J'ai adoré écrire les aventures d'Alice et de Louis et je sais que certains d'entre vous ont aimé les lire. Alors j'ai décidé de donner une suite à Portrait.
Je vous prie d'excuser les libertés que j'ai prises avec l'Histoire de France et des Etats Unis.
Pour un plus grand confort de lecture, j'ai scindé Révolutions en trois parties. Voici la deuxième partie. Il est absolument nécessaire d’avoir lu Portrait et Révolutions 1 pour comprendre :
Révolutions 2
Philadelphie
Le 9 juillet 1790, le Congrès vota le Residence Act qui désignait la rive du fleuve Potomac pour recevoir la future capitale des Etats Unis, Washington.
En attendant le jour où cette ville serait bâtie, il fut décidé que New York perdrait son statut de capitale au profit de Philadelphie.
A la fin du mois d’août, le Congrès quitta définitivement New York.
Louis et moi étions à la croisée des chemins. Nous ne savions pas si nous devions rester à New York ou suivre nos amis. Nous nous étions attachées à cette ville qui nous avait accueillies et où nous étions devenues amantes.
Mais nous devions songer à gagner notre vie. Or les élèves de Louis, comme les clients dont je faisais le portrait, étaient tous membres ou apparentés à un membre du Congrès.
En outre, nous étions deux fugitives qui avaient besoin de vivre sous la protection du Président et des hommes politiques éminents que nous avions sauvés.
Notre décision fut donc prise. Malgré l’attachement sincère que nous éprouvions pour New York, nous décidâmes notre départ pour Philadelphie.
*
Moins de quarante lieues (160 kilomètres) séparent les deux villes.
Nous avions peu de biens. Quelques livres, quelques vêtements, les armes de Louis et, pour moi, mon matériel de peinture. Nous achetâmes deux chevaux et deux mulets sur lesquels Louis accrocha des bâts.
Par souci de sécurité, nous décidâmes de nous joindre à d’autres personnes qui, comme nous, quittaient New York pour Philadelphie.
La plupart d’entre elles avaient amassé plus de biens que nous n’en avions. Aussi, étaient-elles obligées de voyager dans des charrettes tirées par des boeufs.
Ses animaux, paisibles et robustes, étaient aussi très lents. Ils étaient capables de parcourir une lieue par heure tout au plus.
Il nous faudrait donc plus d’une quarantaine d’heures pour accomplir ce voyage.
Comme il était inconcevable de ne pas s’arrêter pour dormir, ce voyage, malgré la distance très courte, devrait nous prendre plus de trois jours.
Au nombre des voyageurs, figuraient Adam Pitt, sa femme et leurs deux enfants. Nous étions en tout, une vingtaine de personnes.
*
Pour pouvoir monter plus facilement à cheval, j’endossai des habits d’homme et chaussai des bottes que Louis me prêta. Elle ne put s’empêcher de sourire quand elle me vit ainsi vêtue. Elle n’avait pas oublié quel effet une telle allure avait sur mes sens.
Nous partîmes un matin. J’éprouvais à la fois du regret de quitter, peut-être pour toujours, cette ville qui m’avait tant donné et m’avait tant éprouvée et de l’impatience à l’idée de découvrir un nouveau lieu.
C’était la première fois que je chevauchais à côté de Louis. C’était une habile cavalière. Elle savait commander sa monture sans brutalité.
Nous prenions plaisir à cette cavalcade. Même s’il nous était impossible de galoper loin devant la caravane.
Le soir, nous nous regroupâmes autour d’un feu de camp qui, en cette fin d’été, avait plus pour fonctions de cuire nos aliments et d’éloigner les bêtes sauvages que de nous chauffer.
Puis nous nous couchâmes, toutes habillées, sur des couvertures. Je me blottis contre Louis. Là, lovée contre son corps dont la chaleur se communiquait au mien, sous la voûte immense d’un ciel étoilé, je pensai qu’il m’importait peu que mon lit soit de plumes ou de terre, comme ce sol sur lequel nous avions pris place. Seul importait que j’y sois à côté de Louis.
Sa main était posée sur ma cuisse.
Le sommeil ne fut pas long à venir.
*
Une journée, une nuit et une autre journée s’étaient écoulées depuis que nous avions quitté New York.
Nous nous étions préparées pour dormir. Nous nous étions couchées, serrées l’une contre l’autre. Une nuit, en tout point identique à la précédente, suivit.
C’est au matin, alors que le soleil commençait à nous réchauffer de ses rayons, que nous les vîmes.
Des indiens s’étaient approchés de notre camp. Ils étaient armés et semblaient hostiles.
*
Ils ne bougeaient pas.
Ils étaient peu nombreux, une demi douzaine tout au plus. Nous avions l’avantage du nombre mais il y avait des enfants parmi nous. Et nous savions que ces hommes étaient de redoutables guerriers.
Adam Pitt s’avança vers eux et leur offrit de se rapprocher du feu. Ce qu’ils firent. L’un d’eux parlait quelques mots d’anglais. Il nous expliqua que ses compagnons et lui chassaient pour reconstituer les réserves de viande séchée et de peaux de leur tribu en prévision de l’hiver.
Nous leur proposâmes de partager notre repas du matin. Ils acceptèrent de nouveau.
Je leur demandai l’autorisation de les dessiner. Ils acceptèrent encore. Je pris mon carnet de croquis et commençai à coucher leurs traits sur le papier.
J’étais si accaparée par mon travail et par le soin que je mettais à reproduire leurs traits que je ne me rendis pas compte de l’intérêt que je suscitais chez l’un d’eux.
Il me regardait fixement.
Il devait avoir vingt cinq ans. Il était grand et musclé. Son visage portait une cicatrice qui disait assez qu’il s’était déjà battu et qu’il avait dû triompher de son adversaire, homme ou bête, après une lutte acharnée.
Il regardait mes mains qui couraient sur le papier. Mais je compris rapidement que mes cheveux blonds et mes yeux bleus provoquaient chez lui cette fascination qu’il ne cherchait pas à dissimuler.
Il s’approcha de son compagnon qui servait d’interprète et lui dit quelques mots qui furent immédiatement traduits à Adam Pitt.
Ce dernier, contrarié, s’adressa à Louis.
L’indien voulait m’acheter pour que je devienne sa femme. Il était prêt à y mettre le prix. Il tendit un sac en peau dans lequel se trouvaient dix turquoises.
Un refus risquait d’être considéré comme une insulte. Que seul un combat à mort pourrait effacer.
*
Louis me rapporta les paroles de l’indien.
- Louis qu’allons nous faire ? Vous ne pouvez pas lutter contre cet homme...
- Je vais lui dire que je refuse de vous échanger contre ses pierres précieuses. Mais pour laver cet affront, je vais me battre avec lui.
- Louis, non...
- Ma chérie... Que puis-je faire d’autre ? Vous vous imaginez en squaw de cet homme ? C’est amusant de vivre sous une tente pendant une ou deux nuits, mais vivre sous un tipi toute sa vie... Vous vous voyez porter et nourrir ses enfants ? Ses papooses. Les mettre au monde. Un par an.
- Mais Louis, vous ne pouvez pas l’affronter à l’épée. Vous allez devoir vous battre comme il le fait. Avec un poignard et un tomahawk. Vous n’avez aucune chance contre cette montagne de muscles. Il va vous tuer...
- Votre liberté est à ce prix, ma chérie. A défaut de vous avoir, il aura ma vie...
J’éclatai en sanglots. Elle me prit dans ses bras et me serra contre elle. Je sentais la caresse de ses lèvres contre ma tempe.
- Ne pleurez pas Alice. Je n’ai pas d’autre choix. Je ne pourrais pas vivre en vous sachant l’épouse de cet homme. Sa maîtresse, la mère de ses enfants et aussi sa domestique. Je ne pourrais pas vivre en vous sachant dans ces montagnes, dans le froid et la misère. En imaginant votre beauté et votre jeunesse flétries à tout jamais. Je ne serais pas digne de votre amour, si je ne l’affrontais pas jusqu’à la mort pour vous sauver. Ma chérie, laissez-moi maintenant, je dois y aller...
Mais je refusai de la lâcher. Je me cramponnais à elle, mouillant sa veste de mes larmes.
Adam Pitt s’approcha de nous.
- Louis, nous pouvons leur résister. Nous sommes armés et plus nombreux qu’eux.
- Non Adam. Merci. Mais vous avez vos femmes et vos enfants. Rendez-moi un seul service. Promettez-moi de veiller sur mon épouse. Veillez sur Alice. Je la confie à votre garde.
- Je vous le promets Louis. Alice est désormais comme ma soeur.
Louis glissa ses doigts sous mon menton, leva mon visage vers le sien et baisa mes lèvres. Elle mit dans ce baiser tant de douceur et de passion que je crus défaillir. Puis elle m’écarta d’elle. Adam Pitt et son épouse me prirent dans leurs bras et me retinrent.
Louis me fit un dernier sourire, retira sa veste qu’elle laissa tomber au sol et marcha vers l’indien.
*
Ce dernier l’attendait, les bras croisés sur la poitrine. Son compagnon qui parlait l’anglais se tenait près de lui. Une conversation s’engagea entre eux et Louis.
Je la dévorais des yeux. Elle était si belle, même dans ce moment tragique. Elle ne portait que son gilet sur une chemise blanche qui bientôt, je le savais, serait trempée de son sang. Ses cuisses étaient prises dans une culotte rentrée dans des bottes hautes en cuir souple. Les boucles de ses longs cheveux bruns tombaient sur ses épaules. Elle était superbe. Elle se tenait droite devant ces hommes. Sans trembler, sans faiblir.
Elle devait leur dire son refus de me vendre et son intention de se battre. Leur discussion me parut durer des heures.
Nous étions trop loin pour entendre ce qui se disait. Mais je tentais de deviner leurs propos en lisant sur les visages des indiens.
Sur celui de mon prétendant, je lus d’abord de la colère, puis de la surprise et enfin de la pitié.
Après qu’elle eut fini de parler, et son compagnon de traduire ses propos, il posa sa large main sur l’épaule de Louis. Il lui tendit un objet qu’elle prit en le remerciant.
Alors, sur un signe, les six indiens nous saluèrent. Puis aussi brusquement et silencieusement qu’ils étaient apparus, ils disparurent, en s’enfonçant dans l’ombre de la forêt.
Il n’y aurait pas de combat. Louis était sauvée. Mon amour était sauvé.
*
Nous étions abasourdis.
Par quelles paroles miraculeuses, Louis avait-elle su convaincre l’indien d’éviter le combat et de renoncer à moi ?
Dans le moment, il m’importait peu de le savoir.
J’étais folle de joie. Echappant à l’étreinte d’Adam et de son épouse, je me jetai dans ses bras. Elle me serra contre elle.
Adam Pitt et tous nos compagnons de route s’approchèrent de nous en riant.
- Louis, mon ami, je ne sais pas ce que vous avez dit à cet homme, mais vous êtes un fameux diplomate. Washington et Jefferson ont eu raison de vous nommer Consul perpétuel des Etats Unis. Ils devraient vous désigner comme responsable du Bureau des Affaires indiennes. Vous y avez toute votre place. Maintenant, je crois que nous devrions lever le camp sans tarder. Inutile de rester plus longtemps. Ces indiens pourraient se raviser et revenir ici.
Après avoir éteint notre feu, nous nous mîmes en route.
Louis et moi avions sauté sur nos montures.
Nous chevauchions côte à côte, silencieuses et heureuses.
*
Je ne pus me taire bien longtemps.
- Louis, que lui avez-vous dit ? Qu’avez-vous dit à cet indien pour qu’il renonce à moi et au combat ?
- Je lui ai dit qu’il n’était qu’un tout petit bonhomme et que je n’en ferais qu’une bouchée...
- Louis, ne vous moquez pas de moi.
- Je lui ai dit que vous ne saviez pas faire la cuisine et que vous dépensiez tout notre revenu en toilettes...
- Louis !!!!!
- Bien, je vais vous dire la vérité. Je lui ai dit que nous étions mariées depuis plus de neuf mois. Et que depuis notre union, je vous faisais l’amour tous les jours, quand ce n’était pas plusieurs fois par jour. Et que, pourtant, vous ne présentiez aucun signe d’une future maternité. Je lui ai dit que je pensais que vous étiez stérile. Les indiens sont gens pratiques. Ils veulent une épouse qui peut leur donner des fils. De futurs chasseurs. De futurs guerriers. Par ailleurs, la stérilité leur fait peur. Ils y voient une punition de leurs dieux.
- Louis...
- Je sais ma chérie. J’ai un peu menti. Mais, sur le moment, je n’ai rien trouvé de mieux. Il m’a demandé pourquoi je vous gardais. Je lui ai dit que, dans notre monde, notre religion nous interdisait de répudier nos épouses. Ceux que Dieu a unis, nul homme ne peut les séparer. Alors, il m’a dit qu’il me plaignait. Car je n’aurais jamais de fils. Il m’a remerciée de ma franchise et il m’a donné deux turquoises.
- Pourquoi ce cadeau ?
- Pour faire une offrande au dieu de la fertilité. Je ne pouvais pas refuser. Un refus l’aurait humilié ou aurait provoqué le soupçon...
J’étais partagée entre le rire et les larmes.
Mon admiration pour l’intelligence de Louis, ma confiance en sa capacité à nous sauver toujours et en toutes circonstances, n’en étaient que plus grandes.
Pour ne rien dire de mon amour...
*
Cette dernière nuit, que nous passâmes à la belle étoile, me parut miraculeuse.
J’avais failli perdre Louis, car il n’était pas douteux qu’elle n’aurait pas pu triompher de cet indien.
Seuls le mensonge qu’elle lui avait servi et la crainte superstitieuse de cet homme des bois avaient pu la sauver.
J’avais découvert un des multiples talents de Louis : la ruse liée à une connaissance de la nature humaine.
Louis était si paradoxale. Elle pouvait se montrer si impérieuse, presque brutale. Comme pendant cette nuit d’amour que je n’oubliais pas. Et être si douce et prête au sacrifice ultime par amour pour moi.
Ces pensées m’accompagnaient alors que je me serrais contre ce corps chaud et doux que j’avais failli perdre à tout jamais.
*
Nous arrivâmes à Philadelphie sans plus d’encombres.
Nous trouvâmes à nous loger, dans une rue appelée Elfreth’s Alley, dans une maison étroite en briques rouges.
Louis retrouva ses élèves. Je repris mes pinceaux.
Notre venue dans cette ville était motivée par la nécessité de gagner notre vie. Mais les nouvelles péripéties que nous y connûmes nous persuadèrent que le temps de rentrer chez nous, en France, était venu.
Voici comment les choses se firent.
*
A la fin du XVII ème siècle, le succès du tabac en Europe entraîna la création de plantations, notamment en Virginie, et une demande de main d’oeuvre servile. Tous les noirs qui mettaient le pied sur le sol américain se voyaient imposer le statut d’esclave. Ils étaient considérés comme des meubles et dépourvus de droits.
Tous les états, au nord comme au sud, possédaient des esclaves.
La ville de Philadelphie allait être, pour neuf ans, la capitale des États Unis d’Amérique. Elle était également la capitale de la Pennsylvanie.
Cet État portait le nom de son fondateur, William Penn.
Penn était membre d’un mouvement religieux, les Quakers, qui avait fortement influencé le gouvernement de cet État. Il prônait une totale liberté religieuse, attirant ainsi tous ceux qui étaient persécutés pour leur foi, mais aussi l’égalité et la non-violence.
La ville avait eu un rôle central au cours de la Guerre d’Indépendance.
A présent, elle était à la pointe du combat contre l’esclavage.
En 1780, la Pennsylvanie décida l’abolition progressive de l’esclavage sur le territoire de l’État. Toutefois, en 1790, plus de quatre mille esclaves y vivaient encore.
*
Nous nous promenions depuis quelques minutes quand, avant même d’avoir le temps de comprendre d’où elle venait, une jeune fille noire, presque une enfant, vint se jeter dans nos jambes.
Elle était en larmes. Le tissu de sa chemise était déchiré et laissait voir un dos lacéré. Elle avait été battue au fouet. La lanière avait mordu la peau et y avait laissé les traces que nous pouvions voir.
Nous étions horrifiées.
Paniquée, l’enfant se débattit. Elle voulait nous échapper. Louis la retint par le bras et l’obligea à se calmer.
- Allons. Allons. Ne vous sauvez pas. Où fuyez-vous ainsi ? Qui vous a battue de cette façon ?
- Laissez-moi partir, Monsieur.
- Non, restez ici. Vous ne pourriez pas aller bien loin de toute façon. Qui vous a frappée ?
J’intervins alors. Je sortis un mouchoir de ma poche et séchai ses larmes. Je pris mon châle et le jetai sur ses épaules pour masquer ses plaies.
- Allons mon enfant. Mon époux et moi ne vous voulons aucun mal. Au contraire, nous voulons vous aider. Nous n’avons pas d’esclave. Nous condamnons cette pratique qui est une insulte à Dieu. Parlez...
- C’est mon maître. Il voulait... enfin que je le suive dans sa chambre. J’ai refusé. Alors, il m’a fouettée... Mais j’ai réussi à m’enfuir. Il m’a poursuivie. J’ai couru, couru... il est juste derrière moi...
Nous nous retournâmes. Et nous vîmes apparaître un petit homme essoufflé, maigre et laid.
Nous le vîmes arborer un mauvais sourire quand il vit que nous tenions la fillette prisonnière.
- Ah vous l’avez attrapée ! Merci. Elle est à moi ! Elle s’est enfuie alors que je la corrigeais comme elle le méritait...
Il voulut poser la main sur l’épaule de l’enfant quand Louis s’interposa.
- Pas si vite. Qu’est-ce qui nous prouve que vous êtes son maître ?
- Vous avez raison de vous méfier Monsieur. Voici le fouet dont j’ai laissé l’empreinte sur le dos de cette gredine.
Je vis la colère envahir les yeux de Louis. Elle arracha l’arme des mains de cet ignoble individu.
- Lâche ! Comment osez-vous battre un être humain ? Une enfant ?
- Monsieur, ces hommes et ces femmes ne sont pas comme nous. Ils sont inférieurs aux blancs par le corps et par l’esprit. Nous avons le droit de les réduire en esclavage. Nous avons le droit de les punir quand ils commettent des fautes.
- Des fautes ? Comme celle de refuser de se faire violer ?
- Monsieur, cet enfant est mon bien. Comme mon cheval ou mon chapeau. J’en use comme je l’entends.
J’intervins encore.
- Je vous l’achète !
- Elle n’est pas à vendre !
Le ton de Louis se fit menaçant. Elle écarta le pan de sa veste, laissant apparaître le pommeau de l’épée qu’elle portait toujours à son côté.
- Vraiment, Monsieur ? Elle n’est pas à vendre ? Je veux pourtant en faire cadeau à mon épouse. Vous seriez malvenu de vous opposer à ma volonté...
L’homme comprit la menace.
- Dix dollars.
- Dix dollars pour une enfant ? Et que vous avez blessée qui plus est. Les seuls soins du médecin me coûteront plus que cela. Je vous en offre cinq. Pas un de plus.
- Bien. J’accepte. Mais contraint et forcé. Je ne l’oublierai pas. A qui dois-je faire parvenir les papiers de la vente ?
- A Alice et Louis d’Uberville, 108 Elfreth’s Alley.
Furieux, il tourna les talons et nous laissa avec l’enfant. Je me penchai vers elle.
- Comment vous appelez-vous, mon enfant ?
- Tara, Madame.
Louis se mit à rire.
- Et bien, Alice, ma chérie, vous qui êtes une lectrice acharnée de Condorcet, Rousseau et Voltaire, vous voici devenue esclavagiste.
*
C’était une jolie petite fille de dix ans quand nous l’arrachâmes aux mauvais traitements de Judas Cobb.
Elle était craintive. Elle était persuadée que nous allions la traiter aussi mal que l’avaient fait tous ses maîtres avant nous. Mais elle se rassura vite.
Car, pour la première fois de sa courte vie, elle dormit dans un lit, dans des draps blancs et sous une couverture de laine. Un feu ronronnait dans la cheminée de sa chambre.
Pour la première fois de sa vie, elle portait des vêtements achetés pour elle et non des haillons découpés dans les vêtements de sa mère.
Pour la première fois de sa vie, elle n’était pas obligée de trimer comme une bête de somme et de fuir les assauts de son maître.
Louis entreprit de lui apprendre à compter, lire et écrire.
Elle nous raconta qu’elle avait d’abord appartenu, avec son père et sa mère, à un planteur de tabac de Virginie qui possédait une douzaine d’esclaves adultes.
Son père était charpentier. Il avait construit, de ses mains, la maison de son maître. Il travaillait occasionnellement dans ses champs de tabac. Sa mère était une servante. Tara l’aidait dans ses taches domestiques.
Le planteur était un ivrogne qui perdait son revenu au jeu. Couvert de dettes, il avait dû vendre sa plantation pour payer ses créanciers. Ses esclaves faisaient partie des biens saisis, au même titre que ses terres, ses chevaux, sa maison et les meubles qui la garnissaient.
Le tout avait fait l’objet d’une vente aux enchères qui avait attiré Judas Cobb, le commerce des esclaves étant interdit en Pennsylvanie.
C’est alors qu’elle avait été séparée de ses parents, eux-mêmes étant vendus à deux propriétaires différents. C’était quelques jours avant Noël.
Nous étions bouleversées par le sort de Tara et par la cruauté de cette société qui séparait un mari de sa femme. Des parents de leur enfant.
*
Pour ce faire, l’aide d’Adam Pitt nous fut précieuse. Membre du Congrès, il interrogea son collègue, représentant de la Virginie.
Deux mois plus tard, nous connûmes l’identité des hommes qui les avaient achetés, et leur lieu de résidence.
Sam, le père de Tara, avait été acheté par un entrepreneur en bâtiment qui construisait des maisons dans la ville de Savannah, en Géorgie. Mélie, sa mère, était devenue domestique dans une famille bourgeoise de Charleston, en Caroline du Sud.
Dans leur malheur, les parents de Tara avaient eu la chance d’échapper au sort commun.
Charleston et Savannah n’étaient pas des villes trop éloignées de Philadelphie. C’étaient en outre des ports que l’on pouvaient facilement rejoindre en bateau.
Sam était un artisan que son savoir-faire rendait précieux à son maître. Mélie une servante vivant dans une ville. Ils n’avaient, ni l’un ni l’autre, échoué dans une plantation de coton, trimant, sous les coups, du lever au coucher du soleil.
Depuis quelques années, le développement de la culture du coton, destinée à fournir les usines manufacturières d’Angleterre et d’Europe, entraînait celui de l’esclavage dans les états du Sud. A partir de 1790, commença une déportation massive d’esclaves vers la Géorgie, le Mississippi, la Louisiane.
Il était rarissime que des familles d’esclaves soient déplacées ensemble vers un même lieu. Leurs membres étaient généralement séparés.
Une partie de ces déplacements s’opérait par la voie maritime à partir de Norfolk, en Virginie, jusqu’à la Nouvelle-Orléans.
Mais la plupart des esclaves étaient obligés de se déplacer à pied. Nombre d’entre eux mouraient durant la marche, épuisés sous le poids des chaînes qui les maintenaient prisonniers.
*
Nous préparâmes avec soin notre nouveau voyage. Naturellement, nous devions emmener Tara, elle seule étant susceptible de reconnaître ses parents.
Nous devions également amasser la somme suffisante au rachat de Sam et de Mélie.
Au début des années 1770, la “Société d’émancipation des Noirs libres et illégalement réduits à la servilité” avait été fondée à Philadelphie. Ses membres nous donnèrent de précieuses indications et un peu d’argent.
Nous sacrifiâmes une partie de nos économies et les deux turquoises de l’indien.
Un matin du mois d’avril 1791, nous fûmes prêtes à partir. J’avais 18 ans, Louis en avait 22. Depuis deux ans, nous ne nous quittions plus. Je l’avais suivie au-delà des mers. Elle m’accompagnait dans cette tentative de réunir Tara et ses parents.
Nous embarquâmes à bord d’un navire marchand, appelé The Hope, qui faisait plusieurs escales sur la côte en direction de la Nouvelle-Orléans.
Notre route était simple. Cap au sud vers Charleston où nous espérions trouver Mélie, puis, ensuite, Savannah où vivait Sam. Retour enfin vers Philadelphie.
Adam Pitt, son épouse, les membres de la Société d’émancipation ainsi que nos compagnons de voyage entre New York et Philadelphie, étaient là pour nous souhaiter bon voyage et bonne chance dans notre quête.
Nous ignorions alors que, jamais plus, nous ne pourrions retourner auprès d’eux.
*
La première partie du voyage fut la plus paisible. Il y avait plus de 650 miles marins (1.200 kilomètres) entre Philadelphie et Charleston.
Tara était toute à sa joie de retrouver bientôt ses parents et de découvrir le bateau.
Comme d’habitude, je consacrais mon temps au dessin. Louis instruisait Tara. La petite fille faisait des progrès rapides. La lecture, l’écriture étaient des jeux pour elle.
Je retrouvais chez Louis la patience dont elle avait fait preuve avec mon jeune frère Etienne. Parfois, j’éprouvais la nostalgie de ce temps qui n’était plus. Mais souvent, je songeais à ce que nous étions devenues l’une pour l’autre et je rougissais
- Alice, ma chérie, qu’avez-vous ? Je vous vois rougir. Vous semblez émue... Vous n’êtes pas souffrante ?
- Ce n’est rien, Louis. Rien qui doive vous inquiéter. Continuez la lecture avec Tara...
Ce voyage sur ce navire me rappelait le précédent que nous fîmes alors que Louis fuyait l’Angleterre et mon amour, et que je l’avais suivie.
La présence de Tara, avec laquelle nous partagions notre cabine, nous avait rendues chastes. Mais, nous bavardions pendant le sommeil de l’enfant dans une langue, le français, qu’elle ne pouvait pas comprendre.
- Louis, vous retrouvez la mer. Cet élément que vous aimez tant. Sur lequel vous avez toujours rêvé de vivre. Parfois, je me dis que vous auriez été plus libre et plus heureuse sans moi...
- Alice, comment pouvez-vous dire une chose pareille ? Ne savez-vous pas que c’est vous qui m’avez donné la liberté d’aimer ? Que serais-je devenue si vous n’aviez pas répondu à mes sentiments et à mon désir ? L’être le plus solitaire et le plus malheureux au monde. Même la mer n’aurait pu combler le besoin que j’avais de vous, que j’ai toujours de vous.
- Pourquoi m’avoir fuie alors ?
- Parce que je ne pouvais pas vous offrir de vivre avec moi.
- Pourtant je vous aimais et vous désirais à la folie. Louis, je sais à présent que l’amour n’a pas de sexe.
*
Au bout de douze jours de mer le long de la côte des Etats Unis, et après une escale à Norfolk où nous vîmes les bateaux négriers et leurs tristes cargaisons d’hommes et de femmes enchaînés, nous arrivâmes à Charleston.
Le Hope faisait une escale de deux jours pour déposer sa marchandise, faire le plein d’eau douce et de nourriture, embarquer d’autres passagers.
C’était le laps de temps qui nous était laissé pour retrouver Mélie et la racheter à ses maîtres. Nous nous mîmes à sa recherche sans plus tarder.
Nous savions qu’elle avait été acquise par un bourgeois de Charleston. Nous nous présentâmes à son domicile. Un serviteur noir nous apparut.
L’homme regarda avec surprise ce jeune couple dont la femme tenait une petite fille noire par la main. Louis prit la parole.
- Bonjour. Nous voudrions voir Monsieur Van Thaler.
- Qui dois-je lui annoncer ?
- Alice et Louis d’Uberville. Nous venons de Philadelphie.
Il nous fit entrer dans un salon et nous pria d’attendre. Quelques minutes plus tard, nous vîmes le maître des lieux.
Il s’agissait d’un homme d’une cinquantaine d’années, au visage violacé, au ventre proéminent. Il nous toisa, laissant traîner son regard sur Tara et sur moi. Je me sentis salie. Il ne nous souhaita pas la bienvenue et nous demanda immédiatement ce que nous voulions.
- Qui êtes-vous et que voulez-vous ?
- Je m’appelle Louis d’Uberville et voici mon épouse Alice. Nous venons de Philadelphie. Nous savons que vous avez une servante noire du nom de Mélie. Nous voulons vous la racheter. Mélie est la mère de cette enfant.
- Et pourquoi devrais-je vous la vendre ?
- Pour permettre à une enfant de retrouver sa mère. Pour faire un geste de chrétien.
- Ne me dites pas ce que j’ai à faire ! Je me moque des opinions des philanthropes du Nord, de leur charité et de leurs bondieuseries !
- Alors, disons pour faire une bonne affaire. Je vous la rachète deux fois ce que vous l’avez payée...
- Elle n’est pas à vendre. Elle est mon bien, je la garde. Par contre, je veux bien vous acheter sa fille, si vous m’en proposez un juste prix. Ainsi elles seront réunies... tant que ce sera mon bon plaisir...
Nous comprîmes qu’il n’y avait rien à espérer de cet homme grossier et nous le quittâmes sans le saluer.
Nous étions sorties après ce pénible entretien. Tara pleurait. Nous ne savions pas comment faire pour libérer sa mère. Nous étions face à un mur de méchanceté et de bêtise.
Nous étions là, cherchant une solution qui semblait se dérober, quand nous entendîmes qu’on courait derrière nous. C’était le serviteur noir qui nous avait ouvert la porte de la demeure de Van Thaler.
- Monsieur, Monsieur. Attendez. J’ai entendu votre conversation avec Maître Van Thaler. Mélie n’est plus chez nous. Le Maître l’avait achetée pour son propre “usage” car Mélie est jolie. Mais Maîtresse Van Thaler a refusé qu’elle reste sous leur toit et elle a exigé qu’il s’en sépare.
- Où est-elle ?
- Il y a trois jours, il l’a revendue à une femme qui s’appelle Belle Ratling. Elle tient une maison près des quais.
Louis le remercia et lui glissa un dollar. L’homme nous tourna le dos et repartit en courant.
- Louis. Une maison ? Qu’est-ce que c’est ?
- Alice. J’admire votre candeur. Elle est tout à votre honneur. C’est un lieu où des hommes peuvent trouver des femmes pour passer... un moment avec elles.
- Un moment ? Oh mon Dieu ! Je comprends... Ce sont des courtisanes.
- Oui, Alice. Vous avez compris.
- Comment allons-nous faire ?
- Je vais me rendre dans cette maison. Et je vais essayer de racheter Mélie. Pendant ce temps, retournez sur le navire avec Tara.
- Mais je ne veux pas vous laisser seule. Je veux vous accompagner...
- Alice, il n’y a qu’une seule sorte de femme qui va là où je vais. Vous n’en faites pas partie. Et, je ne tiens pas à ce que Belle Ratling me propose un échange entre vous et Mélie. L’aventure de l’indien m’a suffi...
- Mais Louis... vous allez devoir...
- Faites-moi confiance. Je ne dirai rien, je ne ferai rien dont je pourrais avoir à rougir devant vous.
*
Ne doutant pas que Louis réussirait dans son entreprise, je retins une seconde cabine pour Mélie et sa fille.
Et je commençai à l’attendre.
Je savais bien que, cette fois-ci, il n’y aurait pas de coups d’épée. Ni d’indien à affronter. Mais j’avais peur. Autant et plus que s’il s’était agi d’un duel à mort.
Louis allait devoir affronter un adversaire dont les armes étaient les jeux de l’amour.
Je savais bien qu’elle ne pourrait pas céder à la tentation sans révéler sa vraie nature. Mais je craignais qu’elle ne me compare à ces femmes dont l’art de la séduction jetterait une ombre sur mon pauvre talent.
Elle nous avait quittées alors que le soir venait, pour se diriger vers la maison de cette Belle Ratling.
Elle n’était pas encore revenue. Elle était encore là-bas.
La nuit tomba. Elle ne revenait toujours pas.
Tara dormait mais je restai éveillée.
Je marchais dans la cabine de long en large. Finalement, n’y tenant plus, je montai sur le pont et tentai de percer l’obscurité pour tenter de l’apercevoir.
Je ne vis que les fenêtres de cette maison, éclairée par les chandelles qui s’y consumaient. Je revins à ma cabine et m’allongeai, en larmes, sur mon lit.
La fatigue finit par m’engloutir et je m’endormis.
*
Je me réveillai brusquement. La lumière du matin entrait dans la cabine par le sabord. Tara avait disparu.
Je me levai et couru vers le pont.
Tara et une jeune femme de vingt cinq ans environ, se tenaient enlacées. Je n’eus pas besoin de grandes explications pour comprendre qu’il s’agissait de Mélie.
Louis avait réussi.
Je la cherchai des yeux. Enfin, je la vis.
Elle s’était écartée de la mère et de l’enfant afin de les laisser profiter de cet instant. Elle regardait vers la ville. Elle regardait vers cette maison où elle avait passé ses dernières heures.
Je m’approchai tout doucement.
Elle sentit ma présence à ses côtés.
- Vous dormiez si bien, Alice. Je n’ai pas voulu vous réveiller.
- Vous auriez dû le faire. Je vous ai attendue pendant toutes ces heures. J’étais si inquiète...
- Il ne fallait pas. Je ne risquais pas ma vie...
- Non, en effet, vous ne risquiez pas votre vie. Vous avez réussi, Louis. Cela n’a pas été trop difficile ?
Son regard intense se posa sur moi. Elle me sourit. Mais ne répondit pas.
Je compris qu’il y avait quelque chose qu’elle redoutait de me dire. Alors je pris peur et je renonçai à lui poser d’autres questions.
*
La joie de Mélie et de Tara était une récompense merveilleuse. La jeune femme nous dit sa reconnaissance et son dévouement. Mon bonheur aurait dû être complet. Il ne l‘était pas.
Car Louis était distante.
Ces douze jours, pendant lesquels la présence de Tara avait interdit tout geste intime, étaient enfin arrivés à leur terme puisque l’enfant avait, à présent, sa propre cabine qu’elle partageait avec sa mère.
J’aspirais à retrouver Louis. A la retrouver complètement. Pourtant, elle ne fit aucun geste vers moi.
Elle attendait que je sois endormie, ce que je simulais, pour se coucher à mon côté. Il n’y avait plus ni douceur, ni tendresse, ni rien de ce qui faisait nos nuits.
Cet éloignement et cette indifférence me rendaient folle. Car j’en devinais la cause.
Ce que je redoutais était arrivé. En rencontrant d’autres femmes que moi, des femmes faites pour l’amour et le plaisir, Louis s’était détournée de moi.
Elle avait cessé de me désirer. Elle avait cessé de m’aimer.
*
Je ne pouvais accepter une troisième nuit d’indifférence. Comme précédemment, j’attendis qu’elle prenne place à côté de moi.
Quand ce fut fait, je me levai et contrôlai que porte et sabord étaient fermés à double tour. Puis je revins vers elle et ôtai ma chemise de nuit.
Je me présentai nue devant elle.
Elle me regardait.
Je voyais bien à son regard brûlant qu’elle me désirait toujours. Mais elle ne fit aucun geste.
Je m’assis sur le lit et saisis sa main que je posai sur mon sein. Ses doigts tremblaient. Mais sa main retomba.
- Louis qu’avez-vous ? Vous ne me désirez plus ? Vous ne m’aimez plus ?
- Oh si Alice. Je vous aime et je vous désire comme jamais. Mais je n’ai plus le droit de vous toucher...
- Louis, pourquoi ?
- Parce que je vous ai trahie...
- Trahie ? Mais comment ?
- Belle Ratling ne m’a pas vendue Mélie. Elle me l’a donnée. Contre une nuit avec elle. Une nuit d’amour.
Ses larmes se mirent à couler. J’étais horrifiée. Par ce que je venais d’entendre et par la réaction de Louis qui ne m’avait pas habituée à un tel moment de faiblesse.
Mais je restai calme et maîtresse de moi. Je me glissai sous la couverture.
- Racontez-moi tout Louis. Je veux tout savoir.
- Belle Ratling avait acheté Mélie pour sa clientèle qui aime les peaux noires. La jeune femme n’était là que depuis trois jours. Belle et les autres femmes de la maison l’avait apprêtée, parfumée, habillée pour ce qui devait être sa première nuit de... travail. Quand je suis arrivée, la maison était pleine de ces hommes qui attendaient avec impatiente qu’on la leur présente. Tout à coup, Belle et Mélie sont apparues. La mère de Tara était superbe mais apeurée. Les clients se battaient presque pour obtenir le droit d’être le premier à faire l’amour avec elle. Belle semblait beaucoup s’amuser. Elle a proposé de mettre aux enchères le droit d’être le premier à passer un moment avec Mélie.
- Quelle horreur...
- Je me suis approchée de Belle et je lui ai demandé deux minutes d’entretien. Elle m’a enveloppée d’un tel regard que j’ai cru qu’elle voyait au travers de mes vêtements. Elle m’a dit de la suivre. Nous nous sommes retrouvées dans ses appartements privés. Je me suis présentée comme étant Louis d’Uberville. Je lui ai proposé de lui racheter Mélie. Elle est restée silencieuse pendant un moment. Elle me regardait avec un petit sourire narquois. Elle m’a dit qu’elle acceptait de me donner Mélie. Mais elle ne voulait pas de mon argent. Elle me voulait moi. Une nuit avec moi...
- Louis...
- Je lui ai répondu que j’étais un jeune époux très épris de sa femme. Elle m’a rétorqué que sa maison était pleine de jeunes époux très épris de leur femme. Elle s’est approchée de moi et elle m’a dit qu’elle n’était pas aveugle. Que sa connaissance des hommes lui disait que je n’en étais pas un.
- Mon Dieu, Louis...
- Elle m’a dit qu’il lui importait peu de savoir pourquoi une femme se dissimulait sous des habits d’homme mais que d’autres seraient sans doute curieux de le savoir. Elle m’a dit que j’avais le choix. Avoir Mélie et garder mon secret. Ou bien voir Mélie livrée aux marins du port et mon épouse et moi dénoncées aux autorités religieuses de la ville de Charleston.
Le silence suivit ses paroles.
- Cette femme a eu ce qu’elle voulait, n’est-ce pas ?
- Oui...
- Etes-vous certaine qu’elle va se taire et ne pas nous dénoncer ?
- Oui, je crois qu’elle l’aurait déjà fait sinon.
- Comment est cette femme ? Décrivez-la moi...
- Elle est très belle. Une abondante chevelure rousse.
Mon coeur était glacé.
- Alice. J’ai peur que vous ne puissiez jamais me pardonner. Il est même possible que vous vous détourniez de moi. Que vous cessiez de m’aimer et de me désirer. J’ai si peur d’avoir tout détruit en étant incapable de trouver une solution qui préserve nos vies et notre amour...
Je ne répondis pas.
Elle avança la main vers moi mais je me reculai.
- Ne me touchez pas !!! Ne me touchez pas alors que vous revenez du lit de cette femme !!! Alors que vos mains l’ont caressée. Que vos lèvres l’ont embrassée, l‘ont...
Je ne pus finir ma phrase car la vision de Louis et de Belle enlacées étouffa les mots dans ma bouche.
- Alice, je vous en supplie. Ne me rejetez pas. Je n’avais pas le choix.
- On a toujours le choix.
- Alice, je vous en supplie...
- Laissez-moi.
Elle ne dit plus rien. Elle se leva et marcha vers la porte de notre cabine. Elle se retourna vers moi mais je détournai la tête. Alors sans un mot, elle sortit et me laissa seule.
Mon coeur me paraissait lourd comme du plomb. J’avais du mal à respirer. Je me sentais oppressée. Je revoyais, en des éclairs fulgurants, Louis aimant cette femme. Et je les détestai. La colère me dominait.
J’étais incapable de pardon ou même de compréhension. Je ne voyais pas que Louis n’avait eu le choix qu’entre se donner ou nous perdre.
Je ne voyais que les caresses qu’elle avait prodiguées à cette femme. Je me sentais trahie.
Je perdis la notion du temps. Les minutes passaient.
Tout à coup, je pris conscience que Louis avait quitté notre cabine depuis plusieurs heures et je pris peur.
Je me levai et mis une robe à la hâte. Je courai vers le pont.
L’aube se levait. A la faible lumière du soleil naissant, je me mis à la chercher.
Le pont n’était pas grand mais il était vide.
Je me précipitai vers la poupe du navire et regardai vers le sillage écumant qu’il laissait derrière lui.
Je restai hébétée.
Louis avait disparu.
*
Je me souvins de ce qu’elle m’avait dit quelques jours plus tôt. “Que serais-je devenue si vous n’aviez pas répondu à mes sentiments et à mon désir ? L’être le plus solitaire et le plus malheureux au monde. Même la mer n’aurait pu combler le besoin que j’avais de vous, que j’ai toujours de vous”.
Je compris qu’en la repoussant, je lui avais ôté toute raison de vivre et qu’elle s’était jetée à l’eau.
Je tombai à genoux sur le pont. Les sanglots faisaient trembler mon corps.
Comment avais-je pu être aussi bête ? Aussi cruelle ?
Tout à coup, je comprenais. Cette nuit que Louis avait passée avec Belle n’avait aucune importance. Ces caresses accomplies sous la menace n’existaient pas. Quel amour était-ce que celui qui ne pouvait pas comprendre et pardonner ?
J’aurais donné n’importe quoi pour effacer les propos que j’avais tenus. Pour revenir quelques heures en arrière. Et dire à Louis que tout était oublié. Que tout cela n’était rien. Que seul comptait l’amour que nous éprouvions l’une pour l’autre.
Au lieu de quoi...
Je poussai un râle de désespoir.
Je me levai. Ma décision était prise.
Moi non plus, je ne pouvais pas vivre sans elle. Je devais la suivre où elle allait. Je devais la rejoindre où elle était.
Je marchai vers la coupée ouverte dans la paroi du navire afin de permettre d’y entrer ou d’en sortir, et retirai la chaîne qui empêchait les chutes.
Je m’avançai au bord et regardai l’océan qui coulait à mes pieds, quelques mètres plus bas. Je savais que dans quelques secondes, je toucherais l’eau où je serais engloutie.
Je fermai les yeux et fis un pas en avant...
C’est alors que je sentis un bras enlacer ma taille. Je fus violemment rejetée en arrière. Je tombai sur le pont où je me retrouvai couchée sur le corps de Louis.
J’étais légèrement assommée. Je sentis qu’elle me soulevait dans ses bras et me portait jusqu’à notre cabine.
Elle me coucha sur notre lit. Prenant un mouchoir qu’elle mouilla, elle tapota mon front. Je repris mes esprits, peu à peu. Elle prit place à coté de moi.
- Louis. Vous êtes là...
- Bien sûr, je suis là. Où voulez-vous que je sois ?
- Je vous ai cherchée sur le pont. Ne vous trouvant pas, j’ai cru...
- Vous avez cru que je m’étais suicidée en me jetant à l’eau.
- Oui. Je voulais vous rejoindre.
- Alice, mon Dieu. Quelle folie ! Pensez-vous vraiment que j’aurais pu faire une telle chose alors que nous avons promis à Tara de retrouver ses parents ? Alors, que j’ai le devoir de vous protéger ? Même si vous ne m’aimez plus.
- Je vous aime Louis. Jusqu’à mourir pour vous.
- Je vous préfère bien vivante.
- Mais où étiez-vous ? Ce navire est si petit et pourtant je ne vous ai pas trouvée.
- J’ai voulu prendre un peu de hauteur en me réfugiant sur la hune du grand mât. Je vous ai vue sortir de la cabine et me chercher. Quand je vous ai vue fondre en larmes, je suis descendue en suivant les haubans. Mais vous avez failli me prendre de vitesse et sauter à l’eau avant que je puisse intervenir. Il s’en est fallu d’une seconde...
- Louis... Vous m’avez de nouveau sauvé la vie...
- Oui. Cela devient une habitude.
- Je vous demande pardon... Je me suis comportée avec vous de façon odieuse.
- Vous aviez vos raisons, Alice. Je vous en prie. Oublions tout. Essayons simplement de nous souvenir que Mélie et Tara sont réunies.
- Et que nous sommes toujours ensemble.
Je me blottis contre elle et m’endormis dans ses bras.
*
Malgré mes bonnes résolutions, je ne pouvais pas oublier que Louis avait fait l’amour à une autre femme. Quelles que soient les raisons pour lesquelles elle l’avait fait.
J’éprouvais du dépit de ne plus avoir l’exclusivité de ce corps que j’avais tant aimé. Et ce dépit se transforma en rejet.
Louis le comprit.
Nos nuits demeurèrent chastes.
*
Nous quittâmes le Hope qui continuait son périple jusqu’à la Nouvelle Orléans et nous nous mîmes en quête d’une auberge pour la nuit.
Une première difficulté se présenta. Car les aubergistes refusaient de donner un lit à Mélie et à sa fille. Elles étaient juste autorisées à dormir sur le sol devant la porte de notre chambre.
Nous décidâmes de trouver Sam au plus vite.
Nous connaissions le nom de l’homme qui l’avait acheté. C’était un entrepreneur en bâtiment auquel les talents de charpentier de Sam n’avaient pas échappé. Il s’appelait Cooper Grant.
La ville de Savannah était fort belle avec ses squares ombragés et il était plaisant de s’y promener.
Enfin, nous arrivâmes devant la maison de Grant. Nous nous attendions à être reçues par un esclave noir. Mais c’est une femme d’une quarantaine d’années qui nous ouvrit la porte. Elle nous sourit aimablement et nous pria d’entrer sans exiger que Mélie et Tara restent à l’extérieur.
- Que puis-je faire pour vous ?
- Nous désirons avoir deux minutes d’entretien avec Monsieur Cooper Grant.
- Avec mon mari ? Bien. Entrez dans le salon. Je vais le chercher.
Quelques minutes plus tard, un homme de haute stature, au beau visage large, entra dans la pièce.
- Bonjour. Harriet, mon épouse, m’a dit que vous vouliez me parler. De quoi s’agit-il ?
- Je m’appelle Louis d’Uberville. Voici ma femme Alice. Nous savons qu’il y a quelques mois, en Virginie, vous avez acheté un esclave noir prénommé Sam. Un charpentier. Nous voudrions vous le racheter.
- Pourquoi ? Les esclaves ne manquent pas. Et vous trouverez de nombreux charpentiers parmi eux. Même s’il est vrai que Sam est particulièrement doué.
- Nous pourrions vous mentir Monsieur, et vous dire que nous sommes des planteurs à la recherche de main d’oeuvre bon marché. Mais ce n’est pas le cas. Nous ne possédons pas d’esclaves. Il se trouve que nous avons racheté la femme et la fille de Sam, Mélie et Tara, et que nous les avons affranchies. Nous voulons racheter Sam pour pouvoir reconstituer une famille d’homme et de femmes libres.
- D’où venez-vous ?
- De Philadelphie. Mais nous sommes français.
- Français ? Vous êtes bien loin de chez vous. J’aimerais vous faire plaisir. Mais c’est impossible. Sam n’est pas à vendre.
- Nous sommes prêts à vous en proposer un bon prix.
- Me proposeriez-vous tout l’or de la terre, que ma réponse serait la même. Sam n’est pas à vendre.
- Pourquoi ?
- Parce que Sam est déjà un homme libre. Je l’ai affranchi. Voyez-vous, Monsieur, les Etats du nord n’ont pas le monopole de la lutte contre l’esclavage. Il existe dans les Etats du sud, des hommes et des femmes, peu nombreux j’en conviens, que l’esclavage répugne parce qu’il est une insulte à la loi de Dieu. C’est par ailleurs un non-sens économique. Un homme travaillera toujours avec plus de courage s’il travaille pour lui et sa famille plutôt que pour un maître qui le maltraite et l’exploite.
- Sam est libre ?
- Et oui. Mais il travaille toujours pour moi. Contre un salaire qu’il économise dans l’espoir de retrouver sa femme et sa fille. Je lui verse le même salaire qu’à mes employés blancs.
- Où est-il ?
- Chez lui. Dans sa maison. C’est la première qu’il ait construite.
Nous avions l’air tellement étonné que Cooper Grant se mit à rire d’un rire si puissant que les murs parurent en trembler.
- Je n’ai jamais eu d’esclaves. Tout comme mon père et son père avant lui. Tout comme Harriet et ses parents avant elle. Par contre, certains des beaux messieurs que vous avez peut-être rencontrés à Philadelphie en possèdent. Thomas Jefferson en possèderait près de 150. Même le Président, George Washington, en possède. Certes, Jefferson est un esclavagiste honteux qui a fait voter une loi permettant d’affranchir les esclaves par testament. Mais comme il est fortement endetté, il a besoin d’une main d’oeuvre servile pour cultiver ses champs de tabac en Virginie. On prétend même qu’il aurait une maîtresse noire du nom de Sally Hemings. Vous vous doutez que cette femme n’a guère le loisir de lui dire non...
- Nous ne savons pas quoi dire...
- Et bien, ne dites rien alors. Je vous propose tout d’abord de mener la femme et la fille de Sam auprès de lui. Ensuite de diner avec Harriet et moi. Vous venez de France. Nous avons des milliers de questions à vous poser sur votre pays.
*
Les retrouvailles de Sam, Mélie et Tara furent un intense moment d’émotion qui nous consola, un peu, du chagrin que nous avions eu quelques jours auparavant.
Ils décidèrent de rester à Savannah où Sam avait un travail et une maison.
En restant en Géorgie, ils savaient pouvoir bénéficier de la protection de Cooper et d’Harriet Grant, et de celle des quelques hommes et femmes à qui l’esclavage répugnait.
C’est ainsi qu’au début du mois de mai, nous reprimes la mer en laissant derrière nous Tara et ses parents.
Après des adieux émouvants, nous embarquâmes sur un navire appelé le Sunshine.
Le Sunshine était rempli de marchandises de toutes sortes et devait relier Philadelphie en quinze jours sans faire d’escale.
Ce que nous ignorions alors c’est que nous partions pour un long et mortel voyage.
*
Si mes sentiments pour Louis n’avaient pas changé, mon désir était comme anesthésié. Je n’arrivais pas à oublier qu’une autre avait eu l’usufruit de ce corps dont je me croyais la seule propriétaire.
Comme nous n’avions plus de relations intimes, Louis était sur des charbons ardents. Aussi, pour occuper les longues heures de ce voyage, elle décida de m’apprendre l’escrime. Il était temps, me dit-elle, que je sache me défendre seule.
Je devinai qu’elle avait trouvé ce moyen pour maintenir un contact charnel avec moi. Quand ses mains touchaient mon bras pour me montrer une esquive ou une parade. Quand elles se posaient sur mon ventre ou mes reins pour me montrer comment me cambrer et éviter une attaque.
Je pris goût à ses leçons et, rapidement, je devins une épéiste qui pouvait faire illusion contre un adversaire beaucoup moins talentueux que Louis.
Fille de marin, et marin elle-même, elle m’enseigna comment me servir d’un sextant et calculer notre position sur l’océan. Elle me décrivit les différentes parties du navire et, avec l’autorisation du capitaine, me fit tenir la barre du Sunshine.
Cet apprentissage était, de nouveau, l’occasion pour elle de maintenir un contact physique avec moi. Quand son corps contre mon dos, elle posait ses mains sur les miennes afin de me guider dans le maniement de la barre.
*
Escrime et navigation étaient des jeux pour moi. Aussi Louis crut-elle nécessaire de m’éclairer sur l’existence des hommes qui nous entouraient.
- Alice, la condition de marin est la plus dure qui soit. Les dangers sont nombreux. Tomber d’un mât alors que l’on est en train de carguer les voiles, subir les tempêtes. La nourriture est souvent nauséabonde et toujours insuffisante. L’eau potable est rare et les vivres peuvent être infectées par les moisissures ou dévorées par les rats. Le scorbut, la malnutrition sévissent sur les navires. Sans parler des châtiments corporels.
- Les châtiments corporels ?
- Les conditions sur les navires sont si dures que les candidats manquent. Alors certains pays, comme l’Angleterre, pratiquent l’enrôlement forcé. Les hommes sont enlevés à leur famille et contraints de servir sur les navires du Roi. Ils sont soumis à une discipline de fer, sans avoir aucun droit. Pour peu que le capitaine soit une brute, les punitions pleuvent. Parfois mortelles comme la grande cale.
- La grande cale ?
- Le marin puni est dévêtu. On accroche une corde à ses pieds et à ses mains. On le jette à l’eau et on le fait passer sous la coque, couverte de coquillages tranchants. Quand on le récupère, de l’autre côté du navire, son corps est couvert de profondes lacérations. Parfois même, on repêche un noyé.
- Mon Dieu, Louis, mais c’est horrible...
- La vie des hommes n’est pas faite que de libertés, Alice. Elle est souvent faite d’horreurs...
*
Un navire venait vers nous. Quand il fut assez proche, nous vîmes qu’il s’agissait d’une goélette qui battait pavillon américain.
Un tel vaisseau léger, rapide et aisément manoeuvrable, pouvait contenir un équipage d’une cinquantaine d’hommes. Il était pratiquement dépourvu de canons.
Je ne sais pourquoi, mais Louis semblait inquiète. Elle se précipita à sa cabine et revint avec son épée au côté.
Puis quand ce navire et le nôtre furent bord à bord, elle me demanda de m’écarter du bastingage et nous reculâmes jusqu’à la poupe.
Nous n’avions pas fait plus de dix pas que le drapeau américain fut amené et qu’un pavillon noir à tête de mort fut hissé à sa place. Puis, ce navire inconnu s’amarra à nous qui étions sa proie, pour empêcher notre fuite.
Alors, l’abordage commença.
En quelques secondes, les hommes de la goélette, au moyen de longs filins au bout desquels ils se balançaient, se jetèrent sur le pont du Sunshine.
Notre navire était attaqué.
Immédiatement, une mêlée furieuse opposa notre équipage aux pirates.
Louis gardait son sang-froid.
- Alice, courez à la cabine et enfermez-vous. Prenez mes pistolets et gardez les près de vous. Cassez la tête de tout homme qui vous attaquerait.
- Louis, je ne veux pas vous abandonner !
- Faites ce que je vous dis, bon sang ! Ce n’est pas le moment de discuter...
Je descendis l’escalier qui menait à notre cabine.
J’étais déterminée à ne pas laisser Louis et nos compagnons affronter seuls ces individus dont la cruauté était connue de tous.
J’arrachai ma robe et m’habillai avec une chemise et une culotte d’homme. Puis je passai l’un des deux pistolets de Louis dans ma ceinture. Je m’emparai de l’épée dont elle m’avait appris à me servir. Dans quelques secondes, je saurai si elle avait été un bon professeur.
Je remontai sur le pont, un pistolet à la main et l’épée dans l’autre.
Le premier geste que je fis fut de la passer au travers du corps d’un pirate qui levait sa hache d’abordage sur moi afin de me trancher le cou.
Il tomba en poussant un râle d’agonie.
De nouveau attaquée par l’un de ces forbans, qui se ruait vers moi en poussant un cri affreux, je lui brisai la machoire d’un coup de pistolet.
Je cherchai Louis des yeux. Je la vis. Elle se battait avec courage. Trois cadavres gisaient déjà à ses pieds.
Je vis avec horreur qu’un pirate s’approchait d’elle par derrière et qu’elle ne pouvait le voir, occupée qu’elle était à se battre contre un autre assaillant.
Je saisis mon second pistolet et fis feu. L’homme s’écroula.
Louis pointa son épée contre la poitrine du pirate qu’elle combattait et lui perça le coeur. Puis elle tourna la tête vers moi et hurla.
- Alice !!!!!!! Derrière vous !!!!!!!
Je n’eus que le temps que me retourner vers le pirate qui vint s’embrocher sur mon épée.
Elle vint près de moi. Pendant de longues, si longues minutes, nous nous battîmes côte à côte. A plusieurs reprises, elle vint à mon secours, ma science des armes ne pouvant, à elle seule, me permettre de résister aux assauts des hommes que je combattais.
Autour de nous, tout l’équipage du Sunshine se défendait vaillamment.
Un à un, les pirates furent tués. Il n’en restait plus qu’une poignée qui se battaient encore au pied du grand mât.
Quand ils virent qu’ils ne pouvaient plus vaincre, ils jetèrent leurs armes au sol et se rendirent.
Nous avions gagné.
C’est alors que je vis les corps ensanglantés autour de moi. Je compris que j’avais tué des hommes. Que j’aurais pu être massacrée. Que Louis aurait pu connaître une mort affreuse. Je fus prise d’un vertige et tombai, évanouie, dans ses bras.
*
Louis m’avait allongée sur notre lit. Assise devant moi, elle attendait que je recouvre mes esprits.
Quand enfin, j’ouvris les yeux, elle me caressa la joue du bout des doigts d’un geste très tendre. Ce simple effleurement, dont je m’étais privée depuis des jours, me fit frissonner.
- Alice, ma chérie, comment allez-vous ? Vous m’avez fait si peur... J’ai cru que vous étiez blessée...
- Non, Louis. C’est la vue de ces blessures affreuses, de ces cadavres. J’ai pensé que vous auriez pu être l’un d’eux...
- Je suis bien vivante, Alice. Mais dois-je comprendre que vous ne me détestez pas complètement et, même, que vous m’aimez encore un tout petit peu ?
- Vous vous moquez de moi, Louis. Vous savez bien que je vous aime à la folie. J’ai voulu me battre près de vous et j’étais prête à mourir à vos côtés.
- Mourir ? Encore ! Chérie, je vous l’ai déjà dit. Je vous préfère bien vivante. Et vivante entre mes bras...
Elle se pencha vers moi et déposa sur mes lèvres un baiser si léger que je crus l’avoir rêvé.
Je plongeais mes doigts dans ses longues boucles brunes et attirai son visage vers le mien. Je l’embrassai longuement. Elle m’enlaça et me serra contre elle. Je perdis la notion du temps. Plus rien n’existait que son corps contre le mien, que ses mains qui caressaient ma nuque et mes reins.
Enfin, je trouvai la force d’échapper à ses lèvres.
- Louis, Louis, j’aurais pu vous perdre. Comme j’ai été stupide !
- Taisons-nous ! Ne parlons plus de cela ! Il y a mieux à faire. Beaucoup mieux. Mais cette bataille, où nous avons risqué notre vie, doit nous rappeler que nous sommes mortelles, Alice. Il faut vivre chaque seconde de notre amour comme si c’était la dernière...
Elle prit de nouveau possession de ma bouche mais avec cette ardeur qui lui était habituelle. Et, de nouveau, je me laissai glisser dans un merveilleux bien-être comme dans un bain chaud.
Elle balbutiait contre mes lèvres.
- Chérie, chérie, enfin, je vous retrouve... enfin, je vous ai toute à moi... Grâce à ces affreux pirates, j’ai regagné votre coeur...
- Combien de morts parmi eux, parmi nous ?
- Nous avons perdu quatre hommes d’équipage et deux passagers. Trente deux pirates ont été tués.
- Quel combat ! Je ne pourrai jamais l’oublier...
- C’est vrai Alice, pour un baptême du feu, on peut dire que vous avez été servie ! Vous avez été magnifique de courage et d’audace. Certes, votre technique à l’épée mérite d’être affinée mais elle a prouvé son efficacité. Vous avez encore trop tendance à utiliser votre épée comme un coupe-chou. Vous abusez des coups de taille qui ont l’inconvénient de présenter votre corps aux attaques adverses... Mais le résultat est là. Vous avez fait passer deux pirates de vie à trépas en les embrochant proprement. Sans compter les deux autres que vous avez occis d’un coup de pistolet.
- Louis, c’est horrible... J’ai tué...
- Chérie. Vous n’aviez pas le choix. Si ces hommes avaient triomphé, je n’aurais pas donné cher de notre peau. Violées, vendues à un bordel de la Jamaïque ou torturées et tuées... Et puis... vous m’avez sauvé la vie.
- Que vont devenir ces hommes ?
- Nous allons les ramener à Philadelphie où ils seront jugés pour piraterie. Ils seront condamnés, sans l’ombre d’un doute. Enfin, ils seront pendus haut, pour que chacun les voit, et court, pour économiser la corde.
- Pendus haut et court... Quelle horreur...
- C’est un moindre mal, Alice. L’horreur aurait été que l’une de nous deux soit tuée. Ces hommes savent qu’ils risquent la mort en cas de capture. Il ne faut pas avoir de pitié car ils n’en ont aucune.
- Louis, vous me surprenez. C’est la première fois que je vous entends tenir un discours si dur.
- Je ne suis pas dure Alice. Je suis réaliste. Sur la mer, au milieu de ses dangers, il n’y a pas de place pour les chimères...
*
Et une goélette.
C’était une bonne prise. Et le capitaine du Sunshine voulait la ramener à Philadelphie. Il ordonna à cinq marins de monter à son bord avec ordre de la piloter et de nous suivre jusqu’à bon port.
Les cinq hommes obéirent. Mais ils n’avaient pas sauté sur le pont du navire pirate depuis plus de dix minutes, que nous les vîmes revenir affolés.
Ils tremblaient de la tête aux pieds. Ils pleuraient en se tordant les mains. Ils étaient incapables de répondre à nos questions tant ils étaient paniqués.
Enfin, l’un d’eux finit par parler.
Ils avaient visité le navire pour s’assurer qu’aucun pirate n’était resté à bord, prêt à les attaquer. Ils n’avaient trouvé personne de vivant.
Mais ils avaient découvert plusieurs hommes allongés dans leur hamac. Morts. Portant des stigmates qu’ils reconnurent immédiatement.
La peste.
La peste était à bord de la goélette.
*
Notre capitaine ordonna aux prisonniers de transporter tous les cadavres qui jonchaient le pont du Sunshine à bord du navire pirate.
Il leur donna l’ordre de mettre le feu à leur vaisseau.
Puis, quand les six hommes eurent regagné notre bord, on détacha les amarres. Le Sunshine mis le cap vers la Pennsylvanie, toutes voiles dehors.
Alors que notre navire fendait les eaux, nous regardions, au loin, la goélette se consumer, dévorée par les flammes.
*
Tous, nous voulions savoir comment ce fléau, expulsé d’Europe depuis soixante dix ans, depuis la grande peste de Marseille de 1720, avait pu se retrouver à quelques milles marins de l’Amérique où cette maladie était inconnue.
Aussi les six pirates furent-ils interrogés. Sans douceur excessive.
Ils nous racontèrent que, depuis des semaines, leur navire parcourait l’Océan atlantique sans la moindre prise. Les convois qu’ils avaient croisés étaient trop puissamment armés pour qu’ils se risquent à l’abordage.
Dix jours auparavant, ils avaient aperçu une voile solitaire. Ils s’étaient approchés. Le navire dérivait sans maîtrise et sans contrôle. Ses voiles claquaient au vent. On ne voyait aucun homme sur le pont. Personne à la barre.
On aurait dit un vaisseau fantôme.
Les gens de mer sont superstitieux et tous pensèrent alors à la légende du Hollandais Volant.
Ce navire, dont l’équipage de pirates s’était rendu coupable de cruautés si abominables, qu’il avait été condamné, par la justice divine, à errer sur les mers jusqu’à la fin des temps.
Tout d’abord, ils avaient songé à fuir, mais comme ils commençaient à manquer de vivres et d’eau potable, ils avaient pris la décision de monter à bord.
Ils le regrettèrent immédiatement quand ils découvrirent que ce navire mystérieux n’était qu’un cercueil flottant.
Tous ses occupants étaient morts. Et tous portaient sur le corps les stigmates de la peste.
En lisant le livre de bord, ils découvrirent que ce navire anglais avait quitté le port de Jaffa, en Palestine, deux mois plus tôt.
Les premiers signes de la maladie étaient apparus au sein de l’équipage alors que le navire avait traversé le détroit de Gibraltar, quittant la Méditerranée pour gagner l’Océan Atlantique en direction de l’Angleterre.
Mais il n’avait pas pu arriver à bon port. Car la maladie faisait des ravages. Et le navire, sans pilote pour le guider, sans marin pour le manoeuvrer, avait fini par divaguer sur l’océan au gré des courants et des vents.
Ils mirent le feu à ce navire maudit et remontèrent sur leur goélette.
Mais c’était trop tard.
Car un passager clandestin s’était invité à leur bord. La peste les avait suivis.
En dix jours, elle tua onze d’entre eux.
Ils se savaient tous condamnés à une mort atroce.
Alors, quand ils avaient vu notre voile, ils avaient décidé de nous attaquer, non pour faire une dernière prise, mais pour mourir au combat.
*
Nous comprenions que si nous avions pu triompher d’eux si facilement, si moi-même j’avais pu tuer quatre hommes comme en me jouant, c’était parce qu’ils étaient malades et qu’ils voulaient périr de notre main.
Leur attaque contre nous était un suicide collectif.
Mais, en nous attaquant, ils nous avaient contaminés comme eux-mêmes l’avaient été.
Dans un geste dérisoire et, hélas, tardif, le capitaine décida d’isoler les six prisonniers.
Il leur ordonna de monter à bord du canot qu’il fit mettre à la mer. Il leur fit donner des biscuits et de l’eau.
Le lendemain, ils avaient disparu. Pendant la nuit, ils avaient coupé la corde qui attachait leur canot au Sunshine. Ils avaient décidé que l’océan serait leur tombe.
*
A partir du moment où un homme, une femme étaient contaminés, il ne fallait pas plus de dix jours, et parfois même beaucoup moins, pour que la peste les tue.
Pendant les quelques mois que nous avions passés à Brighton, j’avais eu l’occasion de lire les oeuvres de Daniel Defoe. Son roman étrange sur un homme perdu sur une île déserte, Robinson Crusoé, mais aussi son terrible Journal de l’année de la peste qui relatait l’épidémie qui sévit à Londres en 1665 et tua un habitant sur cinq, soit près de 100.000 âmes.
Mais en 1665, certains Londoniens, à commencer par la famille royale, avaient pu fuir le fléau en quittant la ville ou en s’isolant des malades.
Mais nous, sur un espace aussi confiné que celui d’un navire, nous n’avions aucune chance de lui échapper.
Dans deux jours, nous devions arriver à Philadelphie.
Mais outre que certains d’entre nous seraient déjà malades, et, pour les plus faibles, déjà morts, nous savions que notre navire allait être mis en quarantaine et qu’il nous serait fait interdiction de quitter son bord.
Pendant quarante jours, pendant quarante nuits, le Sunshine allait être notre prison et notre mouroir.
*
Louis et moi, ainsi que tous les passagers du Sunshine, avions à combattre un ennemi invisible qui s’emparait des corps sans faire de bruit. Nos armes étaient impuissantes à le faire fuir.
La peste était une maladie mystérieuse.
Nul ne savait comment elle apparaissait, même si certains expliquaient sa propagation rapide par la corruption de l’air sous l’effet de vapeurs nocives provenant de charniers humains ou des profondeurs de la terre.
On pensait que la peste se respirait ou qu’elle pénétrait les chairs par tous les pores de la peau.
Ce que l’on savait c’est qu’elle était contagieuse, par un simple contact avec un malade, et que les chances de guérison étaient minimes.
Nous arrivâmes à Philadelphie, mais naturellement le Sunshine ne s’amarra pas à quai. Il resta à distance.
Les hommes du port, surpris, vinrent aux nouvelles, en canot. Notre capitaine leur cria de ne pas s’approcher car nous avions la peste à bord.
Ce simple mot eut le même effet que la foudre.
Ils repartirent, plus vite qu’ils étaient venus, en nous assurant toutefois qu’ils nous ravitailleraient en eau potable et en vivres.
Nous étions tous sur le pont, le visage tourné vers la ville. Une grande activité semblait régner sur les quais. Des soldats prenaient place sur des canots et venaient vers nous pour entourer notre navire.
Nous comprîmes qu’un cordon avait été mis autour de nous dans le but de nous empêcher de quitter notre navire pour gagner la ville.
Les soldats avaient reçu ordre d’abattre tout homme, toute femme qui tenteraient de gagner Philadelphie à la nage.
Puis, de nouveau, un canot s’approcha de nous. A son bord quatre hommes. Ils restèrent à portée de voix. Ils nous notifièrent notre mise en quarantaine et notèrent, sous la dictée du capitaine, les noms des passagers et des hommes d’équipage.
Nous étions encore soixante-six hommes, femmes et enfants.
Mais nous savions, qu’avant quarante jours, il ne resterait plus une seule personne en vie à bord du Sunshine.
*
Déjà, alors que nous voguions vers la Pennsylvanie et que l’attaque des pirates n’avait eu lieu que deux jours plus tôt, nous avions eu à déplorer la perte d’un garçon de trois ans qui voyageait avec ses parents.
La maladie l’avait tué en une nuit, aussi brusquement que l’on éteint une flamme. Le corps du petit être avait été cousu dans un drap et jeté à l’eau devant sa mère qui hurlait de chagrin dans les bras de son époux.
Le soir même, cette mère qui avait soigné son enfant, le rejoignait au fond de l’océan.
La maladie avait commencé sa moisson. Nos compagnons d’infortune tombaient sous sa faux.
Mais je dois bien reconnaître que leur sort m’importait peu. Seule comptait la santé de Louis. Comme seule la mienne comptait à ses yeux.
Ce n’était pas le moindre aspect de cette maladie que de nous rendre égoïstes et aveugles aux souffrances de ceux qui ne nous étaient rien. Nous devions sauver nos vies, fusse au prix d’un cynisme inhabituel.
L’une des particularités de la peste était la rapidité avec laquelle elle évoluait selon les individus. Parfois, la mort venait en une heure, dans d’autres cas elle mettait des jours à faire son oeuvre. Elle pouvait être douce. Ou, au contraire, si douloureuse qu’on en perdait la raison.
L’état du malade évoluait très vite. En quelques minutes, il pouvait passer de la lucidité à la confusion. De l’apathie à la violence furieuse.
Mais les symptômes étaient toujours les mêmes et je les guettais chez Louis comme elle les guettait chez moi.
*
Les hommes d’équipage payaient déjà un lourd tribut à la maladie. Sans doute parce qu’ils vivaient dans une plus grande promiscuité, la peste passant aisément d’un hamac à l’autre dans l’entrepont où ils étaient regroupés pour y dormir.
Un matelot souffrait tellement qu’il grimpa tout en haut du grand mât et se précipita dans le vide. Il poussa un long hurlement alors que son corps venait s’écraser sur le pont.
Un autre se jeta à l’eau et nagea vers les soldats. L’un d’eux lui fit exploser la tête d’un coup de mousquet.
Pour limiter les risques de contagion, nous nous isolions dans notre cabine où nous prenions nos repas.
Louis et moi n’étions pas atteintes. La maladie semblait nous épargner.
Mais nous savions qu’il était vain d’espérer échapper au sort commun...
*
Sept jours s’étaient écoulés depuis notre combat contre les pirates, quatre depuis que nous étions en quarantaine.
Louis s’était levée à contre-coeur. Elle semblait particulièrement lasse. Elle se déplaçait lentement, d’un pas lourd. Ses yeux étaient injectés de sang et des gouttes de sueur perlaient à son front.
Elle mangeait sans appétit. Enfin, elle repoussa son assiette en soupirant.
- Alice, je dois me rendre à la raison. Je suis malade. Je n’ai pas faim. J’ai mal à la tête. J’ai des vertiges et je transpire. Je commence à avoir des nausées. Ce sont les mêmes symptômes que pour tous les autres. J’ai attrapé la peste.
Elle se leva avec difficultés pour quitter la table. Ses muscles ne semblaient plus lui obéir. Elle se tenait debout, tremblante comme si elle était ivre, prête à tomber.
Je me précipitai mais elle me repoussa brutalement.
- Non ! Ne m’approchez pas ! Ne me touchez pas ! Je vais quitter cette cabine. Je vais vous y laissez seule. Je ne dois pas rester ici avec vous. Je risque de vous contaminer.
- Où iriez-vous sur ce navire ? Dans l’entrepont avec les matelots ? Si c’est la peste, je vous soignerai...
- Non, je refuse de vous mettre en danger. Je serai sans doute morte dans quelques heures. Je ne veux pas vous entraîner dans la mort avec moi. Si vous avez une chance de vous en sortir, je ne dois pas la compromettre.
Son visage était en sueur. Elle fit un pas vers la porte de la cabine. Mais ses jambes la trahirent. Elle était faible comme un enfant. Elle semblait hésiter sur l’endroit où aller, sur la décision à prendre. Je profitai de ce moment. Je la pris à bras le corps et l’obligeai à s’allonger sur le lit.
Elle y tomba lourdement. Elle frissonnait alors que sa chemise était trempée de sueur. Elle eut la nausée. Je n’eus que le temps de lui présenter un bassin dans lequel elle vomit.
Puis elle s’étendit de tout son long sur le lit. Tout d’abord, elle s’agita sans cesse, les yeux clos, les muscles du visage contractés.
Puis elle sombra dans une demi-inconscience. Elle était calme, marmonnant quelques mots inintelligibles. Mais je compris qu’elle voulait de l’eau.
Elle humectait ses lèvres en y passant une langue rouge et gonflée, couverte d’un enduit blanchâtre.
Je lui donnai à boire mais elle vomit de nouveau. Je lui retirai ses vêtements qu’elle avait souillés.
C’est alors que je le vis.
Elle avait sous l’aisselle droite une plaie rouge semblable à la morsure d’un serpent. Sur cette plaie on voyait le commencement d’un bubon.
Je tombai à genoux, en pleurs, et je me mis à prier.
*
Louis était à moi. J’allais me battre pour la garder. La peste ne l’aurait pas.
Je connaissais les moyens de lutter contre elle. Après avoir lu le récit que Defoe avait fait de l’épidémie qui ravagea Londres en 1665, j’avais interrogé mon père, médecin, sur les soins susceptibles de vaincre la peste.
Je suivis ses directives.
Je courus à la cambuse et, pour quelques dollars, j’achetai moutarde et vinaigre au cuisinier du navire.
A mon retour, je déposai un linge mouillé sur le front de Louis afin de la rafraîchir et un cataplasme de vinaigre et de moutarde sur la plaie.
Ce cataplasme agirait sur le bubon pour le faire grossir et mûrir. C’était là que se trouvait le siège de la maladie. La guérison ne pouvait survenir que si l’abcès s’ouvrait et que le pus qu’il contenait s’écoulait.
Je devais veiller Louis jusqu’au moment où cet oedème s’ouvrirait. Mais je savais que rares étaient les malades qui arrivaient à survivre jusqu’à cet instant, si douloureux que certains en devenaient fous.
Comme ce marin qui s’était jeté au haut du mât. Comme cet autre qui avait nagé vers les soldats pour qu’ils l’abattent.
*
Une autre journée s’annonçait, aussi tragique.
Louis avait la robustesse d’un garçon mais elle n’en était pas moins une femme. Or la peste progressait plus vite chez elle que sur les corps des hommes.
Elle avait les yeux entr’ouverts, mais elle ne voyait rien. Elle murmurait, mais ses paroles étaient incompréhensibles. Elle toussait. Elle haletait. Son pouls était rapide mais saccadé. Elle était fiévreuse.
Elle continuait à vomir l’eau que je lui faisais boire.
Elle souffrait beaucoup.
Le bubon avait grossi et son diamètre atteignait la longueur d’un pouce. Je l’avais touché et Louis avait poussé un cri de douleur. Il fallait que cet abcès perce de lui-même. Sinon, il faudrait l’inciser.
Quelques heures plus tard, elle sombra dans un état comateux. Elle était indifférente à tout. Même le bubon, devenu une grosse masse molle, ne semblait plus la faire souffrir quand je le touchais.
Depuis des heures, je n’avais pu fermer les yeux, veillant sur sa respiration, épongeant son front, la désaltérant, nettoyant son menton et ses joues, renouvelant le cataplasme de vinaigre et de moutarde.
Aussi, épuisée, je finis par m’endormir à côté d’elle.
*
Louis m’avait saisie à la gorge et, serrant les doigts, elle tentait de m’étrangler.
Elle était comme folle. Elle délirait et prononçait des paroles incohérentes.
Il ne servait à rien de tenter de la raisonner. Elle avait atteint ce moment où la douleur culminait en un déchaînement de violence. Contre soi ou contre les autres.
Je ne pouvais que me défendre pour sauver ma vie.
Je la giflai de toutes mes forces, en plein visage. Elle me lâcha et glissa, inconsciente, sur le lit.
Je vis alors que le cataplasme fait de tissu était rouge de sang. Je le retirai et constatai que le bubon avait percé, laissant échapper un filet de sang mélangé à du pus.
Après l’avoir nettoyée, je confectionnai un bandage que je posai sur la plaie. Je dus le changer souvent jusqu’à ce que le sang cesse de couler.
Louis somnolait. Sa respiration s’était apaisée. Son pouls battait normalement. Sa fièvre était tombée. Je constatai qu’elle avait repris quelques couleurs.
Je compris alors qu’elle était sauvée.
*
Je la veillai encore pendant les jours qui suivirent et je constatai que son état s'améliorait sensiblement.
Elle était encore très faible et dormait la plupart du temps.
Je profitai de son sommeil pour me reposer à mon tour mais mes pensées étaient occupées par les manifestations extraordinaires de cette maladie venue de l’enfer.
Louis aurait pu me tuer.
Bien sûr, je ne pouvais pas lui en vouloir car elle ne savait pas ce qu’elle faisait. La peste avait corrompu son corps et son esprit.
Mais si la femme qui m’aimait avait été à deux doigts de me tuer, que pouvais-je attendre de nos compagnons d’infortune ?
Je chargeai les pistolets de Louis et je décidai de ne plus m’en séparer.
*
Pendant les jours qui suivirent, j’évitai tout contact inutile avec l’extérieur et restai aux côtés de Louis. Je ne quittais notre cabine que pour quérir de quoi nous nourrir auprès du cuisinier du bord.
Mais un matin, je reconnus chez lui les symptômes de la maladie. Lassitude et transpiration, vertiges et nausées. Je ne devais plus l’approcher.
Ce n’était d’ailleurs pas utile, le ravitaillement ne manquait pas alors que nous étions de moins en moins nombreux à pouvoir nous nourrir. Je me servais directement. Je choisis des fruits qui nous étaient apportés de Philadelphie.
Nous n’étions en quarantaine que depuis douze jours !
Vingt huit jours restaient à venir sur ce navire. Vingt huit jours pendant lesquels je devrais m’armer de prudence et de patience.
*
Je la faisais manger afin qu’elle reprenne des forces et qu’elle puisse rapidement rompre l’isolement dans lequel je me sentais devenir folle.
Et, en effet, les jours passant, elle revenait à la vie. Elle me revenait.
Enfin, un jour, ses yeux s’ouvrirent et le regard qu’elle posa sur moi n’était plus voilé par les brumes de la maladie.
- Alice, vous êtes là ?
- Oui, Louis, j’ai toujours été là. Je ne vous ai pas quittée. A aucun moment.
- J’ai été très malade n’est-ce pas ?
- Oui Louis, vous avez failli mourir. J’ai cru vous perdre.
- J’ai vécu des moments horribles Alice et je crois me souvenir que je vous ai frappée.
- Non Louis. C’est moi qui vous ai giflée. Vous ne vous rappelez pas ?
- Giflée ? Mais pourquoi ? O mon Dieu... je me souviens mieux à présent. J’ai tenté de vous étrangler... Comment ai-je pu ?...
- Vous avez réagi comme tous les autres malades, Louis. Au summum de la souffrance, vous avez perdu l’esprit. Et vous avez transformé cette souffrance en violence. Certains de nos compagnons se sont suicidés, d’autres se sont rués sur leur entourage pour leur faire un mauvais sort.
- J’ai voulu vous tuer. Comment ai-je pu ? Vous ne pourrez jamais me pardonner.
- Je n’ai rien à vous pardonner, Louis. L’être qui était dressé devant moi et qui voulait me tuer, ce n’était pas vous. Ce n’était qu’un corps que la peste rendait fou.
- Pardon, Alice, pardon. Quand je pense que vous êtes restée près de moi pendant tout ce temps. Alors que j’aurais pu vous contaminer. Alors que je n’étais que souffrance. Que je ne cessais de vomir et de transpirer. Où avez-vous trouvé le courage de rester auprès de moi ?
Je me penchai sur elle et je la pris dans mes bras. Je la berçai comme on berce un enfant.
- Dans mon amour pour vous Louis. Je vous aime. Je ne voulais pas vous perdre. Car alors, je n’aurais plus eu de raison de vivre.
- Alice, Alice, vous avez été merveilleuse. Si douce et patiente. Si courageuse et téméraire. Alors que moi-même...
- Ne parlons plus de cela Louis. Seule compte votre guérison.
Elle se leva et demanda à pouvoir aller sur le pont. Cette idée ne m’enchantait guère, mais il était nécessaire qu’elle marche. Je l’aidai à faire sa toilette et à revêtir son corset et des vêtements propres.
Pour la première fois depuis plus d’une semaine, nous pûmes sortir ensemble de la cabine.
*
Pendant les jours qui avaient précédé, je m’étais désintéressée de tout ce qui n’était pas la maladie de Louis et les soins que je devais lui apporter pour la guérir.
Je fus brutalement plongée dans ce qui était le sort commun et qui aurait pu être le nôtre.
Les morts de la nuit étaient couchés sur le pont. Le visage et les mains couverts de petites taches bleuâtres. Les marques de la peste.
Les matelots, sous les ordres du capitaine, allongeaient les cadavres dans de grandes toiles qu’ils cousaient autour des corps.
Un simple prière était dite.
Puis les sacs étaient jetés à l’eau.
*
Vingt personnes sur les soixante six qui se trouvaient sur le navire étaient déjà mortes.
Mais Louis avait repris une grande partie de ses forces et je commençais à me dire que nous allions peut être réussir à échapper à la pandémie.
Malheureusement, à compter du dix huitième jour, les morts se multiplièrent. Alors qu’on ne comptait qu’un décès par jour, il y en eut plus de deux.
Le capitaine du Sunshine était au nombre des nouvelles victimes de la peste.
*
A partir de ce moment, le semblant de discipline, que cet homme énergique avait su maintenir sur son navire malgré la présence de la maladie, vola en éclat.
Les simples matelots, n’ayant plus de chef, s’abandonnèrent au désespoir et donnèrent libre cours à leur instincts les plus bas.
Ils disaient qu’ils devaient jouir de la vie avant que leur tour ne vienne.
Il n’y avait plus que quelques femmes sur ce navire. Des passagères. Les matelots se montrant grossiers avec elles, leurs époux se rendirent dans le râtelier où se trouvaient les armes et la poudre. Elles furent partagées entre nous. Puis nous nous barricadâmes dans la dunette où se trouvaient toutes les cabines.
Pendant ce temps, les marins pillaient la cambuse et volaient tout le rhum qu’ils purent y trouver. Ils burent et s’enivrèrent. De mauvaises querelles éclatèrent entre eux. Trois marins furent tués à coups de couteau.
Le silence suivit cette tempête. Assommés par l’alcool, les matelots avaient regagné l’entrepont où ils s’étaient écroulés dans leur hamac. Mais nous savions que leur réveil serait terrible.
Nous nous demandions qui, de la peste ou des marins, allait nous tuer en premier.
*
Comme nous n’avions plus d’eau dans notre cabine, Louis profita de cette accalmie pour monter sur le pont.
Philadelphie était le port d’attache du Sunshine. Aussi tous les matelots et les passagers avaient-ils de la famille dans la ville.
Tous les jours, les hommes du port s’approchaient en canot pour recevoir la liste des nouveaux morts.
Tous les jours, ils apportaient un sachet de lettres qu’ils lançaient sur le pont.
La ville n’oubliait pas ses enfants.
Alors que Louis s’était approchée du bastingage, elle reconnût l’un des hommes assis dans le canot.
Adam Pitt la regardait et lui fit un discret signe de la main.
*
Et à perdre mon sang froid.
Je ne comprenais pas que Louis puisse perdre son temps à lire le billet qu’Adam Pitt nous avait fait parvenir. Et je lui cherchai querelle.
- Louis. Laissez cette lettre qui ne veut rien dire ! Cherchez plutôt un moyen de nous sauver ! Dans quelques heures les marins vont se réveiller. Vous savez bien qu’ils vont nous attaquer. Pour violer les femmes et tuer les hommes.
- Je le sais ma chérie. C’est pourquoi je dois lire cette lettre. Adam Pitt nous dit d’espérer. Et il a recopié un extrait du chapitre deux de l’Ecclésiaste... Vanité des vanités. Tout n’est que vanité et poursuite du vent...
- Adam Pitt se moque de nous ! Ils nous abandonne ! Nous n’avons pas besoin de ses prières ! Nous avons besoin de son aide !
- Alice, c’est justement ce qu’il nous apporte. Son aide. Lisez ! Lisez tout !
Je pris la feuille et je lus.
- l’éCclésiaste 1, chapitrE 2, paroleS de l'écclésiaste, fils de david, rOI de jéRusalem. vaNité des vanités, dit l'écclésiaste, vanité des vanités, toUt est vanITé ; quel avaNtage revient-il à l'hOmme de toute la peIne qu'il se donne sous le soleil ? une généRation s'En va, une autre vient, et la terre subSiste toujours ; le soleil se Lève, le sOleil se cOuche ; il souPire après le lieu d'où il se lèVe dE nouveau ; le vent se diRige verS Le midi, tournE verS le nord, pUis il tourne encore, et reprenD les mêmes circuits ; j'Ai vu tout ce qui se fit sous le soleil, et voici, tout est vanité et PoursuITe du venT...
Je reposai la feuille qu’Adam Pitt avait couverte de son écriture.
- Louis, je ne comprends pas...
- Regardez la façon dont sont écrits certains mots. Les majuscules à l’intérieur ou à la fin des mots. Comme pour le billet qui révélait le complot contre George Washington et ses ministres. Adam Pitt a utilisé le même subterfuge, de façon à n’être compris que de nous.
Je relus le billet. Une phrase apparut.
- Ce soir, nuit noire, sloop vers le sud, a pitt...
Je reposai le billet.
- Mais Louis, cette phrase n’a aucun sens...
- Adam Pitt nous dit que nous devons partir ce soir. Comme il n’y aura pratiquement pas de lune, la nuit sera noire et cachera notre fuite. Nous devons nager vers le sud où un petit voilier nous attendra. Un sloop.
*
Je compris enfin que notre ami ne nous avait pas abandonnées. Qu'il nous offrait le moyen d'échapper à la mort noire.
Mais l’espoir qui était né dans mon coeur céda bientôt la place au doute et au découragement. Je savais que je ne pouvais pas partir.
Louis vit que mon attitude avait changé. Elle m’en fit la remarque.
- Alice qu’avez vous ? Il y a un problème je le vois bien.
- Je ne peux pas quitter le Sunshine. Je vais rester à bord et affronter ma destinée. Louis, vous devez tenter votre chance. Seule.
- Seule ? Pourquoi cela, Grand Dieu ? Qu’est-ce qui vous retient sur ce navire ?
Je restai silencieuse. J’avais honte de la réponse que j’allais lui faire.
- Et bien Alice ? Je vous écoute. Donnez-moi vos raisons...
- Je risque de vous gêner dans votre fuite...
- Comment pourriez-vous me gêner ?
Tout à coup, je vis qu’elle avait compris. Elle se mit à sourire. Elle s’assit sur le fauteuil et m’attira sur ses genoux. Elle se fit extrêmement tendre, me serrant contre elle.
- Alice, la petite campagnarde normande que vous êtes ne sait pas nager. N’est-ce pas ?
- Non, Louis, je ne sais pas. Je n’ai jamais appris. Jamais je n’aurais cru que cela pourrait m’être utile. Et d’ailleurs où aurais-je pu apprendre ? Dans les rivières ou les étangs ? Nue au milieu des garçons ? C’était impossible.
- Grâce à Dieu, les garçons ne nagent pas toujours nus. Sinon, moi non plus, je n’aurais jamais appris. Alice, ma chérie, il est hors de question que je parte seule et que je vous laisse derrière moi. A la merci de ses marins en manque de femmes. Je préférerais rester sur ce navire.
- Mais Louis, je vais couler...
- Comment pourriez-vous couler ? Avez-vous oublié le principe d’Archimède que je vous ai enseigné, ainsi qu’à votre frère Étienne. Je sais bien que le moment est mal choisi pour réviser mes leçons mais...
- Tout corps plongé dans un liquide reçoit de la part de ce liquide une poussée verticale de bas en haut égale au poids du liquide déplacé.
- Magnifique !!! Ce qui signifie que, de toute façon, vous allez flotter.
- Mais je ne vais pas avancer.
- Je vais vous aider Alice. Je vais vous maintenir et nous nagerons ensemble jusqu’à ce voilier.
- Louis, il y a autre chose.
- Et quoi donc ?
- Nous allons être sauvées alors que nos malheureux compagnons d’infortune vont rester sur ce navire où ils vont trouver une mort affreuse. Nous allons les abandonner. Je n’arrive pas à m’y résoudre.
- Ma chérie, c’est tout à votre honneur. Mais nous n’avons pas le choix. Un sloop est un petit voilier. Seuls cinq ou six personnes peuvent y embarquer.
- Nous pourrions sauver trois, quatre vies...
- Mais Alice, sur quels critères allons-nous choisir ceux qui pourront nous accompagner ? Il n’y a plus d’enfants sur le Sunshine. Uniquement des hommes, seuls ou avec leurs épouses. Qui allons-nous choisir ? A qui allons-nous dire de rester ici pour d’affronter les marins puis la peste ?
- Louis, je ne peux pas me résoudre à les laisser...
- Chérie, si nous leur disons que nous avons un moyen de fuir, ils vont s’entretuer. Nous courons aussi le risque qu’ils nous tuent pour prendre notre place. De toute façon, la plupart d’entre eux est déjà infectée par la peste. Ils présentent ces symptomes qui ne trompent pas et que je connais si bien. Lassitude et transpiration, vertiges et nausées.
- Louis, je vous en prie... Si nous pouvons au moins en sauver un...
Elle finit par céder. Elle me caressa la joue d’un geste tendre et murmura à mon oreille.
- Bien. Je vous obéis, ma chérie. J’ai un coeur, tout comme vous Alice. Même s’il n’est habité que par vous. Mais par pitié, pas d’imprudence. N’allez pas clamer que nous avons un moyen de fuir le navire. Restons discrètes. Laissez-moi faire. Laissez-moi parler.
*
Nous quittâmes notre cabine avec l’intention d’aller au devant des autres passagers afin d’emmener avec nous ceux qui n’étaient pas malades.
Nous montâmes sur le pont et nous vîmes une scène terrible.
Tous les marins, ivres, avaient regagné la vaste pièce où ils dormaient. On y accèdait en passant par une écoutille, sorte d’ouverture rectangulaire pratiquée dans le pont, fermée par un panneau.
Les passagers avaient profité de leur sommeil pour refermer cette trappe. Ils avaient apporté un tonneau de poudre qu’ils avaient posé dessus dans l’intention évidente de le faire sauter et de flamber les malheureux qui se trouvaient enfermés dans l’entrepont.
Louis se précipita.
- Que faites-vous donc ?
L’un des passagers, un marchand de coton de Philadelphie, nous répondit.
- Nous nous défendons contre ces brutes. Ils sont tous là-dessous. Alors nous allons les faire sauter.
- Mais vous risquez de provoquer un incendie qui va se propager à tout le navire. Vous allez mourir avec ces hommes que vous voulez anéantir...
- Que pouvons-nous faire d’autre ? Leur intention de s’en prendre aux femmes ne fait guère de doute.
- Ils étaient pris de boisson, désemparés par la mort de leur capitaine et effrayés par la peste. Essayons de les raisonner.
- Nous n’avons que faire de vos conseils !!!
L’homme qui venait de parler s’approcha de nous avec une hostilité à peine dissimulée. Il était grand et étonnamment maigre. Il était tout de noir vêtu comme ces religieux fanatiques que nous avions déjà croisés à New York ou Philadelphie.
Roger Prynne, c’était son nom, nous regardait avec cette répugnance qu’il réservait à toute personne ne vivant pas ou ne pensant pas comme lui.
Nous savions qu’il faisait partie de ces puritains qui poussent le fanatisme religieux jusqu’à l’extrème.
Il se promenait toujours sur le pont du navire avec une Bible à la main, marmonnant des prières.
Il nous fuyait car il ne supportait pas ce que nous étions. Un couple amoureux qui ne dissimulait pas ses sentiments. Mais aussi deux catholiques, deux “papistes” comme il le crachait avec dégoût.
- Nous n’avons que faire que vos conseils. La peste est une punition de Dieu. Nous devons prier et faire pénitence. Nous devons expier pour qu’Il nous pardonne et retire ce fléau qui nous tue. Le sacrifice de ces hommes, qui ont oublié Ses Saintes Recommandations en se vautrant dans la boisson, en menaçant nos femmes de leur paillardise, est une nécessité.
- Mais c’est faux, Dieu n’a rien à voir avec cette maladie...
- Si ! Elle était annoncée depuis longtemps ! Lisez !
Prynne nous tendit sa Bible et récita, les yeux exorbités, le visage extatique.
- Lisez ! Au Lévitique, chapitre 26, Le Seigneur dit : “Je ferai venir sur vous le glaive pour la vengeance de Mon Alliance. Je vous enverrai la pestilence”... et dans le Deuteronome, chapitre 28, le Seigneur des armées dit : “j’envoie sur vous l’épée, la famine et la peste”. Cette peste porte la marque de Dieu. Nous devons lui sacrifier ces hommes.
- Vous ne pouvez pas calquer votre vie, nos vies sur un livre qui a été écrit il y a 18 siècles !
- Si, car ce livre est Le Saint Livre !!!
- Je vois que votre foi ne s’embarrasse pas d’un détail aussi médiocre que la vie d’un homme.
- Ce que Dieu a créé, Dieu peut le reprendre.
- Mais vous n’êtes pas Dieu !
- Taisez-vous ! Vous n’avez aucun droit ici ! Vous n’êtes que des étrangers, des papistes qui obéissent aux lois de Rome !
Les hommes et les femmes qui l’entouraient se mirent à gronder contre nous. Contre toute attente, ils rejetaient le discours pacifique et raisonnable de Louis.
Ils préféraient suivre les appels au meurtre de leur guide cruel et fanatique. Ils ne voyaient dans l’exécution des marins qu’un sacrifice indispensable au salut de leur vie et de leur âme.
Si nous avions le malheur d’insister pour que les matelots soient sauvés, nous risquions de voir leur colère se tourner contre nous.
La peur panique de la mort atroce qui les attendait leur faisait perdre tout bon sens, toute bonté. Au contraire, ils étaient à la recherche d’un bouc-émissaire responsable de leur malheur.
Je compris que, Louis et moi, pouvions devenir ce bouc-émissaire, au même titre que les marins.
Car nous n’étions rien à leur yeux. Ils ne voyaient que nos différences. Ils ne voyaient en nous qu’un homme et son épouse, Européens, Français et catholiques. Nos vies ne comptaient pas. Nous pouvions être sacrifiées.
Louis avait raison. Il nous était impossible de dire à ces gens que nous avions un moyen de fuir la peste. Non seulement ils se seraient entretués, mais ils n’auraient pas hésité à s’attaquer à nos vies.
Louis avait mille fois raison. Nous n’avions qu’une seule alternative. Nous sauver, seules. Ou périr sous leurs coups.
Je pris la main de Louis et lui chuchotai.
- Louis, partons, je vous en prie... Nous ne pouvons rien faire de plus...
Nous leur tournâmes le dos. Nous marchâmes vers notre cabine dans un silence méprisant et hostile.
*
Il était temps de nous préparer à fuir. Nous nous apprêtions à appliquer la recommandation d’Hippocrate devant toute maladie contagieuse : “pars vite, loin et reviens tard”.
Nous devions abandonner nos bagages. Nous en avions d’ailleurs très peu. Louis n’emportait que le fin pinceau et la colle qui faisait tenir sa moustache à sa lèvre.
Pour tenter de nager plus facilement, je quittai ma robe afin de revêtir une chemise et une culotte courte empruntées à Louis.
Afin de ne pas être vues des autres passagers, nous devions passer par la fenêtre de notre cabine.
Louis avait déchiré les draps de notre lit avec lesquels elle confectionnait une corde qui allait nous permettre de descendre le long du navire jusqu’à l’eau.
Alors, que je m’habillai, je me rendis compte que mes mouvements étaient lents et maladroits. Je fis tomber ma ceinture. Je me baissai pour la ramasser. En me relevant, je fus prise d’un vertige et je dus me retenir au dos du fauteuil pour ne pas tomber.
Tout à coup, je fus prise de nausées et je vomis dans la cuvette que nous utilisions pour notre toilette.
Louis se précipita vers moi et m’aida à m’allonger sur le lit défait. Elle écarta les pans de ma chemise et le vit.
Sous mon aisselle, un bubon.
J’étais épuisée comme si j’avais couru. Tout mon corps était ankylosé. Le moindre geste me demandait un effort surhumain. Je compris que j’étais incapable de nager. Incapable même de me tenir à la surface de l’eau.
J’étais malade et trop faible pour suivre Louis. C’était fini. Je devais la laisser partir. Je devais même l’encourager à le faire. A me quitter pour sauver sa vie.
*
Comme je transpirais, elle avait mouillé un linge pour rafraîchir mon visage, mon cou et ma gorge. Elle me tendit un verre d'eau et la cuvette pour que je puisse me rincer la bouche.
Elle s’était assise à côté de moi sur le lit et avait pris ma main. Elle me regardait avec une infinie douceur. Je profitai de ce que j’avais encore tous mes esprits pour lui parler. Car je savais que, bientôt, j’allais sombrer dans l’inconscience.
- Je suis épuisée... Je n’aurai jamais assez de force pour nager jusqu’au sloop... Vous-même vous n’êtes pas assez vaillante pour m’aider... Il faut que vous me laissiez ici, Louis... De toute façon, je suis malade...
Elle se pencha sur moi et m’interrompit d’un baiser. Son visage, ses lèvres étaient tout près. Elle murmura.
- Taisez-vous ! Ne gaspillez pas le peu de force qui vous reste en paroles inutiles. Je ne vous obéirai pas. Vous avez risqué la mort pour me guérir de la peste. Comment pouvez-vous imaginer, une seule seconde, que je pourrais vous laisser pour sauver une vie que je vous dois ? Je vous aime. Je ne conçois pas mon existence sans vous. Jamais je ne vous abandonnerai... Jamais, entendez-vous ?
- Louis...
Je voulais protester mais ma voix fut couverte par le bruit d’une explosion. Les passagers, sous les ordres de Roger Prynne, avaient mis leur plan à exécution. Ils venaient de faire sauter le tonneau de poudre posé sur l’écoutille qui menait à l’entrepont où dormaient les marins.
Louis et moi tendions l’oreille dans l’espoir d’entendre les bruits qui venaient du pont. Et effectivement nous entendîmes des hurlements, des piétinements.
Louis se précipita à la fenêtre. Puis elle revint tout aussitôt.
- Alice, nous devons partir immédiatement ! D’après ce que j’ai pu voir, on se bat là-haut. Les passagers ont dû rater leur coup. Ils n’ont fait sauter que la trappe qui ferme l’écoutille. Les marins ne vont pas tarder à être là. Ils ne savent rien des efforts que nous avons faits pour tenter de les sauver. Rien ne les retiendra de se venger.
- Louis... je suis trop faible pour marcher...
- Je vais vous aider à vous asseoir au bord du lit. Je vais vous porter.
Je lui obéis.
Elle m’aida puis, me tournant le dos, elle s’accroupit devant moi. Je mis mes bras autour de son cou et me blottis contre son dos. Elle glissa ses mains sous mes genoux pour me tenir et se redressa en faisant reposer tout son effort sur les muscles de ses cuisses.
- Alice, nouez vos jambes autour de mes reins et cramponnez-vous ma chérie. Surtout pas un bruit. Nous ne devons pas attirer l’attention des soldats qui surveillent le Sunshine.
Elle s’approcha de la fenêtre et, avec d’infinies précautions pour ne pas tomber à l’eau et ne pas me heurter contre la paroi du navire, elle réussit à sortir.
Elle tenait dans ses poings la corde qu’elle avait confectionnée avec les draps de notre lit. Elle parvint à descendre le long de la coque, à la force de ses bras et de ses cuisses.
Louis m’avait toujours impressionnée mais jamais autant que dans ce moment où elle trouvait en elle suffisamment d’énergie pour me sauver.
Bientôt nous touchâmes la surface de l’eau.
Nous vîmes que les soldats qui surveillaient le navire avaient disparu.
La lutte qui opposait marins et passagers, l’explosion qui avait secoué le Sunshine, les avaient attirés vers la proue du navire.
C’était notre chance car ainsi la voie était dégagée et nous pouvions nager vers le sud. Vers le sloop.
La nuit sans lune, uniquement griffée par les lueurs de l’incendie qui se propageait sur le Sunshine, nous dissimulait.
Nous entendîmes des coups de feu, sans doute tirés par les soldats sur les passagers qui se jetaient à l’eau pour échapper aux flammes qui dévoraient le navire.
Nous entendions des cris de douleur et de peur. Puis les cris se firent de plus en plus rares. Et enfin, ils cessèrent. On n’entendait plus que le ronflement de l’incendie. Le craquement sinistre du bois qui cédait, des mâts qui tombaient.
L’enfer engloutissait le Sunshine.
*
Louis nageait sur le dos, d’un seul bras et, de l’autre, me tenait contre elle. Les battements de ses jambes étaient réguliers. Elle veillait à ce que je n’avale pas d’eau. Elle faisait des pauses fréquentes. Mais, malgré tout, je voyais que nous avancions.
Bientôt, le Sunshine ne fut plus qu’un brasier perdu sur la noirceur du fleuve.
*
Nous n’avions pas encore atteint le sloop.
Je sentais que mon esprit s’obscurcissait. Et tout à coup, je pris peur.
Et si ce voilier n’existait pas ? Et même s’il existait, comment pourrions-nous le trouver dans cette nuit noire ? Le courant du fleuve risquait de nous entraîner au-delà... Je me mis à gémir de désespoir. Louis fit une nouvelle pause.
- Alice, ma chérie, qu’avez-vous ? Vous souffrez ?
- Louis, nous sommes perdues. Nous n’avons aucun repère. Nous ne trouverons jamais ce voilier.
- Mais si ma chérie. Le courant du fleuve nous porte vers lui. Nous finirons par le trouver.
- Mais le fleuve Delaware est si vaste... Et vous êtes fatiguée...
- Je suis certaine qu’Adam Pitt a pris la précaution de poser une lanterne sur le sloop. Nous finirons par apercevoir sa lumière. Ne craignez rien ma chérie. Je suis capable de nager encore longtemps.
Je sentais qu’elle mentait pour me rassurer. Alors je me tus.
Elle se remit à nager. De temps en temps, elle interrompait sa nage sur le dos pour regarder derrière elle.
Elle me paraissait à bout de force. Non seulement elle devait progresser le long du fleuve sans se laisser emporter par le courant, mais elle devait aussi me maintenir à sa surface. J’étais un poids mort.
Je profitai d’une nouvelle pause pour le lui dire.
- Louis, vous n’en pouvez plus... Je vous en prie, laissez-moi... Je vais mourir de la peste de toute façon...
- Que je vous laisse vous noyer ? Par question ! Et vous ne mourrez pas ! Je n’en suis pas morte !
Elle ne me lâcha pas mais, au contraire, resserra son étreinte.
Elle nageait toujours. Tout à coup, alors qu’elle avait encore jeté un regard derrière elle, elle poussa un cri de triomphe.
- Alice ! Il est là ! Regardez ! Il y a un fanal allumé sur le mât !
Je regardai à mon tour. On ne voyait pas encore le voilier. Mais on apercevait une lumière briller dans la nuit, haute sur l’eau.
- Courage ma chérie ! Nous y serons dans quelques minutes.
Elle trouva le courage de nager encore et quelques instants plus tard, nous vîmes la silhouette d’un élégant petit voilier à l’ancre.
Nous parcourûmes les derniers mètres qui nous séparaient de la coque du sloop. Un échelle de corde y était accrochée.
Louis me porta de nouveau sur son dos et nous pûmes enfin prendre pied sur le Spirit of America.
*
Dès que nous fûmes sur le pont, Louis tomba à genoux, épuisée. Je détachai mes bras de son cou et je m’allongeai à côté d’elle.
Elle reprenait son souffle quand, tout à coup, elle s’écria :
- Alice, regardez !
Je tournai la tête.
A quelques encablures du Spirit of American, il y avait un second navire. Guère plus grand que le nôtre. A bord, plusieurs hommes. L’un d’eux leva une lanterne qui éclaira leur visage. Ils nous regardaient fixement. Ils ôtèrent leur chapeau et nous saluèrent.
Puis, le voilier vira de bord et s’éloigna pour disparaître dans la nuit.
George Washington, Thomas Jefferson et notre ami Adam Pitt venaient de nous dire adieu.
*
Louis me souleva et, me prenant de nouveau sur son dos, marcha en titubant vers la cabine.
Elle descendit un escalier étroit et, finalement, arriva dans une petite pièce. Là elle me fit asseoir sur une couchette.
Elle retira mes vêtements gorgés d’eau. Ouvrant les placards du voilier, elle finit par trouver des vêtements et une serviette avec laquelle elle sécha mon corps. Enfin, elle m’allongea sur la couchette et me borda comme on le fait pour un enfant.
Puis je la vis se déshabiller à son tour et revêtir des habits secs.
Elle se mit à fouiller minutieusement le voilier. Satisfaite, elle s’assit devant moi sur le bord de la couchette pour me faire son rapport.
- Alice, ma chérie. Adam Pitt est un ami merveilleux. Il a songé à tout. Non seulement, il nous offre ce petit voilier mais encore il a récupéré tous les vêtements et objets personnels que nous avions laissés dans notre maison de Philadelphie. Mes livres. Vos carnets de dessins et votre matériel de peinture. Pour faire bonne mesure, il a rajouté des armes, épées et pistolets, ainsi que deux fusils. Nous avons des vivres et de l’eau potable pour plusieurs semaines...
- Oui, mais nous sommes à nouveau deux fugitives sans port d’attache.
- Non Alice. J’ai trouvé un porte-feuille dans lequel Adam Pitt a rangé nos lettres de nomination à la qualité de Consuls perpétuels des Etats Unis ainsi que les papiers prouvant notre nationalité américaine. Il y a aussi une lettre signée de la main de Thomas Jefferson qui nous accrédite auprès des ambassadeurs américains en Europe. Et enfin, un billet à ordre d’une valeur de 2.000 dollars que nous pouvons échanger dans n’importe quelle banque.
- Louis, je crois que vous devrez profiter seule de la générosité de nos amis...
- Pourquoi ?
- Je suis malade, Louis... je sens que la vie me quitte peu à peu...
- Vous n’allez pas mourir, Alice. Moi j’ai bien survécu à la peste. Vous m’avez sauvée.
- Je n’ai pas votre force, Louis... Vous êtes aussi robuste qu’un garçon... Je l’ai bien vu aujourd’hui... Ce que vous avez fait, en étant convalescente, je n’aurais pas pu le faire en étant en bonne santé... Non, Louis... je dois me faire une raison, je vais bientôt vous quitter... Je veux profiter de mes derniers moments de conscience pour vous dire que je vous aime et que vous devez continuer à vivre et à aimer après moi...
- Alice, il ne pourrait pas y avoir de vie après vous... Je vais vous soigner et vous guérir...
Elle se pencha sur moi et m’embrassa. Puis elle me regarda longuement. Son visage était tout près du mien. Je pouvais admirer sa beauté que la peste n’avait pas pu altérer.
Tout à coup, ma vue se brouilla et ce visage tant aimé s’effaça...
*
Je n’avais plus de conscience, ou si peu.
J’avais les yeux grands ouvert et pourtant un brouillard m’entourait. Louis avait un aspect fantomatique.
Je souffrais de maux de tête et ma gorge était affreusement sèche. Je ne pouvais rien avaler à l’exception d’un peu d’eau, qui d’ailleurs était incapable d’étancher la soif qui me tenaillait. J’avais nausée sur nausée.
J’étais prise de frissons alors qu’il faisait chaud.
Tout mon corps me faisait mal.
Je refermai mes poings comme des serres sur le drap que Louis avait tirée sur moi.
Puis, au bout de quelques heures, mes paupières se fermèrent. Mes pensées s’obscurcirent et je sentis que je sombrai dans un abîme.
*
Mais une douleur, fulgurante comme les tortures de l’enfer, me tira de mon apathie.
J’ouvris les yeux.
On avait lié mes poignets avec une corde et mes bras avaient été levés au dessus de ma tête. Le drap du lit avait été tiré, découvrant mes épaules et mon buste.
Louis s’était assise à califourchon sur mes jambes, pour m’empêcher de bouger.
Elle maintenait mes bras d’une main. Dans l’autre, elle tenait une lame fine comme un rasoir.
Elle l’avait posée sur la masse compacte du bubon qu’elle incisa d’un coup sec.
Je me mis à hurler de peur et de douleur. Je me débattis afin de fuir cette lame qui fouillait ma plaie. Mais Louis m’écrasait de son poids.
Le sang, mélangé à du pus, coulait de ma blessure.
Je m’évanouis.
*
Je restai plusieurs jours plongée dans une prostration inquiétante, gémissant et suppliant qu’on me laissât.
Je revoyais Louis et la lame sanglante. Et j’avais peur. De nouveau.
Elle venait alors et me prenait dans ses bras. Elle me serrait contre elle afin de me rassurer. Petit à petit, je repris confiance et ce délire me quitta.
Plusieurs jours passèrent encore et, l’un après l’autre, les symptômes de la peste me quittèrent.
Enfin, avec l’aide de Louis, je pus quitter ma couchette et monter sur le pont.
Le soleil de juillet brillait sur la baie du Delaware où le vent et le courant avaient mené notre voilier.
Je me blottis contre Louis qui tenait la barre du Spirit of America.
J’emplis mes poumons de cet air qui venait caresser mon visage et je laissai une douce euphorie envahir mon coeur.
Car à mon tour, j’avais triomphé de la maladie.
Fin de la deuxième partie
Les aventures
d'Alice et Louis se poursuivent dans
le récit suivant,
Révolutions 3 - l’Angleterre.
Je me suis trompée. Philadelphie est située sur la rive d'un fleuve, le Delaware, qui coule du nord au sud. Du coup, c'est complètement idiot de faire nager Alice et Louis vers le nord, à contre-courant. Il vaut mieux qu'elles nagent vers le sud. J'ai donc modifié la suite que j'ai publiée il y a dix jours. Gustave.
RépondreSupprimerToujours aussi prenant...
RépondreSupprimerRamsès 88
Je suis toujours avec autant de plaisir l'histoire de Louis et Alice.
RépondreSupprimerEt j'aime aussi beaucoup cette plongée dans l'Amérique des origines.
Bravo et merci Gustave !
Marie Pierre.
Superbe suite encore, avec le courage héroique de Louis, portée par l'amour...
RépondreSupprimerMerci infiniment Gustave pour la suite de ce périple passionnant
Beaucoup d'émotions encore avec ce feu qui dévore le navire, Alice et Louis, qui juste à temps, parviennent à se sauver ! Les forces de Louis décuplées par l'amour et celles d'Alice qui s'éteignent peu à peu. Merci beaucoup Gustave.
RépondreSupprimerAh l'amour fait des miracles, merci Gustave pour cette suite et bon vent à Louis et Alice en espérant bientôt les retrouver.
RépondreSupprimerOuf ! Voilà Alice tirée d'affaire ! Mais je prévois de nouvelles épreuves dans la suite de leurs aventures, si fertiles en rebondissements.
RépondreSupprimerQuelles contrées va maintenant nous faire découvrir Gustave ?
Encore le miracle de l'amour avec les soins de Louis qui sauve Alice de cette terrible maladie.
RépondreSupprimerMerci infiniment Gustave
Ouf, Alice a vaincu cette terrible maladie.
RépondreSupprimerRamsès 88
Que de péripéties, que de rebondissements...avec un retour vers
RépondreSupprimerl'Europe qui s'annonce...
merci Gustave, on espère une suite
prochainement.
Marie Pierre
Quelle fin douloureuse... Noire et sombre comme la peste. Mais cependant elles voguent vers des cieux plus radieux, bon, je te connais tu vas nous mijoter une suite à rebondissement, une suite kangourou en quelque sorte. (rires).
RépondreSupprimerMerci à ton imagination et merci à toi.
Béa.
J'ai l'impression que le soulagement éprouvé à la victoire de nos héroïnes sur les pirates et la peste sera de courte durée. Gustave est certainement en train de leur concocter de nouvelles aventures éprouvantes.
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