GENS DU NORD



Le récit que vous allez découvrir est une suite imaginée de pblv. Il se situe après la rupture et la séparation des deux héroïnes. Il s'intitule :





Gens du Nord


Virginie était allée aussi loin qu'elle l'avait pu pour fuir la rancoeur haineuse de Vincent Chaumette et de Charles Frémont.

Après son licenciement injuste qu’elle n’avait pas voulu s’abaisser à contester, les insultes auxquelles elle n’avait pas voulu répliquer, si ce n’est par le silence, elle avait, pendant un mois, cherché du travail partout.

Mais partout à Marseille, elle avait essuyé refus sur refus. Elle avait cherché dans tout le midi, allant de la frontière avec l’Espagne jusqu’aux limites de l’Italie.

Partout, ce n’était qu’allusions perfides à son dernier emploi. Elle retrouvait derrière les sourires de façade, la patte de Vincent Chaumette et de Charles Frémont. Elle comprit rapidement qu’ils avaient pratiqué autour d’elle la stratégie de la terre brûlée. En la présentant, partout, comme une subordonnée incompétente et une traîtresse.

Jamais plus, elle ne pourrait exercer sa profession de chef de chantier sur les rives de la Méditerranée. Elle devait se résoudre à l’exil.

Alors, elle monta vers le nord.

Lyon tout d’abord. Mais cette ville était encore trop proche. L’écho du scandale judiciaire et écologique, qui était en train de détruire Phénicie, s’était propagé jusque là et, naturellement, éclaboussait Virginie. Même si, à titre personnel, elle n’avait rien à se reprocher, ayant fait preuve d’une honnêteté et d’une droiture sans faille.

Elle tenta sa chance à Paris.

Mais là aussi, Vincent et Charles avaient répandu, auprès des autres sociétés de BTP, la rumeur de sa déloyauté.

Alors, elle monta plus haut encore.

Et un jour, Virginie se retrouva sur le quai de la gare de Lille. La capitale des Flandres l’accueillit sous une pluie battante.

Ruisselante et grelottante, après avoir erré pendant plusieurs heures, elle trouva refuge dans une pension de famille de la vieille ville, ses quelques rares économies lui interdisant les hôtels, même les plus modestes.

Une grande femme lui ouvrit la porte. Elle lui sourit et Virginie trouva dans ce sourire plus de chaleur que dans le  soleil de Marseille. Lise Vandenrosen, la maîtresse de maison, la conduisit immédiatement à sa chambre et lui dit que l’on dînait à sept heures. Si elle avait besoin de quoi que ce soit, elle ne devait pas hésiter à la déranger. Sa pension n’était pas un hôtel impersonnel. C’était une famille.

Virginie, malgré sa détresse, ne put s’empêcher de sourire en entendant cet accent qu’un certain film lui avait rendu familier, comme à plus de vingt millions de spectateurs à travers la France.

Elle s’installa rapidement dans sa chambre, rangea dans le placard et la commode les quelques vêtements qu’elle avait emportés avec elle, se dévêtit et se glissa sous la douche du minuscule cabinet de toilette.

Là, sous l’eau chaude qui ruisselait sur son corps, elle tenta d’échapper aux souvenirs qui la hantaient.


*


Quand, enfin, elle sortit de la douche, elle regarda autour d’elle. Elle fut surprise.

Sa chambre était simple certes, mais la décoration était de très bon goût. Des objets et des meubles dont on devinait qu’ils avaient été chinés chez les brocanteurs de la région. Le cabinet de toilette était fonctionnel, la douche offrait le confort d’un hammam.

La pension elle-même, typique des maisons flamandes du vieux Lille, avait été joliment rénovée, mêlant briques et bois, dans le respect des traditions régionales. Elle avait ce charme que l’on vantait dans les magazines.

Virginie se dit immédiatement qu’elle aimerait bien travailler pour l’entreprise qui avait su rajeunir cette vieille dame de quatre cents ans tout en lui conservant le charme de l’ancien.

A sept heures précises, elle se dirigea vers la salle à manger où elle rejoignit Lise et quatre autres occupants.

Virginie dut se présenter. Tous furent surpris qu’une fille du Sud soit venue s’exiler dans le Noooooooord... Elle expliqua alors qu’elle cherchait du travail et qu’il n’était pas facile à trouver, pour une femme chef de chantier.

La conversation allait bon train. Virginie se sentait bien au milieu de ces gens simples et chaleureux. Elle se surpris à aimer la goyère au maroille qu’elle avait d’abord goûtée avec appréhension.

Lise avait cinquante cinq ans et était veuve. Son mari, mineur de fond depuis l’âge de seize ans, était décédé, les poumons rongés par la poussière de charbon. Elle avait alors repris la petite pension que sa famille possédait depuis des générations.

Pendant ces quinze dernières années, à force de travail, elle avait réussi à accumuler un trésor de guerre qui lui avait permis d’entreprendre les travaux de rénovation que Virginie avait admirés. Il est vrai que ces travaux avaient été réalisés à prix coûtant, le patron de l’entreprise de bâtiment n’étant autre que son frère, Gaston.

D’ailleurs, à la réflexion, Lise se demandait si Gaston ne lui avait pas dit, la dernière fois qu’ils s’étaient vus, qu’il était à la recherche d’un chef de chantier, le sien partant à la retraite dans quelques semaines. Puisqu’elle cherchait du travail, et si Virginie le souhaitait, elle pourrait en toucher deux mots à son frère.

Virginie eu l’impression qu’elle était enfin arrivée à bon port.


*


Gaston Vandenrosen était un solide gaillard barbu de cinquante ans. Du bâtiment il savait tout. Il était impossible à un postulant de le tromper sur sa compétence ou sur son envie de travailler.

Il regarda d’abord avec étonnement cette superbe jeune femme brune de trente ans qui se prétendait chef de chantier. Comment une Marseillaise avait-elle pu se résoudre à émigrer sous le ciel du Nord ?

Lise avait vraiment eu une drôle d’idée en la lui recommandant ! Elle lui avait dit en chuchotant que Virginie était très sympathique, mais qu’elle cachait quelque chose. Une douleur. Une tristesse.

Après avoir lu la lettre sur laquelle Virginie avait dressé la liste, impressionnante, des bâtiments qu’elle avait aidés à construire, après avoir examiné ses diplômes, Gaston, sans s’embarrasser de précautions oratoires, lui posa la question. Pourquoi Lille ?

Virginie sentit immédiatement qu’il était inutile de lui mentir, même par omission. Elle n’en avait pas envie. Elle se dit, qu’avec un tel homme, il fallait jouer franc jeu. Qu’il pouvait accepter beaucoup de choses, sauf la duplicité.

Alors, elle lui raconta tout. Comment, il y a un peu plus d’un an, elle était devenue chef de chantier dans une société de promotion immobilière et de BTP marseillaise du nom de Phénicie. Elle vit Gaston de raidir en entendant ce nom.

Comment elle avait supervisé la construction d’une station de pompage. Comment, six semaines après la mise en route de cette station, des traces de polluant avaient été découvertes dans les canalisations qui alimentaient en eau plusieurs quartiers de la ville de Marseille. Un homme en était mort. Un autre, écologiste militant, avait été accusé à tort d’avoir provoqué la pollution et s’était suicidé.

Comment elle avait découvert que cette pollution résultait d’un enfouissement, dans les sols situés au dessus de la nappe phréatique, de bidons qui avaient laissé échapper leur contenu. Sols qui appartenaient à Phénicie et que son employeur avait vendus à la mairie pour une somme dérisoire, les sachant gravement pollués.

Comment Phénicie avait tenté d’étouffer le scandale en achetant l’expert judiciaire chargé de découvrir les causes de la pollution.

Comment elle n’avait pu se taire alors que deux hommes, déjà, étaient morts et que d’autres étaient en danger.

Elle lui dit que, naturellement, son employeur l’avait licenciée, la privant de toute indemnité et s’était chargé de la démolir auprès des entreprises du midi qui auraient pu l’embaucher.

Elle lui avait tout dit. Sauf l’essentiel.

Céline.


*


Gaston Vandenrosen avait embauché Virginie.

Il l’avait prévenue. Son entreprise n’avait rien à voir avec Phénicie. Pas de grands chantiers. Pas de parking souterrain, pas d’aéroport. Ni, bien sûr, de station de pompage.

Gaston Vandenrosen s’occupait uniquement de rénovation de bâtiments anciens. Vieilles bâtisses flamandes ou usines anciennes à l’abandon. Il les rachetait, les rénovait entièrement, transformait les usines en lofts, puis les revendait. Il s’était lancé dans cette activité trente ans auparavant et avait acquis une solide réputation dans la région.

Virginie avait une double mission. Repérer des bâtiments qui pourraient être rachetés puis naturellement suivre les chantiers de rénovation.

Elle adorait ce travail qui lui permettait tout à la fois de découvrir les splendeurs de ce Nord si méprisé et de travailler avec des artisans, charpentiers, maçons, tailleurs de pierres, couvreurs, menuisiers, peintres, qui étaient tous de véritables artistes.

Comme Phénicie, son béton et ses magouilles, étaient loin !

Gaston n’évoquait jamais Phénicie. Virginie avait fini par en oublier l’existence.

Un jour pourtant, elle reçut une convocation d’un juge d’instruction du Tribunal de Grande Instance de Lille. Celui-ci devait l’entendre, comme témoin, sur commission rogatoire du juge Estève. Florian avait pu la joindre par l’intermédiaire de son père, Fernand Mirbeau.

Elle se rendit avec appréhension à ce rendez-vous judiciaire. Mais son audition se déroula dans les meilleures conditions. Le magistrat lillois lui demanda de préciser quelques points, l’informa que l’instruction serait bientôt close et que les mis en examen seraient traduits devant la justice.

Virginie demanda avec inquiétude les noms des personnes qui devraient rendre des comptes pour cette pollution. Son nom et celui de Céline ne furent pas cités.

Elle signa son procès-verbal d’audition et quitta le Palais de Justice, soulagée et mélancolique.


*


Virginie savait qu’elle ne pourrait plus jamais retourner à  Marseille. Qu’elle était, à jamais, séparée des habitants du Mistral, de ses amis. De son père.

D’ailleurs, elle était incapable de retourner là où elle avait aimé Céline.

Elle aimait la discrétion des gens du Nord. Leur gentillesse proverbiale. Cette chaleur si naturelle avec laquelle, ils l’avaient accueillie. Elle n’avait pas jugé utile de chercher un appartement et continuait à vivre dans la pension de famille de Lise.

Lise et son frère étaient devenus sa seconde famille.

Elle avait acheté une voiture d’occasion et partait souvent découvrir ce plat pays. Elle marchait des heures durant, seule, sur les magnifiques plages de sable fin.

Elle laissait le vent du Nord fouetter son visage et sécher ses larmes.

Car, malgré ce virage qu’avait pris sa vie, elle ne pouvait pas oublier Céline.


*


Peu de temps après avoir été embauchée par Gaston, elle avait pris le Thalys pour Paris, puis un autre Tgv pour Lyon. Là elle avait retrouvé son père.

Fernand avait, lui aussi, pris le train depuis Marseille pour revoir sa fille.

Le pêcheur avait vieilli, prématurément.

Tous ses espoirs s’étaient envolés.

Sa joie à l’idée de la future maternité de Céline et donc de celle de Virginie. Le bonheur de voir sa fille enfin heureuse. Pourtant, il lui en avait fallu du temps pour accepter l’homosexualité de sa fille ! Mais il avait fini par se dire qu’elle avait eu raison d’aimer les femmes puisque Céline l’aimait.

Et puis, soudain, en quelques jours, quinze tout au plus, tout avait été détruit.

Céline, contre les évidences, avait soutenu son père, Charles, principal responsable de la pollution.

Virginie, incapable de faire entendre raison à Céline, épouvantée par les scènes qui se multipliaient entre elles et qui menaçaient d’anéantir leur amour, avait préféré fuir. Céline ne l’avait pas retenue.

Puis, la vérité avait éclaté. La culpabilité de Charles et de Vincent Chaumette avait été dévoilée. Mais c’était trop tard. Virginie avait disparu, abandonnant quelques effets personnels chez son père. Sans laisser d’adresse où la joindre. Céline, d’ailleurs, n’avait pas cherché à la retrouver.

Virginie savait qu’elle ne faisait plus partie de la vie de Céline. Les mots qu’elles avaient échangés étaient trop durs, trop définitifs. Il n’y avait plus le moindre espoir.

Fernand lui raconta que Céline, après avoir appris la nouvelle trahison de son père, avait quitté Marseille. Son innocence ne faisant aucun doute, la Justice ne s’était pas opposée à son départ.

En quelques jours, elle avait démissionné de ses fonctions à Phénicie, vendu son bel appartement et tout son contenu à de riches horlogers suisses désireux de vivre dans la cité phocéenne, la nouvelle ville à la mode.

La dernière fois qu’on l’avait vue, c’était à l’aéroport de Marignane où elle attendait d’embarquer dans un avion à destination de Londres.

Depuis, elle n’avait donné de nouvelles à personne. Et surtout pas à son père, qui l’avait une nouvelle fois déçue, et avait brisé sa vie en détruisant son amour. Charles avait tout perdu, ses filles et Phénicie qui sombrait dans le néant.

Mais nul ne savait où était Céline.

Virginie et Fernand s’étaient tus en pensant à cette histoire, leur histoire, au goût de cendres.

Fernand, au moment de quitter sa fille, l’avait serrée si fort contre lui qu’il aurait pu lui briser les os.

Quand ils se retrouvèrent seuls dans leur train, lui en direction de Marseille, elle de retour vers le Nord, alors que chaque seconde les éloignait l’un de l’autre, le vieil homme et la jeune femme s’étaient mis à pleurer.


*


Virginie s’investissait complètement dans son travail.

Gaston n’aurait pas pu rêver meilleure recrue. Elle passait dix heures par jour sur les chantiers. Elle arpentait la ville de Lille, si tentaculaire qu’elle atteignait la frontière belge. Elle passait chaque quartier au peigne fin pour trouver une nouvelle maison à rénover, une nouvelle usine abandonnée à transformer en lofts.

Elle rentrait rarement à temps pour le dîner. Lise gardait son assiette au chaud.

Lise et Gaston n’étaient pas dupes. En se consacrant si exclusivement à son travail, Virginie cherchait à s’oublier elle-même.

Les artisans qui intervenaient sur les chantiers étaient tous tombés sous le charme de cette magnifique jeune femme. Comment résister à cette beauté mince et sportive, aux magnifiques boucles brunes, au visage doux, aux pommettes hautes, à la bouche pulpeuse, aux pétillants yeux noisette qu’un voile de tristesse recouvrait pourtant ?

Elle n’hésitait pas à monter sur un toit pour examiner l’état d’une charpente ou la solidité d’une cheminée. Elle savait faire preuve avec ces hommes de cette calme autorité qui la faisait unanimement respecter.

Lise et Gaston l’avaient présentée à de jeunes amis célibataires.

Mais aucun des hommes, qui l’admiraient en secret, n’avait trouvé grâce à ses yeux.

Virginie avait alors préféré dire la vérité. Qu’il était inutile que Lise et son frère continuent à provoquer des rencontres avec des hommes. Parce qu’elle aimait les femmes. Parce qu’elle aimait une femme. Que tout était terminé entre elles. Mais qu’elle ne pourrait jamais l’oublier ni cesser de l’aimer.

Lise et Gaston n’avaient pas été choqués. Ils avaient simplement ressenti la détresse infinie de la jeune femme et désespéraient de pouvoir, un jour, la consoler.

Un jeune informaticien vint loger pendant cinq jours dans la pension de famille. Ludovic ne songeait pas à dissimuler l’admiration et l’attirance qu’il éprouvait pour Virginie, laquelle lui opposa une indifférence polie.

Lise, qui appréciait la sincérité du jeune homme, préféra mettre un terme rapide à ses espoirs. Virginie était séparée d’une personne avec laquelle elle avait vécu pendant un an et dont elle était toujours, désespérément, amoureuse.

Ludovic n’avait rien dit et était parti.


*


Virginie avait renoncé à toute vie sentimentale.

Un soir, pourtant, elle avait répondu à l’appel de ses sens. Elle s’était rendue dans une boîte lesbienne et s’était laissée courtisée par une jeune femme blonde. Elle l’avait suivie chez elle. Faisant le vide dans son esprit, elle avait laissé sa partenaire l’enlacer, l’embrasser, la caresser. Mais au moment où la jeune femme l’avait entraînée vers la chambre, le visage de Céline lui était apparu. Le corps de Céline. Elle avait alors repoussé gentiment celle qui avait failli être son amante d’une nuit. Elle s’était excusée en bafouillant et s’était enfuie.


*


Céline continuait à occuper exclusivement son esprit.

Le jour elle arrivait presque à l’oublier.

Mais la nuit.

Chaque rêve était un rêve de Céline.

Durant ses insomnies, son image apparaissait sur les murs de sa chambre.

La faim qu’elle avait toujours d’elle la brûlait comme une flamme et, pour l’éteindre, elle prodiguait à son corps ces caresses solitaires qui apaisaient son désir.


*


Virginie travaillait depuis trois mois avec Gaston Vandenrosen.

Un jeune couple avait contacté l’entreprise en vue d’acquérir une petite maison. Gaston avait demandé à Virginie de s’occuper de cette transaction.

Amélie et Grégoire, âgées de 22 et 24 ans, étaient mariés depuis moins d’un an. Amélie était enceinte. Ils habitaient à Lille un appartement trop petit pour accueillir leur bébé. Il leur fallait une petite maison.

Virginie ne put s’empêcher d’éprouver un douloureux pincement au coeur en voyant le ventre rond de la jeune femme. Ce bonheur d’avoir un enfant, qu’elle avait failli connaître avec Céline, lui serait à jamais refusé.

Elle leur demanda quel genre de maison ils souhaitaient. Leur réponse l’étonna. Ils lui demandèrent de leur trouver une maison où elle-même aimerait vivre. Ils lui faisait entièrement confiance, pourvu qu’elle soit à Lille. L’argent n’était pas un problème.

Amélie et Grégoire étaient très sympathiques, jeunes et amoureux. Elle pensa immédiatement à une petite maison qu’elle avait découverte dans une rue calme à quelques minutes à pied de la Vieille Bourse et de la rue Esquermoise.

La maison datait de 1880. Elle avait été bâtie en briques naturellement. Un petit jardin l’entourait sur deux côtés. Les quatre pièces, deux salons au rez-de-chaussée et deux chambres à l’étage, étaient claires, toutes pourvues de cheminées de pierre blanche. Un grenier aménageable coiffait le tout. Une cave voûtée complétait l’ensemble. Les parquets, les boiseries et la toiture étaient en parfait état. Elle appartenait à une succession. Les héritiers voulaient s’en défaire rapidement.

Virginie leur décrivit cette maison en leur disant que, si elle avait dû en choisir une pour elle-même, ce serait celle-là.

Amélie et Grégoire demandèrent alors à la voir immédiatement. Sur place, ils étaient enthousiastes et dirent qu’ils la voulaient le plus rapidement possible.

Virginie leur signala que quelques travaux de rénovation et de modernisation étaient nécessaires. Il fallait décaper les boiseries et les planchers, refaire cuisine, salle de bains et toilettes, mettre chauffage et électricité aux normes, repeindre toutes les pièces.

Amélie et Grégoire lui firent alors la même étonnante réponse que précédemment. Ils lui laissaient carte blanche pour rajeunir la maison. Elle devait la rénover comme elle l’aurait fait pour elle-même. L’argent n’était pas un problème.

Deux jours plus tard la vente était signée chez Maître X, Notaire.

Virginie se mit au travail.

C’était facile. Elle imagina la maison où elle aurait voulu vivre avec Céline et leur enfant. Une maison chaude et humaine. Un nid. Un refuge contre les tempêtes du dehors. Comme on était à Lille et que cette maison était destinée à des Lillois, elle voulu respecter le goût des gens du Nord, discret et sans ostentation.

Boiseries et planchers de chêne furent décapés et éclaircis. Pour la cuisine, elle préféra installer des meubles de métier chinés chez les brocanteurs de Bondues. Les couleurs des peintures n’étaient pas agressives mais douces et invitaient au repos, à la paix et à la sérénité. Au bonheur.

En deux mois, la rénovation était finie. Tous les artisans s’étaient mis en quatre pour qu’elle soit terminée dans les délais, l’accouchement d’Amélie approchant.

Le jeune couple vint la visiter. Ils étaient ravis. Mais un détail les chagrinait. La maison était désespérément vide. Aucun meuble, aucun tableau.

A part quelques objets, ils ne possédaient rien dans leur appartement qui méritait d’être conservé. Ils demandèrent à Virginie si elle accepterait de jouer à la décoratrice d’intérieur. Comme d’habitude, elle devait faire ce qui lui plairait. L’argent n’était pas un problème.

Une seule pièce devait rester vide. La petite chambre destinée au bébé.

Alors, Virginie retourna chez les antiquaires, les brocanteurs et dans quelques boutiques lilloises. Elle y trouva tous ces meubles et objets qui lui plaisaient.

Sans même s’en apercevoir, elle acheta des objets qui auraient plu à Céline.


*


La maison était enfin terminée.

Amélie et Grégoire voulurent remercier Virginie qui avait tant fait pour réaliser leur rêve. Ils l’invitèrent à une petite pendaison de crémaillère.

Après avoir travaillé toute la journée sur un chantier, elle retourna à la pension de Lise, prit une douche, s’habilla de façon décontractée, avec un jean naturellement, et se rendit chez Amélie et Grégoire.

Quand Virginie se présenta, Grégoire vint lui ouvrir. Il la conduisit au salon où Amélie l’attendait. Ils l’invitèrent à s’assoir dans le canapé recouvert de lin qu’elle avait elle-même choisi. Le jeune couple n’avait pas encore emménagé. Ils avaient apporté champagne et verres.

A un moment, Grégoire et Amélie prièrent Virginie de les excuser. Ils devaient aller dans la cuisine pour préparer les bouchés apéritives et la laissèrent seule.

Virginie regardait autour d’elle avec mélancolie. Elle pensait au plaisir fugitif qu’elle avait eu en rénovant et meublant cette maison.

Elle pensait à la joie qu’elle aurait eue si elle avait pu y vivre avec Céline et leur enfant.

Elle regardait chaque meuble, chaque objet, chaque tableau qu’elle avait choisis.

Son regard glissa sur la table basse où Grégoire avait posé une bouteille de champagne et une autre de jus d’orange. Virginie sourit. Amélie, enceinte, veillait à ne pas boire d’alcool.

Puis, son regard s’arrêta sur les deux verres.

Elle sourit à nouveau. Les amoureux sont seuls au monde. Amélie et Grégoire avaient oublié de prévoir une flûte pour elle.

Elle se dit que le mieux était de ne pas les envahir. De les laisser à leur bonheur de découvrir leur maison. Il était temps de rentrer chez elle. Ou plutôt dans cette pension de famille qui, désormais, lui servait de chez soi.

Elle se leva, se retourna.

C’est alors qu’elle la vit.

Elle avait si peu changé. Son visage s’était aminci, faisant ressortir la fossette de sa joue droite. Elle était toujours si belle. Ses cheveux étaient toujours si blonds. Ses yeux bleus capturèrent et emprisonnèrent son regard.

A l’entrée du salon, n’osant aller plus loin, la regardant avec une intensité telle que Virginie aurait pu croire qu’elle l’aimait toujours, Céline était là.


*


Céline était là.

Elle avait revêtu des vêtements amples que Virginie n’avait jamais vus sur elle.

Virginie était partagée entre le désir violent de l’enlacer et celui de la fuir. De nouveau.

- Je suis tellement heureuse de te revoir, Virginie. Après tous ces longs mois sans nouvelles de toi. Nous avons tant de choses à nous dire.

- Je crois que tout a été dit, Céline. Que fais-tu à Lille ? Où sont Amélie et Grégoire ?

- Ils sont sortis pour nous laisser en tête à tête. Pour me laisser une chance.

- Une chance ? De quoi parles-tu ?

- Une chance de te parler. Une chance de te convaincre. Une chance de te reconquérir.

- Tu es directe. Tu ne perds pas de temps.

- Le temps sans toi, c’est du temps perdu, Virginie. Je ne veux plus perdre de temps.

- Je vois à ton état que tu n’en as pas perdu. Tu es enceinte n’est-ce pas ?

- Oui. De cinq mois.

- Ainsi tu l’as fait. Tu es la maîtresse de cet homme. De ce Jean Lissajoux. Il est le père de ton enfant.

- Non, tu te trompes. Je ne t’ai pas trahie. Je te suis restée fidèle pendant tous ces mois. Aucun homme ne m’a touchée depuis que je te connais. Je n’ai plus envie qu’un homme me touche depuis que je te connais.

- Pourquoi me rester fidèle ? Il n’y a plus rien entre nous. Tu es libre de vivre ta vie comme tu l’entends. Et avec qui tu veux.

- Ma vie, je veux la vivre avec toi et avec notre enfant.

- Mais moi, je ne veux plus vivre avec toi. Et ce n’est pas mon enfant. D’ailleurs, je ne t’aime plus. J’ai rencontré quelqu’un...

- Tu mens. Je sais que tu mens.

- Et comment peux-tu le savoir ? Nous ne nous sommes pas vues depuis plus de six mois.

- Ludovic me l’a dit.

- Ludovic ? Quel Ludovic ? Je ne connais aucun Ludovic. A part cet informaticien qui a logé pendant quelques jours dans la même pension de famille que moi. Mais comment le connais-tu ?

- Ludovic est le frère de Grégoire.

- Le frère de Grégoire ? Je ne comprends rien. Pourquoi a-t-il joué cette comédie de l’amoureux transi ?

- Virginie, je t’en prie asseyons-nous et laisse-moi t’expliquer. Laisse-moi te raconter ce qu’a été ma vie pendant ces derniers mois. Ensuite tu feras ce que tu voudras.

- Je t’écoute. Mais par curiosité. Uniquement.

- Je vois que tu m’en veux et tu as raison de m’en vouloir. J’ai été aveuglée par l’amour que j’éprouve pour mon père. Je croyais qu’il avait changé. Qu’il avait accepté notre relation. Quand il m’a juré qu’il n’était pour rien dans cette histoire de pollution, je l’ai cru. J’avais tellement envie de le croire. Mais il m’a déçue, comme d’habitude. Mais c’est la dernière fois. Je ne serai plus son jouet. Parce que cette fois-ci, j’ai failli tout perdre. J’ai failli te perdre.

- Tu m’as perdue.

- Non. Je sais bien que non. Bien sûr, tu as eu des paroles si dures. Que tu avais du mal à envisager notre relation. Que nous étions trop différentes. Que je resterais toujours une hétéro. Que tu n’étais plus sûre de rien. Que je finirais un jour par te quitter pour un homme. Comme si, toi, tu ne risquais pas, un jour, de tomber amoureuse d’une autre femme. Mais tu ne m’as pas dit que tu avais cessé de m’aimer.

- C’est trop difficile de t’aimer, Céline.

- Non, ce sera facile désormais. Bien sûr, je t’ai détestée de m’avoir abandonnée comme ça, au milieu de ce champ pollué. Mais je me suis haïe encore plus de ne pas t’avoir retenue. Après que tu m’aies quittée, j’ai rompu avec mon père. Je ne lui ai donné aucune explication. A quoi bon d’ailleurs ? Il est incapable de comprendre ce qui ne se rapporte pas à l’argent, à Phénicie, à ses magouilles. Je voulais te retrouver. Mais personne ne savait où tu étais. Tu avais donné des instructions à ton père de ne rien dire. Il les a respectées.

- Je n’avais pas d’adresse. Pendant plus d’un mois, je suis allée de ville en ville pour essayer de trouver un emploi. Je suis arrivée à Lille au début du mois de juin.

- Oui, je l’ai appris plus tard. Ton numéro de portable n’était plus valable. J’étais désemparée. Alors, j’ai pris la décision de quitter Marseille. En quelques jours, j’ai démissionné de mes fonctions à Phénicie, j’ai vendu mon appartement et tous les objets qu’il contenait. J’ai décidé de faire table rase de mon passé. Sauf de toi. Et de notre projet de bébé. J’ai pris l’avion pour Londres.

- Pourquoi Londres ?

- De Londres, j’ai pris un avion pour New York. Là, j’ai contacté une clinique spécialisée dans les procréations médicalement assistées. Les américains sont pragmatiques. Ils savent qu’il y a un marché. Ils sont très efficaces. Dans cette clinique, il y avait les meilleurs médecins, les meilleurs infirmiers. Ils se moquaient de savoir si j’étais mariée ou non. Du moment que je payais. Ils m’ont d’abord fait choisir le géniteur. Le choix était immense. Je pouvais choisir la race, l’âge, la profession, le milieu social, la couleur des cheveux ou des yeux. J’ai choisi un homme de trente ans, brun, aux cheveux bouclés, aux yeux noisette. Naturellement, je ne l’ai jamais vu, pas même en photo, et je ne connais pas son nom. Tout ce que je sais de lui, c’est que c’est un américain d’origine italienne ou espagnole, ingénieur, marié et déjà père. Cela correspond presque à la moitié de l’Amérique. Je l’ai choisi en fonction de la description, assez précise, qui figurait sur les listes qu’ils m’ont présentées.

- Tu as choisi un homme qui me ressemble.

- Oui, Virginie. Je voulais que l’enfant que je porte te ressemble. Ils m’ont fait passer des examens. Ils m’ont donné la date très précise de l’insémination artificielle. Quelques semaines plus tard. Cela leur laissait le temps de recueillir le “matériel” comme ils disaient. Suffisamment pour plusieurs essais. Quand je suis revenue, j’ai eu droit à la démonstration de l’efficacité américaine. Il n’y avait que 25 % de chances pour que cela marche dès la première fois. Mais j’avais une telle envie de ce bébé... Je suis restée cinq jours. Quand j’ai quitté la clinique, j’étais enceinte.

- Nous sommes loin de notre bricolage avec Thomas !

- Oui. Tu vois, je n’ai pas demandé à Jean Lissajoux de me faire un bébé. D’ailleurs, si je l’avais fait, il aurait dû, comme Thomas, se masturber dans une petite tasse... Tu souris. Comme c’est bon de te voir sourire !

- Et ensuite ? Qu’as-tu fait ensuite ?

- Je suis revenue en France. Mais je ne savais pas où aller. Je n’avais plus de domicile. J’ai loué un pied-à-terre meublé à Paris. Et j’ai cherché un moyen de te retrouver. J’ai téléphoné à des dizaines de boîtes de BTP. Je n’ai essuyé que des échecs. J’avais l’impression de chercher une aiguille dans une botte de foin ! J’ai pensé supplier ton père. Mais je savais que c’était inutile. Je devenais folle, enfermée dans cet appartement minuscule avec la seule compagnie du téléphone et d’internet à rechercher les boîtes de BTP. J’ai perdu espoir. Je me suis dit que jamais je ne pourrais te retrouver. Mais il me restait mon bébé. Pour lui, je ne devais pas flancher. Alors, j’ai décidé de voyager à travers l’Europe. Dans tous ces hôtels, j’ai eu cent fois l’occasion de t’oublier. Mais je n’ai cédé à aucun des hommes que j’ai croisés. Et puis finalement, j’ai décidé d’aller à Venise. De retourner dans l’hôtel où nous étions descendues. Tu t’en souviens ?

- Bien sûr, Céline. Je me souviens de tout.

- J’ai réussi à obtenir la même chambre. Mais là, ça faisait vraiment trop mal. J’en suis sortie en pleurant. C’est là, dans le couloir de l’hôtel, devant la porte de ma chambre, que je les ai rencontrés.

- Qui as-tu rencontré ?

- Amélie et Grégoire. Ils s’étaient offerts un voyage romantique à Venise. Et à peine arrivés, ils devaient consoler une blonde en larmes ! Ils étaient si gentils. Ils n’ont pas voulu me laisser seule avec ma peine. Ils m’ont invitée à dîner. Je ne sais pas pourquoi, alors que je ne les connaissais pas, je leur ai tout raconté.

- Tu leur as parlé de moi ?

- Bien sûr, Je n’ai pratiquement parlé que de toi. De toi et de notre projet de bébé. Ils n’ont pas été choqués. Amélie et Grégoire font partie de ces hétérosexuels qui croient que la liberté d’aimer doit être totale quand elle ne viole aucune loi et qu’elle ne fait de tort à personne. Mais j’ai aussi parlé de mon père, de Phénicie, du scandale de la pollution, dont le procès s’ouvrait à Marseille, de notre rupture, de ta disparition. Et là, un miracle s’est produit. Grégoire a découvert le moyen de te retrouver.

- Comment ?

- Grégoire est avocat. Il m’a dit qu’il se faisait fort de connaître les noms de ses confrères qui intervenaient dans l’affaire de la pollution. Il a dit que tes coordonnées devaient se trouver dans le dossier pénal. Qu’il n’y avait plus de secret de l’instruction puisque le procès avait commencé. Le lendemain, il a consacré sa matinée à passer des coups de téléphone. Le soir, je connaissais ton adresse, ton nouveau numéro de portable. Ils figuraient sur le procès-verbal de ton audition à Lille.

- Pourquoi ne m’as-tu pas appelée ?

- Parce que tu vis avec une femme.

- Mais non voyons !

- Tu avais indiqué que tu habitais chez Lise Vandenrosen.

- Mais c’est la propriétaire de la pension de famille où je loge !

- Mais je n’en savais rien. J’ai ressenti une douleur infinie. Et une jalousie infinie. Et j’ai su que je t’aimais toujours puisque je ne supportais pas l’idée qu’une autre te touche. C’est encore Amélie et Grégoire qui ont volé à mon secours. Ils étaient abasourdis par ce hasard miraculeux. Tu vivais dans la même ville qu’eux ! Alors, ils ont pensé à Ludovic.

- Le fameux Ludovic qui est venu à la pension.

- Oui. Grégoire a appelé son frère. Ludovic est venu dans ta rue. Il a découvert la pension. Il a immédiatement appelé pour me rassurer. Comme je ne l’étais qu’à moitié, il a accepté d’y vivre quelques jours en se faisant passer pour un informaticien en déplacement. Je suis désolée de t’avoir fait espionner. Mais il fallait que je sache. Ludovic a merveilleusement joué son rôle. Il a eu la confirmation que tu vivais seule. Il a joué les amoureux transis, comme tu l’as si bien dit tout à l’heure. Lise lui a dit qu’il ne devait rien espérer de toi. Que tu étais toujours amoureuse d’une personne avec laquelle tu avais vécu pendant un an et dont tu venais de te séparer... Je n’ai pas eu trop de mal à deviner qui était cette personne...

- J’ai l’impression que tous les Lillois se sont donnés le mot pour t’aider...

- Oui, c’est vrai. Et j’y ai vu un signe que rien n’était perdu. A mon retour en France, j’ai donné congé de mon appartement parisien et je suis partie à Lille. Je n’étais pas sûre de te reconquérir mais je voulais au moins habiter près de toi. Amélie et Grégoire n’ont pas voulu me laisser seule et m’ont hébergée. Je dors dans leur chambre d’ami. Quand je suis arrivée, je voulais courir vers toi et me jeter dans tes bras. Te supplier de me reprendre. Mais Amélie, Grégoire et Ludovic m’ont retenue. Ils m’ont dit qu’il ne fallait rien brusquer. Alors j’ai attendu. C’était un supplice de te savoir si proche et de ne rien pouvoir faire. Grâce à Ludovic, je savais que tu travaillais comme chef de chantier et que ton employeur n’était autre de Gaston Vandenrosen, le frère de Lise.

- Tu as eu l’idée de me contacter en utilisant Amélie et Grégoire.

- Oui. Ils ont immédiatement accepté. Jamais je ne les remercierai assez de ce qu’ils ont fait pour moi. Pour nous.

- Tu les remercies en les chassant de leur maison.

- Ce n’est pas leur maison, Virginie. C’est la mienne. Tu n’as qu’un mot à dire et ce sera la nôtre.

- Ta maison ? Mais comment ?

- Je t’avais retrouvée et nous allons avoir un enfant. Mais il nous manquait un toit. Je voulais un endroit que tu aimes. Qui te corresponde. Où tu te sentes chez toi. Je ne voulais pas que tu te sentes une étrangère comme dans mon appartement à Marseille. J’ai de nouveau demandé à Amélie et Grégoire de m’aider. Tu connais la suite. Cette maison, c’est moi qui l’ai achetée. Les travaux que tu as faits, c’était pour nous. Les meubles que tu as choisis sont les nôtres.

- L’argent n’était pas un problème. Je comprends mieux. Cet argent, c’était le tien.

- Oui. Pour une fois que l’argent des Frémont sert à autre chose qu’à faire le mal !

- Et la chambre de l’enfant. Pourquoi n’ai-je pas été autorisée à la préparer ? Je croyais que cet enfant était aussi le mien.

- Il l’est Virginie. Il n’existerait pas sans toi. Jamais je n’aurais eu autant envie d’un enfant sans toi. Tant que cet enfant n’est pas né, je ne souhaite pas que l’on prépare sa chambre. C’est de la superstition. Et puis, j’ignore si c’est un garçon ou une fille... Je voulais que l’on découvre son sexe ensemble...

- Il va falloir faire vite quand il va naître !

- Je connais un excellent chef de chantier qui fait des merveilles ! Voilà. Tu sais tout. Tout ne dépend plus que de toi. Vivre ensemble ou séparément. Mais vivre séparées, ce ne serait plus vivre. Je sais que j’avais perdu ta confiance. Tu pensais que je préférais croire ces hommes qui nous ont fait tant de mal. Et tu as préféré fuir. Je ne te donnerai plus de raisons de fuir. Tu pourras tout me dire, je te croirai. Tu pourras me dire que la terre est plate, je te croirai. Que le soleil ne brille que la nuit, je te croirai. Je t’aime, Virginie. Si tous ces mois sans toi m’ont persuadée d’une chose, c’est bien de celle-là. Je t’aime et je te désire plus que jamais.

- Céline. Céline. Je croyais que tu m’avais oubliée. Que tu m’avais remplacée. Je croyais n’être qu’une parenthèse pour toi. Et toi, alors que j’en arrivais à te maudire tant ton absence me faisait mal, toi tu me cherchais. Je devrais me traîner à tes genoux pour tenter d’obtenir ton pardon. Pour ce que j’ai dit et ce que j’ai fait.

- Tu n’as pas à demander pardon. J’ai aussi commis des fautes. Tu ne dois pas t’humilier devant moi. Nous ne sommes plus Céline Frémont, la riche bourgeoise connue de tout Marseille, et toi la petite chef de chantier aux origines modestes. Ici, à Lille, nous sommes à égalité. Seulement deux femmes qui s’aiment et qui doivent construire leur vie. Ensemble et avec leur enfant.

- Céline. Tu sais, parfois, je pensais qu’un jour, peut-être, on se retrouverait. Mais, j’étais décidée à ne pas retourner avec toi. Parce que j’ai souffert et que je craignais de souffrir encore. J’étais décidée à te résister quoi que tu dises. Et même à te détester pour mieux te résister. Et toi, tu me balances tout ça. Je suis incapable de te détester. Et encore moins de te résister.

- Virginie, il ne faut plus penser au passé...

- Je dois tout te dire pour que tu saches tout. Je sais que j’ai eu des mots très durs pour toi. Je voulais brûler mes vaisseaux. Te quitter sans espoir de retour. Mais depuis notre rupture, chaque seconde a été une souffrance. Parce que je n’ai pas cessé de penser à toi, de t’aimer et de te désirer.

- Malgré notre séparation, nous avons vécu les mêmes choses, peut-être au même moment...

- Oui Céline. J’ai vécu pendant ces six derniers mois, comme si j’étais encore avec toi. Parce que je ne voyais que toi. Parce que mon monde c’est toi. Mon père m’avait dit que tu avais disparu. Je t’imaginais avec un homme. Pardonne-moi d’avoir douté de toi. Moi non plus, je ne t’ai pas trompée. Je ne le pouvais pas. Mon corps s’y refusait. C’est vrai que j’ai imaginé que cette maison pourrait être la nôtre. Et j’ai rêvé d’un enfant avec toi. De nouveau, tu m’apportes tout. Alors, oui Céline. Je vais encore tenter ma chance. Parce que moi aussi, j’ai appris une chose pendant tous ces mois. Je t’aime et n’aimerai que toi. Je préfère souffrir par toi et pour toi que sans toi.

- Il n’est plus question de souffrir Virginie. Je ne permettrai à personne de tenter de me séparer de toi.

Virginie se mit à genoux devant Céline.

Elle posa longuement sa joue contre son ventre. Puis elle y déposa un baiser.

Céline, prit le visage de Virginie entre ses mains et l’attira vers le sien.

Leurs lèvres se joignirent.


*


Céline finit par détacher, à regret, sa bouche de celle de son amante. Elle murmura, dans un souffle :

- Virginie, pendant ces six mois, je n’ai pas cessé de penser à toi. Je n’arrivais pas à t’effacer de ma mémoire. Je me souvenais de tes caresses. Du contact soyeux de tes cheveux sur mon ventre et mes cuisses. Du goût de ta peau. De ton odeur. Je fermais les yeux et je te revoyais nue, si belle et si désirable. Ta poitrine. Tes cuisses. Tes fesses. L’envie que j’avais de toi me mordait le ventre. Je me revoyais te faisant l’amour. Tes jambes nouées comme des lianes autour de ma taille. Ta gorge palpitait sous mes baisers. Mes mains pétrissaient tes seins, parcouraient tes reins. Mes doigts caressaient ta chaleur humide. Ils s’insinuaient entre les plis de tes lèvres gonflées. Puis ma bouche, assoiffée, venait boire à ta source. Tu gémissais sous les attaques de ma langue et tu t’offrais toujours plus, t’ouvrant comme une mangue. Et je te buvais. Je goûtais ton sexe. Et toi, tu enfouissais tes mains dans mes cheveux. Tu me guidais sur le chemin de ton plaisir. Et enfin, quand tu te rendais entre mes bras, j’engloutissais ton cri en m’emparant de ta bouche...

- Céline, cesse, je t’en prie. Ces simples mots allument un  incendie en moi. Mais, je veux te résister...

- Pourquoi ?

- Tu es enceinte. Je n’ai pas le droit de te toucher...

- Mais non, tu le peux au contraire. Je ne suis pas une idole sacrée ou un sanctuaire dans lequel tu n’aurais pas le droit de pénétrer. L’amour, c’est aussi excellent quand les femmes sont enceintes. Tous les gynécologues te le diront. Il faut simplement prendre quelques petites précautions. Je me sens bien, épanouie. Et... je ne sais pas pour les autres femmes. Mais, chez moi, cet état accroît mon envie de faire l‘amour et attise mon désir. Virginie, réponds à ce désir. Je n’ai rien fait depuis six mois et nos dernières semaines à Marseille, n’étaient pas top... Je ne supporterai pas une minute d’abstinence supplémentaire. Viens...

Céline se leva et prenant la main de Virginie, elle l’entraîna. Elles sortirent du salon, puis empruntèrent l’escalier.

Arrivées devant la porte de la chambre, Céline se retourna.

- C’est notre chambre. Tu l’as décorée exactement comme j’avais espéré que tu le ferais. Quand j’ai visité la maison, j’ai eu la certitude que tu m’aimais toujours. Il y a un peu de nous deux dans chaque meuble, dans chaque objet que tu as choisi.

Elles entrèrent. Virginie referma la porte. Céline l’attendait. Elle lui tendit la main.

- Viens. Fais-moi l’amour.

Virginie s’approcha d’elle et tout doucement commença à la dévêtir.

Elle ouvrit avec précaution la tunique en cachemire et dénuda les épaules de Céline. Elle fit glisser le vêtement le long de ses bras, puis le jeta sur un fauteuil. Elle dénoua la ceinture du pantalon ample qu’elle fit, avec le sous-vêtement, tomber au sol où elle les ramassa. Ils rejoignirent la tunique.

Virginie découvrit le petit ventre rond de Céline, ses seins gonflés aux aréoles bombées. Elle caressa son cou et sa poitrine de ses lèvres. Elle se laissa glisser à ses pieds et, la saisissant par les hanches, approcha sa bouche de son ventre.

Elle embrassa cent fois ce ventre qui portait la vie tout en massant doucement les reins et les fesses de Céline. Céline gémissait et articula une plainte.

- Maintenant Virginie. Maintenant.

Alors, Virginie poussa Céline vers le lit et la fit s’allonger. Elle s’assit à son côté et posa une main sur son ventre qu’elle caressa par effleurements légers.

Puis elle s’empara de sa bouche. Doucement, tout d’abord, puis elles fusionnèrent, trahissant la faim des deux amantes qui mordillaient leurs lèvres avec voracité.

La main de Virginie glissa lentement sur le pubis de Céline. Elle sentit sa moiteur chaude. Tout son corps l’appelait. Alors elle répondit à cet appel.

Elle s’agenouilla devant elle et, écartant les cuisses de son amante, posa sa bouche sur son sexe. Elle laboura le sillon de sa langue. Encore, encore et encore. Jusqu’à ce que Céline, les doigts enfouis dans les boucles brunes, tendue comme un arc sous la violence de son orgasme, retombe sur le lit, frémissante et vaincue...


*


Les deux jeunes femmes sortirent dans le jardin.

Céline s’allongea sur la chaise longue en teck. Virginie prit place à ses pieds.

Elle saisit les mains de Céline qu’elle porta à ses lèvres et les baisa avec cette dévotion que l’on porte aux Vierges à l’enfant dans les églises.

A cet instant précis, les nuages bas qui tourmentaient ce ciel du Nord se déchirèrent, laissant apparaître un soleil éclatant dont les rayons vinrent caresser le couple retrouvé.


*


Quelques jours plus tard, les sons joyeux d’une pendaison de crémaillère résonnaient dans la petite maison de Lille.

Tous les artisans avaient été conviés autour de Céline et Virginie.

Lise et Gaston, Amélie et Grégoire, le mystérieux Ludovic et sa femme, étaient présents.

Fernand, venu en avion depuis Marseille, était là, lui aussi.

Le vieux pêcheur regardait Céline et Virginie, resplendissantes de bonheur. Il ne pouvait détacher ses yeux du ventre de Céline. Il avait décidé de quitter Marseille pour se rapprocher de son petit-fils et de ses deux filles.

Le marin qu’il était n’avait pas peur d’être dépaysé. La mer du Nord était toute proche.

Quant aux gens du Nord, ces anges gardiens qui avaient été les artisans du bonheur de ses filles, qu’ils avaient accueillies, réconfortées, soutenues, ils étaient devenus, comme Virginie, comme Céline, comme leur enfant, indispensables à sa vie.



FIN



Vous pouvez lire la suite des aventures
 de Céline et Virginie
 dans une autre récit : Eaux chaudes.


2 commentaires:

  1. Magnifique récit empreint d'une grande sensibilité, où tout s'enchaîne avec naturel.

    La scène finale dans le jardin est particulièrement émouvante.

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  2. J'ai d'abord découvert tes récits il y a dèjà plusieurs mois sur le forum de céline et virginie. Je les ai trouvé d'une grande qualité, très bien écrits (à quel bonheur une orthographe correcte !)très documentés et variés. Alors quel plaisir de découvrir aujourd'hui ce blog où tu as mis les suites de tes premières histoires. Quel plaisir surtout de retrouver les personnages de céline et virginie. Je vais rattraper mon retard sur ces lecture. Et surtout continue ! A plus tard pour d'autres commentaires. FRED2638

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