans ses promenades sentimentales. Ses maîtresses ne faisaient que passer dans sa vie car elle n’avait jamais rencontré celle qu’elle aurait aimé retenir.

Sa vie était assez vide finalement. Alors que ses amies allaient avoir une existence plus qu’occupée dorénavant, entre les tétées de la grenouille et les nuits sans sommeil à veiller sur elle ! Elles n’allaient bientôt plus faire que ça !

Mais elle pensa aussi D’un autre côté, élever un enfant alors que j’ai encore tant de choses et d’expériences à vivre !! S’oublier pour ne plus vivre que pour un enfant !! Ce n’est pas pour moi !! Vraiment pas !! Tout quitter pour torcher les fesses d’un gamin, merci bien !! Renoncer à se faire plaisir pour acheter le dernier modèle de poussette, très peu pour moi !! Je suis égoïste, je le revendique !! Charité bien ordonnée commence par soi-même !!

Ce n’était pas seulement de l’égoïsme. Car Rachel pensait que, pour éduquer un enfant, il fallait avoir quelque chose à lui transmettre. Et elle avait l’impression qu’elle avait peu à offrir.

Finalement, c’était aussi bien que personne, jamais, n’ait eu envie d’un enfant avec elle !! Tout le monde aurait été bien embêté !!


*


Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent. Elle s’apprêtait à en sortir, mais ne reconnut pas l’étage de la réception.

Elle avait dû se tromper. Elle était descendue trop bas. Elle était dans une sorte de parking souterrain.

Elle vit une ambulance à l’arrêt dont les gyrophares tournaient encore, éclaboussant les murs d’une lumière rouge et bleue. Quatre ou cinq infirmiers s’affairaient autour d’un brancard qu’ils posèrent sur un chariot.

L’un d’eux se tourna vers elle et l’apostropha - Qu’est-ce vous faites ici ? Vous n’avez pas le droit d’être ici !!

- Je suis désolée... Je cherchais la sortie... Mais j’ai dû me tromper...

- Vous n’avez pas pris le bon ascenseur... Celui-ci est réservé au personnel et aux malades... Bon. Tant pis... Poussez-vous...

Rachel n’eut pas le temps de réitérer ses excuses car ils s’engouffrèrent à ses côtés.

Elle se plaqua contre la paroi de l’ascenseur. Elle sentit qu’il redémarrait.

Elle profita de ce court voyage pour jeter un regard rapide à la forme allongée près d’elle...

C’était une jeune femme mince aux cheveux bruns coupés très courts. Au visage amaigri.

Ses yeux étaient fermés. Elle était totalement inconsciente. Elle semblait dormir. Son sommeil était paisible. Son souffle était régulier. Comme ceux d’un nouveau-né...

Rachel vit les perfusions qui la nourrissaient, le masque posé sur son nez pour l’aider à respirer et la préserver des germes, la sonde qui dépassait du drap pour rejoindre une poche en plastique accrochée au chariot.

Elle éprouva un sentiment inhabituel qu’elle identifia pourtant. De la pitié.

Qui était-elle ? Pourquoi était-elle ici ? Immobile comme un gisant...


*


L’ascenseur s’immobilisa à l’étage de la neurologie et les portes s’ouvrirent.

Les infirmiers firent rouler le chariot le long du couloir. L’un d’eux n’oublia pas de lancer une oeillade à Rachel qui lui sourit par automatisme.

Elle hésita une fraction de seconde. Puis, sans savoir quelle force mystérieuse la poussait, elle se mit à les suivre.

Les infirmiers et leur patiente entrèrent dans une chambre dont le mur, vitré de la mi-hauteur jusqu’au plafond, lui permit de les observer. Ils soulevèrent la forme inconsciente pour la déposer sur le lit.

Ils glissèrent un oreiller sous sa tête, rabattirent le drap sur elle. Elle n’avait pas fait un seul geste. Elle n’avait pas prononcé une seule parole alors que les infirmiers installaient autour d’elle tout l’appareillage compliqué qui lui permettait de survivre.

Deux des hommes sortirent de la chambre et chuchotèrent quelques mots.

- Alors, le Tufts-Medical, c’est sa dernière chance ?

- Ouaip... À ce qu’il paraît...  Elle arrive de New York... Ses parents l’ont retirée du Rockfeller Hospital où elle végétait depuis six mois. Ils veulent tenter leur chance ici. En espérant qu’elle finira par sortir de son coma...

- Ils croient au Père Noël !!! En plus, ils ne seront même pas là pour lui rendre visite... C’est voué à l’échec... Enfin... Tant qu’ils payent...

- C’est l’assurance du chauffard qui l’a blessée qui paye tout ça...

- Ah bon ? Comment s’appelle notre comateuse ? Et elle faisait quoi dans la vie ?

- Dylan Hederson... Elle était prof, je crois...

- Comment ça lui est arrivé ?

- Accident de la circulation. Elle traversait une rue, et sur un passage protégé encore, quand une voiture l’a renversée...

- Y’en a qu’ont vraiment pas de veine...

- Ça, tu l’as dit !! Bon. Allons-y. On a d’autres malades qui nous attendent !!


*


Rachel était restée devant le mur vitré de la chambre. Elle était si fascinée par le spectacle qu’elle avait oublié où elle était. Un voix l’a fit sortir de cette fascination.

- Qui êtes-vous ? Vous ne devriez pas être ici... Ce n’est pas encore l’heure des visites...

Rachel se tourna brusquement vers la voix qui l’avait interpellée. Elle vit un homme d’une cinquantaine d’années en blouse blanche. Elle lut rapidement l’étiquette accrochée à sa blouse. Docteur en neurologie.

Avec une vivacité d’esprit et un talent consommé pour le mensonge qui l’étonnèrent, Rachel répondit - Je suis désolée Docteur, je ne voulais pas gêner le service... Je voulais savoir comment allait Dylan... Nous sommes amies depuis l’université... Je savais qu’elle était transférée aujourd’hui depuis le Rockfeller... Alors, je voulais être certaine que tout allait bien...

Le médecin la regardait avec douceur. Il souriait à la très jolie jeune femme qui lui faisait face.

- Dylan va aussi bien qu’il est possible, compte tenu de son état. Elle est robuste... Comment vous appelez-vous ?

Rachel hésita, puis osa murmurer - Je m’appelle Meg...

- Meg... Très bien... Je suis désolé de vous avoir fait sursauter Meg... Et de vous avoir dit que vous ne deviez pas être ici... Bien au contraire... Votre amie aura besoin que vous veniez la voir souvent... Ses parents l’ont fait venir chez nous parce que nous avons un savoir-faire reconnu pour traiter les patients dans son état... Mais Dylan a besoin de l’aide de sa famille, de ses amis...

- L’aide de ses amis ? Mais que pouvons-nous faire ?

- Il faudra venir lui parler tous les jours, Meg... Lui lire les livres qu’elle aimait... Lui faire écouter la musique qu’elle appréciait... Essayer de réveiller ses souvenirs... Tout ce qui pourrait l’aider à sortir de son sommeil comateux...

- Elle peut nous entendre Docteur ? Elle peut se réveiller ?

- Je ne veux pas vous donner de faux espoirs, Meg... Mais, ce que je sais c’est qu’il faut agir comme si elle était consciente... Dylan est jeune et elle était en bonne forme avant l’accident. Alors ses chances de guérison sont grandes... Vous devez partir à présent... Aujourd’hui, Dylan n’est pas en état de recevoir des visites... Après le trajet depuis New York, nous devons l’installer dans son nouveau lieu de vie... Vous comprenez ?... Mais revenez demain... À 18 heures 30... Pas avant...

Il posa sa main sur le bras de Rachel en un geste d’encouragement et la laissa seule face à la vitre.

Elle regarda Dylan, toujours allongée avec la même immobilité de statue. Elle ne savait rien d’elle. Et pourtant en dix minutes à peine, elle avait pris un engagement dont sa vie dépendait.

Elle pensa Mon Dieu... Mais qu’est-ce qui m’a prise de mentir comme ça ?? De raconter cette histoire à dormir debout ?? Dans quoi me suis-je embarquée ??


*


Après avoir vécu de telles minutes, Rachel n’avait pas eu envie de finir sa journée dans une boîte avec ses incontournables amies. À perdre son temps dans un papotage inconsistant.

Alors elle était rentrée chez elle.

Elle avait pris une douche et à présent elle était assise en tailleur sur le canapé de son salon, son MacBook Air sur les genoux, une assiette de légumes crus et une eau gazeuse posées sur une table basse.

L’image de Dylan occupait son esprit. Pourquoi l’avait-elle suivie ? Elle savait bien qu’elle ne l’avait pas fait par curiosité morbide.

Elle avait éprouvé de la pitié pour ce jeune corps foudroyé. La vie pouvait être tellement injuste...

Tout en réfléchissant elle avait tapé le lien d’un moteur de recherche sur son clavier. Puis le nom d’un journal new-yorkais.

Arrivée à la rubrique des faits divers, elle entra le nom de Dylan Hederson et attendit. Au bout de quelques secondes, un article, vieux de six mois, apparut sur l’écran de son ordinateur.

«Triste banalité quotidienne» avait titré le journaliste. «Aujourd’hui une jeune femme d’une trentaine d’années, Dylan Hederson, a été fauchée par une automobile devant le Cool College où elle enseigne l’italien et le français. Dans le coma, elle a été immédiatement transportée au Rockfeller Hospital. Le pronostic des médecins est réservé.»

Voilà. C’était aussi simple que ça. Aussi tristement banal et quotidien, comme le journaliste l’avait écrit. Une jeune femme, intelligente et, sans doute, pleine de vie, avait traversé une rue devant le collège où elle travaillait, et un crétin l’avait renversée.


*


Rachel soupira. Ça arrive tous les jours... Je n’y peux rien... Tout à l’heure je me suis mêlée de ce qui ne me regarde pas. J’ai eu tort... Dylan a de la famille. C’est à elle de s’occuper d’elle... Pas à moi... Et puis le coma, qu’est-ce que c’est au juste ?...

Un site médical la renseigna. Elle lut à voix haute ces définitions terribles : abolition de la conscience et de la vigilance témoignant d’un dysfonctionnement cérébral sévère d’origine traumatique, toxique ou médicale... Disparition de la capacité d’éveil... Pas ou peu de réactions à la douleur. Pas de communication avec le monde extérieur....

Elle se répéta ces mots froidement cliniques et précis, Abolition de la conscience. Pas d’éveil. Pas de réaction. Pas de communication avec le monde extérieur.

Elle pensa Dylan est plongée dans une sorte de sommeil. Elle en sortira peut-être un jour... Peut-être restera-t-elle endormie à tout jamais...  Quelle tristesse... Rachel réagit vivement. C’est triste mais ce n’est pas mon problème. Je ne la connais pas... C’est une étrangère...

Pourtant, elle tapa le nom du collège de Dylan dans le moteur de recherche. Immédiatement une page d’accueil s’ouvrit. Elle chercha la rubrique consacrée au personnel enseignant. Elle trouva enfin ce qu’elle cherchait.

Un portrait de Dylan Hederson.

Avant son accident.


*


La jeune femme n’avait pas posé. Elle avait été photographiée alors qu’elle participait à un tournoi de basket. Elle portait un bandeau qui retenait ses cheveux.

Elle était belle. Des yeux noisette, vifs, pleins d’énergie et d’humour. Un visage aux traits fins. Une petite bouche. Des oreilles délicatement ourlées.

Dylan avait du charme. Beaucoup de charme.

D’un clic, Rachel captura cette image qu’elle rangea dans la mémoire de son ordinateur. Puis, pensive, elle éteignit son Macbook Air.

Elle se leva, prit une carotte dans l’assiette posée sur la table basse. Elle croqua le légume rageusement. Elle était en colère...

Contre le destin si cruel qui avait fauché une vie.

Mais surtout contre elle-même.

Parce qu’elle éprouvait pour Dylan, ou plutôt pour la Dylan “d’avant”, une attirance sans espoir.

Elle s’en voulut d’avoir mené cette enquête en surfant sur internet. Qu’avait-elle besoin d’en savoir plus sur Dylan ? Qu’avait-elle besoin de découvrir qu’elle était belle, intelligente et... diablement séduisante ???

Alors, elle fit ce qu’elle faisait toujours quand la rage la gagnait.

Elle s’approcha de la fenêtre, s’assit devant son piano droit et se mit à jouer une mélodie en chantant doucement.

Jusqu’à l’apaisement.


*


Rachel s’était réveillée tôt.

Et sa première pensée avait été pour Dylan. Comme la dernière, hier, avant qu’elle ne s’endorme.

Elle se rendait compte que, peu à peu, Dylan envahissait tout son espace mental.

Il ne le fallait pas !! Elle devait réagir. Elle devait repousser cette invasion !! Et la meilleure façon était de vivre comme “avant”.

Elle jaillit de son lit et se précipita dans la salle de bains, sous les eaux tièdes d’une douche bienfaisante.

Elle fut prête en trente minutes.

Elle décida de prendre son petit déjeuner à la terrasse d’un café, là où elle serait distraite par le spectacle de la rue.

Quinze minutes de marche plus tard, elle s’assit à la terrasse d’un café du quartier branché de SoWa, SOuth Washington Area.

Elle commanda un breakfast léger qu’elle dévora à belles dents. Elle se sentait vivante.

Tout en relisant un dossier, qu’elle devait plaider devant la Cour l’après-midi même, elle laissait traîner son regard sur quelques jolies Bostoniennes qui passaient devant elle.

Tout à coup, elle resta interdite, son cappuccino à quelques centimètres des lèvres. Elle venait de réaliser.

Ses pas l’avaient conduite jusqu’à SoWa où pourtant elle venait rarement, car elle ne raffolait pas de cette «branchitude» un peu artificielle.

Mais en venant à SoWa, près de Washington Street où se trouvait le Tufts-Medical, elle était venue près d’elle.

Près de Dylan.


*

Toute la matinée, elle était restée enfermée dans son bureau, chez Partner’s et associés, le meilleur cabinet d’avocats de la ville.

Elle avait dit à sa secrétaire qu’elle n’y était pour personne. Qu’elle devait noter les appels téléphoniques et ne la déranger sous aucun prétexte.

Elle révisait son dossier sous tous les angles, vérifiant les derniers points de Droit, reprenant les témoignages, les expertises.

L’affaire, en contrefaçon et pillage de brevets, était vitale pour le cabinet qui l’employait. En cas de victoire, les honoraires perçus seraient énormes. Mais surtout, Partner’s et associés conserverait un client important, leader dans le domaine de l’informatique.

Cette affaire était cruciale pour son avenir professionnel. Rachel savait qu’en cas de victoire, elle cesserait d’être une simple collaboratrice. Elle aurait gagné le droit de faire partie des avocats associés.

Ses revenus, déjà très confortables, seraient multipliés par dix ou vingt.

Elle ferma les yeux et vit un nom sur une plaque en cuivre. Partner’s - Peabody et associés... Elle sourit et murmura Et pourquoi pas Peabody - Partner’s et associés...

Après tout, elle ne manquait pas de talent.

Elle avait été major de sa promotion à Harvard... Les chasseurs de têtes des plus grands cabinets de la ville étaient venus pour lui proposer des contrats de collaboration mirifiques.

Et elle avait choisi Partner’s et associés. Un cabinet vénérable installé dans une maison de briques rouges de Louisburg Square. Dans la même rue vivaient John Kerry, candidat malheureux à la présidence des Etats-Unis en 2004 et sa femme, la très, très, très riche héritière des ketchup et sauces Heinz.

Un avenir brillant s’ouvrait devant elle. La griserie des grande procès, la fréquentation des hommes et des femmes de pouvoir, l’argent.

Et peut-être aussi, une maison sur l’île de Nantucket. Elle en rêvait depuis qu’elle était enfant. Une maison en bois, sur la plage, face à l’océan.

Et pour avoir tout ça, c’était simple. Il suffisait de gagner. D’être la meilleure.

Elle le serait.

Elle se pencha de nouveau sur son dossier. Elle le connaissait par coeur. Elle en connaissait les forces et les faiblesses.

Tout à coup, alors qu’elle relisait une déposition pour la millième fois, un visage apparut sur la feuille.

Le visage d’une jeune femme aux courts cheveux bruns retenus par un bandeau. Une jeune femme dont les yeux étaient fermés et qui semblait dormir.


*


Rachel était légèrement ivre. Ivre de Champagne et ivre de succès.

Tous les membres du cabinet avaient défilé dans son bureau pour la féliciter.

Et ils le pouvaient. Car elle avait gagné. Et ce faisant, elle avait donné un joli coup de pouce au chiffre d’affaires de Partner’s et associés.

Comme elle l’avait prévu, le grand patron, entouré de ses courtisans et d’une odeur de cigare cubain à cent dollars pièce, était venu lui aussi. Et en partant, il lui avait glissé, “A demain, chère associée”.

Mais elle n’était pas dupe. Si elle avait perdu, ils l’auraient abandonnée à la solitude de son échec avant de la lapider sous les sarcasmes mouillés d’acide.

Elle pensa à son adversaire. A ce pauvre type qu’elle avait cloué au pilori.

En ce moment, son malheureux confrère devait être en train de faire ses cartons et de vider son bureau. Demain, il allait pointer au chômage. Telle était la loi de cette jungle. Celle du Barreau de Boston. De tous les Barreaux des grandes villes des États-Unis.

Mais elle avait réussi. Et à présent, elle aurait tout. Gloire, puissance et fortune.

Elle aurait dû être heureuse de son triomphe.

Et pourtant, elle ne l’était pas. Parce que devant ses yeux, il y avait toujours la même image.

Une jeune femme brune aux cheveux courts qui semblait dormir.

Elle regarda sa montre.

19 heures 30. C’était sans doute trop tard pour les visites.

Mais elle avait besoin de la voir. Toujours, cette force mystérieuse qui la poussait vers elle.

Alors, tant pis si elle se cassait le nez sur une infirmière qui lui interdirait la porte de Dylan !!


*


Elle sortit de l‘ascenseur à l’étage de la neurologie. Elle suivit le couloir jusqu’à la chambre de Dylan.

Mais une déception l’attendait. Un store avait été abaissé devant le mur vitré, isolant Dylan des regards.

Rachel resta interdite, indécise devant la porte. Elle avait une terrible envie d’entrer mais elle n’osait pas. Elle savait que son intrusion dans la chambre  pouvait être dangereuse pour Dylan, les comateux étant très sensibles aux germes venus de l’extérieur.

Alors, elle se décida à partir. D’ailleurs, elle ne comprenait pas ce désir qu’elle avait de la voir.

Finalement, c’était une bonne chose que le cordon sanitaire dressé autour de Dylan ait empêché sa visite...

Elle allait pouvoir passer à autre chose. Elle allait pouvoir rejoindre ses amies et fêter sa victoire avec elles.

Presque soulagée, elle revint vers l’ascenseur. Mais elle n’avait pas fait trois pas qu’elle rencontra le médecin à la blouse blanche.

Il la reconnut aussitôt et l’appela naturellement sous le faux nom sous lequel elle s’était présentée - Meg !! Comme c’est gentil d’être venue voir Dylan !!

- Bonjour Docteur, J’aurais voulu venir plus tôt mais j’ai été retenue par mon travail...

- Je comprends. Mais vous ne devez pas vous inquiéter. Dylan a eu de la visite aujourd’hui... Celle de ses parents et de sa compagne...

Rachel pensa Sa compagne ??? Bon sang !! Et en plus elle n’est même pas hétéro !! C’est bien ma veine !! Mais elle répondit - Très bien, Docteur... Et comment va Dylan ?

- Son état est stationnaire... Mais il faut croire en sa guérison, Meg. Toujours, et tout faire pour qu’elle survienne... Sa compagne nous a donné la liste de toutes les choses que Dylan aimait. Nous l’avons passée dans un logiciel pour en extraire ce qui pourrait l’aider à sortir de sa léthargie. Je vous en donne un exemplaire, vous voulez bien ?

- Bien sûr, Docteur... Je veux l’aider moi aussi...

- C’est parfait... Malheureusement, ce soir, c’est trop tard pour lui rendre visite... Mais demain, revenez à 18 heures 30... Je vais donner des ordres pour qu’on mette une blouse et des chaussons à votre disposition. Vous ne devrez jamais entrer dans sa chambre avant de les avoir mis. Et vous devrez toujours avoir les mains propres... Les germes, vous comprenez...

- Oui Docteur, je comprends... Bon. Et bien, je vais partir maintenant...

- Attendez... Je vais lever le store... Ainsi vous pourrez la voir quand même...

Il appuya sur un bouton près de la porte. Aussitôt les lamelles du store se mirent à l’horizontal, permettant au regard de pénétrer à l’intérieur de la chambre.

Dylan était en position semi-assise. Le dos calé contre plusieurs oreillers. Son corps était relié à de nombreuses machines.

Elle avait toujours cette immobilité de statue.

Rachel la regarda longuement. Elle essayait de retrouver, sous les perfusions et les sondes qui l’aidaient à survivre, le visage qui lui avait tellement plu...

Elle vit les courts cheveux bruns, le front haut, les oreilles délicatement ourlées...

Elle vit aussi les joues amaigries, la peau blanche parce qu’elle ne voyait plus que la lumière artificielle des hôpitaux.

Rachel poussa un soupir. Alors le médecin voulut la rassurer. - Vous ne devez pas vous décourager, Meg... Vous devez croire en sa guérison...

- Oui, je sais, Docteur... C’est pour ça que je vais revenir demain... Merci pour la liste... A demain Docteur...

- A demain Meg...


*


Elle était rentrée chez elle. Sans avoir envie de voir ses amies. Sans avoir envie de fêter sa réussite avec elles.

Elle n’avait qu’une seule hâte. Lire cette fameuse liste. Parce que c’était une porte ouverte sur la vie de la Dylan «d’avant».

Elle avait fait un violent effort pour s’empêcher de la lire immédiatement. Dans l’ascenseur après avoir quitté le médecin. Dans la rue devant le Tufts Medical. Elle avait résisté. Elle l’avait gardée au fond de sa poche. Parce qu’elle voulait la découvrir chez elle. Dans le calme de son appartement, de son refuge.

A présent, elle était assise dans son canapé, un verre de vin de Bourgogne à la main. Seule petite récompense qu’elle s’offrait après son triomphe judiciaire.

Elle déplia la feuille. Elle la parcourut des yeux. Elle ne fut pas étonnée.

Tous les choix de Dylan disaient son amour de l’Italie et de la France.

Et Rachel aima ses choix.

Verdi et Puccini, bien sûr. Debussy et Ravel, naturellement. Elle était capable de jouer les Gypmnopédies et les Gnossiennes de Satie.

Madame Bovary de Flaubert, le Guépard de Lampedusa, Senso de Camillo Boito, le Jardin des Finzi-Contini de Giorgio Bassani. Tout Leonardo Sciasca.

Verlaine, Rimbaud et Baudelaire dont elle se souvenait encore comme de compagnons d’école. De même qu’Apollinaire, Aragon et Prévert.

De Piaf, elle pouvait fredonner la vie en rose. Elle connaissait Aznavour...

Mais qui étaient Nougaro, Paolo Conte ou Ferré ? Et tous les autres ? Il y en avait tant...

Alors Rachel ouvrit son ordinateur et  téléchargea les albums des chanteurs que Dylan aimait.


*


Sa journée de travail avait commencé sous les meilleurs auspices. Elle avait signé le contrat qui faisait d’elle la nouvelle associée du cabinet Partner’s.

Pour preuve de son nouveau statut, on lui avait proposé un bureau plus vaste dont les fenêtres donnaient sur le jardin privé de Louisburg Square.

Elle avait consacré quelques brèves minutes à savourer sa nouvelle condition d’associée, certes très minoritaire.

Minutes brèves car les dossiers l’attendaient mais aussi parce que son esprit revenait toujours à Dylan.

Elle pensait à elle. Mais aussi à la fragilité de la condition humaine. Un jour au sommet. Le lendemain, allongée sur le lit d’un hôpital...

Mais elle ne voulait pas se laisser submergée par de tristes pensées.

Elle mit des écouteurs reliés à un minuscule iPod et, tout en relisant des courriers qu’elle avait préparés,  continua à découvrir quelques chansons, françaises et italiennes.


*


Elle avait pu quitter le cabinet en fin d’après-midi. Elle savait que pour quelques jours encore, on ne pourrait rien lui refuser et qu’elle pouvait user librement de son temps.

Elle arriva au Tufts Medical à l’heure. À 18 heures 30.

Elle était émue. Comme pour un premier rendez-vous.

Elle était seule devant la chambre de Dylan. Le store était levé et elle pouvait la voir dormir...

Elle brûlait du désir de franchir la porte. Mais elle ne le pouvait pas. Elle ne savait pas quoi faire.

Alors, elle se contentait de la regarder. Encore et encore.

Soudain, elle entendit un pas. Elle tourna la tête. Une infirmière s’approchait d’elle.

- Bonjour... Vous êtes Miss Meg, n’est-ce pas ?

Toujours ce faux nom dont elle s’était affublée. Mais c’était trop tard à présent. Pour le personnel du Tufts Medical, elle devait continuer à s’appeler Meg. Alors elle répondit - Oui Madame...

- Le Docteur m’a parlé de vous. Il m’a annoncé votre visite... Il m’a dit que je devais vous aider. Venez. Je vais vous donner ce dont vous avez besoin pour rendre visite à Dylan sans courir le risque de la contaminer...

- Merci... Je vous suis... Pourquoi les visites ne commencent-elles qu’à 18 heures 30 ?...

Tout en tendant à Rachel la blouse et les chaussons indispensables à la visite, l’infirmière répondit - Contrairement à ce que vous pourriez penser, les patients dans le coma ont des journées très occupées. Nous partons du principe qu’ils sont conscients. Afin d’éviter qu’ils perdent tous leurs repères, nous balisons leurs journées avec des activités qui sont autant d’étapes qui leur permettent de garder un contact avec nous... Nous stimulons leurs sens... Nous leur parlons au moment des soins... Nous créons un environnement adapté avec la présence active de leur famille et de leurs amis... Comme Dylan vient d’arriver chez nous, nous sommes en train de créer cet environnement... C’est pourquoi les visites sont limitées pour le moment, mais dans un jour ou deux, vous pourrez la voir beaucoup plus longtemps...

Rachel ne pouvait pas dissimuler son impatience et son incompréhension. - Mais pourquoi pas tout de suite ?

- Dylan est dans le coma depuis six mois... Depuis son accident, ses médecins new-yorkais n’ont constaté aucun progrès de son état. Alors c’est inutile de brûler les étapes... Pour des patients comme elle, les gens, les choses qui les entourent sont ressentis comme une menace contre laquelle ils ne peuvent pas se défendre. C’est pourquoi nous devons installer autour d’eux un dispositif très doux... Pour ça nous avons besoin de connaître leurs goûts. Pour recréer leur quotidien en n’en conservant que les aspects positifs... Alors ça prend un peu de temps... Vous comprenez ??

- Oui je comprends mieux...

- Bien. Nous allons voir Dylan à présent. Rappelez-vous... Aucun geste brusque. Aucune parole un peu vive...


*


L’infirmière ouvrit la porte et entra dans la chambre de Dylan.

Rachel la suivit.

Elle avait l’impression d’entrer dans un sanctuaire. Elle osait à peine bouger, de crainte d’effrayer la jeune femme. De peur de provoquer une réaction qui pourrait être mortelle.

Elle se tenait immobile observant le travail de l’infirmière qui se penchait sur Dylan. Qui notait les chiffres qui apparaissaient sur les cadrans. Elle vérifiait que tout allait bien.

Rachel entendait le souffle de Dylan qui se mêlait au ronronnement des machines qui l’entouraient.

La jeune femme était assise dans son lit, les mains posées sur le drap. De belles mains, longues et fines.

Rachel admirait ses mains. Mais son coeur se serra quand elle vit que le dos de l’une d’elles portait la griffure de l’aiguille du goutte-à-goutte.

Elle fut surprise par la pâleur de Dylan. Elle ne put s’empêcher de penser Comme elle est blanche !! Mais c’est normal... Elle n’a pas vu le soleil depuis six mois...

L’infirmière se pencha sur Dylan et lui parla avec douceur. - Dylan. Vous avez de la visite... Votre amie Meg est là... Elle est venue vous voir...

Rachel eut un moment de panique. Elle se mit à regretter ses mensonges. Dylan savait qu’il n’y avait aucune Meg dans ses amies.

Quelle réaction allait-elle avoir ? Et si c’était une réaction de peur face à une situation qu’elle ne comprenait pas et qui la menaçait ?

Mais Dylan n’eut aucune réaction. Elle restait immobile. Avait-elle compris ? Avait-elle simplement entendu ?

Rachel éprouva un soulagement libérateur. Ses yeux errèrent dans cette pièce qui allait faire partie de son quotidien dorénavant parce qu’elle l’avait promis.

Elles vit les murs blancs, les fenêtres ouvertes sur une cour. Les machines.

Puis elle vit la table de chevet et sur cette table la photo de deux jeunes femmes enlacées qui souriaient à l’objectif.

L’une, très belle, aux courts cheveux bruns. L’autre, blonde aux yeux bleus glacier.

Dylan et sa compagne.


*


Rachel n’était restée que quelques minutes dans la chambre de Dylan. C’était une première visite alors l’infirmière avait jugé préférable qu’elle ne s’attarde pas.

Mais demain, elle aurait le droit de rester plus longtemps.

Mais pour y faire quoi ?

Elle était à la fois troublée et déçue.

Troublée d’avoir enfin été mise en présence de la jeune femme qui l’attirait tant, sans qu’elle comprenne les raisons d’une telle attirance. Et déçue parce que Dylan conservait toujours son immobilité de statue.

Qu’avait-elle espéré ? Qu’elle se lèverait et avancerait vers elle en souriant pour lui prendre la main ?

De tels miracles n’existaient pas. Elle était ridicule de l’avoir espéré. Pire, elle était pathétique !!

Elle était entrée dans la chambre de  Dylan. Elle l’avait regardée pendant quelques minutes. Puis elle était sortie. Un point. C’est tout.

Elle comprenait toute la difficulté de sa tâche. En se promettant de rendre visite chaque jour à Dylan, elle allait vivre éternellement ces moments déprimants.

Et puis il y avait cette photo. Ce rappel du passé heureux de Dylan.

Or dans ce passé, il y avait cette femme blonde aux yeux bleus.

Dès que Rachel l’avait vue, elle l’avait détestée.

Parce qu’elle partageait la vie de Dylan. Parce qu’elle avait des droits sur elle.

Parce que la dernière pensée de Dylan avant l’accident avait sans doute été pour elle. Parce que c’était vers elle qu’elle revenait quand elle avait été renversée.

Cette jalousie trahissait la nature de ses sentiments pour Dylan.

Mais il y avait autre chose dans cette détestation instantanée.

Rachel avait vu dans la froideur de ces yeux bleus quelque chose qui l’effrayait.

Une intelligence calculatrice. Mais aussi quelque chose d’autre.

Une menace.


*


Malgré sa déception de la veille, Rachel était retournée à 18 heures 30 au Tufts Medical.

En quittant le cabinet Partner’s et associés, elle avait croisé le grand patron qui n’avait pas dissimulé sa surprise de la voir quitter les bureaux si tôt. Il lui avait souhaité une bonne soirée tout en regardant ostensiblement sa montre.

Rachel savait qu’elle avait marqué un très très mauvais point.

Les avocats de Partner’s et associés devaient rester enchaînés à leur bureau jusqu’à la nuit. Ils n’avaient pas le droit de faire l’école buissonnière.

Mais elle se moquait totalement de ce qu’on pouvait penser de son attitude. Dans quelques minutes, elle verrait Dylan.

Cette fois-ci, elle essaierait de lui parler. Elle lui toucherait la main peut-être.

Elle demanderait à l’infirmière s’il était possible de la maquiller un peu afin que son visage n’ait plus cette pâleur de spectre.

Elle souriait. Elle commençait à prendre goût à ces rendez-vous du soir. Et puis bientôt, elle pourrait venir plus souvent et plus longtemps. L’infirmière le lui avait promis.

Mais quand elle arriva devant la chambre de Dylan, une nouvelle déception l’attendait.

Une femme était là, à son chevet. Elle lui parlait doucement. Elle avait posé une main sur la sienne.

Elle faisait tous ses gestes que Rachel aurait aimé faire.

Rachel resta pétrifiée devant le mur vitré de la chambre de Dylan. Elle ne faisait pas un geste ni le moindre bruit.

Pourtant la femme sentit sa présence et tourna la tête vers elle.

Elle était blonde aux yeux bleus glacier.


*


Elle sourit à Rachel. Ses yeux bleus la scrutaient comme un rayon laser l’aurait fait.

Elle se pencha sur Dylan et déposa un baiser rapide sur sa joue. Puis elle sortit de la chambre et se dirigea vers elle.

Toujours ce regard qui ne la quittait pas et qui mettait Rachel si mal à l’aise. Il était sans bonté et il démentait le sourire figé accroché à ses lèvres.

- Bonjour... Vous êtes Meg n’est-ce pas ?.. Le Docteur m’a dit qu’une «vieille» amie de Dylan venait lui rendre visite depuis qu’elle était à Boston. Je suis ravie d’apprendre que Dylan ne sera pas seule ici. Mais je me présente... Je m’appelle Helena DeXeres. Je suis la compagne de Dylan. Ravie de vous rencontrer Meg... Meg qui au fait ?.. Le médecin ne m’a pas dit votre nom...

Rachel pensa Et voilà !! Tout est fini !! Mes mensonges ridicules vont être découverts !! Et cette blondasse va m’interdire la porte de Dylan !! Mais quelle imbécile je fais !! J’aurais dû me douter que j’allais tomber sur cette bonne femme !! Mais elle savait qu’elle n’avait pas le choix. Elle devait persister dans ses mensonges. Peut-être qu’avec un peu de chance... Alors, elle répondit - Alcott... Meg Alcott... Moi aussi, je suis enchantée de vous rencontrer... Helena... mentit Rachel.

- Je suis ravie et... étonnée. J’ignorais que Dylan avait une amie dans cette ville. Or, elle avait si peu de secrets pour moi... Mais... ce serait sympa de faire plus ample connaissance. On pourrait dîner ensemble... Vous qui connaissez parfaitement Boston, dites-moi où je pourrais vous inviter à dîner ?

Le regard bleu qui se voulait amical, et même un peu plus de ça, n’échappa pas à Rachel qui pensa Elle ne perd pas de temps !!  Mais elle répondit avec un grand sourire - Quelle bonne idée !! J’aimerais beaucoup vous faire découvrir les petits pubs inconnus des touristes. Oups !! Tu en fais un peu trop là... J’aimerais beaucoup la jeter dans l’océan atlantique et la noyer, oui !! 

- Parfait... Alors je vous suis !!

- Mais avant, je voudrais rendre une petite visite à Dylan...

- Non. Pas ce soir, Meg... J’ai trouvé que Dylan semblait un peu fatiguée... Alors, une seule visite suffit amplement... Croyez-moi...

- Mais... Le médecin a dit que les visites ne pouvaient que l’aider.

- Je suis sa compagne, Meg... C’est à moi qu’il appartient de juger ce qui peut l’aider ou pas. Qui peut la voir ou pas... Et ce soir, je pense qu’il vaut mieux la laisser se reposer ... Par contre, j’ai hâte d’aller dîner...

Professionnellement, Rachel avait l’habitude des rapports de forces. Elle comprit instantanément la menace implicite.

Helena DeXeres avait le pouvoir de lui interdire la porte de Dylan. Elle n’avait pas l’intention d’en user. Pour le moment. Mais à la condition qu’elle lui obéisse.

Rachel pensa “le chameau” mais n’insista pas. Elle répondit avec un grand sourire et l’air le plus indifférent possible. - Vous avez raison. Après tout Dylan a un bataillon d’infirmières pour prendre soin d’elle. Je vous propose d’aller sur les quais, manger du homard. C’est la spécialité de Boston “et si tu pouvais t’étouffer avec...»

- Parfait... Et nous parlerons de vous et de votre... grande amitié pour Dylan...


*


La nuit tombait sur la terrasse du restaurant.

Dans leurs assiettes, les restes de deux homards. Dans leurs verres un vin blanc de Californie.

Elles avaient parlé de choses et d’autres. De la vague de chaleur qui rendait la vie à New York si éprouvante en ce moment. De la dernière expo à la mode... De la crise qui s’installait et qui rendait la vie des gens si difficile, surtout dans les grandes villes...

Helena semblait un peu grise.

Mais Rachel savait qu’elle ne devait pas se fier à cette ivresse apparente. Car il n’y avait aucune brume dans ses yeux bleus. Seulement deux lacs d’eau froide...

Elle savait que ce n’était qu’un stratagème pour endormir sa méfiance et que bientôt Helena allait l’engloutir sous un flot de questions.

Elle ne se trompait pas.

- Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, Meg, j’ignorais que Dylan avait une amie à Boston. Elle ne m’a jamais parlé de vous... Et pourtant, vous êtes de celles qu’on n’oublie pas...

Et voilà !! L’interrogatoire commence !! Et en plus elle me drague !! Quel bonheur !! pensa Rachel - Nous nous étions un peu perdues de vue... Elle à New York... Moi à Boston, réussit-elle à répondre.

- Bien sûr... Bien sûr... Mais justement... Comment vous êtes-vous connues ? Racontez-moi... J’adore les jolies histoires...

- Nous nous sommes rencontrées en fac...

- En fac ? Oooh, évidemment... Et dans quelle université avez-vous fait vos études, Meg ?

- À Harvard...

- Harvard ?? C’est curieux... Dylan a fait toutes ses études à l’Université de Columbia. À New York. Dylan est une new-yorkaise pur sucre... Je dirais même acharnée !!! Mais vous le savez déjà... Alors racontez-moi comment vous vous êtes rencontrées...

- A l’occasion de compétitions sportives entre les deux Universités...

- J’aurais dû le deviner... Dylan était une sportive accomplie. Elle a couru le marathon de New York... Et elle a fait un temps tout à fait remarquable... Mais, naturellement, vous le saviez déjà...

Rachel ne répondit pas. Mais elle détestait cette façon qu’avait Helena de la mettre sur le grill. Comme les deux homards qui avaient fait les frais de leur gourmandise.

Et surtout elle détestait cette façon de parler de Dylan au passé. Comme si elle était déjà morte...

Mais elle dissimula sa rage. Elle devait faire le dos rond. Subir les questions sans broncher.

Helena continua son interrogatoire - Comment avez-vous appris pour son accident ?

- Par hasard en lisant le journal. Enfin une affirmation qui n’est pas un mensonge pensa Rachel. Il disait qu’elle avait été immédiatement conduite au Rockfeller Hospital...

- Et c’est le Rockfeller qui vous a prévenue de son transfert à Boston...

Super pensa Rachel, je n’ai même plus besoin de mentir... Helena fait le boulot pour moi... - Exactement, répondit-elle. J’ai pensé que c’était de mon devoir de l’aider...

- Vous avez dû être surprise de la revoir dans cet état. Elle si forte. Si pleine de vie... Nous avions le projet d’aller  passer trois semaines en Europe cet été...

- En France et en Italie, je suppose ?

- Oui. Dylan adorait ces deux pays. Elle disait qu’elle aurait pu y vivre... Ce voyage ne m’arrangeait pas... Mais j’avais dit oui pour lui faire plaisir...

- Vous n’aimez pas l’Europe ?

- Si. Mais à petites doses. Je ne raffole pas des vieilles pierres. Des ruelles étroites et tortueuses... Et puis c’est pendant l’été que ma chaîne met la dernière main aux programmes de la rentrée... Il vaut mieux être là si on ne veut pas voir son émission passer à la trappe...

- Vous travaillez à la télé ?

- Oui, j’anime un talk-show sur une chaîne du câble. Une émission résolument new-yorkaise. Mais, ici, à Boston, vous n’avez pas dû en entendre parler... Je sais ce que vous pensez. Comment Dylan, férue de poésie française et de littérature italienne, a-t-elle pu tomber amoureuse d’une animatrice de talk-show ?

- Je ne pense rien de tel mentit Rachel.

- Quand nous nous sommes rencontrées, nous ignorions tout l’une de l’autre... Le désir a été notre seul guide... Personnellement, je ne l’ai jamais regretté... Dylan était tellement...

Mais elle laissa sa phrase en suspens. Un silence tomba qu’Helena interrompit rapidement.

- Et vous Meg, que faites-vous dans la vie ?

Au point où tu en es, continue tes mensonges ou plutôt tes demi-mensonges... pensa Rachel - Je suis assistante juridique dans un cabinet d’avocat...

- Comme ça doit être passionnant ! Les lois et les tribunaux ont une telle influence sur notre époque... On doit avoir le sentiment d’agir pour le bien commun...

Elle n’en pense pas un mot se dit Rachel. Elle me prend vraiment pour une gourde. Je ne vais pas la détromper... Je ne suis pas certaine que les cabinets d’avocats agissent toujours pour le bien commun. Moi, j’essaie en tout cas. A mon humble niveau...

- Je vous admire... Dylan avait de la chance d’avoir une amie comme vous... Je suis d’autant plus étonnée qu’elle ne m’ait jamais parlé de vous... Et je suis d’autant plus ravie que vous soyez près d’elle pour l’aider... J’aimerais être près de Dylan. Mais que ce soit par le train ou l’avion, il me faut quatre longues heures pour venir de New-York... Je ne peux pas être là tous les jours... Quant à ses parents, ils n’en ont plus ni la force, ni le courage... Ils ont été près d’elle tous les jours depuis l’accident... Sans la moindre amélioration de son état... C’était très dur pour eux... Il ne faut pas mal les juger, mais je crois qu’ils vivent l’éloignement de Dylan comme un soulagement... Oui, comme un soulagement...

Rachel ne répondit pas.

Mais elle avait parfaitement compris qu’Helena parlait d’elle.

C’était Helena qui avait décidé de se soulager du poids d’une Dylan dans le coma en l’exilant à Boston.

Dylan était devenue une gêne. Une marionnette aux fils cassés dont Helena s’était débarrassée.

Elle avait réussi à convaincre ses parents de tenter leur chance à Boston.

Et à présent, Dylan était seule. Totalement seule.


*

Elles s’étaient séparées tard dans la nuit.

Helena repartait le lendemain pour New York et elle ne pourrait pas revenir à Boston avant plusieurs semaines.

Mais  la blonde animatrice de talk-show avait affirmé - Nous devons absolument nous revoir !! Nous parlerons encore de Dylan...

Rachel avait promis, avec un enthousiasme feint.

Une telle promesse n’avait aucune importance. Seule lui importait la possibilité de revoir Dylan.

Elle était doublement soulagée.

Elle avait réussi l’examen de passage avec brio. Apparemment, Helena avait gobé ses mensonges.

Evidemment, s’il lui prenait l’envie de vérifier ses dires, il ne lui faudrait pas longtemps pour découvrir qu’elle ne ressemblait guère à la véritable Meg Alcott.

C’était un risque à courir. Mais elle avait l’impression que justement le risque n’était pas grand.

À présent, elle était persuadée qu’Helena ne serait pas un obstacle. Que tout au contraire, elle était ravie de se décharger sur elle de l’attention qu’il fallait apporter chaque jour à Dylan.

Elle n’avait aucune envie d’abandonner les plateaux de télé, où elle recevait les confidences du «tout New York», pour courir au chevet de Dylan.

Helena DeXeres était une égoïste et une arriviste, uniquement préoccupée de sa petite personne et de sa carrière. Et dans sa vie, il n’y avait pas de place pour une Dylan comateuse.

Une Dylan belle et sportive, dont la culture et l’intelligence la mettaient en valeur, y avait toute sa place. Mais pas une femme brisée par la maladresse criminelle d’un chauffard.

L’indifférence d’Helena provoqua la colère de Rachel. S’oublier soi-même et ne plus vivre que pour une malade accrochée à son lit d’hôpital !! Ce n’est pas la tasse de thé d’Helena !! Vraiment pas !! Renoncer à sa carrière, à ses plaisirs pour tenir compagnie à un quasi-fantôme inutile,  sans savoir combien de temps durera un pareil sacrifice... Très peu pour elle...

Parce que pour avoir envie de renoncer à tant de choses, il fallait aimer.


*

Les jours, les semaines qui suivirent provoquèrent un séisme dans la vie de Rachel.

Tous les jours, elle allait au Tufts Medical. Sa présence y était devenue aussi naturelle que si elle avait fait partie du personnel soignant.

Elle était la seule proche de Dylan à lui rendre régulièrement visite. Alors, le médecin lui avait permis d’avoir un accès pratiquement libre à sa chambre.

Sauf pendant le nursing.

Dès qu’elle arrivait, elle revêtait la blouse sur laquelle on avait accroché une carte avec son prénom, et elle se rendait dans le bureau des infirmières.

Tout le monde l’appelait Meg. Les infirmières la tutoyaient, lui confiaient leurs tracas quotidiens. Elles avaient des moments de mélancolie. Mais aussi d’énormes fous rires.

Peu à peu, Rachel se laissa séduire par la gaieté de ses femmes. Par leur optimiste lucide, leur amour de leur métier, leur dévouement à leurs malades.

Elles lui apprirent les gestes qu’ils fallait avoir avec Dylan. Faits de douceur et de patience.

Elle découvrit le quotidien des grands comateux, plongés dans un monde de silence.

Elle appris qu’il fallait se persuader que Dylan était consciente. Qu’elle entendait tout, ressentait la plus petite émotion. Que seules ses paupières restaient obstinément fermées. Seul son corps demeurait immobile. Mais son esprit et son coeur étaient toujours ouverts au monde qui l’entourait.

Les infirmières lui avaient dit que Dylan, comme tous les comateux, était très sensible aux odeurs.

Alors, elle avait décidé de changer de parfum. Elle ne portait plus l’essence  lourde ou capiteuse de la redoutable avocate qu’elle était toujours. D’autant qu’il lui avait semblé que la même fragrance enveloppait Helena.

Elle avait choisi un parfum doux, frais  et... français qui aurait sans doute plu à la jeune femme naturelle et sans artifices qu’était Dylan. Il s’appelait Eau de campagne. Il portait merveilleusement bien son nom.


*


Dans les premiers temps, elle venait avec un recueil de poèmes français. Elle s’asseyait près d’elle. Tout près pour ne pas avoir à forcer sa voix. Et elle lisait lentement.

Elle tentait de mettre dans sa lecture toute l’émotion dont elle était capable.

Pour ne plus buter sur les mots, elle avait repris des cours de français, un peu oublié depuis ses études. Par manque de temps, elle avait dû se contenter de cours par internet qu’elle suivait le soir quand elle était rentrée chez elle. C’était peu mais c’était un début.

Elle avait appris par coeur certaines des chansons aimées de Dylan. Et elle les chantonnait doucement, penchée sur la jeune femme.

Les infirmières lui avaient dit qu’elle avait une très belle voix et qu’elle aurait pu en faire un métier.

Rachel le savait déjà. Ses confrères avocats le lui avaient déjà dit.

Alors elle souriait... Tristement.


*


Elle épiait chez Dylan le moindre signe indiquant un léger mieux. Une rémission de son état. La preuve, même ténue, qu’elle sortait, peu à peu, de son coma.

Un soupir, une inflexion de sa respiration, un frémissement de sa joue, un léger mouvement de ses doigts.

Mais rien.

Rachel avait espéré qu’elle se réveillerait tout à coup, en entendant un ver de Rimbaud. Ou le murmure chanté d’une strophe de Ferré.

Pourtant elle savait que les choses n’étaient pas aussi simples. Elle avait lu de nombreux livres, de multiples témoignages... Et elle savait qu’un réveil aussi brutal était rarissime.

Les jours, les semaines, les mois passaient. Mais Dylan gardait toujours son immobilité de statue.


*


La vie de Rachel était bouleversée.

Elle ne voyait plus ses amies, ni sa propre famille.

Bien sûr, ses proches étaient persuadés que Rachel les avait délaissés pour une maîtresse exigeante avec laquelle elle entretenait une liaison torride...

Elle les laissait dire... Elle n’était plus à un mensonge près... D’ailleurs, ce n’était pas totalement faux...


*


Rachel devait prouver qu’elle avait mérité sa promotion au sein des avocats associés de Partner’s.

Mais de plus en plus, sa vie auprès de  Dylan entrait en concurrence avec son métier.

Ses horaires au bureau n’étaient pas ceux d’une avocats carnassière, uniquement animée par la fringale de dossiers et de causes à gagner. Elle arrivait plus tard que les autres, après avoir fait un détour par le Tuft Medical. Elle partait plus tôt pour rejoindre Dylan.

Elle savait que l’on murmurait dans son dos. Elle était toujours aussi compétente et savait encore se montrer efficace. Mais elle n’avait plus le «feu sacré». Il y avait une autre passion dans sa vie... Or, le Droit est un amant exclusif qui ne partage pas.

Un soir, ses associés la retinrent. Ils étaient assis face à elle. Comme un tribunal.

Ils lui posèrent un ultimatum.

Ils la sommèrent de se reprendre sinon elle devrait faire le deuil de sa situation d’associée. Elle devrait quitter Partner’s. Et ce serait la fin de sa carrière. Elle ne résisterait pas à un pareil échec.

Le grand patron, toujours entouré du lourd parfum d’un cigare cubain à cent dollars,  lui dit qu’elle avait de nombreux talents, mais qu’elle n’était pas irremplaçable. Il y avait dans le cabinet, des collaborateurs, certes moins doués qu’elle, mais infiniment plus motivés, qui se battraient pour obtenir une telle promotion et... pour la garder.

Elle regarda ces hommes qui mesuraient la réussite sociale au nombre des millions de dollars accumulés sur un compte en banque, au nombre des voitures de luxe, au nombre des maîtresses.

Elle comprenait enfin qu’elle n’avait rien de commun avec eux. Si ce n’est le nombre des maîtresses pensa-t-elle en souriant. Leur façon d’exercer le métier d’avocat n’était pas la sienne.

Elle pensa aux infirmières qu’elle avait rencontrées. C’était ainsi qu’elle aurait voulu travailler. Avec dévouement et humanité. Choisir ses dossiers non en fonction du montant des honoraires espérés, mais uniquement pour aider une femme, un homme qui vous appellent à l’aide.

Mais elle savait que ses associés étaient incapables de comprendre un pareil discours. Alors, elle se contenta de leur dire qu’ils auraient sa démission dès demain.

Puis, elle se leva. - Excusez-moi, Messieurs, on m’attend...

- Qui vous attend Rachel ? Qui est cet être extraordinaire qui vous fait renoncer à la réussite ?

- Je ne renonce pas à la réussite, Monsieur... Je choisis une autre forme de réussite... Voilà tout... Mais vous avez raison, c’est un être extraordinaire... Je reviendrai demain pour faire le point des dossiers que je suis en train de traiter et pour vider mon bureau. Puis vous n’aurez plus à vous soucier de moi... Bonne soirée Messieurs...

Quand elle se retrouva dans la rue, dans ce Louisburg Square si prestigieux, elle se sentit, curieusement, à la fois plus libre et plus asservie.


*


Après avoir quitté ses associés, elle était allée au chevet de Dylan.

Elle n’avait pas parlé. Elle n’avait pas chanté. Elle n’avait rien lu.

Elle était simplement restée assise à côté de son lit. Elle regardait le visage émacié qui ne devait ses rares couleurs qu’au pinceau de la maquilleuse.

Elle chercha, derrière ses traits amaigris, la beauté pure qui l’avait séduite. Derrière ce front lisse, l’intelligence et l’ironie qu’elle avait devinées.

Rachel était encore engourdie par la décision qu’elle avait prise. Elle n’osait pas se l’avouer, mais elle la regrettait.

Comment avait-elle pu dire non à toutes ses espérances pour une seule, si utopique ?

Comment avait-elle pu dire non à la fortune, à la puissance qu’elle donnait, à la gloire des grands avocats pour l’espoir illusoire d’un avenir avec Dylan.

Mais de quel avenir pouvait-elle rêver ?

Dylan ne se réveillerait jamais. Elle en était persuadée à présent. Cela faisait plus de neuf mois qu’elle avait eu son accident, et jamais son corps n’avait frémi.

Et même si elle se réveillait, elle retournerait vers Helena DeXeres qui était son passé et ses souvenirs.

Elle, elle n’était rien.

Rien qu’une menteuse qui croyait vivre dans un conte de fées où les belles endormies se réveillaient, comme par miracle, sous le baiser de leur princesse.

En y réfléchissant bien, un tel conte n’avait jamais été écrit. Car jamais Perrault ou les Frères Grimm n’auraient pu imaginer, ou oser écrire, des récits où les amants étaient du même sexe.

Cette pensée la fit sourire. Un bref instant. Puis elle revint à ses regrets.


*


Elle avait tout sacrifié à un gisant.

Elle n’avait plus de contacts avec ses amies qui n’auraient pas manqué de la noyer sous des questions auxquelles elle ne voulait pas répondre.

Elle ne voyait plus ses parents. Et elle ne les verrait plus avant longtemps. Comment leur annoncer qu’elle avait renoncé à sa carrière, et pour quoi, eux qui avaient tellement mis d’espoirs en elle ?

Elle se revoyait trois mois plus tôt, le jour où elle avait rencontré Dylan.

Elle se rappelait ce qu’elle avait pensé en quittant ses deux amies qui venaient d’avoir un bébé. Elle s’était dit qu’elle aurait été incapable de s’occuper d’un enfant. Qu’elle était trop égoïste pour faire le choix de se consacrer à une autre vie que la sienne.

Et voilà, qu’elle faisait bien pire.

Parce qu’un enfant, c’était votre chair et c’était l’avenir.

Alors qu’elle avait tout sacrifié à un corps étranger dont elle ne savait rien. Qui ne savait même pas qu’elle existait. Et qui n’aurait jamais d’autre avenir que l’immobilité des statues.

Comment avait-elle pu faire un pareil choix ?

Elle savait bien que, quelques heures auparavant, elle avait un peu agi par esprit de contradiction. Ses associés exigeaient qu’elle rentre dans le rang. Alors, par défi, elle avait décidé d’en sortir. Définitivement.

Elle avait trouvé que sa décision avait du panache. Elle, la jeune femme qui trouvait le courage de résister à ces «grands hommes». En leur donnant une leçon de vie.

Et puis, elle était sincère quand elle avait dit «Je ne renonce pas à la réussite... Je choisis une autre forme de réussite... Voilà tout...»

Au moment où elle avait prononcé ces mots, elle était totalement amoureuse de Dylan et prête à lui sacrifier ses jours et ses nuits. Jusqu’à ce qu’elle sorte du néant où elle demeurait depuis neuf mois...

Mais elle était amoureuse de la Dylan d’avant. Celle qui était belle, intelligente, cultivée et forte.

La revoir à présent, entourée des machines qui la nourrissaient ou l’aidaient à respirer, lui avait remis les idées en place.

Ce beau geste, au romantisme désuet et ridicule, était vain et un peu pathétique.

Elle comprenait qu’elle perdait son temps.

Elle comprenait qu’elle était en train de gâcher sa vie.


*


Elle se pencha vers Dylan.

Elles étaient seules, l’une à côté de l’autre.

Elle regarda ardemment la jeune femme endormie près d’elle.

Tout dépendait d’elle. La justesse de son choix. La réussite de sa vie.

Il suffisait qu’elle se réveille. À l’instant, alors que sa main était posée sur la sienne.

Il suffisait qu’elle ouvre les yeux et sa première vision serait le visage de Rachel.

Elle dirait Qui êtes-vous ? Vous avez toujours été à côté de moi ? Et Rachel répondrait - Oui. Toujours... Dès que je vous ai rencontrée... Et alors, Dylan lui sourirait et lui dirait - Restez auprès de moi... Toute la vie...

Rachel pensa Si seulement, il pouvait en être ainsi. Si seulement... Il faut qu’il en soit ainsi.

Alors elle murmura - Aide-moi Dylan. Aide-moi, ma chérie... Je t’en supplie... Fais un effort... Réveille-toi... Je t’en prie...  Je pourrai tout supporter si tu restes avec moi... Je pourrai tout recommencer... Si tu ne me laisses pas seule...

Mais le visage de Dylan restait imperturbable. Ses paupières demeuraient closes. Elle n’entendait pas la prière amoureuse de Rachel.

Il n’y avait rien à faire.

Il n’y avait rien à espérer.


*


Alors Rachel prit sa décision.

Elle ne voulait pas vivre immobile à côté d’une statue de chair et de sang.

Elle se leva. Elle regarda une dernière fois Dylan.

Elle murmura - Bonne nuit, ma chérie... Prends soin de toi... J’espère que tu t’en sortiras... Oui... J’espère de tout coeur que tu t’en sortiras... Mais moi, je n’ai plus la force... Je t’aime... mais je me perds si je reste là... Je suis certaine que tu me comprends... Je vais prier pour toi... Je ne sais pas si tu y crois. Je ne connais pas ton Dieu. Je sais si peu de choses de toi... Sauf que je t’aime et que je t’aurais aimée... Adieu...

Elle se pencha sur Dylan. Et l’embrassa à la commissure des lèvres. Doucement, elle caressa sa joue.

Puis, lentement, elle sortit de la chambre dont elle referma la porte sans faire de bruit.

Elle retourna dans la petite pièce où elle rangeait sa blouse. Après l’avoir retirée, elle décrocha l’étiquette sur laquelle on avait écrit ses nom et prénom. Meg Alcott.

Longtemps, elle tint le petit bout de papier dans sa main. Elle lisait et relisait cette identité qu’elle avait empruntée à une autre.

Puis d’un geste brusque, elle froissa l’étiquette et la jeta dans une corbeille.

Elle marcha vers l’ascenseur. La descente lui parut durer des heures. Mais au fur et à mesure des étages qui défilaient, elle avait l’impression de se détacher petit à petit de ce qui était son quotidien depuis trois mois.

Enfin, elle fut dehors. Elle se mit presque à courir sur Washington street. Jusqu’à ce que le Tufts Medical disparaisse à sa vue.

C’était fini.

C’en était fini de ce conte à dormir debout. C’en était fini de cette histoire pathétiquement romantique.

C’en était fini de Rachel réveillant Dylan.

De Rachel aimant Dylan.


*


Cinq mois avaient passé.

Boston s’apprêtait à fêter la nouvelle année.

La neige, qui recouvrait la ville depuis plusieurs semaines déjà, s’était remise à tomber.

Mais Rachel ne la voyait pas.

Elle était assise au fond d’un bar sans fenêtres.

Un verre vide était posé devant elle. En quelques gorgées, elle avait avalé l’alcool chaud et apaisant.

Elle avait fermé les yeux. Elle sentait le liquide fort brûler sa poitrine.

Elle aimait ce goût âpre et légèrement sucré. Bref, elle aimait le rhum.

Elle avait envie d’un autre verre. Elle en avait besoin.


*


Une main fit disparaître le verre vide et le remplaça par un autre, bien plein celui-là.

La substitution s’accompagna d’un éclat de rire - Eh ben, dis donc, tu t’envoies grog sur grog !! Ton mal de gorge a bon dos !! Tu ne serais pas en train de sombrer dans l’alcoolisme mondain par hasard ??

Rachel regarda la très jolie jeune femme rousse qui se moquait d’elle. - Plains-toi !!! Si tu veux que je sois bonne à quelque chose ce soir, il faut bien que je me réchauffe les mains et le gosier...

- Evidemment que je veux que tu sois “bonne à quelque chose” ce soir !! Mais tu pourrais prendre un lait chaud !! Parce qu’à ce train-là tu vas être fin saoule et tu ne me seras plus d’aucune utilité, ma chère...

- Ah non, pas de lait chaud !!! Beurk !!! Un bon grog est le remède contre le mal de gorge le plus efficace que je connaisse. Ma grand-mère me le disait déjà... Et puis... est-ce que je t’ai déjà laissée tomber ?? J’ai toujours été là quand tu me l’as demandé...

- Oui. C’est vrai... Et moi pour toi... Depuis cinq mois, nous nous rendons mutuellement service... Et je ne crois pas que tu le regrettes... Tu étais bien contente de me trouver...

- Mais toi aussi, tu étais bien contente de me trouver...

- C’est vrai... Après toutes ces années, je n’aurais jamais cru que la sublime Rachel Peabody, la géniale étudiante en Droit, la grandissime avocate aurait un jour besoin de sa petite camarade de collège... Infiniment moins douée qu’elle pour les études... Au fait, tu ne m’as pas dit comment tu m’avais retrouvée...

- Le hasard... Je venais de quitter mon job... Je suis passée devant ta porte... J’ai vu ton nom, et je suis entrée...

- Pourquoi ??? Tu n’as pas besoin de notre petit arrangement... J’ai cru comprendre que tu avais de quoi attendre des jours meilleurs...

- Oui. C’est exact. Mes anciens associés se sont montrés très généreux... Vraiment très généreux... Ils m’ont donné un gros chèque quand j’ai démissionné. Quand on a le cabinet d’avocats le plus important de la ville, et les clients les plus riches, on ne peut pas se permettre d’être radin. Ça fait mauvais genre... Surtout à Boston... Non, je ne suis pas venue te voir par besoin d’argent. Mais parce que j’étais seule... J’avais besoin de donner un sens à ma vie...

- Alors, tu m’as fait une proposition que je ne pouvais pas refuser...

- Et que tu n’as PAS refusée...

- Ô que non... Elle était bien trop... tentante... Accueillir la sublime Rachel Peabody sous mon modeste toit...

- Tu as quand même pris un risque... Je t’en remercie...

- Le risque n’était pas bien grand. Je connaissais ta réputation... Déjà au collège, on parlait de tes talents... Mais, je ne pensais pas que tu en ferais ton métier un jour...

- Moi non plus... Mais c’est la vie... C’est le destin... Bon, on a assez bavardé... Il faut que je vérifie que la «médecine» de ma grand-mère est toujours aussi efficace...


*


Les doigts de Rachel se mirent à courir sur les touches du piano. Un air de jazz s’éleva. Puis sa voix, douce, profonde, chaude.

- Dansez sur moi dansez sur moi
Le soir de vos fiançailles
Dansez dessus mes vers luisants
Comme un parquet de Versailles
Embrassez-vous, enlacez-vous
Ma voix vous montre la voie
La Voie lactée, la voie clarté
Où les pas ne pèsent pas
Dansez sur moi
Dansez sur moi
Dansez sur moi...

Meg Alcott avait fermé les yeux. Elle écoutait Rachel avec ravissement. Elle aurait voulu la prendre dans ses bras pour danser un slow sur cette musique langoureuse. Sur ces mots de français si caressants...

Ô oui. Elle se félicitait d’avoir accueilli Rachel il y a cinq mois...

Elle avait un sacré talent !!! Pianiste et chanteuse douée, elle choisissait ses chansons avec soin. Comme ce vieux standard américain, revisité par Claude Nougaro, qu’elle ne connaissait pas avant que Rachel ne le fredonne.

Grâce à elle, son club de jazz était plein tous les soirs. Parce qu’en plus d’avoir du talent, Rachel était magnifique !!

Les hommes, les femmes venaient au Alcott Club pour l’écouter et... la voir. Et ils consommaient. Des cocktails à 30 dollars le verre... Beaucoup de cocktails... Peut-être pour oublier que Rachel quittait le club seule. Toujours seule...

D’ailleurs, elle aussi, avait envie de boire.

Quand elle avait revu Rachel, après toutes ces années, elle avait cru qu’elles pourraient reprendre leur histoire là où elles l’avaient laissée quand elles avaient 16 ans.

A ce baiser, qui avait été le premier. Pour l’une comme pour l’autre.

Mais ses espérances avaient été déçues... Rachel venait pour du boulot. Uniquement du boulot... Ou plutôt pour trouver un dérivatif à sa douleur...

Car Rachel souffrait. Une plaie ouverte qui avait du mal à cicatriser.

Elle lui avait parlé d’une certaine Dylan qu’elle avait aimée. Mais elle n’en avait pas dit plus...

Meg n’osait pas l’interroger.

Ainsi, elle n’osait pas lui demander ce qu’elle faisait quand elle quittait le bar, tous les jours, à 18 heures 15.

Pour ne réapparaître qu’à 21 heures, au moment de s’asseoir devant son piano.


*


Car les résolutions de Rachel n’avaient pas tenu longtemps.

Elles n’avaient tenu que trois jours. Trois jours seulement.

Après avoir dit adieu à Dylan, elle était rentrée chez elle.

Elle ne voulait plus y penser. Alors elle avait pris suffisamment de somnifères pour dormir d’un sommeil sans rêve.

Le lendemain, en se rendant à son cabinet, elle avait décidé d’avoir une explication “franche et constructive” avec ses associés.

Elle voulait recoller les morceaux. Essayer de sauver ce qui pouvait l’être. Retrouver sa place dans le cabinet d’avocats.

Mais elle avait à peine franchi la porte, qu’elle se sentit comme asphyxiée par cette atmosphère de lourd affairisme.

Elle pensa que non, décidément, sa place n’était plus ici. Outre qu’elle risquait de perdre la face en tentant d’y rester, elle n’en avait tout simplement plus envie.

Alors, elle fit très exactement ce qu’elle avait dit. Elle rédigea rapidement sa lettre de démission, qu’elle remit avec les dossiers qu’elle suivait.

Elle remplit un petit carton avec les quelques objets personnels qui décoraient son bureau. Elle fit le tour du cabinet pour dire adieu.

Puis elle referma la porte de la vieille maison sur elle.

Elle avait rompu les amarres qui la rattachaient à ce métier qu’elle avait tant aimé.

Mais pour aller où ?

Oisive pour la première fois de sa vie. Sans souci d’argent dans immédiat grâce à la générosité de ses anciens associés.

Elle avait besoin de faire quelque chose de sa vie.


*


Il faisait si beau en cette fin du mois de juillet, qu’elle avait laissé ses pas la mener le long des rues de Boston.

Sur Hanover Street, son attention fut attirée par la façade d’un bar minuscule, niché dans une étroite et vieille maison de briques rouges.

Le Alcott Club.

Le hasard était extraordinaire. C’était le même nom.

Quand le médecin du Tufts Medical lui avait demandé son identité, elle avait naturellement songé à son premier flirt. Meg Alcott. Une jolie petite rouquine au nez retroussé et à la peau laiteuse parsemée de taches de rousseur.

Elle était entrée dans le bar.

Il n’avait pas de fenêtres, mais de lourds sièges de cuir, des petites tables, un comptoir le long d’un mur tapissé de bouteilles d’alcool. Et au fond une scène encombrée d’un piano.

L’ambiance était parfaite. Rachel se crut plongée dans les années 1920. A l’époque du Cotton Club.

La salle était vide.

Alors,  cédant à la tentation, elle s’était assise au piano. Elle avait commencé à jouer et à fredonner une des chansons que Dylan lui avait fait découvrir.

Au moment où elle avait plaqué le dernier accord, elle avait entendu des applaudissements.

Meg Alcott était là qui lui souriait.


*


Meg croyait en son talent. Elle lui avait proposé de devenir l’attraction du Alcott Club.

Rachel avait trouvé un moyen de remplir ses jours et une partie de ses nuits. Elle pensait qu’ainsi elle pourrait tourner la page Dylan. Définitivement.

Elle se consacrait totalement à son nouveau métier. Mais les choix musicaux qu’elle faisait la ramenaient inévitablement à Dylan.

Très vite, elle éprouva un manque. Le manque de ses heures passées auprès d’elle. Le manque de Dylan.

Et elle s’en voulut. Elle n’était restée à son chevet que pendant trois mois. Elle était mal placée pour critiquer Helena DeXeres qui, malgré son égoïsme et son carriérisme effréné, avait tenu six mois.

Alors, trois jours seulement après avoir décidé qu’elle n’y retournerait jamais plus, elle avait pris le chemin du Tutfs Medical.

Elle avait croisé les infirmières qui lui avaient souri. Personne ne lui avait posé de questions sur sa courte absence.

Elle avait retrouvé sa blouse accrochée à une patère.

Une main y avait accroché une nouvelle étiquette avec ce nom qui était le sien quand elle venait près de Dylan. Meg Alcott.

Elle était entrée dans la chambre de Dylan.

Rien n’avait changé.

Dylan était toujours alitée. Ses yeux étaient toujours fermés.

Rachel s’approcha d’elle. Elle se tint à ses côtés.

Tout à coup la porte s’ouvrit et le médecin entra. - Meg !! Je suis ravi de vous voir !! Il faut que je vous gronde !! Vous nous avez manqué pendant ces trois jours !!

- Bonjour Docteur... J’ai eu un problème avec mon travail... Je n’ai pas pu venir... Mais, je ne pensais pas que mon absence se remarquerait...

- Mais si... Nous aurions bien eu besoin de vous... Parce qu’il y a trois jours... Dans la soirée... Juste après que vous êtes venue voir Dylan... Juste après votre départ... Il s’est passé quelque chose...

- Quoi ??? Que s’est-il passé Docteur ??? répondit Rachel, le coeur battant.

- Il y a eu un signe d’éveil... Dylan a remué les lèvres... Comme si elle voulait parler...

*
Rachel resta silencieuse. Mais son esprit hurlait. Il y a trois jours... dans la soirée... Juste après que je suis venue la voir... Juste après mon départ... Dylan a remué les lèvres... Comme si elle voulait parler... Elle voulait me répondre... Elle voulait sûrement me répondre... Elle m’a entendue... Elle m’a comprise... Ô mon Dieu, si j’étais restée près d’elle... Si seulement j’étais restée près d’elle...
Le médecin respecta son silence puis - Que s’est-il passé quand vous étiez avec elle ? Avez-vous dit ou fait quelque chose de particulier ?
- Non Docteur... je n’ai rien fait de particulier... Enfin, rien d’important... Je lui ai seulement dit... elle s’interrompit, gênée par le caractère insensé des paroles qu’elle avait prononcées.
- Oui Meg ?... Qu’avez-vous dit à Dylan ?..
- Je lui ai demandé... de faire un effort... Je lui ai demandé de... de se réveiller...
- De faire un effort ? De se réveiller ? Simplement ça ? Tout simplement ??
- Oui Docteur... tout simplement... Vous croyez qu’elle m’a entendue Docteur ? Qu’elle m’a comprise ?
- Je ne veux pas vous donner de faux espoirs Meg. Ce n’est pas certain. A ce stade, il lui est difficile d’être réellement à l’écoute des autres... De les comprendre. De leur obéir... Sa réaction n’a peut être rien à voir avec vos propos... Mais c’est le premier signe encourageant depuis des mois... Alors on ne doit rien exclure... Je crois qu’il faudrait que vous veniez plus souvent et plus longtemps... Vous pourriez venir le matin. Vers 10 heures. Après le nursing et sa première séance de kinésithérapie...
- Le nursing ??
- Oui... Ça désigne ces moments où les infirmières s’occupent de la toilette de Dylan... Il faut aussi l’hydrater, prévenir les plaies qui peuvent apparaître sur sa peau en raison de sa position couchée... L’idéal serait de vous intégrer plus étroitement à l’équipe médicale qui suit Dylan... Bien sûr, vous n’aurez pas à faire de gestes techniques... Les infirmières vous diront comment les aider... Vous voulez bien ?
- Bien sûr Docteur... Je veux bien... Je veux faire tout ce qui peut aider Dylan...
Le médecin lui sourit gentiment - Oui Meg. C’est bien ce que j’avais cru comprendre... Merci d’accepter de nous aider. Merci pour Dylan... Je vais vous laisser avec elle à présent.
*
Il avait quitté la chambre, les laissant seules.
Rachel s’assit au bord du lit de Dylan et lui prit la main - Ma chérie... Moi je sais que tu m’as entendue... Alors je vais te dire... Pardonne-moi d’avoir douté de toi... Mais je suis là à présent... Je suis revenue... Et je ne partirai plus... Je vais rester près de toi... J’ai quitté mon travail... J’en ai trouvé un autre qui va me laisser plus de temps pour toi... Pour être avec toi... Et ensemble on va y arriver...
Elle guettait une réaction chez Dylan. Un mouvement des lèvres. Mais il ne vint pas.
Elle se pencha tout près de son oreille et elle chuchota - Tu ne peux pas me répondre ? Tant pis... Mais je suis certaine qu’un jour tu y arriveras... Alors, il faut que tu saches... Je m’appelle Rachel... Rachel Peabody...
*
Cinq mois avaient passé.
Et pendant ces cinq mois, Rachel s’était consacrée totalement, exclusivement au chant et à Dylan.
Elle n’était pas une pianiste et chanteuse professionnelle, même si elle était réellement douée. Alors, elle passait des heures au Alcott Club à répéter pour être digne de la confiance de Meg. Digne du public qui venait l’entendre.
Mais tous les matins à partir de 10 heures, tous les soirs à partir de 18 heures 30, elle venait au chevet de Dylan.
Pendant ces cinq mois, elle fut là, près d’elle.
Et sa patience constante fut récompensée. Car à plusieurs reprises, elle vit Dylan remuer les lèvres. Et même si aucun son n’en sortait, Rachel était alors émue au-delà de toute expression.
Elle continuait à lui lire les livres que le professeur d’italien et de français avait aimés, autrefois avant son accident. Elle prenait soin de choisir des passages qui ne soient ni tristes, ni même mélancoliques.
Un jour, elle avait eu une idée.
Plutôt que de lui lire les oeuvres des autres, pourquoi ne pas inventer ses propres histoires ?? Après tout, elle savait un peu écrire. C’était toujours elle qui gagnait le premier prix de rédaction quand elle était au collège !!
Alors, quand elle ne répétait pas, quand elle n’était pas au Tufts Medical, elle rédigeait sur son petit ordinateur des histoires qu’elle venait lui lire. À elle et à elle seule. Loin des oreilles indiscrètes qui auraient pu les trahir.
C’était leur secret à toutes les deux. Un peu d’intimité volée.
Dans ces histoires, il y avait des bribes de la vie de Rachel. Et aussi un peu de la vie qu’elle aurait aimé vivre avec Dylan. Ses espoirs et ses projets.
Son rêve d’une maison sur l’île de Nantucket. Posée sur une plage, face à l’Océan Atlantique. Son rêve de traverser les États-Unis sur une grosse Harley Davidson, cheveux au vent...
Et ces histoires rendaient plus étroit encore le lien qui s’était tissé entre elles.
*

Meg Alcott ignorait tout de la double vie de Rachel.
Mais ce qu’elle savait, c’est qu’elle était douée, généreuse et attentive aux autres. Ce qu’elle savait aussi, c’est qu’elle était incroyablement séduisante. Et que la tristesse qui noyait ses magnifiques yeux bleus lui était insupportable.
Une telle tristesse ne pouvait avoir qu’une seule raison. La solitude de Rachel ne pouvait avoir qu’une seule explication. Elle aimait une femme qui ne l’aimait pas. Et elle avait la folie romanesque de lui être fidèle. Malgré tout.
Un jour de lassitude, Rachel avait vaguement, très, très vaguement murmuré un prénom. Dylan. Sans en dire plus...
Mais Meg avait cru deviner le reste. Si banal et si évident. Et Meg avait immédiatement détesté cette Dylan, qui dédaignait son amie et la faisait souffrir.
*

Boston s’apprêtait à fêter la nouvelle année.
Rachel avait refusé toutes les invitations qu’elle avait reçues. Car ce premier janvier, elle voulait le passer avec Dylan.
Helena DeXeres avait fait l’effort de venir passer Noël auprès d’elle. Ce jour-là, Rachel avait fui le Tufts Medical. Car elle ne voulait pas la rencontrer.
Mais ce Premier janvier était à elles.

Elle était restée toute la nuit au Alcott Club, accompagnant au piano les fêtards qui réveillonnaient.
Elle bénissait les lois de Boston qui imposaient que les cafés, bars et restaurants ferment impérativement à deux heures du matin. Ainsi, elle avait pu rentrer chez elle prendre un peu de repos avant de retrouver Dylan.
*
Quand elle arriva au Tufts Medical, la clinique était étrangement silencieuse. Elle ne vit pas les nombreux soignants qu’elle croisait habituellement dans les couloirs.
Enfin, elle entra dans la chambre de Dylan. Une infirmière s’y trouvait déjà.
Elle l’interpella immédiatement - Ah Meg,  je suis heureuse de vous voir... Vous tombez bien... Avec les fêtes, il y a moins de personnel... Et je suis débordée... Vous allez m’aider à finir le nursing de Dylan... Et, au fait, bonjour et bonne année...

- Bonne année... Le nursing ?? Mais qu’est-ce que je dois faire ? Je ne suis pas compétente... Je ne connais rien à la médecine...
L’infirmière répondit en riant - Cool, Meg, cool... Vous ne devez pas vous inquiéter... Je ne vous demande pas de lui faire une piqûre... Ok ?? Ce sera très simple... Il suffit de m’aider à faire sa toilette... Nous allons la dévêtir, puis passer un gant humide sur sa peau... D’habitude nous sommes deux infirmières pour le faire... Mais aujourd’hui, avec les fêtes, nous sommes en effectif restreint... Venez... Je la soulève légèrement et vous, vous retirez sa chemise...
Elles s’approchèrent de Dylan. Bientôt elle fut nue devant elles.
Elle était toujours une jeune femme athlétique, aux épaules larges et aux hanches étroites. Elle avait de très jolis seins, un ventre plat. Son état n’avait pas flétri sa beauté.
Rachel était émue. Elle ne disait pas un mot. Elle avait l’impression de voir Dylan pour la première fois.
- Et bien Meg ? Vous êtes étonnée ?? Vous pensiez trouver un corps décharné ? Elle est un peu amaigrie... Mais on lui apporte des soins constants. On la nourrit. On stimule ses muscles pour éviter l’atrophie. Elle a des séances de kinésithérapie deux fois par jour afin d’éviter les raideurs, au niveau des articulations, dues à l’absence de mouvement... Les comateux sont des patients exigeants. Qui demandent des attentions constantes... Prenez ce gant. Vous allez procéder à sa toilette...
Rachel obéit. Elle prit un gant de toilette qu’elle mouilla et commença à laver le corps de Dylan.
Elle passa le linge humide sur son cou, ses épaules et sa gorge. Elle suivit la courbe des seins, la plaine ferme du ventre, le galbe des cuisses...
Elle mettait une infinie douceur dans ses gestes si proches de la caresse. Elle ressentait des émotions qu’elle reconnut immédiatement. De l’attirance et du désir...
Elle se laissait complètement engloutir par la magie érotique de ce moment.
Soudain, elle éprouva une sensation curieuse. Elle leva la tête.
Dylan avait ouvert les yeux.



*


Rachel n’osait plus faire un geste.

Elle savait que la réaction de Dylan était celle que l’on attendait depuis des mois.

Alors, elle n’osait plus bouger par peur de commettre une maladresse qui risquerait de compromettre son timide retour à la vie.

Mais elle murmura - Ô mon Dieu... ses yeux se sont ouverts...

L’infirmière avait immédiatement vu la réaction de Dylan parce qu’elle avait toujours été attentive au moindre signe de conscience qui pourrait survenir. Elle avait déjà saisi le téléphone qui se trouvait près du lit -  J’ai vu... J’appelle le médecin... Il sera là dans quelques secondes...

Dans quelques secondes...

Dans quelques secondes, le médecin sera là et avec lui, toute une équipe médicale, internes et infirmiers, épiant le moindre réflexe de Dylan...

Rachel se pencha sur elle. Elle lui fit un sourire timide. Elle captura son regard. Et dans les yeux de la jeune femme elle vit de la détresse...

Pourquoi cette tristesse au moment même où, enfin, la vie revenait ?

Elle avait lu des témoignages de personnes qui étaient sorties du coma. Certaines disaient leur incompréhension  de ce qui les entourait, incompréhension qui se transformait en peur.

Certains comateux craignaient que les infirmières ne leur fassent du mal. L’un d’eux avait dit qu’il avait honte de son état. Il se voyait sur son lit d’hôpital, branché, avec des tuyaux partout.

Rachel se souvint de ces témoignages. Dylan ne savait pas qui étaient les femmes penchées sur elle. Amies ou ennemies ? Par contre, elle avait sans doute conscience de sa misère physique. Peut-être ne voulait-elle pas de ces regards qui scrutaient son corps nu.

Alors, Rachel rabattit le drap sur le corps de la jeune femme.


*


Ce moment était vital pour elles deux. Rachel devait lui dire les quelques mots qui accompagneraient le retour de Dylan à la vie.

Ces mots qui les uniraient pour toujours.

Rachel ne voulait rien de fade. Mais elle ne savait pas quoi dire. Alors, elle se contenta de prendre sa main entre les siennes et de murmurer - Dylan... Enfin, Dylan... Tu nous reviens...

Elle sentit les doigts bouger légèrement, comme pour lui répondre. Dylan se réveillait doucement. Tout doucement.

Cette timide réaction bouleversa Rachel.  Dylan avait repris totalement conscience. Elle en était certaine à présent. 

Délicatement, elle serra les doigts. Elle voulait lui transmettre sa force.

Elle entendit Dylan soupirer. Et pour Rachel, ce soupir était comme une parole de bienvenue dans sa vie. Elle en fut émue aux larmes.

Elle s’apprêtait à porter sa main à ses lèvres, lorsque le médecin, accompagné d’une infirmière, entra dans la chambre.

- Meg !! Vous êtes là !!

- Oui Docteur... Je suis là depuis une heure...  J’ai participé au nursing... J’étais en train de passer un linge humide sur son corps quant elle a ouvert les yeux...

- Enfin... C’est donc à vous que nous devons son réveil Meg... Vous nous avez été d’une aide précieuse... Mais il faut nous laisser seuls avec elle à présent... Nous devons l’accompagner dans son réveil... Faire des examens et des contrôles. Nous ne devons pas être trop nombreux autour d’elle. Cela pourrait l’effrayer...

- Je sais Docteur... Je vais partir... Mais je peux revenir ce soir n’est-ce pas ?? Comme d’habitude ??

- Bien sûr Meg... S’il y a une personne au monde qui mérite de la voir, c’est bien vous... Revenez ce soir. À 18 heures 30...


*


Rachel avait obéi au médecin. Elle était rentrée chez elle.

Pendant des heures, elle avait tourné en rond, comme un fauve dans une cage, vérifiant mille fois l’heure, maudissant ces aiguilles qui tournaient si lentement sur le cadran de sa montre.

Elle cherchait une tâche à accomplir qui lui permettrait de vider son esprit. Mais celui-ci était plein de Dylan.

Elle n’avait pas pu se rendre au Alcott Club pour répéter ses chansons. Elle ne voulait pas que le regard de Meg, si attentif, ne découvre son trouble.

Elle s’était douchée. Elle n’avait rien pu avaler à l’heure du déjeuner. Puis elle s’était habillée, changeant de vêtements pour trouver ceux qui seraient parfaits pour son premier vrai rendez-vous avec Dylan.







Enfin, le moment tant attendu arriva. Elle prit le chemin du Tufts Medical. Comme elle l’avait déjà fait des centaines de fois.



Mais cette fois-ci était différente car, à présent, Dylan était consciente. Elle pourrait comprendre tout ce qu’elle lui dirait.


Pendant tous ces mois passés auprès d’elle, elle en avait parfois eu l’intuition. Maintenant elle en était certaine. Dylan avait ouvert les yeux et le regard qu’elle lui avait jeté était un regard lucide.

Ses moments avec elle ne se réduiraient plus à un long monologue. A une tentative désespérée pour la ramener à la conscience.

Rachel allait tout lui dire. Comment elles s’étaient rencontrées. Cette photo d’elle, capturée sur internet, qui avait laissé une trace indélébile sur sa mémoire et sur son coeur.

Elle lui dirait ce qu’elle était avant de la connaître. Une avocate égoïste et arriviste qui avait renoncé à tout pour l’accompagner dans son combat solitaire contre le coma.

Elle lui dirait les heures passées à son chevet à espérer son réveil... Elle lui dirait ses espoirs et son rêve d’une vie partagée à deux.

Elle avait tant de choses à lui dire qu’une heure n’y suffirait pas...


*


Elle entra dans la clinique.

Mais elle n’y avait fait que quelques pas qu’une main se posa sur son épaule. Elle se retourna et resta figée.

Devant elle, la personne qu’elle souhaitait le moins rencontrer. Elle aurait préféré rester douze heures sur le fauteuil d’un dentiste plutôt que la revoir.

Helena DeXeres. Elle était là devant elle. Avec ce regard qui s’apprête à hypnotiser sa proie. Avec ce sourire factice collé aux lèvres.

Elle la noya sous un flot de paroles.

- Meg !!! Quel bonheur de vous revoir !! Après tous ces longs mois !! Vous êtes toujours aussi radieuse !! Je dois bien avouer que je suis jalouse de votre beauté... Je dois vous faire mes plus plates excuses... J’avais promis de tout faire pour qu’on puisse se revoir... Et puis vous savez ce que c’est... la vie trépidante de New York...

- Non. Je ne sais pas ce que c’est... Rachel n’arrivait pas à masquer son déplaisir.

- Non, naturellement. Vous ne savez pas ce que c’est... Comme vous ne savez plus rien de la vie trépidante de Boston, je suppose... Parce que vous avez préféré jouer les gardes-malades pendant des mois...

- Vous êtes la dernière à pouvoir m’en faire le reproche...

- Mais je ne vous reproche rien... Bien au contraire... Car je vais vous annoncer une grande nouvelle. Une merveilleuse nouvelle !! Dylan a repris conscience. Mais vous le saviez déjà n’est-ce pas ? Parce que vous étiez là au moment où elle a ouvert les yeux...

- En effet. J’étais là...

- Oui. Vous étiez là... Je le savais déjà. Le médecin m’a raconté les circonstances dans lesquelles Dylan a repris connaissance. Il a particulièrement insisté sur le rôle déterminant d’une magnifique jeune femme brune qui n’avait pratiquement pas quitté son chevet pendant huit longs mois... Comme c’est émouvant... Il avait des trémolos dans la voix quand il parlait de cette histoire édifiante... Un vrai conte de fées... J’ai bien l’impression que notre gentil docteur est tombé amoureux de vous... Vous aurez au moins fait cette conquête-là, Meg... Ou dois-je dire... Rachel ??

Elle sentit que la foudre tombait sur elle. Elle crut entendre ses espérances se briser comme du verre. Elle ne sut quoi répondre et elle s’entendit balbutier - Rachel ? Je ne comprends pas...

- Vraiment ? Vous ne comprenez pas ? Ce prénom ne vous dit vraiment rien ?.. Comme c’est étrange... C’est pourtant le vôtre... C’est inutile de continuer à mentir... Je sais tout. Et depuis longtemps... Très précisément depuis que nous nous sommes rencontrées au chevet de Dylan. Le lendemain, je vous faisais suivre par un détective... Il n’a eu aucun mal à découvrir qui vous étiez et ce que vous faisiez. Vous vous appelez Rachel Peabody et vous étiez avocat dans le meilleur cabinet de Boston. Vous avez démissionné pour vous consacrer à votre noble sacerdoce auprès de Dylan. Mais comme vous devez faire bouillir la marmite, vous avez dégoté un job de pianiste et de chanteuse dans la boîte de jazz d’une amie, Meg Alcott, à qui vous avez opportunément emprunté nom et prénom...

- Puisque vous savez tout depuis des mois, pourquoi n’avoir rien dit ?.. Pourquoi avoir laissé une menteuse approcher Dylan ?..

- Parce que vous m’avez rendu service... Vous avez fait ce que je n’avais plus le temps de faire... Se rendre à son chevet tous les jours... Lui lire les livres qu’elle aimait... Sans compter tout le reste... Vous avez fait preuve d’un dévouement dont je n’avais plus la force...

- Ni l’envie... Vous vous êtes débarrassée d’elle en l’expédiant à Boston...

- Vous pouvez penser de moi ce que vous voulez, je m’en moque...

- C’est réciproque... Nous nous sommes tout dit... Je ne suis pas ici pour vous... Je suis venue voir Dylan... Laissez- moi passer...

- Non !! C’est fini Rachel !! Je vous interdis de l’approcher... Ce matin, vous avez vu Dylan pour la dernière fois... Il n’y en aura pas d’autres... Alors quittez immédiatement cette clinique et n’y revenez plus... De toute façon, j’ai donné des ordres pour que Dylan retourne à New York. Le médecin est d’accord... L’état de Dylan le permet... Ce n’est qu’une question de quelques jours... et elle retournera chez elle... Chez nous...

- Vous n’avez pas le droit de m’empêcher de la revoir...

- J’ai tous les droits... Je suis sa compagne, ne l’oubliez pas. Vous, vous n’êtes rien... Rien qu’une menteuse...

- Sa compagne ? Mais vous l’avez abandonnée pendant huit mois... Vous l’avez dit vous-même... Vous étiez bien contente que je vous remplace auprès d’elle... Vous n’aimez pas Dylan... Vous l’avez abandonnée...

- Qu’est-ce que vous savez de mes sentiments pour elle ??? Vous ne savez rien de ce que j’ai enduré quand on m’a dit qu’elle avait été renversée par ce chauffard !! Vous ne savez rien de mes souffrances !!

- Ça ne vous a pas empêchée de l’expédier à Boston... Alors que moi...

- Vous ? Vous avez projeté vos fantasmes sur une femme, jeune, belle, intelligente et sportive... Vous vous êtes servie de Dylan pour avoir le courage de changer votre vie... Alors, je ne vous dois rien. Dylan ne vous doit rien... D’ailleurs, elle ne se souvient de rien...

- Elle n’a aucun souvenir ??

- Si. Mais ils s’arrêtent au jour de l’accident... Elle n’a rien retenu de ce qu’elle a vécu ensuite. Elle peut parler à présent... Elle nous a dit que c’était comme un énorme trou noir... Vous êtes dans ce trou noir, Rachel. Et vous allez y rester... Je ne vous permettrai jamais de l’approcher... Et elle ne saura jamais rien de vous... Personne ici ne saura jamais qui vous êtes. Rappelez-vous... Pour le personnel du Tufts Medical vous êtes Meg Alcott. Je vous conseille vivement de vous en tenir là...

- Vous me menacez ?? Je n’ai rien fait de mal...

- C’est une question de point de vue. Voler l’identité d’une autre pour approcher une malade sans défense... Je ne suis pas certaine que le Barreau de Boston apprécierait cette «usurpation d’identité»... C’est bien le terme juridique, n’est-ce pas ?? Je m’adresse à l’avocate...

- J’ai cessé d’exercer.

- Ne me prenez pas pour une imbécile !! Je connais les nuances. Vous vous êtes fait omettre du Barreau... Vous pouvez y retourner dès que vous en aurez l’envie ou le besoin. Par contre, si vous êtes radiée pour un délit... votre carrière sera brisée... Vous ne pourrez plus jamais exercer le métier d’avocat...

- J’ai renoncé à ce métier... Vous avez oublié ??? Je suis pianiste et chanteuse à présent... Alors, vos menaces...

- Oui, je sais... Une petite pianiste et une chanteuse passable... Rien de transcendant... Rien qui puisse satisfaire longtemps une petite intrigante comme vous...

- Une intrigante ??

- Vous croyez vraiment me berner ? Moi, je ne crois pas une seconde à la fable de l’amour merveilleux qui transcende les obstacles... La seule raison de votre obstination auprès de Dylan, ce sont ses millions de dollars...

- Ses millions de dollars ???

- Il y a quelques semaines, un juge de New York a accordé 500.000 dollars à une femme de cinquante ans qui s’était simplement cassé la jambe en glissant sur une frite dans un Mac Do... L'avocat de Dylan a demandé 60 millions pour elle. Il est certain de les obtenir... Une jeune femme professeur, sportive, qui aura passé quatorze mois dans le coma. Qui aura perdu quatorze mois de sa vie... Il est en train de négocier avec l’assurance du chauffard qui l’a renversée...

- C’était donc ça... C’est pour ça que vous ne voulez pas que j’approche Dylan... Par peur de ne pas avoir votre part de ses millions...

- Ne me dites pas que vous n’y avez pas songé, vous aussi... Après tout vous êtes avocat... Vous n’êtes pas tombée de la dernière pluie...

- Non... Je n’y ai jamais pensé...

- Alors, c’est que vous êtes encore plus gourde que je le pensais...

- Ça suffit à présent !!! J’en ai assez entendu !!! Mettez vos menaces à exécution si vous le voulez, je m’en moque... Mon sort m’importe peu... Laissez-moi passer...

- Quel sens du sacrifice !! Bravo... Mais je me demande si vous êtes aussi prête à sacrifier le personnel du Tufts Medical...

- Le personnel de la clinique ? Je ne comprends pas...

- Pendant huit mois, ces imbéciles ont laissé une parfaite inconnue, qui utilisait une fausse identité, approcher une malade sans défense parce que plongée dans le coma... Ils ne vous ont rien demandé. Ils n’ont rien vérifié... Ils vous ont laissée entrer dans son intimité... Jusqu’à participer au nursing...

- Je ne lui ai rien fait de mal...

- Un vrai coup de chance !!! Vous auriez pu être une de ces tueuses qui assassinent les malades... Ça fera un joli scandale quand la presse de Boston se fera l’écho de la négligence du Tufts Medical... Ça risque de provoquer le départ de tous les patients... Je crains fort que la clinique ne s’en remette pas. Quant à notre Docteur, que vous avez si manifestement subjugué qu'il en a oublié toute prudence, ce sera la fin d’une brillante carrière...

- C’est du chantage... Vous êtes immonde...

- Je sais ce que je suis... Moi, je n’ai jamais eu besoin de me dissimuler... Maintenant, cette conversation a assez duré... Nous nous sommes tout dit. Je vous conseille vivement de partir à présent. N’essayez pas de revoir Dylan. Evitez New York. Gardez pour vous votre histoire pathétique. J'aurai toujours un oeil sur vous Rachel... Alors si jamais vous désobéissez, je déclencherai le feu nucléaire sur votre petite personne et sur le Tufts Medical...

Rachel ne disait plus un mot. Helena s’approcha d’elle. Plus près.

- Je suis désolée Rachel... C’est dommage de s’être rencontrées dans de si tristes circonstances. Vous me plaisez beaucoup... Vraiment beaucoup... Enormément même... Nous devrions nous revoir... Je pourrais venir à Boston... Après tout, vous n’avez rien à espérer de Dylan... Comme je vous l’ai dit... Elle ne se souvient de rien... Rien des mois passés ici... Rien des heures passées avec vous... Sa vie recommence là où elle l’avait laissée il y a quatorze mois... Avec moi...

Rachel ne voulait pas en entendre plus. Alors elle lui tourna le dos et, vaincue, quitta le Tufts Medical.


*


Rachel ne savait plus où aller. Elle avait tant espéré passer l’heure qui suivait en compagnie de Dylan. A se découvrir l’une l’autre...

Et voici que tout était détruit... Tout était devenu impossible... Parce qu’Helena DeXeres en avait décidé ainsi !!

Rachel savait bien qu’à un moment ou un autre, elle devrait l’affronter. Mais fallait-il que ce soit si tôt ? 

Elle enrageait. DeXeres n’a pas perdu de temps !! Dès qu’elle a appris le réveil de Dylan, elle a dû sauter dans un train !! Pour une fois, les quatre heures de trajet qui séparent New York de Boston n’ont pas dû lui sembler insurmontables !!..

Rachel tentait de se rassurer. Si Helena me voit comme une menace, c’est que je  le suis... Leur couple ne doit pas être bien solide, pour qu’elle m’interdisse de rencontrer Dylan !!...

Ses pensées se bousculaient dans sa tête. Et dire qu’elle a osé me faire ses propositions dégoûtantes !! Elle m’interdit de voir Dylan et en plus elle me propose de devenir sa maîtresse !! J’ai eu la nausée quand je l’ai entendue... Elle me donne envie de vomir !! Mais elle est la plus forte !! Je n’ai aucun moyen de la combattre !! Elle m’a piégée !!! Je ne peux rien faire... Elle me tient... Avec ses relations dans le milieu des médias, elle n’aurait aucun mal à me détruire et à détruire la réputation du Tufts Medical... !!! Quand je pense à tout ce qu’ils ont fait pour Dylan... Quant à moi... Mes pauvres parents... Ils étaient si fiers quand je suis devenue avocat... Si j’étais radiée... Si j’étais chassée du Barreau... Ça leur briserait le coeur... Je ne peux pas leur faire ça... A quoi bon d’ailleurs ?.. Puisque Dylan ne se souvient de rien... Elle ne sait même pas que j’existe...

Elle sentit qu’une douleur irradiait sa poitrine. Elle avait mal. Si mal...

Plus que tout... C’était ça qui lui faisait mal. Dylan ignore jusqu’à mon existence... Toutes ces heures passées à son chevet. À tenter de réveiller ses souvenirs. À tenter de créer un lien avec elle.... Et puis... plus rien. Il ne reste rien de mes efforts. Dylan s’est réveillée grâce à moi. Mais elle s’est réveillée pour une autre. Pour cette Helena DeXeres que je méprise et que je déteste... Il y a une forme d’ironie cruelle dans tout ça !!! Helena peut me remercier !!

Elle avait marché vite. Très vite. Aussi vite qu’il était possible sur les trottoirs recouverts d’une fine pellicule de neige fraîche... Comme si elle fuyait. Et c’était le cas d’une certaine façon. Elle fuyait DeXeres. Elle fuyait ses espoirs déçus.

Elle avait rejoint le parc de Boston Common. Elle y était entrée et elle s’était laissée tomber sur un banc près d’un grand arbre aux branches décharnées et à l’allure fantomatique.

Que faire à présent ? Vers qui se tourner ?

Machinalement, elle regarda sa montre... C’était encore un peu tôt pour le Alcott Club... Mais elle n’avait pas d’autre endroit où aller...

Alors, elle se leva, essuya les larmes qui avaient coulé sur ses joues et dirigea ses pas vers la boîte de jazz de son amie.


*


Meg Alcott ne cacha pas sa surprise. Elle accueillit Rachel sur le ton de la plaisanterie. - Te voilà déjà ?? Tu n’es pas à ton rendez-vous mystère ?? Tu préfères passer la soirée avec ta vieille copine ??? Qu’est-ce qui me vaut cet honneur ??? Est-ce que, par hasard, il y aurait de l’eau dans le gaz entre vous deux ??

- Entre nous deux ???

- Entre toi et la «fameuse» Dylan ???...

- Ne prononce jamais ce nom devant moi !!! Tu entends ??? Je ne veux plus jamais entendre parler d’elle !!! Plus jamais !!! Tu comprends ??? Alors, sers-moi plutôt un whisky !!!

- Oups !!! Très bien !! À vos ordres mon général !!

Rachel s’était assise à son piano.

Elle commença quelques exercices pour se dérouiller les doigts mais aussi pour passer à autre chose... Pour s’oublier dans la musique... Pour effacer Dylan...

Meg posa le verre de whisky près d’elle puis elle alla s’asseoir à une petite table.

Elle ne disait plus un mot. Mais elle regardait intensément son amie.

Il s’était passé quelque chose. Elle en était certaine. Rachel avait eu une réaction inhabituelle. Irritée. Agressive. Presque violente. Alors qu’elle était la douceur et la patience personnifiées.

Une dispute ?? Une rupture ??

Quoi que ce fût, c’était sa chance... Elle ne devait pas la laisser passer... Cette nuit devait être leur nuit.

La nuit de Meg et Rachel...


*


Deux heures du matin.

Comme d’habitude, Meg fermait les portes du Alcott club sur le dernier client. Sur le dernier fêtard.

Elle pensa Enfin seules... Moi aussi, j’ai envie de fêter la nouvelle année... Et dignement...

Elle s’approcha de Rachel qui était restée assise devant son piano et qui, machinalement, jouait quelques notes mélancoliques.

- Qu’est-ce que c’est ?.. C’est joli...

- Ce n’est rien... Quelques notes comme ça...

- Ça ressemble un peu à «As Times Goes By»... C’est un peu triste pour une nouvelle année...

- Je suis désolée... Je sais que ce n’est pas très gai... Mais c’est mon état d’esprit... Alors, je vais te laisser...

- Non !!! Surtout pas !!! Nous n’avons pas encore fêté la nouvelle année !!! J’ai justement une bouteille de Veuve Clicquot millésimée pour l’occasion...

- Je suis désolée Meg... Mais tu devrais trouver quelqu’un d’autre pour la boire... Moi, je vais casser l’ambiance...

- Mais je n’ai pas envie de fêter ça avec quelqu’un d’autre que ma meilleure amie !! Alors, je t’en prie... Fais un effort... Allez, viens... Suis-moi... On va lui faire sa fête à cette bouteille de Champagne !!..

Elle saisit la main de Rachel qui se laissa faire. Elles montèrent l’escalier en colimaçon qui menait directement à l’appartement de Meg, niché sous le toit au-dessus du club.

Dans une pièce, sobrement meublée, une bouteille de Champagne et deux verres attendaient posés sur une table basse...

Rachel se mit à rire. - Tu avais tout prévu !!!

- Du Champagne pour la nouvelle année ?? Ça n’a rien d’original. répondit Meg en remplissant les verres...

- Ce n’est pas à ça que je pensais...

- Ah oui ?? Et à quoi d’autre ?? minauda Meg qui semblait l’innocence incarnée.

- Tu le sais très bien... Cette bouteille n’est pas là par hasard... Posée près d’un canapé profond... Mais je ne crois pas nécessaire de te faire un dessin...

- Non, c’est inutile en effet... Très bien... J’avoue tout... J’attends ce moment depuis nos seize ans... Je n’aime pas les histoires inachevées... Alors, je crois que toi et moi, nous devrions enfin... tu m’as comprise... Je ne crois pas utile de te faire un dessin...

- Non. J’ai parfaitement compris. Mais toi aussi, tu dois comprendre... qu’aujourd’hui... je ne peux pas... Je ne peux vraiment pas...

- Quel dommage !!! L’amour et le Veuve Clicquot, ça fait tellement bon ménage...  D’ailleurs, j’en ai acheté une pleine caisse... Mais bon. Tant pis... Je saurais me montrer patiente... Mais, dis-moi... Il s’est passé quelque chose hier, n’est-ce pas ?... Tu ne veux pas m’en parler ?... Comme à une amie... Ta meilleure amie...

- Si. Je vais t’en parler. Mais pas maintenant... Je ne peux pas... Je n’en ai pas envie. Alors buvons !! À la nouvelle année... À notre amitié... À notre avenir... J’ai de grands projets pour nous deux. Pour le Alcott Club... Je veux tout oublier. Tout ce qui n’est pas nous deux... Et je vais y arriver... Oui, je suis certaine d’y arriver. Tout ce que j’ai vécu ces derniers mois est en train de tomber dans un trou noir... Il n’en sortira plus...

Rachel se mit à rire et elle vida son verre.


*


Les deux goélands se disputaient une frite tombée au sol.

Le plus grand, le plus lourd eut le dessus. Il s’envola avec son trophée devant le regard dépité de son adversaire qui ne put que jeter un cri d’exaspération.

Assise sur un banc du Bryant Park, sur la Sixième avenue, Dylan regardait en souriant cette scène habituelle à New York : deux oiseaux des mers faisant les poubelles.

Elle se sentait bien. Si bien.

Grâce à plusieurs mois de rééducation intensive, elle avait de nouveau apprivoisé son corps. Elle était fière d’avoir retrouvé sa force et sa souplesse d’antan.

Elle étira les bras rien que pour le plaisir de faire jouer ses muscles.

Elle respira à fond rien que pour le plaisir de sentir l’air remplir ses poumons.

Elle avait envie de rire, de courir, de danser. Elle se sentait vivante.

Elle savait que pendant quatorze mois, elle n’avait été qu’une poupée brisée allongée sur un lit d’hôpital. Alors, elle voulait savourer pleinement chaque minute, chaque seconde de sa vie.

Elle s’émerveillait du moindre incident. De chaque détail qui autrefois lui paraissait insignifiant.

Elle adorait ce qui, autrefois, lui paraissait dérisoire et inutile. Faire les boutiques, courir les vernissages, parler chiffons, lire la page people des magazines, aller voir le dernier musical à Broadway, dévorer un hamburger sur un banc à Central Park...

Elle aimait toujours ses maîtres italiens et français. Mais elle voulait tout connaître, tout découvrir.

Elle s’amusait à dépenser son argent en vêtements. Comme cette redingote en cachemire myrtille dont elle appréciait la douceur et la chaleur en ce mois d’avril.

Elle avait noué une écharpe orange autour de son cou. Mais elle avait gardé un jean usé.

Elle s’amusait de ce curieux mariage de couleurs. Mais outre qu’il mettait parfaitement en valeur la finesse de ses traits et son teint délicatement hâlé, il résumait son bonheur de vivre.

Elle avait décidé de mettre de la couleur dans sa vie. Pour elle et pour les autres.

Elle était plongée dans ses pensées quand tout à coup elle entendit une voix qui l’appelait. - Dylan !! Ma chérie !!

Elle tourna la tête et vit Helena marcher vers elle.

Elle lui sourit.

En deux pas, Helena fut près d’elle. Elle se pencha sur Dylan pour l’embrasser. Leurs lèvres s’effleurèrent. 



*


Helena connaissait la timidité de Dylan qui était restée une femme pudique.

Alors, elle mit rapidement un terme à ce geste de tendresse. Elle s’assit à côté d’elle.

- Tu es magnifique ma chérie !! Et quelle élégance !! Tu es superbe dans ces vêtements !! J’adore ces couleurs !! Elles te vont si bien... Elles te font resplendir !!

- Et elles me donnent bonne mine !! répondit Dylan en riant.

- Oui. C’est vrai... Elles te donnent aussi bonne mine !!! C’est sympa ce rendez-vous dans ce parc !! À deux pas des studios de télé...

- Je t’ai apporté ton déjeuner... Le meilleur hamburger de New York. J’ai dû le défendre contre des goélands voraces... Comment se passe ton émission ??

Helena ouvrit la boîte en carton que le hamburger avait réchauffée. Elle mordit dans le pain avec gourmandise.

La bouche peine, elle répondit - Très bien... Ce nouveau concept plaît beaucoup à la direction de ma chaîne... Nous sommes en train d’enregistrer plusieurs épisodes pour la rentrée de septembre... Avec mon autre émission qui est réalisée en direct, je n’ai plus une seconde à moi... Je n’aurai pas de temps libre avant plusieurs mois... Je suis désolée, ma chérie... Tu dois penser que je t’abandonne...

- Non... Ne t’inquiète pas... De toute façon, tu ne pourrais pas partager mes séances de kinésithérapie... Et puis nous avons quand même pu nous offrir cinq jours à Saint-Barth. C’était sympa, non ?... Se faire bronzer sur la plage... Nager dans la mer des Caraïbes... Danser... Avaler des punchs... Goûter à cette délicieuse cuisine franco-antillaise...

- C’était parfait ma chérie... Enfin, presque parfait... Dommage que nous n’ayons pas pu... Mais Helena ne finit pas sa phrase.

- Je sais... Je suis désolée... Pardonne-moi... Mais je fais un blocage... Tu n’y es pour rien... Tu es toujours aussi belle... C’est moi... Mon désir est comme... anesthésié... Le psy qui suit ma rééducation, m’a expliqué que ça arrivait parfois... Après de longs comas... Mais, il m’a aussi dit que ce n’était qu’une question de temps... Ça va revenir. Encore plus fort qu’avant... D’autant que c’est comme le vélo. Ça ne s’oublie pas... conclut Dylan en riant.

- J’espère ma chérie. Mais le plus tôt sera le mieux. Parce que je t’avoue que je suis comme «une chatte sur un toit brûlant»...

- Je vois... Et bien... quand «ça» va revenir, «ça» va être waouuuuhh !!! Au fait, comment as-tu fait pendant les quatorze mois qu’a duré mon coma ??? C’est long quatorze mois... Très, très long...

- Je n’y ai pas pensé !! J’ai travaillé, travaillé. Je me suis acharnée au travail... Je n’ai fait que ça !!

- Je n’en crois pas un mot !! Je suis certaine que de temps en temps, tu devais t’offrir un petit extra...

- Mais pas du tout mentit Helena. Je te jure que jamais...

- Ne mens pas Pinocchio !!! C’est inutile... D’ailleurs, si tu avais succombé, je ne t’en voudrais pas... C’est tout à fait normal... Après tout, je suis sortie de mon coma. Mais j’aurais pu y rester jusqu’à la fin de mes jours... Alors, je ne pouvais pas te demander une fidélité éternelle... Et puis, je sais que tu ne manques pas de tentations dans ton travail. Toutes ses jolies candidates à la notoriété qui brûlent d’envie de passer dans ton émission... Il faudrait être une sainte pour pouvoir résister. Et je n’ai aucune envie d’une sainte pour amante !!!

- C’est aussi ça que j’adore chez toi,  ma chérie... Ta compréhension des faiblesses humaines.

- Je crois qu’autrefois, je me serais montrée beaucoup moins compréhensive... Mais quatorze mois de coma, ça vous rend philosophe. On ne donne plus la même importance aux choses... Mais j’interprète ton «enthousiasme» pour mon ouverture d’esprit comme un aveu... Comment était cette jeune femme ? Brune, blonde, rousse ? répliqua Dylan dans un éclat de rire

- Elle était... sans intérêt, ma chérie... Juste une passade. Une distraction, un soir de déprime alcoolisée... Rien d’important... Tout à coup le regard d’Helena tomba sur le keepall posé sur le banc à côté de Dylan. - Tu pars en voyage ?? Tu ne me l’avais pas dit...

- J’ai pris cette décision ce matin. Sans vraiment y réfléchir... Je n’ai plus envie de programmer les choses, tu sais. J’ai décidé de vivre ma vie un peu comme elle vient... Je pars à Boston...

- À Boston ?? Pourquoi à Boston ? déglutit péniblement Helena.

- Je veux revoir le médecin et les infirmières du Tufts Medical qui m’ont soignée. Je veux les remercier. Leur dire ma profonde gratitude pour tout ce qu’ils ont fait pour moi...

- Et tu es obligée d’aller à Boston pour ça ?? Le téléphone, ça existe non ?

- Le téléphone c’est un peu désinvolte, tu ne trouves pas ?? Et puis, il y a des choses qui ne se disent pas au téléphone. Les déclarations d’amour, les ruptures, les adieux, les remerciements... En tout cas, moi, je ne peux pas les dire...

- Et si on y allait ensemble ??... Moi aussi je veux les remercier... Même si, après tout, ils étaient grassement payés pour te soigner...

- Tu viens de me dire que tu n’aurais pas de temps libre avant des mois... Nous sommes déjà en avril... Je ne veux pas attendre plus longtemps... Mes remerciements risqueraient de sentir le «réchauffé»...

Helena fit une dernière tentative - Mais je ne veux pas qu’on se sépare déjà, ma chérie...

- Je ne serai absente que pendant trois jours et deux nuits... Je pense que tu pourras survivre... répondit Dylan en riant. D’ailleurs, tu pourrais demander à ta «distraction» de venir de tenir la main... Bien, je vais devoir te laisser... Mon train quitte Grand Central dans un peu plus d’une heure...

Elle se leva et saisit son sac de voyage.

A son tour, elle se pencha vers Helena pour l’embrasser. - Au revoir, ma chérie... À bientôt... Et ne crains rien... Je vais t’inonder de SMS... Ce sera comme si j’étais encore à New York. Tu ne verras pas la différence...

Helena, partagée entre stupéfaction et inquiétude, la regarda s’éloigner, son keepall à la main.




Elle était magnifique. Vraiment. Mince et athlétique comme avant. Ironique, intelligente et cultivée, comme avant. Diablement séduisante, comme avant.

Mais il y avait quelque chose de plus.

Un soupçon de fantaisie.

Et surtout, Helena sentait qu’elle ne pouvait plus lui imposer ses choix, ses inimitiés ou ses querelles. Car, à présent, il y avait chez Dylan quelque chose d’indomptable.

Une indépendance. Une liberté nouvelle.


*


Dylan avait fait le tour du service de neurologie du Tufts Medical.

Elle avait serré toutes les mains qui s’étaient tendues vers elle. Elle avait remercié et remercié encore. Des larmes avaient coulé sur les joues. Et pas seulement sur les siennes.

À présent, elle se trouvait dans le bureau du médecin. Cette visite l’avait émue. - Docteur, je suis si heureuse de vous avoir tous revus. Et dans des circonstances tellement plus heureuses. J’aimerais faire quelque chose pour le Tufts Medical. J’ai reçu une grosse somme d’argent, vous savez. Une somme presque effrayante. Alors, je voudrais faire un don. Pour vous aider dans vos recherches et dans les soins apportés aux malades...

- C’est très généreux à vous Dylan... Très généreux... Je vous remercie au nom du Tufts Medical. Un tel don va énormément nous aider... Mais... je ne veux pas minimiser nos efforts... Mais, vous savez, sans votre amie Meg, vous ne vous seriez peut-être jamais réveillée... Sans ses visites continuelles... Sans ses efforts pour tenter de réveiller vos souvenirs...

Dylan resta interloquée pendant quelques secondes. Elle pensait avoir retrouvé tous ses souvenirs jusqu’à l’accident. Et pourtant... De qui lui parlait-il ? - Mon amie Meg ??

- Meg Alcott. Une vieille amie d’université... Une jeune femme superbe. Brune aux longs cheveux ondulés. Des yeux bleus magnifiques. Voyons... Vous ne pouvez pas avoir oublié une femme d’une telle beauté... D’ailleurs votre compagne Helena la connaît. On les a vues discuter ensemble... La dernière fois, c’était le jour de votre réveil...

- Oohh... Helena la connaît... Et Meg venait me voir souvent ?..

- Tous les jours. Pendant huit mois. De mai à décembre, je crois... Oui, c’est ça. De mai à décembre... Et même jusqu’au premier janvier. Le jour de votre réveil. Après, elle a cessé de venir... On ne l’a plus revue... Je dois dire qu’ici tout le monde la regrette... C’était une jeune femme adorable et une aide très précieuse... En tout cas, elle l’a été pour vous...

- Meg restait longtemps avec moi ??

- Plusieurs heures par jour... Au début, je l’avais autorisée à venir le soir à partir de 18 heures 30. Mais ensuite, quand vous avez donné les premiers signes d’éveil, je l’ai autorisée à venir aussi le matin... Elle vous parlait... Elle vous lisait des poèmes en français et en italien. Elle vous chantait des chansons... Elle a une voix extraordinaire...

Dylan était totalement abasourdie. Mais elle n’en montra rien... Elle sentait que son étonnement aurait incité le médecin à se taire... Car la présence de cette Meg à ses côtés, pendant huit mois, cette Meg dont elle ignorait tout, était une anomalie. Et même une faute de négligence et d’imprudence...

Alors, elle joua le jeu. - Cette chère Meg... Je la reconnais bien là... Toujours aussi dévouée... Déjà à la fac...  Mais c’est vrai qu’on s’était perdues de vue. Elle à Boston. Moi à New York... Et vous connaissez son adresse, par hasard ??...

- Mais oui. Je l’ai notée quelque part... Attendez une minute... Voilà... Meg Alcott, 55 Hanover Street à Boston...

- Merci Docteur... Je vais aller remercier ma vieille amie...

- Vous le pouvez... Elle a été là pour vous pendant tous ces mois... Et je crois sincèrement que sans elle...


*


Après avoir quitté le médecin, Dylan avait pris un taxi. Sa tête était pleine de questions. Brune aux longs cheveux ondulés. Des yeux bleus magnifiques. Une voix extraordinaire. Qui est cette femme ? Cette femme qu’Helena connaît... Pourquoi est-elle venue à mon chevet pendant tous ces mois ? Pourquoi a-t-elle disparu le jour de mon réveil ? Pourquoi Helena ne m’a-t-elle rien dit ?

Elle brûlait d’envie de téléphoner à Helena pour l’interroger. Mais elle avait l’impression qu’elle devait d’abord rencontrer cette inconnue. A qui elle devait son retour à la vie.

Elle s’était rendue à l’adresse indiquée par le médecin.

Là, elle avait découvert que le 55 Hanover Street était une boîte de jazz. Le Alcott Club.

Surprise, elle était entrée. Immédiatement, elle avait aimé l’atmosphère intime des lieux. La pénombre qui y régnait, les profonds fauteuils en cuir, sur lesquels quelques clients avaient déjà pris place, les nombreuses affiches et photos qui décoraient les murs.

Sur la scène étroite, un piano, une contre-basse et une batterie attendaient leurs musiciens.

Elle s’approcha du bar. Elle adressa un grand sourire à la très jolie barmaid rousse aux yeux verts. - Bonjour. J’adore cet endroit !! Il est fantastique !! On se croirait revenu à l’époque de Count Basie et de Duke Ellington !! De la prohibition, des speakeasy et du jazz hot !!

Meg répondit en riant - Merci infiniment !! Et bien moi j’adore les clientes quand elles ont aussi bon goût !! Je vous sers quelque chose ?? La vente d’alcool n’est plus interdite depuis 1933 !!

- Oui. Donnez-moi... Un cognac... D’où vient le nom de cet endroit ? Le Alcott Club ?

- C’est mon nom... Meg Alcott... Oui, je sais... Ce n’est pas très original...

Dylan allait de surprise en surprise. Ainsi c’était elle la jeune femme à qui elle devait pratiquement la vie !!!

Pourtant Meg ne semblait pas la reconnaître. Alors qu’elle avait passé des centaines d’heures à son chevet !!! Avait-elle tellement changé depuis qu’elle était sortie de son coma ?

Mais plus étonnant encore, Meg Alcott ne ressemblait pas du tout à la description que le médecin lui avait faite de l’inconnue qui venait à son chevet tous les jours. Elle n’était pas brune. Elle n’avait pas les yeux bleus...

Il y avait là un mystère qu’elle devait éclaircir. Alors, Dylan cacha son étonnement et continua cette conversation enjouée qui dissimulait un interrogatoire en règle...

- Le Alcott Club n’est peut être pas un nom original mais il a le mérite de la simplicité... Et puis Blue Note ou Cotton Club étaient déjà pris... De quel instrument jouez-vous ? Du piano sans doute ? répondit-elle en montrant la scène.

- Non. Pas du tout... je ne joue d’aucun instrument hélas... À ma grande tristesse...

- Vous chantez alors ??

- Comme une casserole !! Et seulement sous ma douche !!! Non. Mon seul mérite est de savoir reconnaître le talent chez les autres... C’est moi qui ai déniché le groupe de ce soir. Les Drums d’Harvard. Un fabuleux trio d’étudiants. Ils remplacent ma vedette pour quelques jours... Pendant qu’elle est à Philadelphie pour un essai dans un studio d’enregistrement... J’espère qu’ils auront le même succès qu’elle... Mais sincèrement, j’en doute... Parce que Rachel, c’est le top... Mais bon, c’est quand même un trio sympathique, qui balance bien... Vous allez voir... Je suis certaine que vous allez les adorer...

Mais Dylan n’écoutait plus vraiment. Un mot. Un nom avait fait vibrer un très lointain souvenir enfoui au plus profond de son cerveau.

Rachel.


*


Ce prénom... Elle avait déjà entendu une voix murmurer ce prénom. Une voix qui était, tout à la fois, proche et lointaine. Etrangère et familière...

Cette voix formait comme une ombre dans son esprit. Sur laquelle, elle ne pouvait pas mettre un visage... Mais derrière cette ombre, il y avait quelque chose...

Il fallait qu’elle en sache plus !!

Alors, elle dissimula son trouble en avalant son cognac d’un trait.

Meg la regarda en riant. - Oups !! Vous en voulez un autre ??

- Oui, merci... Rachel ? C’est un joli prénom... Mais aujourd’hui, il faut plus que du talent pour avoir du succès, hélas... A l’ère de YouTube, il faut aussi un physique... Comme Diana Krall ou Melody Gardot... Il faut être plus Sarah Waughan qu’Ella Fitzgerald... C’est parfaitement injuste, mais c’est comme ça...

Tout en remplissant le verre de Dylan, Meg répondit - Alors pour ça, Rachel n’a rien à craindre... Elle est tout simplement superbe... Si la beauté servait de critère, elle serait déjà disque d’or !!! Je suis lucide, vous savez... Mes clients ne viennent pas au Alcott Club uniquement par amour du jazz... Mais aussi pour les longs cheveux ondulés de Rachel, ses magnifiques yeux bleus... Et pour... tout le reste...

Dylan avait baissé les yeux. Elle pensait. Meg a utilisé les mêmes mots que le médecin. «Femme superbe. Longs cheveux ondulés. Magnifiques yeux bleus» Ce pourrait-il que Rachel soit la jeune femme qui venait chaque jour à mon chevet ?? Si seulement je pouvais la voir !!

Mais Meg avait semblé entendre cette prière muette. Elle avait décroché un cadre du mur qu’elle tendit vers Dylan. - Tenez... Voici ma vedette... Celle à qui le Alcott Club doit une nouvelle vie !! Sans elle, sans son talent, je serais encore à me demander comment payer le loyer de ma boîte de jazz !!!

Dylan prit le cadre. Elle regarda longuement la photographie en noir et blanc.

Rachel, assise à son piano, souriait au photographe. Ses yeux avaient la clarté de l’eau pure.

Elle était l’une des plus belles femmes que Dylan ait jamais vues. Sans doute la plus belle car son sourire timide et triste la rendait touchante. 

Dans le coin de la photo, elle vit un autographe. Une signature. Un nom. Enfin un nom. Rachel Peabody.


*


Dylan murmura comme pour elle-même - Rachel Peabody... Machinalement elle caressa la photo du bout des doigts...

Ce geste n’échappa pas à Meg - Rachel a l’air de vous plaire... Je n’en suis pas surprise...

Mais Dylan ne l’écoutait plus. Elle était totalement absorbée par la contemplation de la photographie de Rachel.

Etonnée, Meg reprit le cadre qu’elle accrocha de nouveau au mur.

Alors Dylan osa. - Vous dites qu’elle est à Philadelphie en ce moment ?

- Oui. Dans un studio d’enregistrement.

- Où se trouve ce studio ?

Meg était soudain devenue méfiante. Elle s’en voulait d’avoir parlé un peu trop facilement à cette parfaite inconnue - Qu’est-ce que ça peut vous faire ??

- Il faut que je la voie. Il faut que je lui parle...

- Pourquoi ? Qui êtes-vous ? Vous connaissez mon nom... et celui de Rachel... Mais quel est le vôtre ?.. D’où venez-vous ?..

- Je m’appelle Hederson. Dylan Hederson. Je viens de New York...

Meg resta abasourdie pendant quelques secondes. Dylan... Elle s’appelle Dylan... Non, ce n’est pas possible !! Ce ne peut pas être une simple coïncidence !! Celle que j’ai régalée de mes confidences n’est autre que la «fameuse» Dylan. Que je déteste depuis des mois sans même la connaître !! Elle a eu le culot de venir ici et de m’extorquer des nouvelles de Rachel !! Bon sang, je sens que je vais lui casser la bouteille de cognac sur la tête... !!!

Mais Meg se contenta de répondre d’une voix sifflante - Sortez immédiatement d’ici !! Sortez de mon club !! Et n’y remettez plus jamais les pieds !!

Dylan était sidérée par la réaction violente de Meg - Qu’est-ce qui vous prend ??

- Comme si vous ne le saviez pas !! Vous avez un fameux toupet de venir ici pour bavarder avec moi comme si de rien n’était !! Avoir le front de me demander des nouvelles de Rachel... Après ce que vous lui avez fait !!!

- Ce que je lui ai fait ??? Mais je ne comprends pas...

- Cessez de me prendre pour une imbécile !! Je sais parfaitement que vous avez eu une liaison avec Rachel... Et vous l’avez laissée tomber !!! Elle était bouleversée... Elle m’a dit qu’elle ne voulait plus jamais entendre parler de vous !! Je n’ai même pas le droit de prononcer votre prénom devant elle !!

- Elle vous a dit que nous avions eu une liaison, elle et moi ???

- En fait, elle ne m’a rien dit... Mais j’ai deviné... C’était tellement évident... Elle semblait si désespérée et en même temps si déterminée à faire un trait sur vous... Alors maintenant quittez mon club... Immédiatement !!

- Je vais partir Meg. Je vais partir... Dans quelques instants... Mais avant, je vous en prie laissez-moi vous racontez une histoire... Ça ne prendra que quelques minutes... Vous voulez bien ??

- Ok, ok... Déballez-moi votre baratin et disparaissez !!!

- Il y a dix-huit mois, en novembre, je sortais du collège new-yorkais où j’enseignais le français et l’italien. Il commençait à neiger. J’avais hâte de rentrer chez moi. J’ai traversé la rue. Et alors j’ai entendu le hurlement des freins d’une voiture... J’ai senti un choc contre mon corps. J’ai roulé contre un pare-brise et je suis retombée au sol... Et puis plus rien... J’ai alors commencé une longue période de quatorze mois de coma...

Meg faisait toujours une moue boudeuse mais elle écoutait - Désolée pour vous...  Mais quel rapport avec Rachel ??

- Un peu de patience... Pendant un temps qui m’a semblé sans fin, je suis restée plongée dans le noir... Mes paupières ne s’ouvraient plus. Quand les médecins entr’ouvraient mes paupières, mes yeux refusaient de voir la lumière... Je ne pouvais pas parler... Je ne pouvais pas bouger... Mais j’entendais... sans comprendre, ce que l’on me disait... Les voix, les machines autour de moi faisaient une sorte de vacarme assourdi... Je savais, je sentais que l’on prenait soin de moi... Mais tout et tous étaient plongés dans une sorte de magma indistinct... J’étais perdue dans cette nuit.. Et j’avais peur... Jusqu’au jour où j’ai entendu une voix si différente des autres qu’elle a retenu mon attention... Elle parlait français ou italien. Parfois elle fredonnait une chanson... Et cette voix est devenue comme un repaire dans ma nuit...

Dylan, perdue dans ses souvenirs qui tournoyaient dans son esprit, s’était arrêtée de parler. Alors Meg impatiente, s’exclama - Continuez !!

- Oui pardon... Un jour, cette voix m’a parlé et j’ai voulu lui répondre... J’ai réussi à remuer les lèvres... Mais aucun son n’a pu en sortir... Du moins c’est ce que l’on m’a dit... Parce que moi, je ne me souviens de rien... Et puis un jour, c’était le premier janvier dernier, mes yeux se sont enfin ouverts... Je suis sortie de mon coma...

- Le premier janvier ?? Mais c’est ce jour-là que Rachel m’a parlé de vous avec une telle colère...

- Meg, je ne connais pas Rachel... Il n’y a jamais eu la moindre liaison entre elle et moi... Je suis restée dans le coma pendant quatorze mois. Six mois à New York et huit à Boston. Au Tufts Medical où on m’avait transférée en désespoir de cause... Mais on m’a dit que pendant les huit mois de mon séjour à Boston, de mai à décembre, et pour la dernière fois le premier janvier, une jeune femme est venue tous les jours à mon chevet. Elle me récitait des poèmes en français et en italien. Elle chantonnait... Elle disait s’appeler Meg Alcott...

- C’était pas moi !!!

- Non, ce n’était pas vous... Le personnel du Tufts Medical m’a dit qu’elle était brune. Avec de longs cheveux ondulés. De magnifiques yeux bleus. Une voix extraordinaire.

- Rachel !!

- Oui Rachel... Vous comprenez pourquoi je suis ici aujourd’hui ? Le médecin m’a dit que sans elle, je ne serais peut être jamais sortie de mon coma... Alors, j’ai voulu la rencontrer... J’ai suivi la trace de Meg Alcott... Et je vous ai trouvée au bout de ce chemin...

- Pourquoi Rachel refuse-t-elle de vous revoir ? Pourquoi une telle colère contre vous ??

- Je ne sais pas... Je ne lui ai jamais adressé la parole... Quand elle venait me voir, j’étais incapable de faire un geste et de dire un mot... Et mes yeux étaient fermés... Par contre, j’ai appris aujourd’hui que ma compagne, Helena, la connaissait. Elles se sont parlé le jour de mon réveil. Le premier janvier... Voilà, vous en savez autant que moi...

- Votre histoire est... incroyable... Et pourtant, je sais qu’elle est vraie. Parce que tous les jours, Rachel  quittait le Alcott Club vers les 18 heures pour se rendre à un rendez-vous secret... Maintenant, je sais que c’était pour vous rejoindre...

- Alors vous n’êtes plus en colère contre moi ?? Je peux rester ??

- Oui. Vous pouvez rester... Mais ne comptez pas sur moi pour vous servir un troisième cognac. C’est pas très indiqué dans votre état... Une eau gazeuse peut-être ???

- Je vais beaucoup mieux, merci. J’ai le droit de prendre de l’alcool. Mais en quantité raisonnable répondit Dylan en riant. Vous voulez bien faire quelque chose pour moi Meg ?

- Dites toujours...

- Ne parlez pas de notre rencontre à Rachel... Vous voulez bien ?..

- D’accord... D’ailleurs, je n’en ai aucune envie... Mais si jamais j’apprends que vous lui avez fait du mal, je vous retrouverai et je vous tordrai le cou !!!

- Me voilà prévenue !! Mais vous n’avez aucune crainte à avoir Meg. Parce que... que diriez-vous d’une jeune femme qui, pendant huit mois, se rend tous les jours, pendant plusieurs heures, au chevet d’un malade ?

- Je dirais... que c’est une sainte ou... qu’elle est amoureuse...

- Merci Meg... J’accepte volontiers votre eau gazeuse...




*


Helena marchait rapidement dans les rues de New York. Elle se hâtait vers l’appartement qu’elle partageait avec Dylan.

Elle était heureuse de la revoir. Mais elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver une légère inquiétude.

Que s’était-il passé à Boston ?

Malgré sa promesse, Dylan ne l’avait pas noyée sous les SMS. En trois jours, elle n’avait reçu que quelques messages courts et vides. «Tout va bien». «La ville est belle» «Il fait un temps froid mais beau».

Et ce quasi-silence lui semblait lourd de menaces...


*


L’appartement était plongé dans l’obscurité.

Helena appuya sur l’interrupteur.

Une lumière, tamisée par l’abat-jour, éclaira le fauteuil sur lequel Dylan était assise.

Elle tourna la tête vers Helena, un grand sourire aux lèvres. Et ce sourire rassura Helena.

- Tu es là ma chérie ? Pourquoi restes-tu dans le noir ?

- Je suis rentrée depuis plusieurs heures... Je me suis endormie dans ce fauteuil...

- Tu es revenue depuis longtemps ?

- J’ai pris le train qui quittait Boston à 7 heures. Je voulais arriver tôt... J’avais quelques petites choses à régler à New York... Et toi ? Ta journée ? Tout va bien au studio ?

- Ça va, ça va... comme d’habitude... Tu sais bien que tout le monde est un peu fou dans le monde de la télé... Tu as aimé ton séjour à Boston ?...

- Mais oui... J’étais heureuse de revoir toutes ces personnes qui m’ont soignée avec dévouement... Le médecin... les infirmières du Tufts Medical...

- Oh... très bien... Et... rien d’autre ?..

Dylan resta silencieuse pendant quelques secondes. Le moment des explications était venu.

Elle y avait pensé pendant toutes ces dernières heures. Dans le train qui la ramenait à New York. Ce qui la liait à Helena était si fort, qu’elles se devaient une explication honnête. Alors, elle répondit - Si. Justement. Il y a quelque chose d’autre... Tu n’as rien à me dire ?...

- A te dire ?... Moi ?? Mais à propos de quoi ???

- Au sujet de... Meg Alcott...

Helena s’attendait à cette question. Elle avait eu tout le temps de préparer sa réponse. Elle joua les étonnées - Qui est-ce ?? Je ne connais personne de ce nom-là...

- Brune, longs cheveux ondulés. Yeux bleus... Le personnel du Tufts Medical t’a vue bavarder avec elle. Le jour de mon réveil...

- Ooh... cette fille-là ?... M’en souvenais pas... répondit Helena en feignant le manque d’intérêt.

- Vraiment ?.. Pourtant, ce n’est pas ton genre d’oublier les jeunes et jolies femmes. Et d’après ce qu’on m’a dit, Meg Alcott est magnifique...

- Peut-être... Mais tu sais, à la télé, des jeunes femmes magnifiques, j’en voie tous les jours...

- Oui mais celle-là est différente des autres... Elle est venue me voir tous les jours, pendant huit mois... Une femme qui accorde tellement de temps à votre compagne, ça se remarque. Ça ne s’oublie pas...

- Je n’avais aucune raison de me soucier d’une infirmière plutôt que d’une autre...

- Meg Alcott n’est pas une infirmière... Elle a prétendu être une de mes anciennes camarades d’université. Vous vous êtes parlé...

- Oui. Je m’en souviens à présent... Mais nous ne nous sommes rien dit de particulier...

- Pourtant, elle a cessé de venir me voir après votre discussion...

- Tu étais sortie de ton coma. Tu avais cessé de l’intéresser... Il y a des gens comme ça... Morbides... Qui ne sont attirés que par la souffrance et la maladie. Les gens en bonne santé ne les intéressent pas...

- Et il y a les autres... Ceux que la maladie effraie...

- Que veux-tu dire par là ? C’est à moi que tu penses ?? Tu me reproches de t’avoir fait transférer à Boston ?? Tu me reproches de ne pas être venue te voir ??

- Je n’ai rien dit de tel...

- Oui mais tu le penses... Je te rappelle que j’ai pris la décision de ton transfert en accord avec tes parents... Et sur les conseils des médecins new-yorkais... D’ailleurs, ça ne t’a pas trop mal réussi...

- Helena, je ne te fais aucun reproche... Je sais que tout ce que tu as fait, tu l’as fait pour mon bien. Et je t’en remercie... Ce transfert était nécessaire... Et il m’a sauvée... Puisque grâce à lui, je suis sortie de mon coma... D’ailleurs, qu’aurais-je fait à ta place ? Sans doute exactement la même chose... Alors je ne te juge pas... Mais tu comprendras que je me pose des questions au sujet de cette Meg... Pourquoi a-t-elle fait ce qu’elle a fait ?

- Ça n’a rien de si extraordinaire... Quand tu étais encore à New York, moi aussi, je venais te voir tous les jours...

- Oui. Parce que je suis ta compagne...  Parce que nous nous sommes aimées... Mais elle, quelles sont ses raisons ???

Helena resta pétrifiée, mais elle tenta encore une feinte - Je te l’ai dit... Par goût du morbide...

- Non. Je ne crois pas... Le personnel du Tufts Medical m’a dit que Meg Alcott avait tout fait pour me sortir de mon coma...

- Mais bon sang !!! Qu’est-ce que ça peut bien faire !!! Elle t’a aidée. Très bien... Elle mérite une médaille. Mais pas plus que les infirmières qui t’ont soignée... Nous sommes de nouveau ensemble. C’est tout ce qui compte !!!

Dylan se leva. Elle prit son manteau qui était posé sur un siège et s’habilla devant une Helena interloquée.

- Qu’est-ce que tu fais ?? Où vas-tu ??

- Je m’en vais Helena... Je suis sortie de mon coma. Je suis aussi sortie de mon sommeil...

- Qu’est-ce que tu veux dire par là ???

- Soyons lucides Helena. Mon accident, mon coma ont été des révélateurs. Nous avions cessé de nous aimer... Nous avions cessé de nous désirer. Je ne suis même pas jalouse de tes maîtresses. Ça aussi c’est un symptôme... Nous sommes devenues des amies. Les meilleures amies du monde. Mais nous ne sommes plus des amantes... Alors, je crois inutile de continuer à nous jouer la comédie... Je pense que nous devons cesser de perdre notre temps. Il nous est si chichement compté. C’est aussi ce que j’ai compris avec cet accident... La vie est si brève... Trop brève pour la gaspiller...

- Tu trouves que tu perds ton temps avec moi ?..

- Oui, d’une certaine façon. Et toi, tu le perds avec moi...

- Ne parle pas pour moi !!! Bien sûr, tu gaspillerais moins ton temps avec Meg Alcott !!! Notre couple ne te posait pas tant de problèmes autrefois. Mais tout est devenu plus facile depuis que tu sais qu’elle t’aime et qu’elle t’attend...

- Elle m’aime et elle m’attend ?? Merci Helena... Merci de me l’avoir dit...

Helena se mordit les lèvres... Elle était furieuse contre Dylan. Furieuse contre elle-même... Elle décida de ne plus dire un mot...

Dylan se dirigea vers la porte. - Au revoir Helena. Je ne veux pas rester ici à me quereller avec toi. Je ne veux pas abîmer nos souvenirs... Je sais que tu m’en veux... Mais je veux que tu saches... Je serai toujours là pour toi... Tu pourras toujours compter sur moi... Je ne peux pas, je ne veux pas oublier ce que nous avons vécu ensemble. Ce que nous avons été l’une pour l’autre...

Elle s’apprêtait à sortir quand Helena la retint d’un mot. - Attends !!!

- Oui ?

- Meg Alcott...

- Et bien ???

- C’est pas son vrai nom... Je ne sais pas pourquoi elle a pris une fausse identité... En fait, elle s’appelle Peabody... Rachel Peabody. Elle était avocate à Boston. Dans le meilleur cabinet de la ville... Partner’s et associés. Sur Louisburg Square. A présent elle est pianiste et chanteuse... Au Alcott Club... 

Dylan sourit. - Je le savais déjà Helena... Mais merci... Merci du fond du coeur... C’est chic de me l’avoir dit... Au revoir...


*


Le taxi avait déposé Rachel devant la maison.

Elle n’avait qu’un seul étage. Elle était éclairée par de nombreuses fenêtres aux croisés blanches. Ses murs étaient recouverts d’une multitude de petites tuiles en bois qui avaient pris une teinte grise avec le temps et les intempéries.

Elle était posée sur la dune. Un ponton s’avançait vers l’océan.

Derrière la maison, un jardin, protégé des colères marines, parsemé d’herbes folles et d’aubépines.

Rachel regarda de nouveau le petit papier sur lequel elle avait noté l’adresse. C’était bien là.

C’était bien ici qu’elle devait chanter et jouer pour de riches propriétaires qui venaient de s’offrir cette ravissante maison de pêcheurs sur l’île de Nantucket...

On lui avait proposé dix mille dollars pour animer une soirée... Dix mille dollars pour quelques heures... Elle n’avait pas dit non.

Et à présent, après avoir remonté une allée, elle était là devant une porte en bois, attendant qu’on vienne lui ouvrir... Mais, bien qu’elle ait sonné et sonné encore, personne ne venait...

Elle n’avait quand même pas fait tout ce chemin pour rien !! Les embouteillages entre Boston et Cape Cod. Les deux heures de ferry entre Hyannisport et Nantucket. La location de la chambre d’hôtel... Le taxi en robe de soirée et talons hauts !!

Elle hésita... Puis elle pensa que le mieux était d’entrer...

Elle ouvrit la porte. Après avoir longé un large couloir, elle vit une vaste pièce aux murs et à la cheminée de bois blanc.

Elle resta au seuil de la pièce. Sidérée.

La pièce était vide. Totalement vide.

Il n’y avait pas le moindre meuble. Il n’y avait rien.

Rien d’autre qu’un piano.


*


Elle s’approcha et s’assit devant l’instrument. Après tout, elle était venue pour ça.

Elle vit qu’une partition avait été posée sur le lutrin. September Song. Elle connaissait cette chanson par coeur. Elle n’avait même pas besoin de la lire.

Alors, elle commença à chanter. - Oh, it's a long, long time from May to December...

Mais elle s’interrompit aussitôt. De mai à décembre. De mai à décembre... Non... Je ne peux pas chanter ça... Je ne peux pas... Ça fait vraiment trop mal...

Elle ferma les yeux.

Une voix, toute proche de sa joue, se mit à chanter doucement : - These precious days, I'll spend with you...

La voix était rauque et si manifestement émue. Mais les paroles de September Song qu’elle avait chantonnées la firent frémir. Ces jours si précieux, je veux les passer avec toi...

Rachel n’osait pas ouvrir les yeux. Elle avait trop peur de ne pas découvrir ce qu’elle espérait plus que tout. Alors, comme une toute petite fille craintive, elle gardait les yeux obstinément fermés.

C’est alors qu’elle entendit la supplique qu’elle avait adressée autrefois à Dylan - Aide-moi. Aide-moi, ma chérie... Je t’en supplie... Fais un effort... Réveille-toi... Je t’en prie...  Je pourrai tout supporter si tu restes avec moi... Je pourrai tout recommencer... Si tu ne me laisses pas seule...


*


Rachel revit la scène qu’elle avait vécue des mois auparavant. Dans la chambre de Dylan au Tufts Medical.

Elle venait de quitter son métier d’avocat. Et, dans un moment de découragement, elle avait supplié la femme qu’elle aimait, à qui elle avait sacrifié son bonheur professionnel, de se réveiller...

Elle pensa. Il n’y avait personne d’autre que Dylan et moi dans la chambre. J’en suis certaine. Personne d’autre... Alors... est-il possible que ?... Non, c’est impossible... Dylan a tout oublié... Tout ce qu’elle a vécu est tombé dans un trou noir et ne peut plus en sortir... La mémoire ne peut pas être aussi changeante... Il faudrait un miracle...

Rachel n’arrivait pas à croire qu’un tel miracle puisse survenir... Elle avait tellement peur d’être déçue... Elle baissa la tête...

Une main, aux longs doigts fins, se posa sur les siennes, qu’elle avait croisées sur ses genoux. - Rachel, ma douce amie... Je sais tout... Je me souviens de tout... Il a suffi que j’entende ton prénom. Il a suffi que j’entende ta voix... Meg m’a donné un de tes enregistrements... Je n’ai pas cessé de l’écouter... Et ta voix a déchiré le voile qui était tombé sur ma mémoire... Pendant tous les mois qu’a duré mon coma, ta voix, si belle, si merveilleusement belle, a été comme une lumière dans ma nuit... Une douce caresse... Dès que je l’entendais, je me sentais apaisée, rassurée. Plus rien de mal ne pouvait m’arriver... Parce que cette voix veillait sur moi... Et puis, je me suis réveillée. Et j’ai été prise dans un tourbillon qui a éclipsé cette voix... Les médecins, les infirmiers, les examens, les analyses... New York a effacé Boston... Mais je sentais qu’il manquait quelque chose à mon quotidien... Et puis, je suis revenue dans ta ville... J’ai rencontré le docteur qui m’a soignée. Il m’a parlé de la jeune femme qui venait chaque jour à mon chevet... J’ai rencontré Meg... La vraie Meg... Elle m’a parlé de sa meilleurs amie. Rachel... Ce prénom a ouvert une porte dans ma mémoire... Et alors, j’ai su qui était la voix... Tous les souvenirs, occultés, sont revenus... Ils sont là... Ils ne me quitteront plus... Plus jamais... Rachel, Rachel... Je ne me lasse pas de prononcer ton prénom... Rachel... je t’en prie... Ouvre les yeux... Regarde-moi... Tu ne dois pas avoir peur... Parce que c’est moi qui ai peur... Si peur du premier regard que tu vas poser sur moi.... J’ai tellement peur de te décevoir...

Alors, tout doucement, Rachel ouvrit les yeux.

Elle vit la Dylan de la photo. Celle dont le regard amusé l’avait séduite.

Elle était agenouillée à ses côtés.

Elle était belle et athlétique.

Les yeux noisette, vifs, pleins d’énergie et d’humour, la regardaient avec tendresse. Le visage aux traits fins, à la peau subtilement hâlée, aux petites oreilles délicatement ourlées, était tendu vers elle. Rachel avait envie de mordiller les jolies lèvres.

Et il suffit d’un seul sourire de Dylan pour que Rachel oublie ses souffrances et sa colère. Mais surtout elle sut qu’elle avait eu raison. De croire en son amour.

De croire en Dylan.


*


Rachel éprouva une fatigue soudaine comme si elle avait marché pendant des jours. Elle posa sa tête sur l’épaule de Dylan. Elle sentit que ses bras l’enlaçaient.

- Dylan... Dylan... Moi aussi, je ne me lasse pas de prononcer ton nom... Savoir que tu m’entends... Que tu me comprends... Que tu peux me répondre... Et, peut-être, que... tu m’aimes...

Dylan ne la laissa pas finir sa phrase. Posant sa main que la nuque de Rachel, elle attira son visage vers le sien et écrasa sa bouche sous ses lèvres.

Rachel répondit à ce baiser avec la même voracité. La même passion affamée.

Puis Dylan murmura - Oui, je t’aime... ma chérie. Tu ne dois pas en douter... D’ailleurs, je n’ai pas grand mérite... Comment ne pas t’aimer ? Tu es si belle... si merveilleusement belle... si merveilleusement... tout... Et quand je pense à ce que tu as fait pour moi... Venir me voir chaque jour... pendant des heures... J’ai aussi découvert que tu avais abandonné ton métier d’avocat pour être avec moi... Je sais tout ce que tu as fait... Je me souviens de tout...

- Tu te souviens de tout ?... Vraiment de tout ?... Mais alors, tu te souviens aussi que je t’ai quittée... Que je t’ai dit au revoir...

- Oui, je m’en souviens... Et j’ai voulu te retenir... J’ai tenté de te répondre... Au prix d’un effort terrible, j’ai réussi à remuer les lèvres... Mais aucun son n’en est sorti... Et tu n’étais plus là... Mais je me souviens aussi que tu es revenue près de moi... Tu m’as dit que plus jamais tu ne me quitterais... Tu as prononcé ton nom. Rachel Peabody... Tu m’as raconté ta vie. Tes espoirs et tes désirs. Tu m’as dit que tu rêvais de posséder une maison sur l’île de Nantucket. Posée sur la plage, face à l’océan... La voici...  J’espère qu’elle te plait parce que cette maison est à toi. Je l’ai laissée vide pour que tu puisses la décorer comme tu le voudras. Et puis, je ne connais pas tes goûts... Pas encore... J’ai tant de choses à découvrir de toi...

- Elle est à moi ?... C’est vrai ?... Merci Dylan. Ô merci... Elle est magnifique... Exactement comme dans mes rêves... Elle sera mon refuge, toujours... Mais je n’y serai vraiment bien que si tu y es avec moi...

- Pour ça, tu n’as aucune inquiétude à avoir. Tu ne vas pas pouvoir te débarrasser de moi comme ça !!! Tu vas devoir me supporter comme co-locataire pour un très, très long bail...

- J’ai une petite idée du loyer que je pourrais te demander...

- Je crois deviner ce dont il s’agit répondit Dylan en riant. Et je m’acquitterai du paiement de mon loyer avec empressement... Il y a une chose que j’ignore pourtant...

- Laquelle ?

- Pourquoi n’as-tu pas cherché à me revoir quand je suis sortie de mon coma ?

- Et bien... parce qu’Helena m’avait dissuadée de le faire... Elle a été très explicite...

- Je m’en doutais un peu. Je savais que vous aviez eu une conversation le jour de mon réveil. Helena peut se montrer très convaincante quand elle le veut...

- Oui. Elle ferait un excellent avocat. De ceux pour qui la fin justifie tous les moyens... Mais cessons de parler d’elle... Tu m’as bien dit que cette maison est vide... Totalement vide...

- Mais oui... A part ce piano, et une Harley-Davidson dans le garage pour que nous puissions traverser l’Amérique, cheveux aux vents, il n’y a rien...

- Une Harley ?... Oui, c’est un des rêves que je t’ai confiés...

- Et bien à part ce piano et cette moto, il n’y a rien ici... Rien qu’un... grand lit dans une chambre à l’étage...


*


Rachel se mit à rire. - Un grand lit dans une chambre à l’étage ? On doit y avoir une bien belle vue...

- Une vue magnifique !! Les fenêtres donnent sur la plage. L’océan est là, devant nous. A perte de vue. Le regard s’envole jusqu’à l’horizon...

Rachel soupira - Je ne parlais pas de ce spectacle-là Dylan... Pas de ce spectacle-là. L’océan, la plage... Là tout de suite, je l’avoue, je m’en moque un peu...

Dylan restait silencieuse.

Rachel la força à se lever avec elle.

Elles étaient face à face. Si proches l’une de l’autre que leurs lèvres se touchaient presque.

Rachel murmura - Dylan, Dylan... J’ai tellement attendu ce moment... Je ne pourrai pas attendre une seconde de plus... Viens... Montre-moi où est ce lit...

- Rachel... Je voulais te dire...

- Plus tard Dylan... Nous aurons toute la vie pour parler... Mais, maintenant, emmène-moi... Emporte-moi...

Dylan lui prit la main et l’entraina. Elles grimpèrent l’escalier de bois blanc. Et après avoir suivi un couloir, elles entrèrent dans une pièce nue, avec un grand lit bas pour seul meuble.

Un gigantesque tapis recouvrait le sol dont elles foulèrent les boucles hautes de leurs pieds nus.

Les fenêtres sans rideaux laissaient entrer librement la lumière du soleil qui se couchait à l’horizon, éclaboussant les murs de la chambre d’une clarté orangée.

On n’entendait que le souffle de l’océan.


*


Rachel n’eut pas un regard pour le spectacle majestueux offert par la nature.

Elle fit face à Dylan. Elle déboutonna le chemisier blanc de la jeune femme, découvrant peu à peu la peau légèrement bronzée. La chemise glissa le long des bras avant de tomber à leurs pieds.

Enfin, Dylan fut torse nu devant elle. Seul un soutien-gorge noir emprisonnait encore sa poitrine.

Tout en frôlant la bouche de Dylan de ses lèvres, elle posa les mains sur ses fesses et les caressa doucement. Ses lèvres s'attardaient sur son épaule, remontaient le long de son cou.

Ses doigts glissèrent lentement sur ses reins, puis sur le ventre plat qu’elle sentit frémir sous le contact léger.

Mais Dylan restait immobile.

Rachel s’étonna de cette passivité - Que se passe-t-il Chérie ? Tu parais si calme alors que je me sens bouillir... Tu ne me désires pas ?

- Tu es folle... Si, si. Ô bien sûr que si. Je te désire... Je te désire tellement... mais j’ai un peu peur... Parce que... depuis des mois... En fait... depuis mon accident... Ça fait dix-huit mois que je n’ai pas...

Elle n’osa pas finir sa phrase.

Rachel tourna autour d’elle. L’enserrant de ses bras, elle se colla contre son dos. Elle posa ses mains sur son ventre.

Elle chuchota à son oreille dont elle mordilla le lobe : - Tu ne dois pas avoir peur, ma chérie... Pour moi aussi, c’est comme une première fois... Parce que depuis ton arrivée à Boston, le jour où je t’ai rencontrée, moi aussi je n’ai plus... Alors, tu vois... Nous sommes à égalité... Et puis, nous ne sommes pas ici pour battre des records, ma chérie... Mais pour nous découvrir l’une l’autre... Alors, laisse-toi aller... contre moi...

Tout en murmurant ses paroles apaisantes, lentement, très lentement, Rachel avait déboutonné le jean de Dylan. Puis sa main avait glissé sous le fin tissu du slip et ses doigts frôlaient le sexe, chaud et humide.

Dylan se mit à gémir. Elle murmura - Chérie... chérie... Personne ne m’a jamais mise dans l’état où tu me mets. Jamais... jamais...

Rachel retira sa main. Elle ne voulait pas que leurs jeux finissent si vite. Elle se mit à rire. - Et tu n’as encore rien vu... Les heures de piano, ça a du bon... Pour les doigts, c’est une gymnastique parfaite, quoique un peu solitaire...

Dylan, dont la timidité avait soudain disparu, rit à son tour... - Il y en a une autre, tout aussi efficace... et qui peut se pratiquer à deux... Moi non plus, je n’étais pas trop maladroite autrefois... Tu vas voir...

Se tournant vers Rachel, elle prit son visage entre ses mains et l’embrassa. De sa langue, elle suivit la ligne de la mâchoire puis celle, veloutée, du cou et de la naissance de la gorge.

Posant ses mains sur ses épaules, elle fit glisser le long de ses bras les bretelles de sa robe. Le vêtement tomba au sol dans un mouvement aérien.

Rachel lui apparut, seulement vêtue d’une lingerie noire qui soulignait ses formes.

Dylan chuchota - Comme tu es belle... On a dû te le dire dix mille fois...

- Peut-être. Je ne m’en souviens pas. De toute façon, il n’y a que cette fois-ci qui compte... répondit-elle dans un murmure.

Rachel se sentait portée par une vague de désir à laquelle elle était incapable de résister. Sa passion se fit tempête.

Elle écrasa ses lèvres sur celles de Dylan. Elle butinait ses joues, son cou, la naissance de sa gorge. Elle semblait affamée. Et elle l’était. Car ces onze mois d’attente désespérée avait exacerbé son désir. 

Elle la fit tomber sur le lit et lui arracha son jean. Elle se mordait les lèvres pour réfréner son désir. Mais cette lutte contre elle-même était vouée à l’échec. Alors, elle se laissa emporter par cette vague.

Dylan l’attendait. Adossée contre des coussins elle l’attendait, un sourire sur les lèvres.

Rachel se pencha sur elle et d’une geste rapide lui retira son soutien-gorge.

Elle découvrait le corps de Dylan. Sa bouche errait sur son visage, son nez, son front. Sa main parcourait son corps, s'attardant sur ses seins qu’elle caressa avec douceur. Elle lécha les mamelons jusqu’à ce qu’ils durcissent sous sa langue.

Elle entendait les battements du coeur de Dylan qui répondait au sien.

Dylan s’abandonnait à ce tourbillon. La caresse des lèvres de Rachel, le léger effleurement de ses doigts la faisaient frémir. Elle ne pouvait pas retenir les soupirs rauques qui enflaient dans sa gorge.

Son corps se cambrait sous les tendres attaques, sous les morsures légères.

Elle tendit son ventre vers Rachel qui lui ôta son slip de dentelle noire, fragile obstacle à son désir.

Elle vit le mont de Vénus, le pubis bouclé et posa ses lèvres sur les lèvres offertes. Doucement, elle en lécha le fruit.

Dylan jeta un cri rauque. Sa tête roulait sur l’oreiller. Elle plongea les poings dans les boucles brunes dont la soie caressait ses cuisses.

Elle ne put retenir un long gémissement de plaisir.


*


Elles étaient couchées, étroitement enlacées. Les doigts de Rachel jouaient avec les cheveux courts.

Elles étaient heureuses. Comblées. Comme elles ne l’avaient jamais été auparavant.

Rachel murmura - Comme je suis bien... Si bien... Avec toi... Dans cette maison merveilleuse...

- Moi aussi chérie, je suis bien... Quand je regarde derrière moi... quand je pense à tout ce que j’ai vécu... jamais je n’aurais cru qu’il serait possible d’être si bien... Je pense à cette phrase que j’avais lue autrefois sans en comprendre le sens. Brûler quand le feu devient cendres. C’est exactement ce que je viens de vivre avec toi. Tu as complètement rallumé le feu qui sommeillait en moi...

- Je suis à ta disposition pour souffler sur tes braises quand tu le voudras...

- Quelle proposition tentante. Je vais en user et même en abuser ma chérie...

- Je serai toujours prête !! Je n’en reviens pas que cette maison soit à moi... J’en avais tellement rêvé... Depuis que je suis enfant. Alors, tu viens de réaliser le second de mes rêves... Après toi...

- J’étais sûre qu’elle te plairait... Elle correspondait exactement à ce que tu m’avais confié. J’y ai passé plusieurs nuits. Je voulais y vivre, y dormir. Le murmure de l’océan la nuit, le souffle du vent... On a l’impression que rien ne peut la détruire... Je fermais les yeux et j’avais l’impression que tu étais à côté de moi et que c’était ta respiration que j’entendais. J’ai passé des nuits à me demander comment faire pour t’attirer ici. Parce que je voulais qu’on se rencontre ici. C’est Meg qui a eu l’idée...

- Meg ???

- Mais oui... Nous sommes devenues de très bonnes copines, elle et moi... Meg est pleine de ressources. Et elle sait garder un secret. Elle m’a dit qu’il t’arrivait d’animer des soirées en chantant et en jouant du piano... Elle a accepté de m’aider en te disant qu’elle t’avait trouvé un contrat sur l’île de Nantucket... Tu ne m’en veux pas de t’avoir attirée dans ce piège ???

- Je t’ai donné l’impression de t’en vouloir ?

- Non... Vraiment pas... C’est même tout le contraire...

- Tous ces jours à attendre ce moment... Mais ça valait la peine d’attendre. De nous attendre...

- Personnellement, j’aurais préféré que cette attente ne dure pas dix-huit mois dont quatorze de coma répondit Dylan en riant.

- Sois un peu philosophe !! Tu ne vois pas la magie qu’il y a dans tout ça ? Ton accident, ton coma, ta venue à Boston n’avaient qu’une seule raison d’être. Notre rencontre...

- J’aurais quand même préféré quelque chose de plus calme, de moins brutal. Te rencontrer sur le quai d’une gare, ou dans la salle d’attente d’un aéroport, par exemple. Ou à un vernissage. Plutôt que de faire un vol plané au-dessus d’une voiture et de retomber en morceaux sur le coin d’un trottoir. Mais c’est vrai qu’il y a quelque chose de magique dans tout ça. Raconte-moi notre rencontre... Je ne sais pas comment les choses se sont passées...

- Elles sont arrivées très simplement... Enfin, à part ton accident et ton coma... J’étais venue au Tufts Medical pour rendre visite à deux amies qui venaient d’avoir un bébé. En les quittant, je me suis trompée d’ascenseur. Je me suis retrouvée au sous-sol de la clinique où tu venais d’arriver en ambulance. Je ne sais pas pourquoi mais je vous ai suivis, toi et tes infirmiers... Ils ont parlé devant moi. En trois phrases, j’ai appris l’essentiel. Ton nom. Dylan Hederson. Que tu venais de New York où, six mois plus tôt, tu avais été accidentée en sortant du collège où tu étais prof. J’ai d’abord eu envie de t’aider... Et ensuite, tu m’as plu... Et ensuite, je n’arrêtais pas de penser à toi. Tu occupais tout mon espace mental... Il n’y avait plus de place pour mes parents, mes amies, mon métier... J’étais excédée par cette invasion... Et puis, j’ai fini par admettre que j’étais amoureuse de toi.

- Mais qu’est-ce qui t’a plu en moi ? Tu es tellement belle... Tu peux avoir toutes les femmes que tu veux... Comment as-tu pu tomber amoureuse d’un légume ? Je n’arrive pas à le comprendre... Ça parait tellement incroyable... C’est ça qui m’a fait ouvrir les yeux le premier janvier dernier... Quand j’ai pris conscience qu’en me voyant nue, tu voyais aussi ma misère physique... J’ai eu peur de te dégoûter... Parce que, le moins que l’on puisse dire, c’est que je n’étais pas particulièrement à mon avantage sur mon lit d’hôpital...

- Ooohhh avec beaucoup d’imagination... on pouvait aisément deviner ton joli corps...

- Tu te moques de moi... Mais je ne crois pas que ce sont mes sondes gastriques qui t’ont séduite...

- Non... Ce ne sont pas elles... Après avoir entendu la conversation de tes infirmiers, je suis rentrée chez moi.  Je voulais en savoir plus. Ça m’amusait de jouer les détectives... Avec internet, ce fut un jeu d’enfant d’obtenir d’autres informations sur toi. Dans un journal new-yorkais, il y avait un article qui relatait ton accident. Il donnait le nom de ton collège. Sur son site, j’ai trouvé une photo de toi. Et là, badaboum !!! Le coup de foudre pour la Dylan d’avant. Belle, forte et sportive. Intelligente et séduisante. La suite, tu la connais...

- Une photo ? Quelle photo ?

- Celle où tu portes un bandeau dans les cheveux...

- Celle-là ??!! Mon dieu, quelle horreur !! Mais je sortais d’un match de basket avec mes collègues et je rêvais d’une douche !! Mon tee-shirt était trempé de sueur !!

- Tu transpires quand tu joues au basket ??? Quelle surprise !!! Mais euhhh, ça ne se voyait pas sur la photo... Enfin bon, maintenant que tu me le dis... Finalement, c’est vrai que je me suis peut-être enthousiasmée un peu vite...

- Et voilà !! J’en étais certaine !! Je me casse à nouveau la figure !! Mais cette fois-ci, je tombe du piédestal où tu m’as mise !! Ça fait beaucoup plus mal !! Attention Rachel, je suis encore convalescente... Alors je suis toujours fragile...

- Tu n’as pas de crainte à avoir ma chérie. Je t’ai aimée alors que tu avais des tuyaux partout... Ce n’est pas pour te quitter maintenant que tu es de nouveau capable d’utiliser un couteau et une fourchette répondit Rachel en riant. Nous avons vécu le pire ensemble. Il nous reste à vivre le meilleur...

- Et nous allons le vivre ma chérie. Je te jure que nous allons le vivre... Mais dis-moi... Pourquoi as-tu menti sur ton nom ? Pourquoi as-tu prétendu t'appeler Meg Alcott ?

- Le jour de ton arrivée au Tufts Medical, je n’ai pas arrêté de me faire disputer. Les infirmiers, le médecin... Ils m’ont tous dit que je n’avais rien à faire là... Que c’était interdit... Alors, j’ai pris peur... Et comme une petite fille prise en faute, j’ai donné un faux nom... J’ai tout de suite pensé à Meg... Parce qu’elle avait été mon premier flirt quand j’avais seize ans...

- Ton premier flirt ? Et... vous en êtes restées là, elle et toi ???


Rachel se mit à rire. - Oui. Nous en sommes restées là... Nous n’avons jamais “sauté le pas”. Alors, tu vois... Il est inutile d’être jalouse... Même si je reconnais que ce n’est pas désagréable... Mais Dylan... Moi aussi, il y a quelque chose qui me trotte dans la tête. J’aimerais qu’on en parle une bonne fois pour toute.

- Tu me fais peur ma chérie... De quoi s’agit-il ?

- Ce n’est pas facile à dire. C’est quelque chose qu’Helena m’a dite...

- Je crains le pire... Helena est parfois cinglante quand elle se croit menacée... Elle connait les paroles qui font mal. L’habitude des talk-shows, je présume... Mais elle est moins redoutable qu’elle en a l’air...

- Peut-être... En tout cas moi, ça m’a fait mal...  Helena m’a accusée d’être intéressée... Elle a prétendu que, comme j’étais avocat, je savais que, tu allais recevoir des fortunes...

- C’était donc ça...

- Chérie, je te jure que je n’ai pas fait tout ça pour l’argent... Pour celui que tu as obtenu. Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait uniquement par amour pour toi... Mais si tu en doutes, ne serait-ce qu’un tout petit peu, alors il vaut mieux tout arrêter maintenant...

- Non, ma chérie, c’est hors de question... Je ne veux pas tout arrêter. Surtout pas. Je ne le pourrais tout simplement pas... Tu m’es devenue indispensable... Et je sais que tu n’as pas agi par intérêt... Si tu étais une femme d’argent, tu serais restée dans ton cabinet d’avocats où tu aurais fait fortune...

- Tu le penses vraiment ? Tu n’as pas le moindre doute ?


- Oui chérie. Je le pense vraiment... D’ailleurs, l’argent ne sera jamais un problème entre nous... Tu m’as ramenée à la vie... Alors tout ce que j’ai est à toi... Enfin, ce qui me reste...  Parce que je n’ai plus d’argent...  Presque plus... J’ai pratiquement tout dépensé !! Moi, autrefois si raisonnable, je ne savais pas que je pouvais être aussi “panier percé” !! Bon, c’est vrai que mon avocat m’a aidée en se servant largement sur mes indemnités. J’ai donné de l’argent à mes parents, proches ou plus lointains. A Helena pour qu’elle nous fiche la paix. Au Tufts Medical. À Meg, pour qu’elle  puisse acheter les murs de son club de jazz. Pour être près de toi, j’ai acheté un loft à Boston dans un immeuble qui domine la ville. On voit jusqu’à l’océan... J’ai aussi acheté la maison de Nantucket pour toi... Rien que pour toi... Mes millions ont fondu comme neige au soleil. Jusqu’à devenir une petite flaque !!! Je préfère d’ailleurs... Ces millions m’effrayaient... Je vais redevenir une petite prof qui enseigne le français et l’italien. J’ai déjà fait le tour des collèges de Boston pour trouver quelque chose... J’ai plusieurs rendez-vous la semaine prochaine... Tu vois c’est moi qui suis redevenue banale... Alors que toi, tu es une fabuleuse chanteuse, une merveilleuse pianiste... Et que tu vas devenir une star. J’en suis certaine.

- Tu n’es plus millionnaire ?? Et bien, moi aussi, je préfère... Je ne veux pas qu’il y ait d’obstacle entre nous. De barrière... Et je ne crois pas que je deviendrai un jour une star... Je n’ai pas choisi la musique qu’il faut pour ça. Chanter du jazz, ce n’est pas très commercial... Mais je m’en fiche... Je n’ai pas envie de fortune et de gloire... J’ai simplement envie de faire ce que j’aime. De le faire bien... Pour mon plaisir et celui de ceux qui viennent m’écouter... Et j’ai envie de passer mes jours avec toi... Comme dans la chanson que tu m’as fredonnée tout à l’heure. September song...

Rachel se mit à chantonner doucement. Et sa voix douce, chaude et profonde, fit frémir Dylan.

- Oh c’est une longue, longue route de Mai à Décembre. Mais les jours se font courts quand vient le mois de Septembre. Lorsque l’automne enflamme les feuillages, on n’a plus de temps pour le jeu de l'attente. Oh, les jours se réduisent à quelques uns, si précieux. Septembre, Novembre... Et ces derniers jours si précieux je veux les passer avec toi... Ces jours si précieux je les passerai avec toi...

Dylan se pencha sur elle. Elle plongea son regard dans le regard si bleu et si ardent. Un long regard de promesses.

Elle l’embrassa longuement. Puis elle murmura : - Moi aussi chérie, c’est tout ce que je veux... Passer ces jours si précieux avec toi. Mais je ne ferai qu’une seule objection.

- Ah oui ?? Laquelle ??

- Pas seulement de mai à décembre... Mais aussi de... décembre à mai...

Rachel se mit à rire. - 365 jours et... 365 nuits par an ? Ooohhh mais ça me convient tout à fait... Tout à fait...



FIN















Vous pouvez découvrir une nouvelle rencontre

entre Dylan et Rachel

dans le récit suivant,

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*

85 commentaires:

  1. Voici que nous avons traversé l'Atlantique sous la plume de Gustave pour découvrir une nouvelle ville. C'est toujours aussi bien documenté et prenant et très loin des tribus indiennes...

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    1. Merci Oscar pour le "toujours aussi bien documenté" et merci aux Cartovilles des éditions Gallimard (rires)

      Merci aussi de me rappeler que mon imagination est "aux abonnés absents" quand il s'agit d'écrire la suite des aventures de Vienne et Eva (rires)

      Bonne journée.

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  2. Bonjour,

    C'est parfait.

    Une nouvelle ville, 2 femmes et un couffin, Rachel.

    Un seul reproche... Dylan? où est-elle?

    Pierre.

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    1. Bonjour Pierre,

      Oups, je suis toute rouge de confusion... (rires) Tu es trop indulgent avec mes humbles récits.

      Quant à Dylan, elle va arriver. Peut-être bien dimanche 10 juin à 10 heures (rires)

      Bonne journée.

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  3. C'est Roland Garros, je ne peux pas m'empêcher de prendre la balle au bond Pierre.Pas de Dylan, même pas là-bas dans le noir.....

    Vais-je me remettre d'une si cruelle attente? Je n'en suis pas certaine.....

    MERCI!

    Béa.

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    1. Tu n'auras attendu qu'une semaine pour retrouver Dylan.

      Hélas, ma Dylan est "out". Frappée en plein bond. Comme une balle de tennis.

      Désolée Béa. Bonne lecture quand même.

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  4. Je viens de me plonger dans ce nouveau récit. Touchante la rencontre de Rachel et Dylan. Hâte de lire la suite.
    Rose

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    1. Bonjour Rose,

      La suite viendra... dimanche prochain. Quand elle sera écrite (rires)

      Mais en attendant, tu peux lire Reflets. Dylan y est en bien meilleure santé...

      Bonne lecture et bon dimanche.

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  5. Ouaips! Il y a de quoi être désolée!

    GRRRRR!!!!!! Une Dylan légume, Rachel qui mange rageusement des carottes et moi qui reste sur ma faim!

    Ah ouiche, c'est un beau dimanche! Sur ce, je vais regarder le finale RG, il ne manquerait plus que Nadal gagne et mon désespoir sera complet.

    "JE HAIS LES DIMANCHES!" (rires).

    Béa.

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  6. Comment ça tu hais les dimanches ????

    Pas les dimanches matins j'espère !!! Sur mon blog !!! Aux alentours de 10 heures !!! (rires)

    Moi, je m'en moque. Maintenant que mon favori Federer est dans les choux (rires)

    Bon dimanche, Béa... Euh non zut, je voulais bon match (rires)

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  7. Je découvre aujourd'hui ce nouveau récit qui s'annonce passionnant, comme d'habitude...
    Heureux évènement puis plus de mélancolie avec le coma de Dylan, nous "voguons" d'une émotion à l'autre.

    Gustave, moi aussi je suis bien déçu que mon favori Federer ne soit pas sur le Central en ce Dimanche, grrrr ! J'éspère bien qu'il se "reprendra" dans son jardin de Wimbledon...!

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    1. Bonjour Stef.

      Tout comme toi j'espère que Federer récoltera les lauriers d'une nouvelle victoire à Wimbledon. Pour rester dans la comparaison potagère (rires)

      J'avoue que j'adore les transports d'une émotion à l'autre, comme dans Reflets.

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  8. Voilà une rencontre très originale qui va nous plonger dans un nouvel univers. Quelle imagination ! Quelque chose me dit que Dylan pourrait se rétablir grâce aux visites de Rachel.

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    1. Merci de saluer mon imagination Oscar.

      Elle est beaucoup moins remarquable pour Little Big Women. Vienne et Eva sont toujours en train de digérer leurs écureuils grillés (rires) Leur repas s'éternise (rires)

      Quant à la guérison de Dylan. Mystère et boule de zan !!! (rires) La suite au prochain épisode...

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  9. STOP!

    Je veux que Dylan se réveille! Certes elle a un goût exquis musicalement parlant mais je ne veux pas qu'elle soit "un cadavre exquis".

    Elle aime l'Italie? Que Rachel lui donne un expresso stretto per favore....

    Per favore Gustave!!!!

    Grazie mille.

    Beatcicella.

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    1. Bonjour Béa.

      Mais si je réveille tout de suite Dylan, où serait mon histoire (rires)

      Alors je vais vous servir un café comme le font les Américains. Très allongé... (rires)

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  10. Il y a dans la liste de quoi entretenir la fascination de Rachel pour Dylan. C'est aussi une originale façon de découvrir une personnalité, mais elle pourrait être aussi trompeuse.

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    1. Oui moi aussi, je trouve fascinantes les personnes qui ont si bon goût (rires)

      Mais c'est vrai aussi, que l'on ne peut pas juger une personnalité uniquement sur ses goûts artistiques.

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  11. Bonjour,

    Je ne sais pas si cette liste est trompeuse, je trouve Dylan passionnante dans son mutisme forcé.

    Ainsi va la vie, la passion est passionnante et le quotidien... beaucoup moins.

    Très jolie suite. Merci.

    Pierre.

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    1. Bonjour Pierre,

      Le mutisme c'est bien pratique. j'ai moins de dialogues à écrire (rires) Car ce n'est pas toujours facile de trouver le ton juste et la phrase qui fait mouche.

      Et puis j'aime bien l'idée de donner le premier rôle à Rachel.

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  12. Bonjour,

    Tes dialogues font toujours mouche et malheureusement Dylan a une mouche aux yeux "glaciers" près d'elle????J'ai froid....

    Merci. je préfère le regard de Rachel, et je crois que tu partages mon opinion.

    Merci Mademoiselle.

    Pierre.

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    1. Bonjour Pierre,

      Tu as mille fois raison. Je préfère dix mille fois le regard de Rachel.

      Mais il faut toujours un méchant dans les récits. C'est bien plus drôle.

      Bonne lecture et bonne journée

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  13. Passionnant ce nouveau récit et quel suspense : on a envie d'en savoir plus sur cette blonde aux yeux de glace chez laquelle Rachel a cru déceler quelque chose qui ne dit rien de bon.

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    1. Et voilà !! C'est fait !!

      Maintenant tu en sais un peu plus sur la sournoise Helena DeXeres.

      Bonne lecture.

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  14. Superbe.

    Rachel a maintenant deux obstacles de taille à vaincre: le coma et une blonde "aux yeux glaciers" glaciale.

    PFFFFF...Elle n'est pas sortie de l'auberge... et elle risque de ne plus avoir le droit de revenir à l'hôpital.

    Je sens le "règlement de compte à O.K Oorral".

    Peut-être que Dylan aime aussi la chanson de Vian "les joyeux bouchers"!!!

    Merci.

    Béa.

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  15. Bonjour Béa.

    Je n'ai pas pu résister au plaisir de sortir Helena DeXeres (bravo pour la trouvaille Béa) de son placard. Elle avait déjà servi dans Enchères et Big Apple, mais le vinaigre c'est parfait pour réussir les sauces un peu relevées.

    Bonne lecture

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  16. Le retour de DeXeres! Et quel retour! Toujours aussi teigne celle-là!

    Beurk! Dylan est pour elle un fardeau, et nom d'un ouistiti elle se permets de draguer Rachel...Je crois rêver...euh... cauchemarder.

    Cela nous promets de beaux duels à fleurets non mouchetés....

    Merci.

    Béa.

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    1. En draguant Rachel, elle joint l'agréable à l'inutile (rires)

      DeXeres est la femme que vous aimez haïr (rires)

      J'espère que les futurs duels seront à la hauteur de tes attentes.

      Bonne lecture.

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  17. Bonjour,

    j'ai lu ta suite avec un réel plaisir.
    Comme tu le dis si bien Gustave, le vinaigre est parfait pour réussir "à monter" une sauce ou un excellent récit. Question vinaigre, Dexeres est vinaigrée à souhait.

    Merci infiniment.

    Pierre.

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    1. Bonjour Pierre,

      Le problème, c'est que DeXerès est tellement vinaigrée que la moutarde est en train de monter au nez de Béa (rires)

      Je devrais peut être adoucir Helena pour qu'elle ne soit qu'aigre-douce (rires)

      Bonne lecture

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  18. Bonjour,

    J'ai découvert depuis peu de temps vos récits. Ils sont très beaux, et mon Dieu, quelle imagination!
    J'aimerai, moi aussi, être la garde-malade de Dylan, je l'avoue.
    Je laisse ce soin, c'est le cas de le dire, à Rachel mais certainement pas à l'ignoble DeXeres.

    Lili.

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    1. Très heureuse que mes récits te plaisent Lili. Très heureuse que tu fasses partie de mes lecteurs.

      Dylan est très belle. Mais j'avoue que j'aimerais être la garde-malade de Rachel.

      Hélas, elle est en parfaite santé (rires)

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  19. The naughty Helena DEXERES is back ! Heureusement que Rachel est sur ses gardes. Elle ne devrait pas se laisser séduire.

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    1. DeXeres le retour !!!

      Pour la séduction, on ne peut jurer de rien. Le pire est toujours possible (rires)

      Bonne lecture

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  20. ô my God! Rachel est prête à sacrifier sa carrière pour le belle au bois dormant...
    Nom d'un petit bonhomme, c'est de la passion ou bien je ne m'y connais pas. Helena est retournée à New-York mais je suis persuadée qu'elle va pointer son sale museau bientôt. cela nous promets des dialogues mouillés d'acide.

    Merci pour cette suite pleine de tendresse et de déraison...

    Béa.

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    1. Helena pour le moment nous la joue "New York - New York".

      Mais bientôt ce sera "l'Éternel retour", je le crains.

      Et alors, pour Dylan et Rachel, ça risque d'être "Brève rencontre" (rires)

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  21. Votre récit ressemble à un conte de Perrault.
    Rachel est la princesse charmante, Dylan, la belle au bois dormant et Helena, la vilaine sorcière.

    Je souhaite que Dylan n'ait qu'un souhait en se réveillant, croquer la pomme avec Rachel.

    Merci.

    Lili.

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    1. Je crois que tout le monde aurait envie de croquer la pomme avec Rachel. (rires)

      Je ne m'inquiète pas pour ça.

      Mais je ne suis pas certaine qu'il y aura une pomme à croquer.

      Bonne lecture

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  22. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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    1. Non, non, rassurez-vous : je ne me suis pas censurée moi-même (rires)

      J'avais simplement publié deux fois le même commentaire.

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  23. Quel tempérament et quel romantisme cette Rachel! Elle veille jour après jour sur Dylan, la belle endormie, et la voilà maintenant prête à sacrifier la brillante carrière qui lui était promise... Une vraie héroïne romanesque.

    Merci Gustave

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    1. Le romantisme n'est plus ce qu'il a été (rires)

      Et les contes de fées non plus. (rires)

      Bonne lecture Stef. Et bon dimanche

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  24. Bonjour,

    Une héroïne romanesque, je suis d'accord. Je souhaite simplement qu'elle n'ait pas le destin d'une Madame Bovary.

    Merci.

    Pierre.

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    1. Bonjour Pierre,

      Rachel n'est pas un petite bourgeoise à qui l'on a dit "grandis et épouse un médecin ou un avocat"

      Rachel a grandi et elle est devenue avocat (rires)

      Alors, elle a de la ressource. Elle ne trouve pas sa sortie au fond d'un flacon de poison.

      Je sais que c'est comme ça que tu l'aimes. Moi aussi (rires)

      Bonne lecture et bon dimanche.

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  25. What????

    C'est un avenir désespérant que tu nous proposes là Gustave.

    Certes, je comprends que Rachel prenne les jambe à son cou, son romantisme l'a entrainé loin du rivage et sans bouée encore.

    Mais j'aimais bien ce conte fée moderne, ce romantisme échevelé (au passage Rachel a une superbe chevelure). Sur ce, je vais me coucher avec une tisane. Désespoir quand tu nous tiens....

    Merci (petit merci)

    Béa.

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    1. Don't worry Béa !!! (rires)

      Mais l'amour n'est pas un long fleuve tranquille. Et puis Rachel finissait par ne plus être humaine par excès de romantisme.

      Ça ressemblait trop à un conte de fées justement.

      Mets un peu de rhum dans ta tisane !!! (rires)

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  26. Bonjour,

    ô rage, ô désespoir, ô Gustave ennemie.

    J'en suis à ma troisième boîte de kleenex et je suis maintenant en rupture de stock.

    Dire qu'il me faudra attendre une semaine et masochisme complet pour être dans le même état.

    Je vais moi aussi boire une tisane...salée.

    Merci.

    Lili.

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    1. Bon, tu as lu la suite... suivante (rires) et tu sais à présent que je ne suis pas si cruelle.

      La séance de sado-masochisme est renvoyée à plus tard (rires)

      Bonne journée.

      Gustave

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  27. Que de tristesse dans cette porte qui se referme sur Dylan et les espoirs de Rachel, la ramenant brutalement au vide de son existence, sans possibilité de se jeter à corps perdu dans son travail pour s'abrutir. Sa décision de ne pas persévérer semble définitive. Pourtant, il paraît peu vraisemblable que Gustave ne nous ménage pas un happy end.

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    1. Flûte alors !!!!! A quoi ça sert que je me décarcasse si tu devines la fin avant que je l'écrive ???? (rires)

      Mais oui il y aura un happy-end !!!

      Dylan et... Helena forment un si beau couple (rires)

      Bonne journée.

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  28. Ahhhhh enfin, Dylan a donné un signe de vie et srogneugneu de srogneugneu, Rachel n'était pas là!

    Quelle riche idée, Rachel en chanteuse de jazz et un lieu digne du Cotton Club. Le cadre lui va à ravir.

    De la mélancolie, un cadre rétro et... l'espoir: Un cocktail parfait.

    Je range ma tisane et en parlant de cocktail je vais en boire un à ta santé Gustave!

    Merci.

    Béa.

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    1. Je n'ai aucun mérite.

      J'assouvis ma passion pour le jazz. Et je comble un regret : ne pas avoir connu le Cotton Club, le El Morocco (rires)

      Si c'est pour moi, un punch tout simple suffira (rires)

      Bonne journée

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  29. Bonjour,

    Je range mes Kleenex, et je te le dis tout de go Gustave, j'adore ta suite.

    J'adore que Rachel se retrouve à chanter dans ce club, il y a comme un air de "Casablanca" qui me plaît infiniment. Par contre, si elle doit porter un chapeau mou et un imperméable, pourquoi pas mais de grâce, pas d'adieu déchirant dans un aéroport.

    Merci.

    Lili.

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    1. Casablanca fait partie de mes films préférés.

      Et la chanson "as times goes by" !!!

      Pour ne pas parler d'Ingrid Bergman !!!! (rires)

      Merci d'avoir pensé à ce film en lisant ma petite suite.

      Bonne journée

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  30. Voilà un signe encourageant, de quoi pardonner à Gustave de nous envoyer en plein coeur de l'hiver, alors que l'été vient de commencer.

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  31. L'été en France ne va pas durer !!! (rires)

    Et puis il faut bien que mon histoire avance un peu !!! (rires)

    Bonne journée.

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  32. En ces temps de jeux olympiques, je décerne la médaille d'or de la patience à ....RACHEL!

    L'hiver en été c'est... rafraichissant, les cotillons... surprenant et comme cadeau de Noël: le regard de Dylan.

    Bon en même temps, après le traitement de choc que lui a fait "subir" Rachel, c'était la moindre des choses que Dylan puisse faire.

    Merci pour la clim.

    Béa.

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    1. Maintenant, je pense que tu peux décerner la médaille d'or, catégorie vacheries, à Helena DeXeres (rires)

      Bonne lecture

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    2. Une médaille d'or, ce serait trop lui faire honneur. Elle n'est pas Usain Bolt ou bien Phelps. je la range donc avec les trophées de la médiocrité!

      Béa.

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  33. Veux-tu nous suggérer très cher auteur que Rachel réveillerait un mort?

    Pas de souci, je suis entièrement d'accord avec toi.

    Merci.

    lili.

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    1. Les yeux bleus de Rachel c'est un avant-goût du paradis. Mais je pense en effet qu'il vaut mieux vivre et laisser mourir... les regrets (rires)

      Bonne lecture.

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  34. J'étais sûre sue Gustave ferait en sorte que l'infinie patience de Rachel soit récompensée, et sa passion aussi. Mais la rencontre qui se profile comblera-t'-elle les espoirs de Rachel, qui a tellement idéalisé Dylan ?

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    1. Tu as ta réponse.

      Même si elle a été longue à venir (rires)

      Il n'y aura pas de rencontre.

      Bonne lecture.

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  35. Quel coup de théâtre : la vilaine Helena DeXeres rentre en scène et anéantit les espoirs de Rachel. Il va être bien difficile à Gustave de la tirer hors de ses griffes très intéressées. Voilà un rebondissement qui nous promet une suite mouvementée.

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    1. Tu ne crois pas si bien dire !!

      Je n'ai encore aucune idée de la façon dont mon histoire va finir !!

      Mais il faut qu'elle finisse. Ça va bientôt faire trois mois que je suis dessus (rires)

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  36. DeXeres est comme le Gendarme au théâtre, elle frappe les trois coups. J'aimerai lui casser ledit bâton sur sa tête de crétinus américanus.

    Mais comme je suis accablée par la chaleur, je laisse le soin, à la sublime Rachel, de faire de la compote et même du compost avec l'abominâââââble DeXeres.

    Merci.

    Béa.

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    1. Ah non !! Pas de violence !! Ça finit toujours par la prison. Et la prison n'est pas un endroit pour la sublime Rachel.

      Et puis les mots aussi peuvent faire mal (rires) DeXeres en sait quelque chose. C'est son arme favorite. Une arme à double tranchant.

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  37. Bonjour,

    Heureux de retrouver ton récit.

    Quelle chute! Dylan se promène, enragée de bonheur et de joie de vivre. Seul bémol, Rachel n'est pas dans les parages. J'aimerai que De Xeres disparaisse de la toile...Définitivement....

    Merci.

    Pierre.

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    1. Bonjour Pierre,

      Et bien moi, je suis heureuse d'avoir retrouvé mon commentateur (rires)

      J'avais enfin d'aller faire un petit tour à New York. Alors, effectivement pas de Rachel !!!

      Bonne journée

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    2. Je voulais dire : j'avais envie (rires)

      Mais tu avais compris...

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  38. Que d'émotions en peu de temps et quelle habile façon de provoquer la rencontre que la vilaine Helena DeXeres redoutait tellement. Qui plus est, j'ai l'impression que Dylan en est quelque peu détachée. Voilà qui va lui donner bien du fil à retordre.

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    1. Habile ??? Je ne sais pas mais il fallait bien trouver quelque chose !!! (rires) Helena ne peut pas toujours gagner... Ce ne serait pas moral !!!

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  39. Hey,

    Toute anémiée, en manque de tes récits, je savoure.

    Son coma n'a pas rendu Dylan amnésique! Comme un gardon fraichement péché, je frétille et je te pose LA question Gustave ! A QUAND LA RENCONTRE?

    Sur un ton plus poli: "Dites-moi, ô écrivain, puis-je espérer que Rachel et Dylan se rencontrent?????????????????"

    Merci.

    Béa.

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    1. Jamais contente !!! (rires)

      Une rencontre ??? Quelle rencontre ???

      Je te rappelle qu'elles ont déjà passé des heures ensemble. Pendant 8 mois !!! (rires)

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  40. Voilà qui devrait donner bien du fil à retordre à la méchante DeXeres et contrarier ses desseins. Son machiavélisme réussira-t'-il à triompher de la poursuite de l'enquête de Dylan ?

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    1. Bonjour Oscar.

      Je suis désolée de te répondre avec tant de retard.

      Et aujourd'hui, tu as la réponse à ta question (rires)

      La réponse est... non. Mais en doutais-tu ??

      Bonne lecture et bon dimanche.

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  41. Bel écrin que l'île de Nantucket pour abriter les retrouvailles de Rachel et
    Dylan. Dylan a vu clair dans le jeu de la retorse DeXeres. J'ai toutefois peine à croire qu'elle va baisser les bras. La vigilance s'impose.

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    1. L'île de Nantucket est un très bel écrin en effet.

      Melville en a fait le point de départ de son roman Moby Dick.

      Alors, plus modestement, j'en ai fait le point d'arrivée de mon récit.

      Bonne lecture et bon dimanche.

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  42. "J'ai fait la saison,dans cette boîte crânienne,
    Tes pensées je les faisais miennes" dixit Rachel

    Dylan prends des trains à travers la plaine, dans les bottes une montagne de questions, Helena, elle s'en lave les mains, Effrontément elle sait que Rachel sera sienne.

    Belle histoire.

    Béa.

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    1. Quelles phrases magnifiques Béa. J'aurais aimé les écrire !!! Hélas.... (rires)

      Je n'ai qu'une seule critique à formuler. Il est hors de question qu'Helena fasse sienne Rachel !!!! Mordiou !!! (rires)

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  43. Une fin, non pas tout à fait, la suite est annoncée pour la semaine prochaine, donc une presque fin comme dans les rêves les plus fous de Rachel. Mais je peine à croire qu'elles se sont si vite débarrassées de la vilaine DeXeres.
    Et cela serait bien d'avoir une photo de la maison la prochaine fois.

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    1. Et voilà !!! Encore des exigences !!! (rires)

      Bon. La direction de ce blog ne reculant devant aucun sacrifice pour satisfaire ses lecteurs, je vais essayer de trouver une photo de la maison rêvée par Rachel !!! Mais photographier un rêve, c'est pas facile !!! (rires)

      Ce sera quand même plus facile que de faire revenir la DeXeres qui est définitivement out dans ce récit. Non mais !!!!

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  44. Helena, ton compte est fait : voilà un happy end qui ferme toute velléité de retour dans la vie de Dylan. Merci aussi pour la photo du refuge de nos deux héroïnes.

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    1. Un happy end avec Helena ce n'était pas possible. C'était même contradictoire (rires). Elle est tellement odieuse qu'on a envie de la tuer !!! Mais je pense qu'Helena va resservir dans un autre récit.

      Quant à la photo, c'est peu de chose.

      Encore merci. Bonne journée.

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    2. C'est fait, je l'ai tuée !! (rires)

      Dans un nouveau récit.

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